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Islamophobie, sionisme, exploitation, les trois maux de l’Etat

Comité Action Palestine (19 mars 2021)

Depuis
le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux sur le «séparatisme islamiste», le
rouleau compresseur de l’islamophobie est remis en marche dans la pure
tradition coloniale et raciste à la française. La «loi séparatisme» est une
injonction venue d’en haut et somme tous les musulmans d’accepter leur
subordination à une lecture religieuse définie par le pouvoir. L’Etat laïc endosse
les habits du théologien et cette définition religieuse est en dernière
instance une définition politique : l’Etat de droit administre la sphère
religieuse musulmane en imposant les règles d’organisation du culte, la tenue
vestimentaire, les porte-paroles légitimes et les théologiens solubles dans la
République. De ce point de vue, il agit comme les dictatures du monde arabe.
Contrôler le religieux pour contrôler le peuple. L’Etat laïc français fait dans
le trafic d’opium du peuple.

Selon
E. Macron, la loi «séparatisme» doit «conforter les principes républicains»,
mais en réalité elle traduit le souhait de l’Etat d’émanciper les musulmans
malgré eux, sans eux et surtout contre eux. La France n’a pas rompu avec son
histoire. L’assimilationnisme colonial est toujours de rigueur. Et l’arbitraire
aussi : fermeture de lieux de culte et d’établissements scolaires,
perquisitions humiliantes, enfants en garde à vue pour apologie du terrorisme,
etc… La répression est aveugle. Les musulmans, hommes, femmes, enfants, sont
traités sans ménagement et désignés comme l’ennemi intérieur. Ils sont soumis à
un état d’exception islamophobe. Après deux ans de lutte «Gilets jaunes» et
dans la perspective des élections présidentielles en 2022, le gouvernement
français a choisi l’option de la diversion et de la manipulation pour faire
oublier le désastre économique qui s’annonce et une gestion calamiteuse de la
crise sanitaire.

L’Etat français jette la suspicion sur les musulmans en France, mais il entretient de très bonnes relations avec les Etats musulmans qui n’hésitent pas à financer et promouvoir le terrorisme sous toutes ses formes contre les peuples. Business is business, on ferme les yeux sur les crimes commis par l’Arabie Saoudite dont le dirigeant n’hésite pas à découper en morceaux un opposant ou à massacrer le peuple yéménite. Sans légitimité populaire, ces dictatures arabes usent de la force permanente contre leurs peuples, qu’elles n’hésitent pas à plonger dans un bain de sang, mais elles sont faibles face au camp occidental, et en premier lieu face à la plus grande puissance de ce camp, les Etats-Unis. Jouant habilement de leur faiblesse, les Américains leur tordent le bras facilement pour qu’ils normalisent leurs relations avec Israël.

Le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, le Maroc et le Soudan font partie de cette liste infâme d’Etats qui trahissent la cause du peuple palestinien en normalisant leurs relations avec Israël. L’élection de Joe Biden à la Présidence des Etats-Unis ne changera rien en Palestine. Donald Trump a affiché plus clairement une position sioniste et antipalestinienne que ses prédécesseurs et que son successeur démocrate Joe Biden. Mais celui-ci est plus sournois et plus tacticien et les Palestiniens n’en attendent rien. Ils ne sont pas dupes et connaissent cette histoire dans leur chair.

Entre le marteau américain et l’enclume populaire, la marge de manœuvre des dictatures arabes est étroite. Mais c’est la seule sur laquelle elles puissent compter pour préserver les intérêts des classes dirigeantes totalement corrompues et prédatrices. Sans capacité à produire du développement, sinon à reproduire l’endettement colossal et l’emprise des grands groupes capitalistes mondiaux sur leur destin économique, il reste à ces Etats l’option de la violence contre leurs peuples et celle de la soumission aux grandes puissances. L’économie vassalisée aux capitaux étrangers et une élite politique se donnant aux plus offrants tracent un avenir où les soulèvements populaires s’inscriront dans la durée.

Les rapports sociaux et les modèles économiques issus de la colonisation et de la décolonisation ne peuvent plus répondre aux aspirations populaires à l’égalité. Ils craquent de tous les côtés. Au Sénégal, en Algérie, au Liban et ailleurs, les peuples se soulèvent, tentent de briser leurs chaînes. Les façades démocratiques ne trompent plus personne et ont fait leur temps comme illusion. Elles s’effritent à vue d’œil, notamment à chaque élection. La conscience populaire a bien vu que l’électoralisme se réduit à un parlementarisme vénal avec des élus véreux qui participent de la mascarade démocratique alors que le pouvoir réel se situe soit entre les mains d’un prince,  soit dans des conclaves de l’armée, voire dans les salons dorés de quelque ambassade occidentale.

Le Comité Action Palestine considère que, partout dans le monde, l’injustice et l’esclavage des peuples doivent être combattus, et en particulier en Palestine. Que ce soit en France, au Sénégal ou en Palestine occupée, la solidarité entre les peuples doit triompher des puissances étatiques soumises à la dictature de l’argent et du profit.




« La radicalité d’aujourd’hui doit être non seulement anti-impérialiste mais aussi décoloniale » A. Brossat

Tout ce qui bouge n’est pas rouge ». Dans cette interview de juin 2020 pour le site Acta.Zone, qui fait suite à la publication d’un ouvrage sur les mouvements protestataires de Hong Kong, le philosophe Alain Brossat propose une analyse en profondeur du mouvement. Il prend en compte aussi bien les facteurs socio-économiques internes que ceux d’ordre international, et l’inscrit dans une perspective historique tant du point de vue géopolitique que de celle des mouvements révolutionnaires.  Par quelques exemples, il montre que les Gilets Jaunes défiaient bien plus l’ordre établi que les manifestants hong-kongais.

Il démontre également que les soutiens de la sphère occidentale dite « radicale » découlent de graves erreurs d’analyse, voire d’une absence totale d’analyse politique, ou, pire, d’une adhésion au discours dominant anti-chinois. En effet ces organisations qui se définissent comme anti-impérialistes en viennent à soutenir un mouvement de protestation réactionnaire qui in fine se réfère à l’ancien colonisateur et à l’impérialisme américain. Le passé ne plaide pas en faveur de cette gauche faussement radicale, qui a justifié à sa manière les interventions impérialistes, notamment dans le monde arabo-musulman.

Ce travail d’analyse et de vérité devrait inspirer tout anti-impérialiste et anti-colonialiste sincère. Comité Action Palestine (mars 2021).

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Des médias mainstream aux milieux les plus radicaux, le mouvement hongkongais a suscité en Occident une vague d’enthousiasme quasi unanime. Après un premier article d’analyse critique publié en septembre dernier, nous avons souhaité nous entretenir avec Alain Brossat à l’occasion de la parution de son dernier livre, Hong Kong, le somnambulisme des mouvementistes, aux éditions Delga.

Revendiquant une « hostilité tranchée et définitive à
l’hégémonie globale », Alain Brossat s’attache à déconstruire les narrations
propagandistes du mouvement et à démontrer son inscription dans le contexte de
la « nouvelle guerre froide » qui oppose l’empire américain déclinant à la
puissance chinoise ascendante. Il en vient à la conclusion que l’affect central
du mouvement – « liberté-démocratie » – dissimule en réalité un désir de
subalternité vis-à-vis de l’Occident global, contre une « Chine rouge » érigée
en ennemi absolu.

Appelant à se défaire des « chaînes d’équivalence qui
s’établissent sur la conviction que tout ce qui bouge est bon à prendre »,
récusant l’identification à quelque régime ou souveraineté étatique que ce
soit, cet entretien nous semble fournir de précieux éléments pour la
formulation d’un « non décidé, irrévocable et définitif » aux menées
restaurationnistes dont les États-Unis et leurs alliés sont aujourd’hui les
fers de lance
.

Acta.Zone:Le traitement de la situation à Hong Kong dans la plupart des discours occidentaux se signale, dites-vous, par l’évacuation de toute perspective historique (en particulier le passage sous silence du brigandage colonial dont la Chine a été victime, et dont Hong-Kong porte la marque), ainsi que par une narration binaire selon laquelle un peuple homogène en quête de démocratie s’opposerait à un État dictatorial et néo-totalitaire piétinant les « droits de l’homme ». Quels sont les enjeux d’un tel récit propagandiste ? Et comment expliquez-vous que ce récit soit si unanimement repris, y compris au sein des milieux « révolutionnaires » en Occident ?

L’évacuation de la perspective historique, c’est évidemment
ce qui permet d’éluder le lien indiscutable qui s’établit entre la question de
Hong Kong relancée par le mouvement qui y perdure et les traités de brigandage
imposés à la Chine impériale décadente par les puissances coloniales
occidentales, après les guerres de l’Opium. Mais c’est aussi ce qui permet
d’effacer sur l’ardoise magique de l’Histoire l’interminable emprise de la
British rule sur la colonie hongkongaise, avec son cortège de discriminations
raciales instituées, de répression impitoyable de toute agitation sociale et
politique (les puissances coloniales ont toujours, dans un tel contexte, la
main lourde). C’est en bref, la condition impérieuse pour que puisse être mis
en scène l’affrontement de la minorité assiégée, héroïque et indomptable,
animée par son insatiable soif de démocratie et de liberté, avec l’obtuse et
brutale machine totalitaire – l’État chinois.

Hong Kong, comme ville et population, ça n’est évidemment
pas un peuple, c’est un topos bariolé fait de toutes sortes de composantes,
dont beaucoup n’ont aucune part au « mouvement » soutenu et promu
inlassablement par les chancelleries et les médias de l’Occident global – à
commencer par les nombreuses variétés de subalternes, de migrants récents, de
pauvres nouveaux et anciens qui y vivent dans des conditions variablement
précaires.

En tout premier lieu, le récit du David démocratique
affrontant le Goliath totalitaire à Hong Kong est surdéterminé par les
conditions de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis et leur
séquelle occidentale (globale, car incluant des pays comme le Japon et Taïwan,
par exemple) à la Chine (République populaire de Chine, RPC). Cet effet de
surdétermination se vérifie aisément si l’on compare l’enthousiasme confinant à
l’hystérie avec lequel les tenants de la nouvelle idéologie du « monde libre »
soutiennent les mouvementés hongkongais et font monter les enchères à propos de
leur agitation avec la relative circonspection avec laquelle ce même Occident
avait accueilli le Mouvement des parapluies. Ce n’est pas seulement que les
circonstances ont changé, c’est bien qu’on est entré dans une nouvelle séquence
dans laquelle Hong Kong est devenu un enjeu de premier plan dans une stratégie
de tension orchestrée par les dirigeants des États-Unis. Ceux-ci n’ont pas
d’intérêts stratégiques ou historiques anciens sur ce territoire, c’est donc à
peu près de toutes pièces que ce théâtre d’affrontement a été fabriqué, un peu
comme, au temps de la rivalité des États-nations européens, on fabriquait le
genre d’« incident de frontière » qui se destinait à servir de prétexte au
déclenchement des hostilités.

Si Médiapart, Lundimatin et tout ce qui leur fait cortège
donnent dans le panneau, c’est évidemment qu’intellectuellement, ils sont
inclus dans le diagramme de la pensée blanco-occidentalocentrique au point
d’être incapable d’entreprendre quelque généalogie critique que ce soit du
discours sinophobe habillé en horreur du totalitarisme, incapables d’aborder la
question de Hong Kong par le biais d’une approche décoloniale ayant récusé ses
présomptions eurocentriques et revenue de sa gueule de bois total-démocratique…
C’est leur problème, pas le mien, qu’ils continuent à communier avec Le Monde,
Le Figaro, Trump et le Quai d’Orsay sous l’espèce du Chinabashing indiscriminé
– on est, paraît-il, en démocratie, or il se trouve justement que sur ces îles
enchantées, la connerie est le tout premier des droits de l’homme.

