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Article d’Ilan Pappe, paru le 29 juillet 2006 dans la revue Socialist Worker. L’auteur est israélien, professeur à l’université de Haïfa.

Dans ses ouvrages les plus récents, « The Modern Middle East » en 2005 et « A History of Modern Palestine » en 2004, il décrit l’expulsion des palestiniens comme un nettoyage ethnique , véritable crime orchestré qui a déchiré juifs et arabes alors qu’ils vivaient en paix jusque là.

L’article reprend cette thèse dans ses grandes lignes en retraçant l’histoire du sionisme et en insistant sur cette violence originelle.

Ce « voyage dans le passé peut aider à éclairer ce qu’il y a derrière la politique destructrice d’Israël » aujourd’hui puisque « nous sommes maintenant revenus aux bases mêmes du conflit » : l’enjeu est plus que jamais la disparition des palestiniens.

Pour I. Pappe, « seuls deux mouvements dans la région résistent à Israel » : le Hamas et le Hizbollah .


Le développement actuel de la triste réalité au Moyen-Orient a des racines historiques claires et un voyage dans le passé peut aider à éclairer ce qu’il y a derrière la politique destructrice d’Israel en Palestine et au Liban.

Le Sionisme est arrivé en Palestine à la fin du 19ème siècle en tant que mouvement colonialiste motivé par des impulsions nationales. La colonisation de la Palestine s’adaptait bien aux intérêts et à la politique de l’Empire Britannique à la veille de la Première Guerre Mondiale.

Avec le soutien de la Grande-Bretagne, le projet de colonisation s’est développé, et est devenu une présence massive sur le terrain après la guerre et avec l’établissement du Mandat Britannique en Palestine (qui a duré de 1918 à 1948).

Tandis qu’avait lieu ce regroupement, la société autochtone a subi, comme d’autres sociétés dans le reste du monde Arabe, un processus régulier de constitution d’une identité nationale. Mais avec une différence.

Tandis que le reste du monde Arabe façonnait son identité politique par la lutte contre le colonialisme européen, le nationalisme en Palestine signifiait affirmer son identité collective contre un colonialisme britannique d’exploitation et un sionisme expansionniste. Donc, le conflit avec le sionisme était un fardeau supplémentaire.

La politique pro-sioniste du Mandat Britannique a naturellement tendu les relations entre la Grande-Bretagne et la société palestinienne locale. Cela a atteint son point culminant lors d’une révolte en 1936 contre Londres et le développement du projet colonial sioniste.

La révolte, qui a duré trois ans, n’a pas pu modifier la politique du Mandat Britannique qu’il avait déjà décidée en 1917. Le ministre des Affaires Etrangères Britannique, Lord Balfour, avait promis aux leaders sionistes que la Grande-Bretagne aiderait le mouvement à construire une patrie pour les juifs en Palestine.

Le nombre de juifs entrant dans le pays augmentait chaque jour – bien que même à ce moment-là, pendant les années 30, les juifs ne représentaient qu’un quart de la population, et ne possédaient que 4% de la terre.

Alors que la résistance au colonialisme se renforçait, la direction sioniste a commencée à être convaincue qu’ils ne pourraient créer leur propre Etat qu’en expulsant l’ensemble des Palestiniens. Du tout début et jusqu’aux années 30, les penseurs sionistes ont propagé la nécessité de nettoyer éthniquement la population autochtone de la Palestine si le rêve d’un Etat Juif se réalisait.

La préparation pour l’application de ces deux objectifs de patrie et de suprématie ethnique s’est accélérée après la Seconde Guerre Mondiale. Pour les Anglais, le pays avait perdu son importance stratégique quand ils ont été expulsés de l’Inde. C’était un endroit tendu qui exigeait la présence des forces britanniques en nombre équivalent à celui que l’empire maintenait dans le sous-continent indien – sans récompenses évidentes pour l’Empire.

Tandis que la direction sioniste finalisait un plan pour prendre la terre et expulser la population entre 1946 et 1948, les responsables palestiniens espéraient que l’empire Britannique leur donnerait leur pays dans lequel ils représentaient toujours la grande majorité autochtone de la population.

Mais la Grande-Bretagne a décidé de transférer la question de la Palestine devant les Nations Unies (l’ONU) en février 1947. La Palestine était le premier conflit dans lequel il était invité à négocier d’une manière significative. Il a proposé une solution pro-sioniste, très injuste et impossible à mettre en pratique.

Le premier obstacle était que puisque les palestiniens demandaient à être traités comme n’importe quel autre mouvement national arabe, ils s’attendaient à ce que la communauté internationale reconnaisse, sans condition, leur droit légitime au pays. Ils ne s’attendaient pas à ce que ce droit soit négocié avec un mouvement colonialiste. Ils ont donc boycotté le processus.

L’ONU l’a ignoré et le Comité Spécial qu’il a nommé pour la question, l’Unscop (le Comité Spécial des Nations Unies pour la Palestine) n’a discuté qu’avec les responsables sionistes. Il a conçu une solution qui ne répondait aux besoins et aux aspirations que de ce seul côté.

De toute façon, les Palestiniens avaient de la difficulté à présenter le côté moral de leurs demandes en raison de l’holocauste. La communauté internationale occidentale n’était que trop heureuse d’éluder tous les débats au sujet des implications du génocide en Europe et de laisser le problème à la porte de la Palestine.

Le résultat inévitable de cette approche acceptait presque sans réserve les demandes sionistes d’un Etat en Palestine.

