AccueilDossiersColonialisme sioniste actuelUne humanité relative Comité Action Palestine 11 novembre 2006 Colonialisme sioniste actuel 1 884 vues le 11/11/2006 11:40:00 (1219 lectures) Article de Omar Barghouti qui fut publié entre Décembre 2003 et Janvier 2004 sous des formes très proches dans The Palestine Chronicle, Counterpunch , Znet, et Electronic Intifada. L’auteur montre que la façon la plus juste de parvenir à une paix durable dans l’ancienne terre de Palestine passe par l’établissement d’un État unique . Israël a justifié et continue de justifier la colonisation par l’humanité relative des arabes : ceux-ci ne seraient pas humains au même sens que les juifs, et n’auraient donc « droit qu’à une partie de ce qui serait en d’autres circonstances des droits inaliénables dus aux humains «réels» ». L’auteur montre comment cette humanité relative permet de renier le droit au retour des réfugiés palestiniens et justifie les crimes de guerres petits et grands d’Israël ainsi que son régime d’apartheid . SOMMAIRE 1. Introduction 2. L ‘humanité relative et le conflit 3. Les voies pour sortir du conflit 4. Maintenir le statu quo 4.1. Le déni des droits des réfugiés 4.2. Occupation militaire : les crimes de guerre, grands et petits 4.2.1 Le mur d’apartheid israelien 4.2.2 Les plus petits crimes 4.2.3 Est-ce que les israéliens savent ? 4.3. Le système israélien de discrimination raciale : intelligent, nuancé, mais toujours de l’apartheid 5. Le nettoyage ethnique : la solution finale d’Israël face au problème démographique palestinien 6. Israël : les contradictions essentielles indéfendables 7. Un État laïque et démocratique : de nouveaux horizons 1. Introduction Bon débarras! La solution à deux États au conflit israélo-palestinien est finalement morte. Cependant, il faut que quelqu’un émette un certificat de décès officiel avant que le corps en décomposition ait droit à un enterrement adéquat et que l’on puisse continuer et examiner l’alternative plus juste, morale et donc plus durable, pour une coexistence pacifique entre les Juifs et les Arabes dans la Palestine mandataire : la solution à un État . Aveuglé par l’arrogance du pouvoir et le confort éphémère de l’impunité, Israël, à l’encontre de ses intérêts stratégiques sionistes, n’a pas réussi à contrôler son appétit expansionniste insatiable et est allé de l’avant en dévorant la toute dernière parcelle de terre qui devait former la fondation matérielle d’un État palestinien indépendant. Depuis l’émergence de la seconde Intifada palestinienne, Israël est entré dans une nouvelle phase critique, dans laquelle sa répression militaire contre les Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza occupés a atteint de nouveaux fonds et son mépris pour les résolutions de l’ONU atteint de nouveaux sommets, où ses incessantes confiscations de terres l’ont mené à ériger un mur entourant les centres de population palestiniens, séparant les Palestiniens de leurs terres – les dépossédant ainsi de nouveau – et où la corruption morale et la discrimination raciale ont plus clairement effrité la cohésion interne de la société israélienne, tout comme son image fabriquée de «démocratie». Par conséquent, la perception d’Israël dans l’opinion publique mondiale a plongé, l’amenant plus près du statut d’État paria. Cette phase comporte toutes les caractéristiques symboliques de ce qui peut être considéré comme le chapitre final du projet sioniste. Nous assistons à la mort rapide du sionisme et rien ne peut être fait pour le sauver, puisque le sionisme est condamné à s’autodétruire. Pour ma part, je favorise l’euthanasie. Pour revenir à la solution à deux États, elle n’a jamais constitué en soi une solution morale, sans compter que la date d’expiration est passée. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire par l’application méticuleuse de la résolution 242, elle aurait répondu à la plupart des droits légitimes de moins d’un tiers du peuple palestinien sur moins d’un cinquième de leur terre ancestrale. Plus de deux tiers des Palestiniens, les réfugiés et les citoyens palestiniens en Israël, ont été, de façon douteuse et bornée, effacés de la définition de l’appartenance palestinienne. Une telle exclusion ne peut que garantir la perpétuation du conflit. Qui donc offre ce « meilleur des cas »? Personne à vrai dire. La meilleure offre à date n’approche même pas de la 242 – sans parler des principes élémentaires de la moralité. Après avoir essayé pendant des décennies de convaincre les Palestiniens d’abandonner leur droit aux propriétés qu’ils ont perdues lors de la Naqba (catastrophe de 1948, la dépossession et l’exil) en échange d’un État souverain et entièrement indépendant sur l’ensemble des terres occupées en 1967, y compris Jérusalem-Est, Israël a prouvé qu’il n’a jamais réellement eu l’intention de retourner toutes ces terres acquises illégalement. De Camp David II à Genève en passant par Taba, l’offre israélienne la plus «généreuse» a toujours été bien en deçà des exigences minimales des diverses résolutions des Nations unies et des principes élémentaires de la justice. Reconnaissant que la justice n’était pas complètement servie par l’offre de son gouvernement à Camp David, le ministre israélien des Affaires étrangères, Shlomo Ben-Ami, a donné aux Palestiniens le choix entre «la justice ou la paix». Toutefois, séparer la paix de la justice est non seulement moralement condamnable, mais aussi maladroit du point de vue du pragmatisme. Cela peut subsister pendant un certain temps, mais seulement après avoir été vidé de son sens, devenant ainsi une simple stabilisation d’une oppression, ou ce que j’appelle la paix «maître-esclave», où l’esclave n’a pas de pouvoir et/ou de volonté de résistance et se soumet aux diktats du maître, passivement, docilement, sans un semblant de dignité humaine. Comme l’a déjà écrit Jean-Jacques Rousseau : «L’homme le plus fort n’est jamais assez fort pour être constamment le maître, à moins qu’il transforme la force en droit et l’obéissance en devoir. (…) La force est un pouvoir physique ; je ne conçois pas comment ses effets pourraient engendrer la moralité. Céder à la force est un acte de nécessité, non pas de volonté ; c’est au mieux un acte de prudence. Comment cela pourrait-il être un devoir moral? » Eh bien, la «prudence» des Palestiniens s’épuise. Les concessions de leur direction officielle devant la force ont simplement entraîné plus de colonisation et la promesse d’une continuation. 