Acta.Zone : Votre critique du mouvement hongkongais porte sur différents points. D’une part, sa nature de classe : « ce ne sont pas, écrivez-vous, les quartiers populaires de Hong-Kong qui se font entendre, encore moins les dizaines de milliers de sous-prolétaires originaires d’Asie du Sud-Est employés dans les emplois subalternes et souvent traités comme des esclaves », mais plutôt la « bourgeoisie séparatiste », cette « jeunesse bien propre sur elle, éduquée, et qui parle anglais, classe moyenne encravatée, le regard tourné vers l’Occident ». D’autre part son inclusion à la fois objective et subjective dans le dispositif de la « nouvelle guerre froide » qui oppose la puissance chinoise ascendante à l’empire américain dont l’hégémonie planétaire est entrée dans une phase de déclin relatif – inclusion qui se vérifie à travers l’anti-communisme affiché du mouvement, ses appels explicites à une intervention états-unienne (Please Mr. Trump, help us !), sa mobilisation des symboles de la période coloniale, des drapeaux américains et britanniques en tête des manifestations de rue, etc. En quoi ces deux éléments sont-il liés ? En quoi ce « désir d’Occident »1 correspond-il à la composition sociale du mouvement ? Comment expliquer que le mouvement se soit lui-même « livré en otage » (pour reprendre votre terme) au conflit de moins en moins larvé entre les États-Unis et la Chine ?

Je ne m’aventurerais pas à proposer une analyse en bonne et
due forme (sociologique) de la composition de classe du mouvement de Hong Kong
– cela dépasse mes compétences. Je perçois des signes, des indices sur lesquels
je m’appuie pour développer une démarche qui est, pour l’essentielle,
géopolitique, décoloniale. Manifestement, du point de vue des modes
d’apparition, des slogans, des gestes, des usages linguistiques, des références
culturelles, de l’occupation de l’espace (la prédilection pour les malls…),
tout ceci ne sent pas particulièrement ni la plèbe, ni même le populaire… Le
gros du mouvement, c’est une jeunesse scolarisée, étudiants et lycéens, née aux
alentours de la rétrocession ou après, dépourvue de tout enracinement
historique, grandie hors-sol dans la bulle de l’île et des nouveaux territoires,
en état d’apesanteur dans la brèche entre deux statuts – la colonie britannique
et le retour de la souveraineté chinoise.

Cette jeunesse scolarisée a été rejointe par toute une
poussière d’humanité, généralement jeune aussi, faite d’employés de bureau, de
petites mains du secteur bancaire et des innombrables établissements
financiers, etc. Tout comme à Taïwan, l’état d’apesanteur historique est une
fabrication dont sont amplement responsables les élites, les enseignants, les
médias, les faiseurs d’opinion – tout a été fait pour que la génération née au
tournant du XXème siècle se sente étrangère au monde chinois tel qu’il est
incarné aujourd’hui par la RPC. On peut se faire une petite idée de la pente
sur laquelle s’est construit ce déracinement concerté de la jeunesse
hongkongaise (dans ses rapports à l’histoire chinoise moderne) en citant cette
« anecdote » : récemment, les candidats à l’admission dans une université  de Hong Kong se sont vu demander si
l’invasion de la Chine par le Japon en 1900 « did more good than harm » (Taipei
Times du 16/05/2020, un journal inconditionnellement favorable au mouvement de
Hong Kong). La réponse était incluse dans la question, et elle était typique
d’une pensée de renégats culturels et historiques.

C’est là juste l’écume de ce travail de mise en condition
qui est l’un des piliers de l’aversion de la jeunesse de Hong Kong à l’endroit
du régime chinois et à ce qu’il est susceptible d’incarner de l’histoire
moderne de la Chine, en tant que refondation de la souveraineté chinoise dans
le creuset de la lutte contre les envahisseurs et les puissances coloniales.

Après la rétrocession, Hong Kong semble s’être établie dans
une sorte d’état de somnolence post-historique, fondée sur la plus parfaite des
situations de mésentente : « un pays, deux systèmes », les uns l’entendaient
comme l’éternisation de la situation dans laquelle Hong Kong persévérerait
indéfiniment dans son être d’enclave occidentale en Asie orientale, aussi bien
en termes de mode de vie que de mode de gouvernement, tandis que les autres
l’entendaient comme la période de transition vers la complète intégration de
l’ancienne colonie britannique à la souveraineté chinoise. Il fallait donc bien
qu’un jour la bulle crève et que le conflit des deux « lectures » devienne
ouvert – ce dont le fameux projet de loi sur les extraditions fut l’occasion,
mais aussi bien n’importe quel incident aurait pu faire l’affaire – la situation
était mûre, dès lors que se produise un de ces retours du réel dans le présent
ensommeillé dont l’Histoire a le secret : d’une part que 2047 ça n’est plus les
calendes grecques mais bien demain, et de l’autre, Hong Kong remplit toutes les
conditions pour devenir le parfait microcosme de la nouvelle Guerre froide.

Quand un peuple, une population, un groupe s’enferme dans
une bulle post-historique, en conséquence généralement d’un traumatisme
politique, d’un cataclysme historique, comme ont été tentés de le faire les
Japonais après la Seconde guerre mondiale, les Allemands de l’Ouest aussi, dans
une moindre mesure, (à cause de la division du pays), les Taïwanais après la
fin de la loi martiale, arrive toujours un moment où le réel historique et les
pesanteurs politiques font valoir leurs droits. La bulle du miracle économique,
de la croissance, la prospérité fondée sur un labeur acharné n’est pas étanche
et le retour du refoulé historique est implacable : l’envers du « miracle »,
c’est l’alignement pointilleux sur les États-Unis et, au Japon et en Allemagne,
les troupes d’occupation « américaines » toujours sur le terrain trois quarts
de siècle après la fin de la Seconde guerre mondiale. À Taïwan, c’est la
condition pitoyable de client politique des États-Unis, au point qu’il n’est
aujourd’hui pas un gouvernement au monde qui soit aussi compulsivement collé à
Trump et sa bande que celui qui y est aujourd’hui aux affaires. Ce paradigme de
l’illusion post-historique et du brutal retour du réel historique vaut de la
même façon dans le cas de Hong Kong : quand la bulle crève, on se retrouve à
s’agiter dans la cour de Trump et Johnson en mimant quelque imaginaire «
révolution », à brandir en somnambules les oriflammes des croisés de
l’hégémonie en crise, des paladins de la reconquête occidentale.

La conséquence de tout cela – et elle renvoie avant tout à
des facteurs historiques et géo-politiques, aux traits particuliers de la
conjoncture politique présente à l’échelle globale autant que locale – c’est
que l’affect « liberté-démocratie » qui parcourt bruyamment le mouvement de
Hong Kong s’avère être le voile vaporeux qui recouvre un beaucoup plus trivial
désir de subalternité – vivre à couvert des supposés bons maîtres occidentaux –
et de transmutation culturelle – devenir des Blancs occidentaux d’adoption, des
« rapatriés » d’Orient extrême dans le giron de l’Amérique blanche, de
l’Australie blanche, de la Grande-Bretagne blanche. Mais ces « rapatriés »,
rassurez-vous, ce seront toujours des réfugiés de première classe.

Acta.Zone : Vous identifiez le présentisme comme l’une des limites majeures du mouvement hongkongais. Ce présentisme implique à la fois l’absence de toute inscription dans une temporalité historique, l’absence notamment de toute référence subjectivée à des expériences révolutionnaires passées, aussi bien qu’une impossibilité radicale à se projeter dans un horizon émancipateur. En quoi ces deux aspects (rapport au passé, projection dans l’avenir) sont-ils, selon vous, interdépendants ? Et pensez-vous que ce présentisme soit propre au mouvement de Hong-Kong ou qu’il caractérise également d’autres soulèvements populaires de la période récente (à la lumière de l’effacement généralisé du rapport à l’Histoire – de la « conscience historique » – que vous pointez d’une part, et de l’éclipse concomitante de l’hypothèse communiste comme représentation stratégique partagée d’autre part) ?

Sans doute tous les mouvements qui sont apparus sur tous les
continents depuis le début de ce siècle sont-ils plus ou moins en rupture de
tradition. On l’a bien vu en France, tout récemment, avec le mouvement des
Gilets Jaunes et cette espèce de bégaiement mémoriel qui fait que l’on va orner
les carrefours bloqués de drapeaux tricolores plutôt que rouges. Mais dans le
cas de Hong Kong, il s’agit d’un peu plus que cela, c’est-à-dire de l’absence
de référence aux luttes, et elles ont été nombreuses et souvent très violentes,
qui ont opposé la population de Hong Kong au colonisateur britannique dans la
dernière période de l’occupation – on ne peut pas à la fois faire référence à
cette « tradition » et brandir l’Union Jack au fil des manifestations inspirées
par l’esprit de la « révolution de notre temps ». Entre mai et décembre 1967,
par exemple des émeutes ont fait à Hong Kong 51 morts et plus de 800 blessés….
un bilan tout colonial à comparer avec celui des interminables émeutes de cette
année…

Il faut donc que se soit produite une coupure si radicale
que la puissance occupante d’hier soit devenue l’ami et le protecteur
présomptif, que Chris Patten, le dernier gouverneur de l’île puisse (et ose) se
présenter en père et figure tutélaire de la « démocratie hongkongaise ».

Il faut une amnésie si puissante que puisse être récusée
l’évidence absolue selon laquelle la restitution de Hong Kong à la Chine est la
réparation tardive mais inéluctable d’une succession d’actes de brigandage
colonial. Il faut un changement de décor si complet que toute référence à
l’histoire chinoise, à la culture chinoise puisse se voir remplacée par le toc
des industries culturelles américaines.

Il est bien évident qu’un déracinement aussi extrême ne peut
se produire que dans un isolat. Le présentisme forcené des mouvementés a sa
condition topique ou topologique – ce que Peter Sloterdijk appelle une « sphère
». Les mouvementés ne sont pas seulement enfermés dans leur ville tentaculaire,
c’est-à-dire un espace post-urbain d’où ont disparu les formes traditionnelles
de la sociabilité urbaine, ils sont aussi enfermés dans les dispositifs
technologiques, communicationnels et spectaculaires qui appareillent leurs
représentations et leurs conduites. Ils sont à ce titre, dans leurs
dispositions présentistes et allergiques à toute condition d’historicité, à
l’avant-garde – à moins que ce ne soit au stade terminal – du présentisme
démocratique en général – le total-démocratisme entendu comme idéologie
politique moyenne des élites occidentales et occidentalisées, c’est bien l’idée
que la démocratie est un présent éternisé, une sorte de fin de l’Histoire ;
ceci, étant entendu que la démocratie libérale est et est appelée à demeurer le
meilleur des régimes (de la politique et de la vie en général) possible.

