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Comité Action Palestine (mars 2019)

Après 7 ans, le conflit syrien a connu en 2018 une issue qui traduit l’établissement d’un nouveau rapport de force au Proche et Moyen Orient. Face à la montée en puissance de la Russie, les Occidentaux, en raison de leurs propres contradictions, ne paraissent plus capables d’imposer leur diktat sur la région. Malgré le soutien redoublé des Américains, l’entité sioniste se retrouve alors prise en étau entre les forces armées du Hezbollah et de l’Iran et la résistance palestinienne. Cette nouvelle donne pourrait être favorable à la lutte nationale palestinienne.

Un nouveau rapport de force établi au Proche et Moyen Orient

Alors que le conflit qui oppose au Yémen les forces houtis à l’Arabie saoudite à la tête d’une coalition internationale se poursuit, la Russie intervient également sur ce terrain pour proposer, via l’ONU, un règlement entre les belligérants, ce qui équivaudrait finalement à une défaite de l’Arabie saoudite. En 2018, le camp saoudien a continué à perdre de l’influence et le soutien américain s’est fait plus critique suite au meurtre du journaliste Jamal Kashogii en Turquie en octobre 2018 et à certaines révélations concernant des armes américaines vendues à l’Arabie saoudite, retrouvées aux mains des forces houtis. L’influence majeure de la Russie se traduit également par une volonté de contrecarrer la stratégie américaine vis-à-vis des Palestiniens. Un récent sommet organisé à Moscou a en effet rassemblé toutes les factions palestiniennes, qui, sans arriver à un accord complet, ont exprimé une position commune rejetant le « Deal du siècle ». Ce projet, proposé par les Américains pour « régler le conflit en Palestine », semble aujourd’hui au point mort.

La victoire qu’on peut considérer comme définitive de l’axe Syrie-Russie-Iran-Hezbollah en Syrie, marque durablement un nouveau rapport de force dans la région. Début 2019, la quasi-totalité du territoire syrien est repassé sous contrôle des forces gouvernementales syriennes. Outre le renforcement du rôle déterminant du Hezbollah comme force de dissuasion face à l’entité sioniste, et de l’Iran comme puissance régionale, cette victoire impose la Russie comme un intervenant incontournable dans la géopolitique de cette région.

Prenant en compte ce nouveau rapport de force, la Turquie essaie de profiter de la situation et de renforcer ses alliances avec la Russie. Elle instrumentalise la politique internationale pour détourner l’attention des Turcs des problèmes économiques auxquels ils doivent faire face, et affiche un positionnement plus anti-occidental qu’auparavant, illustré, notamment, par sa prise de position vis-à-vis des ingérences impérialistes au Venezuela.

L’influence occidentale affaiblie par des contradictions :

Le retrait des forces américaines de Syrie initié début 2019 laissent les forces kurdes seules face à la Turquie farouchement opposée à leur projet d’indépendance. Très actives pour combattre Daesh et l’Etat islamique, les Kurdes avaient parié sur le soutien occidental. Ils n’ont alors pas d’autre choix qu’un rapprochement avec les forces syriennes gouvernementales, ce qui éloigne la perspective d’un éclatement territorial de la Syrie, souhaité par les Occidentaux.

Alors que la victoire en Syrie et la défaite de l’Arabie saoudite au Yémen renforce le leadership régional de l’Iran, les USA redirigent leur pression vers la République islamique avec leur retrait de l’accord sur le nucléaire et la réactivation du blocus économique au cours de 2018. Un conflit ouvert avec l’Iran paraissant peu probable, l’objectif principal est d’affaiblir économiquement le pays en espérant une déstabilisation politique et des mouvements de révolte en interne pouvant conduire à un renversement du régime. Pour l’instant, l’Iran n’a pas répondu aux attaques militaires israéliennes contre ses forces positionnées en Syrie et elle met en place des dispositifs monétaires pour contourner l’embargo en nouant des alliances commerciales avec la Russie et la Chine. Par ailleurs les contradictions entre pays capitalistes depuis l’élection de Trump sont un élément supplémentaire à prendre en compte. En effet lors d’un récent sommet à Varsovie, les USA ont tenté de constituer un front anti-iranien uni rassemblant plus de 60 pays. Or les Européens, qui veulent défendre leurs propres intérêts économiques, en recherchant des moyens pour contourner l’embargo et échapper aux sanctions, n’ont pas participé à ce sommet, affaiblissant de fait la stratégie américaine contre l’Iran.

Enfin, même si la Jordanie n’est pas une puissance régionale, les contradictions qui la traversent sont à prendre en compte. Elle doit composer entre, d’une part, une alliance historique avec Israël et les Américains et, d’autre part, une population composée à 60% de Palestiniens et son rôle de garant des lieux saints musulmans d’al-Quds. Pendant la guerre en Syrie, son territoire a servi de base occidentale, ce qui l’a conduit à interrompre ses échanges avec ce pays alors que c’était son principal partenaire économique. Depuis, elle subit une grave crise économique et a connu en juin 2018 une mobilisation sociale inédite. Afin d’éviter toute déstabilisation défavorable aux pays du Golfe et à Israël, les Pétromonarchies sont venues à sa rescousse financière. Les Américains voulaient lui faire jouer un rôle majeur dans le « Deal du siècle », en lui rattachant une grande partie de la Cisjordanie et annulant le droit au retour des réfugiés palestiniens et la souveraineté arabe sur al-Quds. Mais la Jordanie s’y est jusqu’alors clairement opposée.