2. L ‘humanité relative et le conflit Dès le départ, les deux principales prétentions données par les sionistes pour justifier leur colonisation de la Palestine étaient : – la Palestine était une terre sans peuple, un terrain vague non civilisé; – les Juifs ont un droit divin pour concrétiser la «rédemption» de la Palestine, en accord avec une promesse venant d’une autorité non moindre que Dieu, et parce que, selon la Bible, les Israélites avaient érigé leur royaume sur toute la terre de Canaan il y a deux mille ans, leur donnant le droit historique sur cette terre. Ainsi, toute dépossession des indigènes de la Palestine, s’ils existaient, était un dommage collatéral acceptable pour la réalisation de la volonté de Dieu. Si cela ressemble trop au jargon de Bush, ce n’est que pure coïncidence. À ce jour, il a été démontré que tant les arguments politiques que religieux ne sont rien de plus que des mythes sans fondement, et ce en grande partie grâce au travail minutieux d’historiens et d’archéologues israéliens. [1 ] Supprimant la fabrication politique et la mythologie biblique, Joseph Weitz, dirigeant du département de la Colonisation à l’Agence juive en 1940, expliquait comment cette «rédemption» devait être réellement mise en œuvre: «Il doit être clair entre nous qu’il n’y a pas de place pour les deux peuples dans ce pays. Nous ne pourrons pas atteindre notre but si les Arabes sont dans ce petit pays. Il n’y a pas d’autre solution que de transférer les Arabes vers les pays voisins, chacun d’entre eux. Pas un village, pas une tribu ne doit rester.» Au cœur même de la rationalisation d’une telle expulsion repose une croyance coloniale bien établie dans l’impertinence, ou l’absence de valeur comparée, des droits, des besoins et aspirations des indigènes palestiniens. Par exemple, l’auteur de la Déclaration Balfour écrivait : «Les quatre grandes puissances soutiennent le sionisme. Et le sionisme, qu’il soit bien ou mal, est enraciné dans des traditions anciennes, dans des besoins présents et des espoirs futurs ayant bien plus d’importance que les désirs et les préjudices des 700.000 Arabes qui habitent présentement cette terre ancestrale. » C’est là un cas classique de ce que j’appelle une humanisation relative. Je définis l’Humanité relative comme la croyance, et l’humanisation relative comme la pratique basée sur cette croyance, voulant que certains être humains, partageant divers attributs importants d’identité tels que la religion, l’ethnicité ou la culture, sont dépourvus d’un ou de plusieurs des attributs nécessaires pour être humains et ne sont donc en conséquence humains que dans un sens relatif et non pas absolu et sans équivoque. Par conséquent, de tels humains relatifs n’ont droit qu’à une partie de ce qui serait en d’autres circonstances des droits inaliénables dus aux humains «réels». La perception des Palestiniens comme des humains relatifs peut expliquer pourquoi Israël – soutenu par les États-Unis et en maintes occasions par l’Europe également – a pu s’en tirer avec une attitude allant de soi envers les Palestiniens, qui présume qu’ils ne peuvent pas, en fait ne doivent pas, avoir des besoins, des aspirations ou des droits égaux à ceux des Juifs israéliens. Ce facteur a joué un rôle fondamental dans l’inhibition d’une évolution vers une solution à un État unitaire, comme il sera démontré plus loin. À côté de l’humanisation relative, il y a plusieurs obstacles sur le chemin de cette solution moralement supérieure. Compte tenu du niveau actuel de violence, de méfiance mutuelle et de haine entre les deux côtés, par exemple, comment une telle solution pourrait-elle se réaliser? D’autre part, avec l’écart de puissance si vaste entre Israël et les Palestiniens, pourquoi les Juifs israéliens accepteraient-ils cet État unitaire où, par définition, les Juifs seront minoritaires? Est-ce que le consentement israélien est vraiment nécessaire en premier lieu ou peut-il être éventuellement obtenu par l’entremise d’une combinaison de pression intense et d’absence de solutions alternatives viables, comme cela a été le cas en Afrique du Sud? Ces questions sont effectivement valides et cruciales, mais au lieu de les approfondir toutes, je me limiterai àdémontrer pourquoi les alternatives à la solution à un État sont moins susceptibles de résoudre le conflit , en partie à cause que le principe de l’égale valeur humaine, qui constitue l’ingrédient fondamental de toute paix juste et durable, est manifestement ignoré, violé ou réprimé dans chacune d’entre elles. En soi, cela ne prouve pas logiquement qu’une solution à un État soit la seule voie de sortie de la présente abysse, mais cela peut au moins démontrer qu’elle mérite certainement d’être sérieusement considérée comme une solution réelle. 3. Les voies pour sortir du conflit À l’heure actuelle, compte tenu de l’impossibilité de parvenir à une solution négociée impliquant la création de deux États qui comblerait le minimum des droits inaliénables des Palestiniens, il y a trois voies logiques qui peuvent être suivies : 1. Maintenir le statu quo, préserver une quelconque solution à deux États ne serait-ce que sur le papier. 2. «Finir le travail», ou atteindre le but logique du sionisme, en mettant en œuvre le nettoyage ethnique de tous les Palestiniens de la Palestine mandataire. Puisqu’un génocide de l’ampleur de ceux commis pour vider l’Amérique ou l’Australie de leurs indigènes n’est pas politiquement viable aujourd’hui, le nettoyage ethnique est ce qui s’en approche le plus. 3. Lancer un nouveau processus, visionnaire et pratique, qui mènerait à l’établissement d’un État unitaire et démocratique entre le Jourdain et la Méditerranée. Examinons chacune de ces trois options. 4. Maintenir le statu quo En premier lieu, le statu quo comporte trois attributs : le déni des droits des réfugiés, l’occupation militaire et la répression en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et finalement la version sioniste de l’apartheid en Israël même. 4.1. Le déni des droits des réfugiés Loin d’avoir reconnu sa culpabilité dans la création du plus vieux et large problème de réfugié dans le monde et malgré des preuves incriminantes accablantes, Israël a systématiquement fuit toute responsabilité. La dimension la plus étrange du discours populaire israélien au sujet de la «naissance» de l’État est le déni presque total de tout méfait. La vaste majorité des Israéliens considèrent l’impitoyable destruction de la société palestinienne et la dépossession du peuple palestinien comme leur «indépendance». Même les «gauchistes» engagés se lamentent souvent sur la perte de la «supériorité morale» d’Israël après l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, comme si avant cela Israël était aussi civil, légitime et respectueux de la loi que la Finlande! Telle une classique prédiction qui se réalise d’elle-même, les Israéliens ont toujours aspiré à être un État normal, au point qu’ils ont commencé à croire que c’était le cas. [2 ] C’est comme si la plupart de ces Israéliens qui ont activement participé ou assisté à la Naqba étaient collectivement infectés par une amnésie sélective chronique. Les racines de ce déni proviennent de l’Holocauste et des