Ce qui fait que pour les mouvementés, l’avenir de Hong Kong,
ce ne peut être que son présent figé, l’arrêt sur image définitif sur sa
différence radicale d’avec la Chine populaire sanctionné par la formule « deux
systèmes ». L’exception hongkongaise telle qu’en son caractère inaltérable
l’éternité la fige. On mesure bien ici à quel point il faut s’être amputé de
toute intuition historique pour camper sur cette position immobiliste. Mais,
bien sûr, quand cette rêverie isoliste rencontre le réel, le rêveur se réveille
en sursaut et cherche des yeux le gardien de l’instant éternisé. Et il se
trouve que celui-ci parle anglais et porte le haut-de-forme de l’Oncle Sam. Les
mouvementés ressemblent à l’Oblomov de Gontcharov : ils rêvent, ils rêvent, ils
s’agitent dans les grands espaces de leurs rêves – et puis quand ils se
réveillent, ils appellent à la rescousse le bon Zakhar sans le secours duquel
ils ne sauraient faire un pas en dehors de leur lit. La liberté qu’ils
revendiquent n’a rien à voir avec l’autonomie et tout avec la mentalité de camp
– ils veulent que leur île soit une enclave du « monde libre » en version
Trump, une écharde fichée au talon de cette « Chine rouge », l’ennemi intime,
absolu.

C’est la raison pour laquelle ils sont passés subrepticement
de « démocratie-liberté » à « Independance for Hong Kong ». C’est la raison
pour laquelle la rhétorique de guerre froide des Trump, Pompeo et Bolton leur
va comme un gant : ce qui leur tient lieu d’utopie, c’est une tératologie – le
régime chinois comme monstrueux, ennemi de l’humanité. Pas besoin d’être un
compagnon de route du Parti communiste chinois pour percevoir la débilité du
manichéisme qui inspire cette simplification à outrance d’une question qui, au
contraire, réclame de l’attention intellectuelle et une sensibilité à la
complexité des choses.

Acta.Zone : Vous dites à juste titre que beaucoup d’observateurs occidentaux, tout particulièrement au sein des milieux « révolutionnaires », se sont enthousiasmés pour le mouvement de Hong-Kong à raison de la virtuosité émeutière qui s’y déployait, mettant de côté, pour ainsi dire, ses contenus politiques et stratégiques y compris les plus explicites. Or, n’est-ce-pas, « en politique ce qui compte c’est le contenu », comme disait Mao2. Ou pour reprendre un vieux proverbe : « tout ce qui bouge n’est pas rouge ». La multiplication des mouvements populaires à l’échelle globale ces dernières années n’impose-t-elle pas la réaffirmation de ce principe comme critère d’évaluation des situations réelles ? Et ne pensez-vous pas justement que le mouvement hongkongais offre l’exemple paroxystique d’une disjonction entre l’inventivité tactique des modes d’action (diffusion d’un savoir-faire du combat de rue extrêmement sophistiqué, sur-équipement des émeutiers, organisation para-militaire des manifestations, etc.) et le vide politique des mots d’ordre (résumé dans le syntagme démocratie-liberté, ce « cri de ralliement des croisés de l’hégémonie ») – vide cachant lui-même une aspiration stratégique qui n’est autre que la cooptation dans le camp occidental sous domination américaine ?

Les chaînes d’équivalence qui s’établissent sur la
conviction que tout ce qui bouge est bon à prendre, surtout quand c’est
juvénile, urbain, primesautier, nord global et que ça n’a que le mot démocratie
à la bouche, c’est le degré zéro de la pensée politique estampillée radicale
aujourd’hui, de Rancière à Lundimatin. Mais à partir de ce constat, je me
garderais bien d’émettre un jugement global sur les mouvements qui se sont
multipliés au cours des dernières années, j’évalue au cas par cas, car ce qui
émerge, ce sont chaque fois des singularités dont il faut évaluer les lignes de
force et les trajectoires dans les configurations où elles émergent. Il y a de
l’énergie, il y a de l’inventivité, il y a de la résilience dans le mouvement
de Hong Kong, mais ces qualités ne changent rien au fait qu’il s’agit d’un
mouvement restaurationniste (de l’ordre colonial, impérial), pro-occidental et
entièrement réactionnaire en ce sens – et c’est évidemment cela qui tranche.

Le reste, les qualités esthétiques du mouvement, c’est de
l’ornemental et je laisse ça aux magazines sur papier glacé… Inversement, le
mouvement des Gilets Jaunes dont les aspirations, les revendications, les
gestes mêmes étaient souvent hétérogènes et pas « rouges » du tout dans leur
explicite n’en était pas moins pour moi porté par un désir d’émancipation,
c’est un peuple politique éphémère qui s’est formé, surgi d’en bas, ce qui lui
a permis d’inaugurer un nouveau cycle et un nouveau style de luttes et d’en
finir avec le piétinement de la politique revendicative traditionnelle.

Donc, plus que le contenu, je dirais le style, l’affect ou
les affects qui soutiennent un mouvement et l’horizon dans lequel il s’inscrit.
La question des contenus est devenue compliquée, voire opaque, vu que les
programmes et les doctrines qui les sous-tendaient sont en ruine. Prenez
l’épreuve de vérité que fut, tout récemment, la pandémie : dans son immense
majorité, la planète des radicalités, marxistes et autres, n’a pas passé le
test : elle a été épidémiosceptique à l’unisson avec les crétins qui nous
gouvernent, pour d’autres raisons, mais tout aussi désastreusement, au début,
c’est-à-dire précisément au moment où il ne fallait surtout pas l’être. La «
radicalité », c’était, pensait-on, de ne pas tomber dans le panneau du chantage
à la crise et de l’état d’exception sanitaire qui ne profite qu’aux trusts
pharmaceutiques. On a vu le résultat. Donc, le solide armement théorique qui
garantit les bons contenus d’une lutte, la bonne orientation d’un mouvement, je
suis un peu sceptique.

Je regarde les tracés, je salue ce qui signale la belle
énergie plébéienne bien orientée (le saccage du Fouquet’s, le tagage de
l’Arc-de-Triomphe…), la prise de parole populaire qui renvoie la classe moyenne
planétaire et le peuple en toc des terrasses à leur néant, la reprise de la
vie, la réinvention des formes politiques, et je repère ce qui pue la mort – le
dérisoire racisme « anti-Chine » dans le mouvement de Hong Kong, mouvement
typique de classe moyenne planétaire saisie d’un accès de fureur
anticommuniste. Je repère les lieux – les carrefours où l’on interrompt les
flux et où l’on palabre et délibère des conditions d’une vie vivable pour ceux
d’en bas, plutôt que les galeries commerciales où l’on tourne en rond en
psalmodiant « Revolution of our times » – « Hong Kong independance » …

Dans un long article publié en 1990, « The Last Days of Hong
Kong », l’essayiste et spécialiste de l’Asie orientale Ian Buruma évoque deux
moments de l’histoire récente de Hong Kong qui jettent un intéressant éclairage
sur l’état présent des choses3. Lorsque, au printemps 1989, les étudiants de
Pékin occupèrent « le coeur de l’empire chinois », avec les dramatiques
conséquences que l’on sait, la solidarité de la population hongkongaise fut
immédiate et massive. Buruma écrit : « Ce fut là l’occasion pour les gens de
Hong Kong de montrer qu’ils étaient davantage que des commerçant cantonais sans
états d’âme ; qu’eux aussi avaient le souci de leur mère-patrie ; qu’eux aussi
étaient chinois jusqu’à la moelle ». La question est donc de savoir ce qui
s’est passé entre-temps pour que désormais, aux yeux des mouvementistes
hongkongais, le « Chinois » septentrional et mandarinophone soit devenu l’autre
absolu et l’ennemi par excellence. La seconde remarque concerne le rejet dont
ont fait l’objet les réfugiés vietnamiens arrivés dans la colonie lors de
l’exode des boat-people : renvoyés sans ménagement chez eux pour une bonne
part, entassés dans des camps de fortune pour les autres et durablement décriés
par les autochtones dans des termes inspirés par la plus vulgaire des
xénophobies – « ils puent », « ils sont trop bruyants », etc. L’autochtonisme
qui s’est déchaîné contre les Chinois continentaux tout au long du mouvement de
cette année ne date donc pas d’hier. C’est la face la plus sombre de
l’isolisme. On en trouve aussi la trace dans les films de kungfu made in Hong
Kong où la plus décomplexée des xénophobies fait bon ménage avec le sentiment
anticolonial et la fierté (encore) « chinoise », à l’âge d’or de Bruce et Lee…

Acta.Zone : Vous analysez la manière dont la Chine est traitée dans la presse française, de manière systématiquement dépréciative et idéologisée, au prisme de son inadéquation aux « valeurs universelles des droits de l’homme » (dont l’Occident serait l’incarnation naturelle). Vous vous attachez également à déconstruire les discours qui établissent un rapport d’équivalence entre l’affirmation économique, diplomatique et militaire de l’État chinois et le dispositif hégémonique américain. Pourquoi dites-vous qu’il n’est pas rationnel de mettre sur un même plan les « ambitions nouvelles » de la puissance chinoise avec l’impérialisme américain tel qu’il s’articule à l’échelle du globe ? Et pour aller pour loin, en quoi cette réflexion permet-elle de singulariser, de définir ce qu’hégémonie et impérialisme veulent dire aujourd’hui ?

L’analogie couramment établie aujourd’hui entre le « Make
America great again » de Trump et le « Make China great again » de Xi est non
seulement tout à fait superficielle mais carrément fallacieuse. Elle est
surtout en vogue parmi l’ultra-gauche impensante – les dits progressistes et
les libéraux, eux, verront toujours la restauration de la « grandeur » en mode
trumpien comme un moindre mal, envers et contre tout, cette restauration étant
supposée, en dépit de tout, attachée au nom et au camp de la « démocratie » ;
tandis que celle qui s’attache au nom de la Chine serait intrinsèquement
autoritaire-totalitaire (autoritaire les jours pairs, totalitaires les impairs,
ce qui donne un aperçu de la qualité de la science politique qui soutient les
raisonnements de ces gens-là).

Le projet de restauration de Trump est celui du
rétablissement d’une hégémonie impériale, d’une domination du monde par les
États-Unis, telle qu’elle s’est mise en place après la Seconde guerre mondiale
et passablement délitée depuis le début du nouveau millénaire. Une domination
dont la caractéristique est d’être totalisante, incluant aussi bien l’hégémonie
militaire, la supériorité technologique, la maîtrise de l’innovation, le
contrôle des marchés, mais aussi les formes de vie. C’est l’empire américain
(états-unien) qui défend sa peau, avec d’autant plus de véhémence et
d’agressivité qu’il ne saurait concevoir sa perpétuation que sous la forme
hégémonique. D’où sa perception de la montée de la puissance chinoise comme une
menace existentielle, vitale, avec laquelle il n’est pas question de coexister.

Le projet de la direction chinoise est d’une espèce
différente – ce qui le guide est une ambition de réparation – la Chine, en tant
qu’elle est non pas seulement un État, un peuple ou une nation modernes mais
aussi une civilisation millénaire et un empire veut retrouver sa place « au
milieu », c’est-à-dire se voir reconnue et respectée comme une puissance de
premier plan dans l’ordre international nouveau qui est en train d’émerger.
D’où l’importance première de liquider l’héritage des politiques de prédation
coloniale et de conquête impériale dont elle a été victime aux XIXème et XXème
siècles, tant de la part des puissances européennes que du Japon et des
États-Unis (en tant que ceux-ci ont soutenu le camp nationaliste dans la guerre
civile chinoise et ont été opposés à la Chine au cours de la guerre de Corée).