L’entité sioniste fragilisée malgré le soutien américain renforcé

En dépit des décisions américaines en sa faveur, l’entité sioniste se trouve fragilisée par ce nouveau rapport de force. En 2018, les Américains ont transféré le 14 mai leur ambassade à al-Quds, reconnaissant de facto la ville comme capitale d’Israël. Poursuivant les négociations pour conclure le « Deal du siècle », ils ont aussi cessé de financer l’UNRWA (l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens), mettant en péril l’aide internationale aux réfugiés et de ce fait la matérialisation de la reconnaissance internationale du Droit au Retour. L’entité a, quant à elle, poursuivi son activité de normalisation avec les Etats arabes (sous la houlette de l’Arabie saoudite) et avec les Etats africains auprès desquels elle cherche un soutien à l’ONU. Mais la victoire en Syrie de l’axe Syrie-Iran-Russie-Hezbollah a renforcé la résistance armée à ses frontières et le retrait des américains de Syrie a laissé l’entité sioniste seule face à ses ennemis. Les attaques répétées qu’elle mène contre les forces syriennes et iraniennes basées au sud de la Syrie ont pour l’instant uniquement conduit à un renforcement des moyens militaires de défense syrienne par les Russes. Cette activité belligérante de faible intensité apparait d’ailleurs plus à destination de son opinion interne car l’entité n’apparait pas de taille, sur le plan militaire, à affronter l’Iran. En interne, la persistance et l’efficacité de la résistance palestinienne a conduit à une crise politique majeure suite à la démission de Lieberman en décembre 2018, et la nécessité de convoquer des élections législatives anticipées en avril 2019. La démission récente du commandant des commandos de l’armée israélienne confirme cette instabilité politique au sein de l’entité sioniste. Illustrant bien cette situation, Benny Gantz, ex chef d’Etat-major de l’armée israélienne, a récemment déclaré qu’ « Israël devrait se retirer à moyen terme de la Cisjordanie car il n’arriverait pas à gérer la prochaine guerre ».

La Marche pour le retour : un degré supérieur pour la résistance populaire

Alors que les forces politiques palestiniennes peinent toujours à exprimer de manière unifiée leur rejet du deal du siècle, que l’Autorité palestinienne maintient sa collaboration sécuritaire avec l’entité sioniste, et que Abbas tente toujours de prendre le pouvoir à Gaza en coupant les vivres au Hamas, la résistance populaire palestinienne se renforce. En Cisjordanie elle ne faiblit pas et a pris, en 2018, une nouvelle forme à Gaza. La Marche pour le retour est une nouvelle expression du génie populaire palestinien. Complètement asphyxiée par un blocus depuis plus de 10 ans, la population de Gaza n’a rien à perdre. Ainsi depuis fin mars, elle se mobilise chaque vendredi pour marcher vers la barrière qui la sépare de la Palestine occupée. Malgré la répression qui s’abat sur les manifestants (plus de 250 morts, dont 60 en un seul jour pour la commémoration de la Nakba, et près de 26000 blessés), la pression populaire sur l’entité sioniste est maintenue. De plus, et même si elle se fait discrète, la résistance armée est toujours active et efficace (en témoigne l’opération de novembre où elle a réussi à repousser par surprise un commando terrestre ennemi), et le mouvement populaire est soutenue par les principales factions palestiniennes. Bien que le rapport de force puisse paraitre particulièrement disproportionné, la force symbolique de cette résistance, et celui de la Marche du retour en particulier, est majeure. Le message palestinien est clair. «Le peuple palestinien n’a plus rien à perdre, il ne capitulera pas et rentrera chez lui, le Droit au retour est son droit ». De fait, la politique sioniste pour faire disparaitre le peuple palestinien depuis 70 ans a échoué. La résistance est aujourd’hui multiple et menace de toutes parts l’entité coloniale.

Ainsi si la Palestine n’apparait pas actuellement comme la pièce majeure des équilibres régionaux, le contexte pourrait lui être très favorable. Sous la menace des forces de l’axe de résistance (Hezbollah, Iran et Syrie) au Nord et de la résistance populaire palestinienne en interne, l’entité sioniste apparait dans une situation plus fragile qu’elle ne l’a jamais été depuis sa création. De plus, les contradictions au sein de l’axe occidental affaiblissent sa position hégémonique et les intérêts russes dans la région bénéficient pour l’instant aux forces anti-impérialistes et anti-sionistes. L’espoir est donc permis pour les Palestiniens.

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