circonstances uniques qui en ont résulté, qui ont permis à Israël de prétendre que, contrairement à tout autre État, il était obligé de dénier aux réfugiés palestiniens leur droit sans équivoque de retourner dans leurs maisons et sur leurs terres. Préserver le caractère juif de l’État, selon l’argumentation, était le seul moyen de maintenir un lieu sûr pour les Juifs du monde, les «super-victimes», qui sont en danger parmi les Gentils, et cela était évidemment bien plus important que les simples droits des Palestiniens. Même si nous ignorons la comparaison impérieuse entre la sécurité des Juifs en Israël par rapport à la France, au Maroc, à l’Espagne, aux États-Unis et même à l’Allemagne, nous ne pouvons ignorer le fait qu’aucun autre pays dans le monde d’aujourd’hui ne pourrait s’en tirer avec une attitude similairement manifeste et raciste au sujet de son droit à la pureté ethnique. En plus d’être moralement indéfendable, le déni du droit au retour par Israël révèle aussi un degré d’inconstance morale qui est unique à bien des points de vue. Par exemple, la loi du retour pour les Juifs est basée sur le principe que, puisqu’ils ont été expulsés de la Palestine il y a plus de 2.000 ans, ils ont le droit d’y retourner. Ainsi, en niant les droits des réfugiés palestiniens, dont l’exil de 55 ans est une injustice bien plus jeune, Israël affirme essentiellement que les Palestiniens ne peuvent avoir le même droit parce qu’ils ne sont pas également humains. Voici quelques autres exemples de cette inconstance morale: Des milliers d’Israéliens dont les grands-parents étaient citoyens allemands ont demandé avec succès le droit au retour en Allemagne, la citoyenneté allemande, et ont reçu pleine compensation pour la propriété pillée. Le résultat étant que la population juive de l’Allemagne est passée de 27.000 au début des années quatre-vingt-dix à plus de 100.000 l’année dernière. La Belgique a aussi passé une loi «permettant le retour à leurs propriétaires des biens qui appartenaient à des familles juives». Elle a aussi accepté de payer à la communauté juive locale une restitution de 55 millions d’euros pour les propriétés volées qui «ne peuvent être restituées» et pour «les polices d’assurances non réclamées appartenant à des victimes de l’Holocauste». Mais la quintessence de l’hypocrisie morale est révélée par l’exemple suivant rapporté par le Ha’aretz : «Plus de cinq siècles après que leurs ancêtres ont été expulsés d’Espagne, les Juifs d’origine espagnole… ont demandé au gouvernement et au parlement espagnols de leur accorder la nationalité espagnole… L’Espagne devrait passer une loi «pour reconnaître que les descendants des Juifs expulsés font partie de l’Espagne et pour les réhabiliter», affirme Nessim Gaon, président de la Fédération séfarade mondiale. (…) Certains Juifs séfarades ont même préservé la clé de la résidence de leur ancêtre en Espagne… » Puisque soutenir le droit au retour des réfugiés palestiniens est, selon moi, le test décisif de moralité pour quiconque suggère une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, plusieurs, y compris Bill Clinton, et tout le spectre de la gauche officielle en Israël, ont échoué à ce test. La gauche et la droite sont partout des termes relatifs, mais en Israël, la distinction peut être complètement floue par moments. Quand vient le temps de parler de la pureté ethnique, de la démographie et du chauvinisme, les politiciens israéliens et les intellectuels de gauche, même ceux qui se sont autoproclamés comme «la gauche»[3 ], ont fait en sorte que les partis de l’extrême-droite européenne sonnent aussi humains que Mère Teresa. Toutefois, la différence cruciale est que dans le cas d’Israël, l’immoralité est aggravée par le fait que, contrairement aux immigrants étrangers en Europe, l’autre est en fait l’indigène. Malgré ce qui vient d’être mentionné, on ne peut nier que le droit au retour des réfugiés palestiniens contredit les exigences d’une solution négociée à deux États. Israël ne l’acceptera tout simplement jamais, en faisant le talon d’Achille de toute solution négociée à deux États, comme le démontre l’histoire. Cela n’a rien à voir avec les mérites ou les compétences des négociateurs palestiniens, aussi maigres qu’ils aient pu être, mais plutôt avec un stupéfiant déséquilibre de pouvoir qui permet à un État ethnocentrique et colonial de préserver sa nature exclusiviste en dictant les conditions à un interlocuteur pathétiquement plus faible. C’est précisément pourquoi le droit au retour ne peut être réellement accompli, sauf dans une solution à un État. Cela permettrait à la faiblesse palestinienne de devenir une force, s’ils décident d’adopter une voie non violente afin d’établir un État laïque et démocratique, acquérant par le fait même un soutien international crucial et transformant le conflit en une lutte non dichotomique pour la liberté, la démocratie, l’égalité et la justice non mitigée. De nouveau, le modèle sud-africain doit être une inspiration à ce niveau. 4.2 Occupation militaire: les crimes de guerre [4 ], grands et petits Suite à une visite dans la Bande de Gaza entièrement clôturée, Oona King, une parlementaire britannique juive, a commenté l’ironie à laquelle font actuellement face les Juifs israéliens, affirmant: «… en fuyant les cendres de l’Holocauste, ils ont incarcéré un autre peuple dans un enfer similaire en sa nature – mais pas dans son étendue – au ghetto de Varsovie». Tout être humain ayant une conscience et qui a récemment visité les Territoires occupés ne peut faire autrement qu’être d’accord avec King. Faisant face à l’aspiration apparemment inextinguible des Palestiniens pour la justice et l’émancipation, Israël a repris depuis trois ans une campagne de destruction gratuite, d’atrocités systématiques et de sièges à caractère médiéval, avec la claire intention de punir collectivement les Palestiniens, les forçant potentiellement à abandonner leur terre en masse. Le reste n’est que simples détails, aussi pénibles et affligeant qu’ils puissent être. 4.2.1 Le mur d’apartheid israélien [5 ], les droits humains des Palestiniens vs les droits des animaux et des plantes israéliens Bien qu’Israël essaie actuellement de présenter le Mur comme une barrière de sécurité pour «arrêter les kamikazes», la vérité est que le présent tracé du Mur est tout sauf nouveau. Il a été recommandé à Ariel Sharon par le tristement célèbre «prophète de la menace démographique arabe», le démographe israélien Arnon Sofer, qui soutient que la carte mise en œuvre est la sienne. Et contrairement aux doucereux politiciens israéliens, Sofer confesse sans la moindre honte que le tracé du Mur a été dessiné avec un but spécifique à l’esprit : maximiser la terre devant être annexée par Israël tout en minimisant le nombre d’«Arabes» qui viendraient avec. Mais Sofer s’accorde peut-être