La puissance économique est ici le relais et le point d’appui
de l’ambition politique, mais cela ne signifie en aucun cas que la Chine
d’aujourd’hui ait l’ambition d’imposer au monde une Pax Sinica calquée sur le
modèle de la Pax Americana qui s’est mise en place après la Seconde guerre
mondiale et renforcée au cours de la Guerre froide, puis relancée après la
chute de l’empire soviétique. Les nouvelles « routes de la soie », la
diplomatie des masques et de l’assistance sanitaire pendant l’épidémie de
coronavirus, ça n’est pas tout à fait la même chose que le système des
proconsuls et des clients sur lequel a tenu et prospéré l’empire « américain »
– nulle part, ni hier ni aujourd’hui ni sans doute demain de ces Suharo,
Pinochet, Park et autres Chiang en version chinoise populaire, la Chine
n’exporte pas son mode de vie, elle ne colonise pas avec ses « valeurs » ni
avec sa langue. Elle ne vise pas l’hégémonie relayée par des bases et des
stationnements de troupes dans le monde entier, elle veut tenir son rang, telle
qu’elle estime l’avoir reconquis grâce à son développement impétueux depuis le
tournant impulsé par Deng Xiao Ping, ce qui suppose bien sûr, que sa puissance
se projette hors de son espace propre – mais sur un mode tout différent de
celui que pratiquent les États-Unis et qui est toujours conquérant, incluant,
en particulier, un volet militaire. La mer de Chine du sud, c’est le glacis
maritime que l’État chinois s’acharne aujourd’hui à consolider – pour le reste,
pas de porte-avions chinois croisant entre Cuba et la Floride…

La raison fondamentale pour laquelle les libéraux
occidentaux et occidentalisés demeurent irréconciliables avec la Chine
supercapitaliste d’aujourd’hui, ce n’est évidemment pas le fait que son régime
politique n’est pas conforme aux normes de la démocratie occidentale – ni les
pétromonarchies du Golfe, ni le régime du maréchal Sissi ne le sont – , c’est
que le régime (et le parti communiste) de ce pays, envers et contre tout,
conservent un lien organique avec la révolution chinoise – l’os que l’Occident
libéral a, depuis 1949, gardé en travers de la gorge, en dépit de la
normalisation des relations avec la Chine à laquelle Nixon a donné l’impulsion.
C’est la raison pour laquelle, encore et toujours, le rêve de cet Occident-là,
ce n’est pas du tout la « démocratisation » de la Chine, sa conversion au
parlementarisme, au pluripartisme, aux élections « libres » et toutes ces
belles choses ; c’est bien plutôt un démantèlement de la puissance chinoise
dont la forme de loin la plus souhaitable serait l’émiettement de la Chine en
plusieurs souverainetés, aisément transformables en zones d’influence placées sous
la houlette des maîtres anciens (États-Unis, Grande-Bretagne, Japon…). D’où
l’importance de Hong Kong où l’activisme mouvementiste s’acharne à mettre en
exergue les supposées fractures entre une Chine septentrionale mandarinophone
vouée aux fièvres autoritaires et une Chine méridionale de tempérament et
langue(s) différents – une construction discursive taillée sur mesure et
survenant à son heure pour relancer le motif éculé de l’hétérogénéité chinoise
dans un contexte où, tout à l’opposé, c’est une souveraineté chinoise plus que
jamais indivisible, qui fait entendre sa voix sur la scène internationale.

Acta.Zone : Vous affirmez que votre position consiste à tenir à distance aussi bien la posture du compagnon de route (vis-à-vis de l’État chinois) que celle du spectateur fasciné (vis-à-vis du mouvement). On observe souvent, de nos jours, que la moindre remise en cause du discours occidental dominant en termes de politique internationale se trouve stigmatisée (qu’il s’agisse de Hong-Kong, de l’Ukraine, du Venezuela ou encore de la Syrie) – stigmatisation qui vise in fine à la délégitimation de l’anti-impérialisme en tant quel. Quels sont pour vous les enjeux d’une position véritablement anti-impérialiste aujourd’hui, qui ne verse pas pour autant dans un campisme mécanique et vulgaire ?

Comme je le rappelle quelque part dans le livre, la
radicalité d’aujourd’hui, en tant qu’elle ne peut se contenter d’être
anti-impérialiste mais se doit d’être décoloniale aussi, ce qui suppose un
considérable élargissement de sa perspective critique et généalogique, est de
tournure très différente de celle des années 1960 et 1970. Elle a notamment
fait son deuil (ou, si elle ne l’a pas fait, elle est à côté de la plaque) de
l’identification, fidéiste ou critique, à quelque souveraineté ou forme
étatique que ce soit. Dans les années 1970, les maos étaient des dévots de
l’État chinois et de la pensée du Président Mao, les trotskystes (dont j’étais)
des hérétiques de l’étatisme soviétique via la fidélité à la révolution russe
et la critique du stalinisme. Mais ce que les uns et les autres avaient en
commun était ce lien à l’État et à la philosophie de l’État, inséparable de la
pensée et de la cause révolutionnaires en général. Même via le romantisme
révolutionnaire du Che, nous retrouvions ce fétichisme de l’État – l’État
cubain, en l’occurrence.

De cette hétéronomie, il a fallu faire son deuil, et, avec
elle, de tout ce qui tend à faire du marxisme une philosophie de l’État – deuil
salutaire s’il en fut. Ce qui inspire la position tranchée que j’ai adoptée sur
le mouvement de Hong Kong, ce n’est donc d’aucune façon une identification, de
quelque forme soit-elle, avec le régime chinois dont je récuse vertement, par
exemple, la politique assimilationniste et néo-coloniale au Xinjiang. C’est
l’hostilité tranchée et définitive à l’hégémonie globale, dans ses formes
actuelles, soumise encore et toujours aux conditions de l’empire, en tant que
celui-ci est états-unien, occidental. Je ne pense pas du tout que la fin de la
fausse Pax Americana serait la fin du capitalisme, je considère le modèle de
développement adopté par l’État chinois comme désastreux du point de vue des
intérêts de la civilisation humaine, mais je suis pour l’histoire ouverte et je
statue sur l’intolérable dans le présent, dans l’époque – et aujourd’hui,
l’insupportable, c’est cette machine de guerre en train de se remobiliser à
toute vitesse (les États-Unis ont toujours été en guerre, ils sont,
intrinsèquement, une machine de guerre), à l’affût de l’occasion propice pour
faire surgir un théâtre d’affrontement (que ce soit au Moyen-Orient ou en mer
de Chine) où faire une démonstration de force destinée à endiguer le déclin en
cours. Je ne tire pas des plans sur la comète, ce qu’il en sera des formes et
manifestations de l’accroissement de la puissance chinoise dans trente ou
cinquante ans, je n’en ai pas la moindre idée – ce dont je ne doute pas un
instant en revanche, parce que je l’ai sous les yeux, c’est que les menaces
massives de décivilisation, aujourd’hui, ce sont les États-Unis, et leurs
pseudopodes (Israël, les pétromonarchies, Taïwan peut-être) qui en sont les
foyers.

Le problème majeur du présent, c’est que la souveraineté
chinoise mise à part (et la Corée du Nord, il faut le dire), rien ne vient
faire pièce à la politique de la terre brûlée dans laquelle s’est engagée cette
Amérique-là : voyez le Venezuela où l’Union européenne lui a emboîté le pas et
soutient sa marionnette Guaido, voyez la Palestine où l’État sioniste s’apprête
à annexer la partie « utile » de la Cisjordanie avec le consentement tacite de
cette Europe-là aussi… Trump n’est pas le fond du problème du tout, il est le
symptôme de cette débandade généralisée qui conduit tout droit à une guerre
néo-impériale, avec des objectifs distinctement restaurationnistes, dans
l’espace chinois notamment. Les dirigeants chinois en sont parfaitement
conscients et ils tiennent à ce qu’il se sache qu’on ne leur fera pas le coup
de Gorbatchev. Le rêve de l’Occident restaurationniste aujourd’hui, ce n’est
pas tant d’en finir avec le régime « autocratique » de Xi, cet Occident-là
s’accommode parfaitement de toutes les autocraties pourvu qu’elles soient
utiles, c’est d’effacer le pli de la révolution chinoise comme l’a été,
amplement, celui de la révolution russe. C’est à cela qu’il faut opposer les
puissances affirmatives d’un non décidé, irrévocable et définitif – la raison
pour laquelle j’ai écrit ce livre sans m’embarrasser de nuances. C’est un livre
analytique et militant.

(Hsinchu, Taïwan, 15/06/2020)

1-Voir Alain Badiou, Circonstances, 8. Un parcours Grec, Éditions Lignes, 2016.

2-Déclaration du 7 mars 1967, adressée à Jiang Qing, dirigeante du « Groupe chargé de la Révolution Culturelle ».

3-Ian Buruma: The Missionary and the Libertine, Vintage Books, 1996.

source: https://acta.zone/alain-brossat-la-radicalite-daujourdhui-doit-etre-non-seulement-anti-imperialiste-mais-aussi-decoloniale/#

photo: manifestation de Gilets Jaunes (Comité Action Palestine)




NON A LA LOI ISLAMOPHOBE ET LIBERTICIDE

Communiqué du
Front Contre L’islamophobie Pour L’égalite Des Droits Pour Tou-Te-S

9 février 2021

Nos organisations, qui pour certaines rassemblent en nombre des personnes de confession et de culture musulmanes, font l’amer constat qu’une fois de plus l’islamophobie est mobilisée au plus haut sommet de l’État avec le projet de loi « contre les séparatismes », loi qui dans les faits est précisément une loi séparatiste et raciste.

ÇA SUFFIT !

Avec un cynisme démesuré, le gouvernement instrumentalise le terrorisme, ses victimes et nos émotions pour faire de chaque musulman.e un ennemi de l’intérieur. De la chasse à de prétendus « signaux faibles » à la focalisation sur le port du foulard, à travers une pluie d’amendements à ce projet de loi, nos vies, nos coutumes, nos pratiques, notre foi sont épiées, traquées, disséquées, essentialisées, stigmatisées et infériorisées. C’est ce statut de sous-citoyenneté qui permet des perquisitions en dehors de tout cadre judiciaire, perquisitions qui au demeurant sont totalement inefficaces contre le terrorisme comme le savent les pouvoirs publics et dont le seul objectif est selon le ministre de l’Intérieur de donner un signal. Sans doute, un signal pour terroriser une partie d’entre nous, mais aussi un signal à l’endroit d’un électorat enclin à voter sur des positions islamophobes. Les musulman.e.s de ce pays ne supportent plus d’être réduit.e.s à une variable d’ajustement électorale. Nous refusons que ce projet de loi qui devrait être discuté jusqu’à la prochaine présidentielle serve de tremplin aux plus audacieux islamophobes, toujours prêts à surenchérir pour la prise du pouvoir. Nous refusons que l’Islam et les musulman.e.s soient jeté.e.s en pâture lors des débats alors même que les crises et urgences sanitaire, sociale, économique et écologique s’accentuent.

ÇA SUFFIT !

Le gouvernement instrumentalise la laïcité en la dévoyant de son esprit et de sa lettre originels de 1905 pour mettre sous tutelle le culte musulman et s’ingérer dans son organisation, une ingérence qui ne concernerait pas les autres cultes, comme l’a souligné M. Darmanin en personne. A ce titre, il s’arroge le droit de désigner pour et à la place des musulman.e.s ceux qui sont dignes de nous représenter, comme durant la période coloniale. Il menace des fédérations musulmanes, des mosquées… les contraignant à se soumettre à une charte de principes contraire aux principes même de la laïcité et à la liberté de contestation, sous peine de dissolution administrative, hors cadre juridique. En lieu et place du droit commun, c’est l’arbitraire administratif et un droit d’exception qui s’exercent.