Territoire

Fin novembre 1947, l’ONU a offert de diviser la Palestine en deux Etats presque égaux au niveau territorial. Les Juifs ne représentaient qu’un tiers de la population en 1947 et la plupart d’entre eux n’étaient arrivés en Palestine que quelques années plus tôt.

Le refus catégorique des Palestiniens à cette proposition, soutenus par la Ligue Arabe, a permis à la direction sioniste de planifier soigneusement la prochaine étape.

Entre février 1947 et mars 1948, un dernier plan pour un nettoyage ethnique a été préparé.

La direction sioniste a défini 80% de la Palestine (Israel d’aujourd’hui sans la Cisjordanie) comme espace pour le futur Etat. C’était un secteur dans lequel un million de Palestiniens vivaient à côté de 600.000 juifs.

L’idée était de déraciner autant de Palestiniens que possible. Entre mars 1948 et la fin de l’année, le plan a été mis en application en dépit de la tentative d’opposition de quelques Etats Arabes, ce qui a échoué. Environ 750.000 Palestiniens ont été expulsés, 531 villages ont été détruits et 11 secteurs urbains ont été démolis.

La moitié de la population de la Palestine a été déracinée et la moitié de ses villages a détruit. L’état d’Israel a été établi sur plus de 80% de la Palestine, transformant les villages palestiniens en colonies juives et parcs de loisirs, mais il a permis à un nombre restreint de palestiniens d’y rester en tant que citoyens.

La guerre de juin 1967 a permis à Israel de prendre les 20% de la Palestine restants. Cette saisie a d’une certaine façon mis en échec l’idéologie ethnique du mouvement sioniste. Israel a pris les 100% de la Palestine, mais l’état a incorporé un grand nombre de palestiniens, population que les sionistes avaient eu tellement de mal à expulser en 1948.

Le fait qu’on ait laissé faire Israel en 1948, et qu’il n’ait pas été condamné pour le nettoyage ethnique qu’il a commis, l’a encouragé à nettoyer éthniquement de la Cisjordanie et de la bande de Gaza 300.000 autres Palestiniens.

Mais la guerre de juin 1967 fut trop courte – six jours – et la communauté internationale était plus au courant. La société palestinienne était plus expérimentée. Par conséquent, Israel est resté avec un grand nombre de Palestiniens sous son contrôle et n’a pas pu achever le travail.

Le Mouvement National Palestinien est à nouveau apparu sous la forme de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et même s’il n’avait pas libéré un seul mètre carré de la Palestine, il a reposé la question palestinienne et la Nakbah de 1948 (catastrophe) au centre de l’attention de public mondial.

L’opération de nettoyage ethnique a été également mise en échec par la persistance et la détermination de ces Palestiniens qui ont été autorisés à rester en Israel. Ils sont devenus le quart de la population. La démographie est ainsi devenue la question principale sur l’agenda de la sécurité nationale israélienne. Elle éclipse tous les autres problèmes, que ce soit l’égalité sociale, la démocratie ou les droits de l’homme.

Le système d’éducation, les médias et les politiciens soulignent le danger « que les Palestiniens constituent pour l’existence de l’Etat d’Israel et pour le bien-être des citoyens Juifs ». Dans cette situation, la « Gauche » israélienne pousse à diminuer la taille du territoire, la droite réclame une réduction du nombre de Palestiniens. Mais la distance morale et idéologique entre les deux positions du système politique est en effet très petite.

Après deux soulèvements dans les territoires occupés et un échec de l’effort diplomatique international qui a totalement ignoré la racine du conflit comme représentée ci-dessus, nous sommes maintenant revenus aux bases mêmes du conflit.

Imposer

Au cours des six dernières années, avec le soutien total de son électorat juif, les gouvernements israéliens successifs ont essayé d’imposer par la force ce qui pour eux est la solution idéale.

Cela consiste à emprisonner un grand nombre de Palestiniens dans les enclaves en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, un contrôle total via un système d’Apartheid de la minorité palestinienne en Israel, et le rejet catégorique de tout rapatriement des réfugiés palestiniens. Ce plan est entièrement soutenu par les Etats-Unis.

La présidence néo-conservatrice de Bush poursuit son propre unilatéralisme, en essayant d’imposer ses valeurs économiques et stratégiques au reste du monde par des moyens militaires et l’intimidation.

Seuls deux mouvements dans la région résistent à Israel et aux Etats-Unis. Malheureusement pour des gens de Gauche, comme moi, ils ne sont pas de notre école, mais nous devrions respecter leur détermination et leur volonté à résister à l’occupation et à la colonisation. Ce sont le Hamas et le Hizbollah.

Israel pense qu’il a maintenant une fenêtre d’opportunité pour éliminer ces forces à Gaza et au Liban – et là-bas en Syrie et en Iran.

La guerre régionale qui se développe pourrait à court terme miner ces deux forces, mais à long-terme, cela pourrait signifier une confrontation israélienne non seulement avec le monde Arabe mais avec l’ensemble du monde Musulman. À ce moment-là, les Etats-Unis pourraient l’abandonner, et l’Etat Juif finirait comme le royaume des croisés à l’époque médiévale.

Un désastre apparaît donc indistinctement pour nous tous – les Juifs et les Arabes – et seule l’Europe pourrait l’éviter, si elle cessait d’être l’esclave de ses intérêts et des nôtres, des intérêts américains et du sionisme.

Ilan Pappe

Photo : Expulsion des Palestiniens en 1948

 

 

 

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