trop de crédit. Ron Nahman, le maire de la colonie d’Ariel en Cisjordanie, a révélé au journal à grand tirage Yedioth Aharonot que : «la carte de la clôture, dont on voit ici l’ébauche, est la même carte que j’ai vue lors de toutes les visites que [Ariel Sharon] a faites ici depuis 1978. Il m’a dit qu’il y pensait depuis 1973.» Il n’y avait pas beaucoup d’«attentats suicides» à cette époque! Il y a quatre ans, bien avant le début de l’Intifada, Ariel Sharon lui-même avait, dans un style évocateur, nommé le projet du mur le «plan Bantoustan», selon Ha’aretz. Malgré les graves transgressions envers l’habitat, l’environnement et les droits politiques des Palestiniens, un «consensus presque total» existe parmi les Juifs israéliens en sa faveur. Cependant, plusieurs groupes officiels ou non gouvernementaux en Israël sont préoccupés par les effets adverses que le Mur pourrait avoir sur les animaux et les plantes. Le ministre israélien de l’Environnement, Yehudit Naot, protestait contre le Mur, affirmant : «La clôture de séparation coupe la continuité d’aires ouvertes et est dommageable pour le paysage, la flore et la faune, les corridors écologiques et le drainage des ruisseaux. Le système de protection affectera de manière irréversible les ressources de la terre et créera des enclaves de communautés [d’animaux évidemment] qui seront coupées de leur environnement. Je ne souhaite surtout pas arrêter ou retarder la construction de la clôture, parce qu’elle est essentielle et sauvera des vies… D’un autre côté, je suis perturbée par les dommages environnementaux qui en découlent. » Son ministère et l’Autorité de protection des Parcs nationaux ont organisé un effort de sauvetage afin de préserver une réserve d’iris affectée en la déplaçant vers une autre réserve. Ils ont aussi créé de petits passages pour les animaux et permis la circulation de l’eau dans les ruisseaux. Pourtant, le porte-parole de l’autorité des parcs n’était pas satisfait. Il s’est plaint : «Les animaux ne savent pas qu’il y a maintenant une frontière. Ils sont habitués à un certain habitat et ce qui nous préoccupe est de voir leur diversité génétique affectée parce que différents groupes de population ne seront plus capables de se rejoindre et de se reproduire. Isoler les populations des deux côtés d’une clôture va créer définitivement un problème génétique. » Même Thomas Friedman a prédit – assez correctement, selon moi – dans le New York Times que le Mur «achèvera» éventuellement la solution à deux États, devenant ainsi «la mère de toutes les conséquences involontaires». 4.2.2 Les plus petits crimes de l’occupation Ce ne sont pas tous les crimes de l’occupation militaire israélienne qui sont aussi écrasants que le Mur. Je ne citerai plus bas que quatre exemples de crimes de guerre de moindre importance quoiqu’endémiques : i) Naissance et mort à un barrage de l’armée israélienne Rula, une Palestinienne, était au dernier stade de sa grossesse. Son époux, Daoud, ne réussissait pas à convaincre les soldats à un barrage militaire typique de les laisser passer pour rejoindre l’ambulance qui était retenue par les mêmes soldats de l’autre côté. Après une longue attente, Rula ne pouvait plus retarder l’accouchement. Elle a commencé à hurler de douleur, devant la plus totale apathie des soldats. Daoud a décrit cette expérience traumatisante au journaliste exceptionnellement consciencieux du Ha’aretz, Gideon Levy, affirmant : «Près du barrage, il y avait une roche… Ma femme a rampé jusqu’à la roche et s’y est étendue. Pendant ce temps, je continuais de parler avec les soldats. Un seul d’entre eux faisait attention, les autres ne regardaient même pas. Elle a essayé de se cacher derrière la roche. Elle n’aimait pas qu’ils la voient dans cette condition. Elle a commencé à hurler, hurler. Les soldats ont dit: «Tire-la dans notre direction, ne la laisse pas s’éloigner.» Et elle criait de plus en plus. Cela ne l’a pas ému. Soudainement, elle s’est mise crier: «J’ai accouché, Daoud, j’ai accouché!» J’ai alors répété ce qu’elle venait de dire pour que les soldats l’entendent. En hébreu et en arabe. Ils ont entendu. » Peu après, Rula a crié: «La fillette est morte! La fillette est morte!» Daoud, affolé et craignant pour la vie de sa femme, a dû couper le cordon ombilical avec une pierre. Plus tard, le docteur qui a examiné le corps à l’hôpital a révélé que la fillette était morte «d’une blessure sérieuse infligée lorsqu’elle est sortie du conduit utérin». Commentant la mort similaire d’un autre nouveau-né palestinien à un autre barrage israélien, une porte-parole de Médecins israéliens pour les droits de l’Homme a dit : «Nous ne savons pas combien sont mort ainsi parce que plusieurs personnes ne prennent même pas la peine d’aller à l’hôpital, sachant que les soldats les en empêcheraient. (…) Ces personnes ne représentent pas une menace pour Israël. Ceux qui le sont, tels les kamikazes, ne passent évidemment pas par les barrages, qui existent uniquement pour contrôler, subjuguer et humilier les gens ordinaires. C’est comme un terrorisme routinier. » ii) Chasser les enfants comme sport Le journaliste vétéran états-unien Chris Hedges décrit dans Harper’s comment les soldats israéliens dans la Bande de Gaza maudissent et provoquent systématiquement les enfants qui jouent dans les dunes au sud de Gaza. Puis, lorsque les enfants deviennent finalement excédés et commencent à lancer des pierres, les soldats répondent avec préméditation à balles réelles à l’aide de fusils mitrailleurs munis de silencieux. «Plus tard», écrit Hedges, «à l’hôpital, je vois les ravages: les estomacs arrachés, les trous béants dans les côtes et les torses». Il conclut ensuite : «Des enfants ont été tués dans d’autres conflits auxquels j’ai assisté,… mais je n’avais encore jamais vu des soldats attirer des enfants comme des souris dans une trappe et les tuer comme un sport.» iii) Les patients et le siège Rapportant un incident particulièrement horrible, Gideon Levy écrit dans Ha’aretz : «Les soldats ont obligé Bassam Jarar, un double amputé ayant des problèmes aux reins, et Mohammed Asasa, complètement aveugle, à sortir de l’ambulance. Les deux hommes revenaient d’une dialyse. Environ une demi-heure s’est écoulée, et le sang a commencé à couler du tube qui est inséré en permanence dans l’abdomen de Jarar. «J’ai dit aux soldats dans le blindé que je saignais. Il m’a dit de m’asseoir et qu’ils me conduiraient vers un médecin. Nous nous sommes assis là au soleil pendant près d’une heure.» (…) Le saignement s’est aggravé. Après environ une heure, deux soldats sont arrivés et ont soulevé Jarar et l’ont placé sur le plancher de leur jeep. «Je leur ai dit que je ne pouvais pas voyager dans une jeep. Ils ont dit que c’est tout ce qu’il y avait et qu’ils me conduisaient chez un docteur. Il a conduit comme un maniaque, j’étais