ÇA SUFFIT !

Le gouvernement instrumentalise les inégalités de genre, qui sont structurelles et traversent pourtant tous les espaces sociaux, y compris ceux du pouvoir, pour ne les voir, les dénoncer, les hypertrophier et bien souvent les inventer dans les seules pratiques liées à l’Islam ; faisant fi au passage de la parole et du vécu des premières concernées, de confession et de culture musulmanes. Tandis qu’il organise en parallèle l’effacement total des femmes musulmanes, jusqu’à remettre en question leur droit de porter le voile dans l’espace public.

ÇA SUFFIT !

Le gouvernement instrumentalise l’État de droit pour défaire nos droits et particulièrement le premier d’entre eux, celui de la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire. Le ministre de l’Intérieur va jusqu’à exiger d’un croyant ou d’une croyante qu’il ou elle mette « les lois de la République au-dessus de la loi de Dieu », ce qui relève d’une absurdité confondante d’autant plus que son rôle est de faire respecter les lois de la République sans avoir à reconnaître d’autres lois, au nom précisément de la neutralité de l’État. La liberté de culte est menacée comme le souligne la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNCDH) entre autres par une déclaration préalable en préfecture à renouveler tous les 5 ans, relevant d’« une méfiance injustifiée » pour reprendre ses termes.

ÇA SUFFIT !

Ce projet de loi s’attaque aux droits des associations et pas seulement celles qui relèvent du cultuel, alors qu’elles sont soumises au respect des lois républicaines de par leur déclaration en préfecture : il exige d’elles la signature d’un contrat d’engagement républicain, offrant là encore une interprétation de son non-respect suffisamment large pour que n’importe quel préfet puisse selon son bon vouloir les dissoudre, les assécher financièrement, retirer leur agrément, s’opposer à l’embauche de contrats jeunes en leur sein. Pour elles aussi, la liberté d’expression est menacée et le recours à la désobéissance civile non-violente sera interprété comme un « trouble à l’ordre public ». Ce n’est pas pour rien que la Défenseure des droits s’inquiète de ce que ce projet participe d’un « renforcement global de l’ordre social ». Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’entre nous, parce que musulmans et musulmanes, sont tétanisé.e.s par cette islamophobie que les premiers de cordée ont initiée. Macron en personne convoquait la théorie du ruissellement, celle qui en pratique devait se traduire par une répartition des richesses des plus riches vers les plus pauvres, notamment dans les zones rurales et les quartiers populaires. A la place, il nous propose un tsunami de propos et de lois racistes et liberticides comme celles sur le séparatisme et sur la sécurité globale.

ÇA SUFFIT !

Nous vous appelons à rejoindre Le Front contre l’islamophobie et pour l’égalité des droits de toutes et tous.Nous manifesterons partout en France, le dimanche 21 mars 2021.

N’ayons pas peur ! Il s’agit de défendre nos droits, nos libertés, notre dignité.

/// PREMIERS SIGNATAIRES ///- FUIQP Front Uni des Immigrations et des quartiers populaires (comités :Lille, Marseille, Grenoble, Montpellier, Paris Banlieue).- CRI coordination contre le racisme et l’islamophobie (section Lyon, Saint Étienne, Marseille, Perpignan)- Le collectif des musulmans de Montpellier.- Collectif stéphanois contre l’islamophobie et pour l’égalité- Collectifs Ivryen contre la loi séparatisme.- Collectif des organisations Musulmans de Nouvelle Aquitaine (COMNA).- Association des alliés de la paix, Bordeaux.- Association de la mosquée de Pessac. – Mouvement des Femmes pour la Justice et l’Equité (MFJE)- NTA Rajel- Association française de confession musulmane (FCM)- Argenteuil Terre de Solidarité- International Solidarity Movement – ISM- Centre Francilien Philippe Grenier – L’association ESPOIR FUTSAL 79- Association Al Fazari- La révolution est en marche- Emergence blanc mesnil.- Al-Wissal association des étudiants Arabes de l’Inalco- Lallab- Association Rencontre et Dialogue de Roubaix. – Association Identité plurielle de Tourcoing. – Association Marocaine des Droits Humains Nord/France- Association « Culture et vous, la culture pour tous » de Libercourt.- ORIW ( Organization Racism and Islamophobia Watch).- Collectif les cents voix de Grenoble.-Association femmes plurielles – Le Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille- le Collectif Mémoires en Marche (Marseille)- Association Culturelle la Courte Echelle (Marseille)- MUSULMANS Conscients 69 – La voix des Rroms.- Brigade anti-négrophobie (BAN)- Conseil représentatif des associations noires (CRAN)- ALCIR, Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes Paris 20- Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR)- Union des Tunisiens pour l’Action Citoyenne (UTAC)- Comité pour Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)-Association-Solidarité-Amitié-Français-Immigrés (ASAFI)- Comité Justice & Libertés (CJL)- Association des Travailleurs Maghrébins Maghrébins de France (ATMF)- Association Car t’y Libre Istres- Collectif Musulmans et Végétariens.- Collectif Afrique, Lille – Mouvement Citoyen Palestine Soutiens:- La FASTI- Commission Islam & Laïcité. – CEDETIM- MRAP, section d’Aubenas- Alliance Citoyenne, Grenoble – Action antifasciste Paris banlieue.- ACTA – Comité BDS France Montpellier- UJFP- La Librairie Transit (Marseille)- Nouvelles Questions Féministes (NQF), revue internationale francophone




A la mémoire de Anis Naccache

Comité Action Palestine, février 2021

Anis Naccache, l’infatiguable et courageux combattant de la révolution palestinienne, est mort à Damas le lundi 22 février 2021. Pour l’histoire officielle occidentale, c’était un « terroriste »; pour les peuples arabes, un militant antisioniste engagé pour la justice.

Le Comité Action Palestine salue sa mémoire pour le combat acharné qu’il a mené, au péril de sa vie, en faveur de la cause du peuple palestinien.




Maroc: la normalisation sioniste et le troc colonial

Comité Action Palestine (13 décembre 2020)

Jeudi 10 décembre 2020, Donald Trump annonce sur twitter que « nos deux GRANDS amis, Israël et le Royaume du Maroc, ont accepté de normaliser complètement leurs relations diplomatiques – un grand pas en avant pour la paix au Moyen-Orient ! ». 

Après le Bahreïn et les Emirats Arabes Unis, le Maroc rejoint la
liste des pays arabes qui trahissent la cause du peuple palestinien en
normalisant ses relations avec Israël. Une trahison officialisée, car depuis quasiment
la naissance de la monarchie marocaine en 1956, les relations secrètes
n’étaient en réalité secrètes pour personne. Trahir le peuple palestinien est
une constante de la monarchie marocaine. Faut-il rappeler le rôle d’espion,
aujourd’hui dévoilé, que joua Hassan II pour Israël pendant la Guerre des six
jours en 1967 ? Faut-il rappeler les multiples collaborations entre ces
Etats, à tous les niveaux, diplomatiques, économiques et sécuritaires ?

Que Rabat troque aujourd’hui la normalisation de ses relations
avec les sionistes contre la reconnaissance de la « souveraineté »
marocaine sur le Sahara Occidental n’est pas une surprise. Mais c’est un aveu :
reconnaitre Israël, c’est reconnaître que l’entreprise marocaine au Sahara
Occidental est d’essence coloniale au même titre que la colonisation sioniste.
En Palestine comme au Sahara Occidental, Trump, Mohammed VI et Netanyahou
forment une coalition sioniste et coloniale qui se moque totalement des
aspirations des peuples à l’indépendance et méprise ce pauvre droit
international, qui ne s’exerce jamais sinon au détriment des peuples et au
profit des grandes puissances occidentales. 

Cette coalition diabolique fait fi d’un paramètre essentiel :
le peuple marocain. Elle a tort car celui-ci est profondément attaché à la
cause du peuple palestinien. Les calculs à court terme de la monarchie
marocaine sont en totale contradiction avec les aspirations des Marocains, qui
rejetteront d’une manière ou d’une autre cette normalisation et, in fine, la
monarchie inféodée aux intérêts américano-sionistes. Si la Marche verte orchestrée
par Hassan II en 1975 a consolidé un régime aux abois en jouant sur le ressort
nationaliste, la normalisation avec Israël aura certainement un effet inverse.
Mohamed VI a fait ce choix sans demander l’avis de son peuple. Ainsi va la vie
d’une dictature comme les autres dictatures arabes qui ont fait le choix de
trahir pour préserver les intérêts de leurs élites corrompues et totalement
coupées de leurs peuples.

Le Comité Action Palestine dénonce l’inféodation des dirigeants arabes aux sionistes et profite de cette occasion pour renouveler son soutien inconditionnel à la lutte du peuple palestinien.

Photo: Maghreb Online




Appel à manifestation contre le projet de loi sur le séparatisme

12 décembre 2020, 15h, place de la Bourse (Bordeaux)

Comme si sentant lui-même la fragilité de la légalité de son texte, le gouvernement cherchant à contourner cette difficulté sémantique, a procédé à la modification du nom de son projet de loi dit du « séparatisme islamiste », rebaptisé dans la précipitation en « Projet de loi renforçant les principes républicains ».
Cependant, nul n’est dupe, et chacun comprend bien que ce toilettage cosmétique sur la forme du projet ne change en rien la gravité et la lourde menace sur le fond que représente ce texte pour les libertés religieuses garanties par la constitution française à travers la loi 1905 qui organise la séparation de l’Etat et des Eglises, socle du code de la laïcité dans la République.
En effet, aussi incroyable que cela puisse paraître, la France s’apprête à légiférer sur les règles d’organisation du culte musulman dans la république en prenant comme prétexte le « renforcement des principes républicains et la défense de la laïcité » et en faisant porter leur supposée dégradation à la seule communauté musulmane qui doit en payer le prix.
Car oui, en effet, il faut le dire, ce texte est profondément anti démocratique et renforce par ses articles liberticides la banalisation de l’islamophobie, encourageant ainsi la stigmatisation de l’islam et des musulmans et leur mise au banc de la société.
La défense de la laïcité, le renforcement des principes républicains et la lutte contre le terrorisme ne sont ici convoqués que dans le seul but de donner une légitimité à ce projet de loi qui vise spécifiquement la communauté musulmane comme l’a avoué le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lors d’un entretien à la Grande Mosquée de Paris avec les représentants du CFCM (Conseil Français Du Culte Musulman) : « Il faut faire attention à ce que d’autres religions ne soient pas les victimes des modifications souhaitées pour vous (les musulmans).»

Nous en appelons à la mobilisation de tous pour lutter contre l’adoption de cette loi avec laquelle le pouvoir veut faire oublier sur le dos des musulmans :

 10 millions de pauvres en France
 1 million de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté
 8 millions de chômeurs
 300.000 SDF
 4 millions de mal-logés
 4,8 millions de gens qui ont recours à l’aide alimentaire
 la gestion calamiteuse de la crise sanitaire mondiale du COVID19
 son impuissance face à la crise climatique

NON, LES MUSULMANS NE SONT PAS COUPABLES DE LA CRISE QUE VIT LA FRANCE !
NON AU PROJET DE LOI ISLAMOPHOBE QUI DIVISE LES FRANÇAIS !