secoué de tous bords et j’avais mal partout. Je leur ai dit que je souffrais. Ils ont dit: «N’aie pas peur, tu ne mourras pas.» Il y avait quatre soldats dans la jeep et j’étais sur le plancher. Il ne ralentissait pas. Et les soldats riaient et ne me regardaient pas du tout. » iv) Violences sexuelles Lors d’un autre crime, deux officiers de la police frontalière israélienne ont contraint un berger palestinien à porter sur son dos la selle de son âne et à marcher d’avant en arrière devant eux ; ensuite, sous la menace de son arme, un des deux l’a forcé à avoir une relation sexuelle avec son âne pendant une demi-heure, tel que documenté par B’Tselem. Influencé par cette culture d’humanisation relative de «l’autre», Nathan Lewin, candidat potentiel à un poste de juge fédéral à Washington et ancien président de l’Association internationale des avocats et juristes juifs, écrit : «Si l’exécution de la famille de quelques kamikazes sauve la vie ne serait-ce que d’un nombre égal de victimes potentielles civiles, l’échange est, je crois, éthiquement acceptable. (…) C’est une politique issue de la nécessité – le besoin de trouver un véritable dissuasif lorsque la peine capitale est apparemment sans effet. » Mettant de côté la diplomatie, «civil» ne s’applique ici qu’aux «Juifs», évidemment. Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, a conseillé similairement à Israël de raser complètement tout village palestinien qui abrite un kamikaze. Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, qu’une personne aussi moralement constante que Shulamit Aloni, ancienne membre de la Knesset, trouve nécessaire de dire : «Nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’y a pas qu’une seule façon de perpétrer un génocide.» 4.2.3 Est-ce que les Israéliens savent? Selon moi, le journaliste britannique Jonathan Cook dit vrai lorsqu’il écrit : «[Les Israéliens] savent précisément ce qui arrive: leur conditionnement sioniste les empêche simplement de voir la signification. Tant que l’ennemi est Arabe, tant que l’excuse fourre-tout de la sécurité peut être invoquée et tant qu’ils croient que l’antisémitisme persiste partout, alors le public israélien peut dormir paisiblement quand un autre enfant [palestinien] est tué en roulant sur sa bicyclette, quand la maison d’une autre famille est rasée, quand une autre femme fait une fausse couche à un barrage. (…) Il semble qu’un peuple qui a été éduqué à croire que tout peut être fait en son nom – tant et aussi longtemps que cela sert les intérêts des Juifs et de leur État – n’a pas besoin d’ignorance. Il peut commettre des atrocités en ayant les yeux grands ouverts. » Cela n’est pas nouveau. Le penseur sioniste Ahad Ha’am a décrit ainsi l’attitude anti-arabe des colons juifs qui venaient en Palestine pour échapper à la répression en Europe, bien avant qu’Israël soit créé : «Ils étaient serfs en terres de diaspora, et ils se sont soudainement trouvés en liberté [en Palestine]; ce changement a réveillé en eux une inclination au despotisme. Ils traitent les Arabes avec hostilité et cruauté, les privent de leurs droits, les offensent sans raison et se vantent même de ces actions. Et personne parmi nous ne s’oppose à cette inclination ignoble et dangereuse. » Mais si c’est vrai, on peut alors apporter deux explications – qui ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre – pour expliquer l’acceptation des Israéliens, et parfois leur soutien fervent, à cette violation systématique des droits fondamentaux de l’Homme : 1. Une croyance répandue voulant que leur guerre démographique contre les Palestiniens puisse être gagnée en mettant en œuvre la suggestion du ministre Benny Elon, qui a appelé à l’intensification du siège et de la répression afin de «rendre leur vie si pénible qu’ils se transféreront eux-mêmes volontairement». 2. Laïque ou non, la racine de la perception bien arrêtée des Israéliens selon laquelle les Palestiniens sont moins humains, est nourrie par une tradition coloniale raciste et un fondamentalisme juif en croissance. Je vais m’attarder un peu sur ce dernier point. Il est banal de lire quelque chose au sujet du fondamentalisme islamiste et de son activisme, de son anachronisme et de sa haine intrinsèque de «l’autre». Toutefois, le fondamentalisme juif est un tabou qui n’est pratiquement jamais évoqué en Occident pour des raisons qui dépassent la portée de cet essai. Mais le fondamentalisme juif gagne constamment du terrain en Israël, faisant de l’État, tel que le journaliste vétéran britannique David Hirst le décrit, un État «non seulement extrémiste par le tempérament, raciste par la pratique, [mais aussi] de plus en plus fondamentaliste par l’idéologie qui le conduit». Par exemple, se référant à la loi juive, ou Halacha, le rabbin Ginsburg, rabbin d’une puissante secte hassidique, a défendu le massacre de Musulmans dans la mosquée d’Hébron en 1994, en disant : «Légalement, si un Juif tue un non Juif, il n’est pas considéré comme un meurtrier. Il n’a pas transgressé le sixième commandement… Il y a quelque chose de bien plus sacré et unique dans une vie juive que dans une vie non juive. » Le rabbin Shaoul Israeli, une des plus hautes autorités rabbiniques du Parti religieux national et du sionisme religieux en général, a justifié le massacre de Qibya de 1953, perpétré par une unité de l’armée israélienne dirigée par Ariel Sharon, en citant lui aussi la loi juive. Il a écrit : «Nous avons établi qu’existe le terme spécial de «guerre de revanche» et que c’est une guerre contre ceux qui haïssent les Juifs et [il y a] des lois spéciales qui s’appliquent à une telle guerre… Lors d’une telle guerre, rien n’oblige à prendre des précautions au cours des actes de guerre afin que les non combattants ne soient pas blessés, puisque lors d’une guerre, les bons et les mauvais sont tués. (…) La guerre de revanche est basée sur l’exemple de la guerre contre les Mèdes au cours de laquelle les petits enfants ont aussi été exécutés, et nous pouvons nous interroger sur cela, à savoir comment ils avaient péché. Mais nous avons déjà trouvé dans les paroles de nos sages – que leur mémoire soit sacrée – que les petits enfants doivent mourir à cause des péchés de leurs parents. » 4.3 Le système israélien de discrimination raciale: intelligent, nuancé, mais toujours de l’apartheid L’universitaire états-unien Edward Herman a écrit : «Si les Juifs de France devaient avoir en leur possession des cartes d’identité les désignant comme Juifs (bien que citoyens français), ne pouvaient acheter une terre ou se porter acquéreur ou locataire d’une résidence dans la majeure partie du pays, n’étaient pas admis au service militaire et si la loi française bannissait tout parti politique ou législation demandant les droits égaux pour les Juifs, est-ce que la France serait largement louée aux États-Unis en tant que «symbole de la décence humaine» (New York Times) et un modèle de démocratie? Y aurait-il de vastes protestations si la France, en conséquences de telles lois et pratiques, était qualifiée, par une majorité de membres de l’ONU, d’État raciste? » Défendre une égalité complète et sans équivoque entre les Arabes et les Juifs en Israël est devenu synonyme de sédition, voire de trahison. Un juge de la Cour suprême israélienne a récemment déclaré qu’il «est nécessaire d’empêcher un Juif ou un Arabe qui appelle à l’égalité des droits pour les Arabes de siéger à la Knesset ou d’y être élu». Un sondage récent, réalisé par l’Institut israélien de démocratie, révèle que 53% des Juifs israéliens s’opposent à ce que des droits égaux soient accordés aux citoyens palestiniens d’Israël, et qu’un stupéfiant 57% croient qu’ils devraient être «encouragés à émigrer». Une des principales conclusions est que lorsque les Juifs israéliens disent «nous», ils y incluent bien peu souvent les citoyens palestiniens de l’État. En ce qui concerne les droits à la propriété immobilière, l’inégalité est catégorique. «En terre d’Israël, il est interdit de vendre un appartement à un Gentil», affirmait le Grand rabbin d’Israël en 1986, commentant la tentative d’un Palestinien pour acheter un logement appartenant au Fond National Juif à Jérusalem-Est. Dans les autres aspects vitaux de la vie, y compris les lois sur le mariage, le développement urbain et l’éducation, Israël a perfectionné un système complet de discrimination raciale envers ses citoyens palestiniens, qui n’a aucun parallèle dans le monde d’aujourd’hui. Du fait de toutes les dimensions de l’occupation militaire décrite ci-avant, le statu quo est intenable , que ce soit à cause de la résistance palestinienne ou de la condamnation internationale croissante. 5. Le nettoyage ethnique : la solution finale d’Israël face au problème démographique palestinien Les politiciens, intellectuels et médias de masse israéliens débattent souvent passionnément pour trouver la meilleure façon de faire face à la «guerre» démographique avec les Palestiniens. Peu d’Israéliens se dissocient de la croyance voulant qu’une telle guerre existe ou devrait exister. L’appel populaire en faveur de la subordination de la démocratie à la démographie a cependant entraîné l’adoption de mécanismes de contrôle de la population, visant à contrôler le nombre de Palestiniens, qui ne sont pas sans rappeler quelque chose. Donnant un pur exemple d’un tel mécanisme, le Conseil démographique israélien a été reconvoqué l’année dernière pour «encourager les femmes juives israéliennes – et elles seules – à augmenter le nombre de leurs enfants ; un projet qui, si on en juge par les activités du précédent conseil, essayera aussi de limiter les avortements», tel que rapporté par Ha’aretz. Ce groupe prestigieux, qui est formé des plus importants gynécologues, figures publiques, avocats, scientifiques et médecins israéliens, se concentre sur l’augmentation du ratio de Juifs par rapport aux Palestiniens en Israël, en employant «des méthodes pour augmenter le taux de fertilité israélien et pour empêcher l’avortement». À côté de cette ingénierie démographique, cette «guerre» ouverte contre la croissance de la population palestinienne a toujours impliqué l’incitation à l’immigration en Israël pour les non Arabes, juifs ou non, d’un peu partout dans le monde – de préférence, mais pas nécessairement, la partie blanche – pour être éventuellement israélisés [6 ]. L’universitaire israélien Boaz Evron a écrit : «La crainte de la «menace démographique» a hanté le sionisme depuis ses tous débuts. En son nom, des Éthiopiens ont été faits juifs malgré l’objection de rabbins. En son nom, des centaines de milliers de Slaves sont venus ici en portant la Loi du Retour comme feuille de figuier. En son nom, des émissaires ont été envoyés de par le monde pour trouver de plus en plus de Juifs. » Avec le soutien du gouvernement, par exemple, une organisation sioniste, Amatzia, a organisé l’adoption d’enfants étrangers par des familles juives ayant des problèmes de fertilité, insistant seulement sur la condition que les enfants doivent être convertis au judaïsme à leur arrivée en Israël. La Roumanie, la Russie, le Guatemala, l’Ukraine et les Philippines étaient les principaux pays d’origine des enfants ; mais maintenant, après qu’ils se soient «taris», l’Inde est devenue la source de choix, principalement pour la relative facilité d’y acquérir les «biens». La directrice d’Amatzia, Shulamit Wallfish, recherche particulièrement les enfants du nord de l’Inde, «où la peau des enfants est plus pâle, ce qui convient mieux aux familles israéliennes», selon elle. Plus préoccupé par l’imminente augmentation de la majorité arabe entre le Jourdain et la Méditerranée que par la «pureté juive» souvent invoquée et sanctifiée, Ariel Sharon a en effet demandé aux dirigeants religieux d’accélérer la progression de l’immigration et de l’absorption des non Arabes, même s’ils ne sont pas juifs, afin de fournir à Israël un «régulateur à la population arabe en plein essor», rapporte le Guardian. La vision du gouvernement israélien est que «tandis que la première génération de chaque vague d’immigration peut avoir de la difficulté à embrasser Israël et la judéité, leurs fils et filles deviennent fréquemment de fervents sionistes. Dans le climat actuel, ils sont souvent très à droite.» Quoique très populaire, une telle politique n’est pas endossée par tous. Par exemple, Eli Yishai, le dirigeant du plus important parti juif séfarade, le Shas, qui est particulièrement préoccupé par l’influx de Gentils, prévient hystériquement : «D’ici la fin de l’année 2010, l’État israélien perdra son identité juive. Un État laïque amènera… des centaines de milliers de goy qui construiront des centaines d’églises et ouvriront plus de magasins pour vendre du porc. Dans toutes les villes, nous verrons des sapins de Noël. » Le ministre israélien d’extrême-droite Effie Eitam prédit une autre alternative: «Si vous ne donnez pas le droit de vote aux Arabes, le problème démographique se résoudra de lui-même.» Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin de l’Université Ben Gourion est un des Israéliens consciencieux qui est révolté par ce langage de contrôle démographique qui n’est pas sans rappeler quelque chose. Il a écrit: «C’est effrayant, lorsque les Juifs parlent de démographie.» Se dissociant également de la principale vision israélienne, Boaz Evron écrit : «Lorsque nous arrêterons de définir notre essence nationale par des critères religieux, de forcer la conversion de ceux qui sont de bons citoyens israéliens, et que nous abandonnerons les préférences effectivement illégales accordées aux Juifs, il deviendra subitement évident qu’il n’y a aucune raison de se préoccuper de la «menace démographique. » Cependant, le mécanisme favori a toujours été le nettoyage ethnique. Sans cesse pratiqué, toujours populaire, mais continuellement nié par les sionistes, le nettoyage ethnique a été ressorti des cartons du sionisme au cours des dernières années pour occuper son propre trône. Le célèbre historien Benny Morris a récemment affirmé que si la Palestine avait été complètement vidée de sa population indigène arabe en 1948, cela aurait conduit à la paix au Proche-Orient. En réponse, Baruch Kimmerling, professeur à l’Université hébraïque, a écrit : «Laissez-moi compléter la logique de Benny Morris… Si le programme de la solution finale nazie au problème juif avait été mené à son terme, il y aurait assurément la paix en Palestine aujourd’hui. » Alors, pourquoi Israël n’agit-il pas maintenant en fonction de ses désirs? Le professeur Ilan Pappé de l’Université de Haïfa a une réponse convaincante : «Les contraintes qui pèsent sur le comportement d’Israël ne sont pas de nature morale ou éthique, mais plutôt techniques. Jusqu’où pouvons-nous aller sans transformer Israël en un État paria? Sans susciter des sanctions européennes, ou sans rendre la vie trop difficile aux États-Unis? » Offrant une explication diamétralement opposée, Martin Van Creveld, le plus important historien militaire israélien, qui soutient le nettoyage ethnique, écarte avec arrogance toute préoccupation face à l’opinion internationale, émettant le formidable avertissement suivant : «Nous possédons plusieurs centaines d’ogives nucléaires et de missiles et pouvons les lancer sur des cibles dans toutes les directions, peut-être même sur Rome. La plupart des capitales européennes sont des cibles pour notre aviation. (…) Laissez-moi citer le général Moshe Dayan: «Israël doit être comme un chien fou, trop dangereux pour l’ennuyer.» (…) Notre armée n’est pas la trentième plus puissante au monde, mais plutôt la deuxième ou la troisième. Nous avons la capacité d’entraîner le monde avec nous dans une chute. Et je peux vous assurer que cela se produira avant qu’Israël coule. » Cela devrait amplement expliquer pourquoi les Européens ont récemment rangé Israël au premier rang des pays qu’ils considèrent comme une menace à la paix. Pourtant, une troisième explication, qui converge avec celle de Pappé, est qu’Israël jouit présentement du meilleur des deux mondes : il met en œuvre – sur le terrain – un réseau élaboré de politiques qui rendent la vie des Palestiniens progressivement plus intolérable, et crée ainsi un environnement favorable à un nettoyage ethnique graduel, tout en ne créant pas de scène dramatique – du style Kosovo – qui alarmerait le monde, suscitant la condamnation et de possibles sanctions. [7 ] 6. Israël : les contradictions essentielles indéfendables L’exclusivité raciale inhérente d’Israël, telle que démontrée plus haut, a convaincu plusieurs citoyens palestiniens de l’État qu’ils ne sont pas seulement dans les marges, mais somme toute non désirés. Ameer Makhoul, le directeur général d’Ittijah, l’organisation qui regroupe les ONG palestiniennes en Israël, a écrit : «L’État d’Israël est devenu la principale source de danger pour le million de Palestiniens qui sont citoyens de l’État qui leur a été imposé en 1948; un État qui a été érigé sur les ruines du peuple palestinien… Les citoyens palestiniens d’Israël ne peuvent se défendre en se basant sur le système juridique et la Knesset. Ce public n’a pas confiance dans l’État et ses institutions, puisque les règles du jeu israélien ne permettent que la discrimination, le racisme et la répression des aspirations collectives. » À côté de ce que les Palestiniens pensent ou veulent, la question devrait être posée : est-ce qu’un État qui insiste sur la pureté ethnique peut être qualifié de démocratie, sans priver ce concept de son essence ? Même les loyaux amis d’Israël ont commencé à perdre foi en sa capacité à réconcilier ce qui est fondamentalement irréconciliable : la démocratie libérale moderne et l’ethnocentrisme anachronique. Écrivant dans le New York Review of Books, le professeur de l’Université de New York Tony Judt affirme que : «Dans un monde où les nations et les peuples s’entremêlent et se marient entre eux, où les obstacles culturels et nationaux à la communication se sont effondrés, où de plus en plus de gens parmi nous ont des identités multiples et se sentiraient contraints s’ils devaient ne se rattacher qu’à une seule, dans un tel monde, Israël est vraiment un anachronisme. Et pas simplement un anachronisme, un anachronisme dysfonctionnel. Dans le «choc des cultures» d’aujourd’hui entre les démocraties ouvertes et pluralistes et les États ethniques agressivement intolérants et conduits par la foi, Israël risque bel et bien de finir dans le mauvais camp. » Avraham Burg, un dirigeant sioniste engagé, est parvenu à une conclusion similaire. Attaquant la direction israélienne comme une «clique amorale», Burg soutient qu’Israël, qui «repose sur un échafaudage de corruption et sur des fondations d’oppression et d’injustice», doit «abandonner ses illusions et choisir entre l’oppression raciste et la démocratie». 7. Un État laïque et démocratique : de nouveaux horizons Peu importe ce qu’en disent nos hypocrites, nos vendus ou nos «faux prophètes», Israël, en tant qu’État exclusiviste et colonial [8 ], n’a aucune chance d’être accepté ou pardonné par ses victimes – et comme il devrait le savoir, ce sont les seuls dont le pardon est important. Malgré la peine, la perte et la colère que l’humanisation relative engendre inévitablement en eux, les Palestiniens ont l’obligation de différencier la justice de la revanche, la première impliquant une décolonisation essentiellement morale, tandis que la deuxième descend dans un cycle vicieux d’immoralité et de désespoir. Comme l’a écrit l’éducateur brésilien feu Paulo Freire : «La déshumanisation, qui ne marque pas seulement ceux dont l’humanité a été volée, mais aussi (quoique de façon différente) ceux qui l’ont volée, est une distorsion de la vocation à devenir plus humain. (…) [La] lutte [pour l’humanisation] est possible uniquement parce que la déshumanisation, tout en étant un fait historique concret, n’est pas un destin, mais le résultat d’un ordre injuste qui engendre la violence chez l’oppresseur qui, à son tour, déshumanise l’opprimé. (…) Afin que cette lutte ait un sens, l’opprimé ne doit pas, en cherchant à recouvrer son humanité (qui est une voie pour la créer), devenir l’oppresseur des oppresseurs, mais plutôt restaurateur de l’humanité des deux. » Rejetant la relative humanité de tout bord, et insistant sur la cohérence ethnique, je crois que la façon la plus morale de parvenir à une paix juste et durable dans l’ancienne terre de Palestine passe par l’établissement d’un État laïque et démocratique entre le Jourdain et la Méditerranée, ancré dans une égale