MARCHE POUR L’EGALITE LE SAMEDI 12 DECEMBRE 2020
PLACE DE LA BOURSE A 15H

Les organisations signataires : COMNA – Collectif des Organisations Musulmanes de Nouvelle-Aquitaine – (Les Alliés de la Paix, le Comité Action Palestine, Ensemble, Des Livres et la Oumma, la Mosquée de Pessac, le Centre Adam, la Mosquée de St André de Cubzac, Pompes Funèbres Musulmane Assakina, Pompes Funèbres la Oumma)




« L’armée des roses » Calendrier Palestine Libre 2021

« Les combattantes palestiniennes »

Il n’existe pas une femme en Palestine qui n’ait été touchée
dans sa chair. Les chars, les bombes larguées du ciel, la prison, la
destruction des maisons et des champs cultivés, le poison de la trahison arabe,
bref le seul horizon de vie ou de survie promis est celui de la violence
coloniale totale.  C’est tout
naturellement que les femmes palestiniennes ont pris part à la lutte de
libération. Le choix laissé est de vivre ou de périr.

De la fin du XIX ème siècle à aujourd’hui, les femmes
palestiniennes ont résisté par tous les moyens et sous différentes formes.
Parce qu’elles sont traitées par l’oppresseur comme les hommes, elles résistent
comme les hommes. Face à la
violence coloniale tous azimuts et sans pitié contre elles-mêmes, contre leurs
enfants, leurs frères et sœurs, contre leurs parents et leurs ancêtres, cette
armée des roses, comme les appela Yasser Arafat, s’est levée pour édifier un
autre avenir, une Palestine indépendante, débarrassée définitivement, et sur la
moindre parcelle de terre, de la peste coloniale.

La
colonisation juive n’a épargné personne en Palestine. Elle frappe encore aveuglément,
sans distinction pour voler des terres, des maisons, des biens, détruire tout
un peuple, avec la collaboration de plusieurs Etats arabes pour normaliser le funeste
projet sioniste.

Mais ce peuple a fait le choix de vivre et de résister à la
stratégie de leur anéantissement venue d’Occident.

Ce calendrier 2021 rend hommage à toutes les femmes palestiniennes et célèbre leur engagement pour que l’espoir d’une Palestine libre et indépendante ne meure jamais.

Vous pouvez acheter ce calendrier au prix de 5 euros l’unité (+ frais de port) en téléchargeant et complétant le bon de commande ci-joint http://www.comiteactionpalestine.org/word/bondecommande2021/, puis en nous l’envoyant par courrier avec votre règlement par chèque. Nous vous enverrons le ou les calendriers dès réception de votre commande.

Vous pouvez aussi régler votre achat directement par carte bancaire  en cliquant sur le lien ci-dessous. Calculer d’abord le montant total que vous souhaitez verser :  soit 5 euros par calendrier + les frais de port  + don éventuel à notre association. Les frais de port s’élèvent à 1,5 euros pour un calendrier, ou 1 euro par calendrier si vous commandez plus d’un calendrier. Indiquer ce montant total sur la Plateforme Hello Asso, avec vos coordonnées, le nombre de calendriers souhaités, ainsi que le montant du don éventuel au Comité Action Palestine. Nous vous enverrons le ou les calendriers dès réception de l’avis de paiement. Si vous avez des problèmes avec la plateforme, faites nous signe (actionpalestine@hotmail.com). https://www.helloasso.com/associations/comite-action-palestine/paiements/calendrier-palestine-libre-2021-l-armee-des-roses

  • HelloAsso est une plateforme de collecte de dons qui fonctionne sans commission et facilite le travail de nombreuses associations, vous pouvez contribuer à son activité en versant un modique soutien.



« Dans mon coeur, je suis Palestinien »

Comité Action Palestine (28/11/2020)

Le 25 Novembre 2020, le footballeur argentin Diego Maradona nous a quittés.  Le gamin en or, issu des quartiers pauvres de Buenos Aires, « des quartiers privés…de tout »,  comme il aimait le dire, a tiré sa révérence. L’immense hommage rendu par ses supporters à travers le Monde ne se cantonne pas à l’admiration de son génie footbalistique. Chaque but marqué par Maradona, chacune de ses prouesses, étaient le symbole d’une victoire des damnés de la terre contre les puissants, le monde de l’argent et les impérialistes. De Buenos Aires à Naples, de Cuba à Gaza, c’est ce combat pour la justice et la liberté des laissés-pour-compte, que ce soit dans les stades ou en dehors, qui l’ont hissé au rang de héros planétaire.  De toutes les causes justes, il embrassa la plus symbolique. Il  travailla sans relâche pour faire exclure Israël de la FIFA et promouvoir le boycott de l’entité sioniste. Le « Che du sport » comme le surnommait Fidel Castro, déclarait :
« Je suis le premier fan du peuple palestinien, je le respecte et j’ai de la sympathie pour lui. Je soutiens la Palestine sans aucune crainte ». Sa grandeur, sa sincérité, son humanité n’ont jamais été démenties.

Nous, Comité Action Palestine, avons tenu à te rendre hommage, Diego. Toutes les voies de la Résistance mènent à la liberté et les «Révolutionnaires ne meurent jamais».

Dessin: Omar Abdallah, artiste jordano-britannique




Le nouveau Président américain : Israël d’abord !

Comité Action Palestine (11/11/2020)

Joe Biden vient d’être élu à la Présidence des Etats Unis. C’est le 18ème Président américain depuis la création de l’Etat d’Israël. Cela fait plus de 70 ans que le processus colonial se poursuit avec le soutien inconditionnel de la Maison blanche. Les USA y ont contribué sans relâche en apportant leur aide économique, militaire et diplomatique à l’entité sioniste. Donald Trump a affiché plus clairement une position sioniste et antipalestinienne que ses prédécesseurs et que son successeur démocrate Joe Biden, plus sournois et plus tacticien. Les Palestiniens ne sont pas dupes et connaissent cette histoire dans leur chair.

Alors qu’Israël était dans une position particulièrement difficile face à la résistance palestinienne et se trouvait affaibli en raison des défaites américaines au Moyen-Orient, les Etats-Unis n’ont eu de cesse de vouloir le renforcer au cours des quatre dernières années. Benyamin Netanyaou a eu carte blanche pour intensifier la colonisation, et les pays du Golfe ont été prestement invités à signer des accords de normalisation avec Israël, en échange du soutien américain face à la montée en puissance de nations rivales comme la Turquie et l’Iran.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, a annoncé la couleur à l’occasion d’une conférence organisée par le lobby  sioniste AIPAC (American Israël Public Affairs Committee):  les Etats- Unis se tiendront toujours aux cotés des Israéliens. Vu d’Israël, elle était le « bon choix de Joe Biden ». La cosmétique métisse et féministe ne changera rien à l’affaire et les choses sont entendues : Israël d’abord !

Mais c’est sans compter sur la détermination des Palestiniens. Générations après générations, il est indiscutable que le peuple opprimé et réduit à l’exil par le colonialisme est un peuple de combattants.  La victoire de Maher al-Akhras, qui vient de faire plier l’occupant après 103 jours de grève de la faim, symbolise cette détermination. La liberté est à ce prix et seule la résistance paye !

Photo: dessin par Lattuff pour Mondoweiss

Biden loves Netanyahu




Racisme et lutte des classes en Bolivie

Simon B. (Octobre 2020)

La crise qui frappe aujourd’hui la Bolivie prend ses racines dans l’histoire. Cette histoire coloniale où les Européens ont, partout dans le monde, exterminé, pillé et hiérarchisé les races et les communautés pour asseoir définitivement leur pouvoir. Définitivement ? Non, heureusement. Le projet colonial n’a en général pas entièrement abouti. La crise qui secoue la Bolivie est en quelque sorte la revanche des colonisés, des pauvres, des exploités : les Indigènes. Le refoulé se rappelle aux dirigeants politiques colonialistes et il a pris la forme d’un mouvement politique, le MAS, qui a porté au pouvoir Evo Morales. Leur redonner le pouvoir, réhabiliter leur dignité, débarrasser la Bolivie du racisme et de l’exploitation éhontée des Indigènes, telle est la lame de fond silencieuse qui est en train d’emporter la vieille société. Le coup d’Etat du 20 octobre 2019 montre que tout n’est pas joué, que les revanchards et les vieux loups de l’ancienne société sont à l’affût pour s’accrocher encore aux branches pourries de l’ordre raciste et capitaliste. C’est à cette analyse du rapport entre lutte des classes et racisme que Simon B. nous invite. Il est aujourd’hui essentiel de comprendre ce qui se joue en Bolivie, mais aussi partout où le capitalisme fait dépendre sa survie de la légitimation du racisme et de la division des classes populaires.

Nous sommes en décembre 2019, dans un appartement bourgeois de la banlieue de Sucre, actuelle capitale constitutionnelle de la Bolivie qui fut jadis la ville la plus riche et la plus cultivée d’Amérique du Sud où l’aristocratie coloniale jouissait de revenus fabuleux tirés de l’exploitation des autochtones dans les mines avoisinantes de Potosí, jetant par les balcons vaisselle d’argent et ustensiles en or au crépuscule de fêtes somptueuses(1). Désormais, seuls demeurent vivant les fantômes de la richesse passée.

Un mois plus tôt, un coup d’Etat militaire renversait le président récemment élu Evo Morales, orchestré principalement par les grands propriétaires terriens et agro-industriels de la région de Santa Cruz. Notre hôte, économiste retraité d’une soixantaine d’année, a travaillé au ministère du développement avant le gouvernement Morales, puis dans le secteur privé des hydrocarbures. Ce Bourgeois bolivien est la parfaite personnification de la classe supérieure bolivienne. Son orientation idéologique ne prête à aucune confusion. Il « aime le capitalisme » et il « n’aime pas le socialisme » car « le socialisme c’est mal ». Pour parfaire le tableau, sa femme est médecin biologiste et ils ont trois enfants, deux sont psychiatres et un économiste. Il confie également des liens de parenté avec un ancien président Bolivien.

Ecoutons le parler des indigènes(2) : « L’indien fait bêtement ce qu’on lui dit […] L’indigène ne comprend rien […], il n’est pas éduqué, il est stupide. » Les « indigènes » sont « violents » affirme-t-il. Il en veut pour preuve leur comportement récent à El Alto, poumon économique de l’altiplano composé de 80% d’Aymara. Après le coup d’Etat les indigènes ont « bloqué les routes violemment » – lisez les barricades – en « agressant et en frappant les gens » – lisez la police et l’armée, les bourgeois étant planqués dans leurs quartiers – tandis que les gens « civilisés » de la Zona Sur (bastion bourgeois de La Paz) ont « bloqué pacifiquement » les routes de leur quartier, en « expliquant gentiment aux gens qu’ils pouvaient passer » sous réserve (mais notre bon bourgeois ne prend pas la peine de le préciser), de ne pas être indigène. Lorsqu’on l’interroge sur l’origine de cette violence, notre Bourgeois bolivien a une explication infaillible : « L’indigène ne réfléchit pas et réagit par la violence. Ce n’est pas une question de pauvreté, c’est culturel, les gens des campagnes sont comme ça. » Ecoutons désormais ce qu’il a à nous dire sur le problème de la drogue, lui qui affirme ouvertement que « Morales est un narcotrafiquant […] et un pédophile […]. Il aime la pédophilie […] Si les pères de familles disaient « ce n’est pas bien de gagner sa vie avec la cocaïne », on n’aurait pas ce problème. Donc il s’agit d’une question de valeur et d’éducation. » Problème résolu.

Son discours est également empreint d’un mépris insondable envers les croyances autochtones. La chrétienté étant présentée comme la normalité, la vérité indiscutable, tandis que les premières sont profondément dénigrées comme « arriérées ». Mais attention, notre Bourgeois Bolivien n’en démord pas il « n’a rien contre les indigènes ». Il endosse désormais sa casquette d’écologiste pour dénoncer la pollution des rivières liées aux activités minières dans la région de Potosi qui sont faites « au dépend des indigènes ». Ce propos traduit-il une soudaine compassion envers l’indigène ? Ou envers la nature ? Loin s’en faut ! Cela traduit plutôt une instrumentalisation de la question écologique par la bourgeoisie à des fins politiques, en l’occurrence ici dégager Morales du pouvoir. Certaines de ces affirmations peuvent paraître grotesques mais elles n’en reflètent pas moins le discours global des classes dominantes en Bolivie au lendemain du coup d’Etat. Une question se pose alors, comment expliquer l’intensité et la violence du racisme au lendemain du coup d’Etat dans ce nouvel état « plurinational » Bolivien (2009), dont la constitution prône la « connaissance mutuelle » et la « coopération entre les peuples de la région » ?

La fabrication de la hiérarchie raciale

Historiquement, la Bolivie a été l’objet d’une hiérarchisation « raciale » où la classe dominante, issue du colonialisme et d’origine européenne a imposé ses pratiques et ses croyances. Cette hiérarchie a été imposée par la violence à travers un processus de lutte de classes.

Au début du XXe siècle, la stratégie migratoire de blanchiment ayant échouée en Bolivie, l’éducation – largement inspirée des systèmes pédagogiques européens – est perçue comme un élément central pour « améliorer », « régénérer la race » d’un peuple considéré comme « malade »(3). Autrement dit, l’objectif est de désindianiser le pays. Dans l’imaginaire bourgeois, le rôle de l’école libérale est de convertir « l’indien sauvage, brutal et criminel » en sujet passif non agressif, apte pour le travail, et in fine un bon esclave, péon ou sa version moderne, un salarié. La conversion de la « race inférieure » notamment via la castillanisation est considérée comme « une absolue nécessité pour unifier la république » dans un contexte de forte crainte des élites libérales de la « guerre de races » (4). La langue espagnole est donc imposée comme unique bien culturel linguistique légitime – jusqu’à l’arrivée du gouvernement Morales – agissant comme langue de domination et capital de différenciation sociale à l’intérieur même des communautés aymaras et quechuas (5,6).

De même, la religion chrétienne est déclarée comme la seule croyance légitime, ou plutôt la deuxième après le sacro-saint système marchand capitaliste. Les institutions politiques bourgeoises placent en bas de l’échelle les croyances des peuples andins et amazoniens ainsi que les modes d’organisations productifs et politiques communautaires traditionnels (eg. ayllu). Les stéréotypes ethniques (indien, cholo, métisse, señor) procèdent également d’une logique de hiérarchisation, le terme indien étant perçu comme la référence négative. Des attributs « non indigènes », le nom, la couleur de peau, la langue ou la tenue vestimentaire permettent d’obtenir un avantage social concret (emploi, bourse, contrat, prêt bancaire, grandes écoles…). De nombreux boliviens indigènes relatent l’impossibilité à la fin des années 1990 d’accéder aux places centrales, magasins, cafés, bars de nombreuses villes boliviennes en raison de leur origine ethnique : « Avant l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir, porter la pollera (jupe bouffante) ou parler quechua au centre-ville était impensable pour mes parents ».

Ceci nous amène à la complexité de la question ethnique en Bolivie où historiquement, les concepts d’ethnicité, de « race » et de classes ont toujours été étroitement liés et ont vu leurs critères de définition changer au cours du temps. Disons tout de suite que les catégories ethniques en Bolivie sont des constructions sociales et dynamiques qui varient selon l’organisation économique, sociale et politique. Elles n’existent pas par elles-mêmes.

Le terme « indien » correspond initialement à une catégorie tributaire et administrative à travers les obligations des populations originaires envers l’Etat espagnol (7). Au fil du 19e siècle, une nouvelle catégorie vit le jour : les « cholos », composés d’ouvriers et artisans urbains, issus d’un métissage (« indien » et créole) et conservant de forts liens avec les populations indigènes. Lors de la Révolution Nationale (1952) – qui s’illustra notamment par la nationalisation des mines, le vote universel et la réforme agraire – le code d’Education bolivien (1955) appelle à « arracher » certains vices et certaines pratiques considérés comme héréditaires, intrinsèquement liés à l’ethnie et au statut d’indien paysan, dans la droite lignée du discours paternaliste civilisateur de Diez de Medina qui présidait alors la commission de la réforme de l’Education (4). Entre 1953 et 1964, le nombre d’école double dans le pays avec l’objectif de construire une nation métisse et homogène en utilisant la castillanisation, les langues indigènes étant considérées comme une survivance archaïque. Le cholo bolivien – artisan ou ouvrier urbain « métisse » – est alors exalté par l’institution étatique. O. Harris montre que durant la seconde moitié du XXe siècle, la catégorie « indien » est liée à un haut niveau de pauvreté, un travail agraire rural de subsistance et une participation limitée au marché (7). Alors qu’en 1900 l’indigène est associé à l’impôt indigène et exclu du service militaire, à partir de 1952, l’indianité est associée à l’indigène-paysan ; ce qui n’est pas sans effet sur les recensements des populations. Dans la région de Cochabamba par exemple, les indigènes passent de 16 et 22% en 1848 et 1900 respectivement à 75% en 1950 (4). La population active rurale bolivienne représente 72,8% de la population en 1950, 47% en 1976, 37 % en 2001(8). En 2002, la pauvreté était de 81,7% dans le milieu rural (58,8% d’indigence) contre 47% (21,6%) dans le milieu urbain (8). La conception récente de « pauvreté » basée sur le revenu et effaçant progressivement le statut professionnel et ethnique, date en Bolivie du tournant néolibéral des années 1980. La catégorie métisse au XXIe siècle, loin d’être homogène culturellement comme ce fut le cas lors de l’Etat nationaliste de 1952, correspond plutôt à ce que signifie la classe moyenne(9). Cette catégorie s’apparente à une position plutôt économique et sociale que « culturelle », « d’origine ». On sait par ailleurs que la probabilité d’être pauvre est de 16 points supérieurs pour un indien en Bolivie tandis que le taux de mortalité infantile est deux fois supérieur à celui des non-autochtones (10). En 2001, 5,3 millions (66,2%) de la population bolivienne s’auto-identifie comme étant indigène(11).

En 2017, l’agriculture emploie 30% des Boliviens, l’industrie 21% et les services 49% tandis que le travail informel représentait 71% des emplois non agricoles en 2009(12). Dès lors, il convient de s’intéresser à l’indigène réel c’est-à-dire tel qu’il se présente dans la société actuelle – le capitalisme au XXIs en Bolivie – comme paysans, ouvriers, commerçants, travailleurs informels, étudiants, fonctionnaires… L’indigène « en chair et en os » plutôt que l’indien fantasmé, romancé, précolombien qui a été malheureusement en grande partie massacré. L’indigène n’a pas disparu comme voudrait le faire croire la thèse libérale en vogue du « nous sommes tous métis » qui attribue le statut d’indigène aux seules tribus pré colombiennes, et non à l’indigène réel du XXIe siècle, voilant ainsi le racisme dans une « ethnicité globale » abstraite ne reflétant en rien l’ethnicité effective, concrète, socialement parlante. Cet aspect se devine dans le discours contradictoire de la classe supérieure bolivienne, qui, comme frappée de schizophrénie, parle alternativement de la disparition des indiens, tout en poursuivant son discours raciste d’une violence inouïe envers la majorité de la population bolivienne. De même concernant la religion, il ne faut pas tomber dans une division imaginaire d’un monde ancestral andino-amazonien et d’un monde moderne occidental, une grande partie de la population ayant mêlé des croyances andines et occidentales chrétiennes.

Selon Álvaro García Linera(13), la majorité de la population bolivienne des années 2000 est insérée « dans des structures économiques, cognitives et culturelles non industrielles et possède, outre d’autres identités culturelles et linguistiques [dont elle est porteuse] des habitudes et des techniques politiques résultant de sa propre vie matérielle et technique : le placement de l’identité collective au-dessus de celle de l’individu, de la pratique délibérative au-dessus de l’élective, de la coercition normative comme mode de comportement gratifiant au-dessus du libre choix et de l’accomplissement personnel, la dépersonnalisation du pouvoir, sa révocabilité par consensus, l’alternance dans les fonctions, etc., sont des formes de comportement qui parlent de cultures politiques opposées aux pratiques représentatives, libérales et partisanes […] ».

De plus, García Linera indique qu’il existe « une logique propre au monde indigène mais ce n’est pas une logique antagoniste, séparée de la logique « occidentale » ». En d’autres termes, le monde indigène n’est pas séparé du monde capitaliste. Bien au contraire. Les indigènes sont incorporés, sous une forme directe ou indirecte, au système de production et marché de consommation. Comme l’explique fort justement K. Marx, le capital s’empare d’abord du travail dans les conditions techniques données par le développement historique avant de transformer progressivement le mode de production. Au cours du processus, il est évident que l’indigène réel du XXIe siècle ne peut persister comme indien imaginaire vivant dans un idyllique monde naturel, au sein d’un « primitivisme » non perverti par la civilisation capitaliste.

Photo: Simon B.

L’Etat plurinational : expression de l’évolution du rapport de force ?

L’arrivée au pouvoir en 2006 d’Evo Morales, d’origine populaire et indigène, a permis dans une certaine mesure de combattre la discrimination et la marginalisation fondées sur des critères racistes. La nouvelle Constitution (2009) définit ainsi la Bolivie comme « un Etat pacifiste, qui promeut la culture de la paix […], la coopération entre les peuples de la région et du monde, afin de contribuer à la connaissance mutuelle, à un développement équitable et à la promotion de l’intercommunalité […] » (10). Pour la première fois dans l’histoire bolivienne, les principes et pratiques indigènes politiques, économiques, juridiques, culturels et linguistiques sont reconnus sur un même seuil d’égalité par rapport aux « non indigènes ». La notion de « Peuple et nation Indigène-originaire-paysans » (art30.i) voit le jour et se voit reconnaitre ses « us et coutumes originaires » dont la « justice communautaire et l’autonomie indigène » au sein d’un « Etat unitaire social de droit plurinational communautaire » (art. 1), marquant ainsi la disparition d’une norme culturelle hégémonique nationale qui octroie à une minorité culturelle un statut spécifique (10). Les modes d’organisations politique et économique autochtone (ayllus notamment) sont reconnus au même titre que le système marchand capitaliste, le quechua et l’aymara deviennent des langues officielles au même titre que l’espagnol, le symbole autochtone Whipala est intégré comme symbole national officiel au côté du drapeau bolivien, etc.