humanité et, en conséquence, dans les droits égaux. La solution à un État, qu’il soit binational – une notion qui est largement basée sur la fausse prémisse voulant que la seconde nation en question soit définie [9 ] – ou laïque et démocratique, offre une véritable chance à la décolonisation de la Palestine sans transformer les Palestiniens en oppresseurs de leurs anciens oppresseurs. Le cycle vicieux qui a commencé avec l’Holocauste doit prendre fin une fois pour toutes. Cette nouvelle Palestine devrait : 1. Avant toute autre chose permettre et faciliter le retour et la compensation à tous les réfugiés palestiniens , seule restitution éthique acceptable à l’injustice qu’ils ont vécue depuis des décennies. Toutefois, un tel processus devra continuellement maintenir un impératif moral, c’est-à-dire éviter d’infliger une souffrance inutile ou injuste à la communauté juive en Palestine; 2. Accorder une citoyenneté pleine, égale et sans équivoque à tous les citoyens, Juifs ou Arabes; 3. Reconnaître, légitimer et même nourrir les particularités culturelles, religieuses et ethniques et les traditions de chacune des communautés. Comme règle générale, je souscris à ce que le professeur Marcelo Dascal de l’Université de Tel-Aviv a proposé avec perspicacité: «La majorité a l’obligation d’éviter autant que possible l’identification de la structure de l’État avec des traits qui empêchent la minorité de s’y engager.» Les Israéliens devraient reconnaître ce défi moral palestinien posé devant leur existence coloniale non pas comme une menace existentielle, mais plutôt comme une invitation magnanime à démanteler le caractère colonial de l’État, à permettre aux Juifs de Palestine de jouir finalement de la normalité, en tant qu’humains égaux et citoyens égaux d’un État laïque et démocratique – une terre réellement prometteuse en lieu et place d’une fausse Terre Promise. Cela confirmerait certainement que Roosevelt n’est pas seulement mort, mais qu’il était aussi dans l’erreur. Omar Barghouti Traduit de l’anglais par Olivier Roy (Montréal, Québec) Notes [Note du traducteur :L’article anglais comporte 61 notes. La majorité d’entre elles fournissent les références des nombreuses citations qui émaillent le texte. Nous avons choisi de ne traduire que les notes qui ajoutent un contenu au texte. ] [1 ] Plusieurs études archéologiques ont démontré que la plupart des histoires contenues dans la Bible et utilisées par les sionistes pour étayer leur revendication de la Palestine ne sont pas soutenues par l’histoire de la région, qui «est basée sur des évidences directes provenant de l’archéologie et de la géographie historique et est soutenue par des analogies qui sont principalement issues de l’anthropologie, de la sociologie et de la linguistique», comme l’a écrit l’archéologue Thomas L. Thompson. Ses découvertes sont soutenues par les recherches étendues, méticuleuses et faisant autorité de distingués archéologues israéliens tels que Ze’ev Herzog et Israël Finkelstein. [2 ] Henry Kissinger a défini l’objectif israélien ultime comme «une normalité qui met un terme à toutes les revendications [palestiniennes] et détermine un statut légal permanent». En conséquence, il a continuellement conseillé à Israël, en retour de la reconnaissance de l’État palestinien, d’insister sur une contrepartie qui inclurait «une renonciation formelle à toute revendication [palestinienne] future». Cela, affirme-t-il, était «l’essence d’un caractère raisonnable pour les États-uniens et les Israéliens». [3 ] Les célèbres écrivains israéliens A.B. Yehoshua et Amos Oz ont écrit: «Nous ne pourrons jamais accepter le retour des réfugiés à l’intérieur des frontières israéliennes, puisqu’un tel retour signifierait l’élimination de l’État d’Israël.» [4 ] L’examen par Amnistie Internationale de la conduite israélienne au cours de l’actuelle Intifada l’a amené à conclure que: «Il y a un modèle de violations grossières des droits de l’Homme qui pourraient très bien constituer des crimes de guerres.» [5 ] Plusieurs chercheurs ont démontré que l’ainsi nommée «clôture de séparation» sépare effectivement les Palestiniens de leurs terres et les isole dans des bantoustans restreints, pleinement sous contrôle de l’armée israélienne. Ainsi, le seul nom correct et adéquat pouvant être appliqué à cette clôture gargantuesque est: Mur de l’Apartheid, comme plusieurs ont commencé à l’appeler. [6 ] «L’assimilation israélienne» d’étrangers non Juifs dissout la majorité juive selon de récentes études démographiques. Selon les statistiques les plus conservatrices – et à mon avis trompeuses – environ 10% de la supposée population juive d’Israël est réellement non juive. [7 ] Les militants pacifistes Gadi Algazi et Azmi Bdeir expliquent: «Le transfert n’est pas nécessairement un moment dramatique, un moment où les gens sont expulsés et fuient leurs villes et villages. Ce n’est pas nécessairement un mouvement planifié et bien organisé avec des autobus et des camions emplis de gens… Le transfert est un processus plus profond, un processus rampant caché à la vue. (…) La principale composante du processus et le sapement graduel de l’infrastructure de vie de la population palestinienne dans les Territoires: son étranglement continu au milieu des bouclages et des sièges qui empêchent les gens d’aller au travail ou à l’école, de recevoir les services médicaux et de permettre le passage des citernes d’eau et des ambulances, ce qui repousse les Palestiniens à l’âge de l’âne et de la charrette. Prises ensemble, ces mesures minent l’emprise de la population palestinienne sur sa terre.» [8 ] Même l’ancien adjoint au maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, a dit: «…au cours des deux dernières années, je suis arrivé à la conclusion que nous avons affaire à un conflit entre une société d’immigrants et une société indigène. En un tel cas, nous parlons d’un conflit entièrement différent. (…) Parce que l’élément fondamental ici ne consiste pas en deux mouvements nationaux qui se font face; l’élément fondamental en est un d’indigènes et de colons. C’est l’histoire d’indigènes qui sentent que des gens venant de la mer ont infiltré leur habitat naturel et les ont dépossédés.» [9 ] Le binationalisme est basé sur deux suppositions problématiques: que les Juifs forment une nation, et qu’une telle nation a le droit d’exister en tant que telle en Palestine. Clairement, le binationalisme ne peut fonctionner entre les Palestiniens d’un côté et les Juifs du monde de l’autre. Mais est-ce que les Juifs israéliens se définiraient comme une nation? Probablement que non, puisque cela contredirait la prémisse fondamentale du sionisme. Alors, est-ce que les Israéliens se voient comme une nation? Certainement pas, puisqu’en plus de se séparer du sionisme, cela impliquerait aussi la minorité de 20% de Palestiniens. print