Ce changement constitutionnel ne s’est pas fait sans une forte résistance de la bourgeoisie bolivienne, à l’exemple de la tentative de sécession de l’Etat de Santa Cruz en 2008 (14) et des agissements violents du Comité Civique de Santa Cruz, organisation d’extrême droite raciste proche de l’église bolivienne et au service de la bourgeoisie de Santa Cruz. L’ Union de la jeunesse crucéniste, « bras armé » du comité, ouvertement phalangiste et fasciste (15), s’est illustrée en septembre 2009 en assassinant 18 paysans indigènes dans le département du Prado. La volonté de l’Etat d’imposer le nouveau statut « indigène » via l’Etat plurinational a provoqué de fortes tensions au sein de la société bolivienne. Ces tensions sont d’autant plus vives que le gouvernement Morales a impulsé une série de changements socioéconomiques significatifs, parmi lesquels 20% des boliviens sont montés dans la classe moyenne qui représente en 2017 58%, soit 2,2 millions de personnes en plus(7). L’émergence de cette nouvelle classe moyenne, désormais extrêmement hétérogène, a intensifié les contradictions à l’intérieur même de la classe moyenne et semble avoir donné lieu en son sein à une lutte de classe féroce. La classe moyenne traditionnelle, de profession reconnue, séparée géographiquement des quartiers populaires, portant des noms spécifiques, s’est vue « envahir » par la « classe moyenne ascendante » d’origine populaire, indienne. Cette dernière a désormais accès aux mêmes professions, le nouvel Etat plurinational ayant rendu possible son accès à des postes et avantages jusqu’à présent monopolisés par la classe moyenne traditionnelle (au sein des banques, institutions…)(16). Pendant les années Morales, les indigènes ont ainsi fait l’objet de campagne de dévalorisation au sein de la classe supérieure et de la fraction traditionnelle de la classe moyenne, illustrée par la racialisation du discours envers les nouvelles « classes moyennes populaires », par exemple lors de « l’invasion » des centres commerciaux du quartier Irpavi à La Paz en 2015(17). Les « arrivistes indiens » étant perçus comme une concurrence réduisant les opportunités économiques de la classe moyenne traditionnelle. Le renforcement du racisme dans la société bolivienne apparait donc avant tout comme le reflet d’une peur de déclassement socio-économique des classes moyennes anciennes et classes supérieures.

Ecoutons à ce sujet notre Bourgeois bolivien qui voue une véritable haine à l’Etat plurinational : « Avec Morales les indiens ont intériorisé le fait qu’ils n’avaient pas besoin d’étudier pour obtenir des postes. Donc malgré la construction d’écoles, collèges, les Indiens disent à quoi bon envoyer mon fils à l’école, de toute façon il aura un poste puisqu’il est indigène. » Dans la même logique, l’université publique, autrefois réservée à une minorité, est également dévalorisée puisque désormais « envahie » par les indiens. Continuons, « L’indien a été mis à la tête de banque mais puisqu’il ne comprend rien, c’est l’employé non indigène qui lui explique comment faire, mais – dit-il en gloussant – l’indien est le patron […]. Les députés indigènes sont incompétents, ils ne connaissent rien à la politique, quand on leur demande de voter une loi, si Morales leur dit de voter ils votent bêtement sans comprendre la loi. » Notons ici que les députés indigènes sont depuis longtemps éloignés du mode de vie des classes populaires et peuvent être assimilés à la classe moyenne supérieure, mais certains ne se sont pas défaits de leur oripeau indigène, ce qui irrite fortement notre Bourgeois Bolivien.

On peut concevoir la classe moyenne bolivienne comme un champ de bataille où l’Etat conteste la hiérarchisation ethnique historique, via une lutte politique se cristallisant dans la Constitution plurinationale. La classe moyenne nouvelle, d’origine populaire semble avoir deux trajectoires sociales possibles : soit elle embrase la culture bourgeoise dominante, en se reniant en tant qu’indigène, soit elle revendique et lutte pour la légitimité de l’identité indigène. La première trajectoire conduit à l’intégration toujours plus grande dans le modèle économique capitaliste. La deuxième trajectoire débouche naturellement dans l’Etat plurinational d’Evo Morales et dans les liens toujours forts en Bolivie entre le monde rural paysan et les zones urbaines. Ce champ de bataille s’apparente à un processus dynamique et dialectique au sein des classes où chacune se positionne en fonction des bénéfices qu’elle peut tirer en termes de pouvoir, de reproduction et ascension dans la hiérarchie sociale. L’Etat ayant échoué à décoloniser le pays – nous reviendrons plus tard sur les causes de cet échec – les classes moyennes paraissent condamnées à évoluer lentement vers le reniement de leur caractère indigène et tout ce qui y est associé. Le reniement du caractère indigène peut donc être perçu comme une tentative d’échapper aux caractéristiques indiennes, populaires, stigmatisées et dénigrées dans une société bolivienne à l’image de la classe dominante, raciste. La tenue vestimentaire est perçue pour de nombreuses boliviennes – notamment les vendeuses des marchés urbains – comme un moyen de se défaire du stigmate de la chola afin d’être traitées autrement que comme des Indiennes, c’est-à-dire avec mépris et/ou condescendance (18). La chola se transformant alors en birlochita (chola qui a adopté le style vestimentaire notamment des classes sociales supérieures). Cette nouvelle classe moyenne pourrait donc en partie expliquer pourquoi les gens s’identifiant comme indigène ont largement diminué en Bolivie, passant de 5,3 à 2,8 millions (66,2 à 40,57%) entre 2001 et 2012(19).

Ceci nous permet de comprendre pourquoi notre hôte de Sucre, mais aussi la Présidente autoproclamée Janine Anez et l’instigateur clé du coup d’Etat, Fernando Camacho, « se croient blancs » et « méprisent les indigènes » selon une camarade bolivienne, alors que leurs origines ethniques sont incontestablement indigènes. Ces actes de reniement sont en quelque sorte une épreuve de passage, où il faut se défaire de ses oripeaux indiens, faire peau neuve ou plutôt peau blanche pour obtenir sa carte d’entrée dans le club de la classe dominante bolivienne. La mue complète, progressivement réalisée lors de l’ascension de classe, s’accompagne donc d’une acceptation de la colonisation interne qui vient s’ajouter à la néocolonisation économique actuelle. Tout se passe comme si les Indigènes ou métis de classe moyenne et supérieure allaient chercher leur anoblissement auprès de la bourgeoisie bolivienne historique, blanche et hispanique, comme du temps des caciques de « sang indien anobli par l’Espagne » auprès de l’empereur Carlos VI au 16e siècle. Actuellement l’idéal persiste chez la classe bourgeoise bolivienne de ressembler à la bourgeoisie européenne ou américaine tant sur le plan matériel, culturel que religieux.

Le coup d’Etat bolivien : un révélateur de l’échec du processus de décolonisation.

Le déferlement de racisme lors du coup d’Etat illustre l’échec de l’Etat plurinational et plus largement de la décolonisation interne de la société bolivienne. La perception tenace de l’Indigène comme inférieur dans la hiérarchie des êtres, moralement déficient, naturellement enclin aux pires excès tels que la violence, est un préjugé tenace de notre Bourgeois Bolivien et des classes moyennes traditionnelles. La présidente putschiste a pris possession des institutions en portant une bible géante dans les bras, et célébrant le fait que « la bible retourne enfin au palais présidentiel »(20). En 2013, elle assimilait les rites indigènes à du « satanisme ». Fernando Camacho, homme clé du coup d’Etat, avocat et homme d’affaire millionnaire, qui fut le plus jeune vice-président de l’Union de la jeunesse crucéniste en 2002 et président du comité civique crucénien jusqu’à la chute d’Evo Morales, a brandi la bible dans le palais présidentiel avant d’annoncer : « Pachamama ne reviendra jamais dans le palais. La Bolivie appartient au Christ. »

Tandis que les militants d’extrême droite brulaient la Whipala (21), des membres de l’armée bolivienne ont découpé la Whipala figurant sur leurs uniformes (22). C’est véritablement suite à ce dernier événement, sorte de détonateur, le 12 novembre soit déjà 48h après le coup d’Etat que les classes populaires sont sorties dans la rue. Ceci est important à analyser, car cela reflète l’importance du thème de l’indianité en Bolivie, de la conscience anti-coloniale, car le coup d’Etat n’est pas suffisant pour jeter spontanément les couches populaires dans la rue. L’élément fédérateur ultime est la défense de leur indianité, ouvertement attaquée par les putschistes, donnant lieu à une exacerbation de la lutte des classes. De l’autre côté, les fractions de la classe moyenne urbaine traditionnelle (« collectifs de citoyen », corporations médicales, comités civiques…) avec une idéologie conservatrice et raciste ont largement appuyé le coup d’Etat. D’innombrables actes d’agressions violentes ont ciblé les Indigènes, sur la place publique, dans les universités, parfois des vendeuses de rue(collas). Ces agressions sont commises par des groupes paramilitaires tels que les jeunesses crusénistes, les motoqueros de Cochabamba, resistencia juvenil cochala etc., rappelant à certains boliviens les bandes paramilitaires à l’époque de la dictature de Banzer. Au moins trente-six manifestants Indigènes ont été « abattus comme des chiens » juste après le coup d’Etat par l’armée et la police putschiste dont le langage ouvertement raciste a été largement rapporté, qualifiant les Indigènes « d’animaux », « sales chiens », « indiens de merde » lors de la répression des couches populaires(23).

La peur de l’Indigène était à son paroxysme dans le quartier bourgeois de Sopocachi de la Paz, dans la semaine qui a suivi le coup d’Etat, les bourgeois craignant un retour de flamme populaire. Toute la presse bourgeoise s’indignait des cris d’appel à la guerre civile des habitants d’El Alto, requalifiés pour l’occasion de « terroristes » ou « séditieux », alors qu’elle est restée de marbre face aux massacres de Senkata et Sacaba. Pendant ce temps-là dans les quartiers chics de Santa Cruz, les bourgeois vitupèrent ouvertement : « Qu’ils crèvent ! ». Il est important de comprendre que loin d’être une « guerre de race » – prétendument agitée historiquement par les aymaras(4) – la guerre civile en question est en réalité une guerre de classe où se joue la question coloniale.

Largement sous-estimée en Bolivie sous Morales, la haine de l’Indien et de l’Etat plurinational chez les classes supérieures ne correspond pas à la vision angélique d’un Etat plurinational où chacun serait égal et se respecterait dans le meilleur des mondes. Lors d’une réunion populaire à Cochabamba, un camarade bolivien affirmait que Morales n’avait « rien fait pour décoloniser le pays », un autre ajoutait : « agiter la Wiphala est un geste de décolonisation ».

La non-hiérarchisation ethnique, l’égalité effective concrète entre l’Indien et le non-Indien ne pouvaient s’obtenir par un décret d’en haut. Car il n’y a pas eu dans la société bolivienne de changement des forces objectives, matérielles. Tant que le mode de production capitaliste survit, la bourgeoisie agit ainsi, porteuse de cette violence raciste. Par conséquent, l’Etat ne s’est pas donné les moyens de décoloniser le pays – sans doute ne le pouvait-il pas – et n’était donc pas en mesure de faire disparaitre ce racisme. De même « l’Économie plurielle » définie dans la Constitution de 2009 est pure chimère, car celle-ci prétend articuler les modes de production « étatiques », « privés », « sociaux et coopératifs » et « communautaires ». C’était sans compter sur le mouvement du capital, qui loin de laisser tranquille les modes de production non capitalistes, ne cesse de s’emparer de leurs travaux, de les mettre en concurrence, les courbant chaque jour un peu plus sous sa loi. Rappelons-nous de cette remarque très juste de Karl Marx : « L’échange de marchandise commence là où les communautés finissent », parfaitement illustrée par les conséquences funestes de la marchandisation du quinoa sur les communautés andines boliviennes. Sans changement de cette base matérielle de production historiquement coloniale, il parait illusoire de parvenir à se défaire de cet artefact colonial qu’est le racisme en Bolivie.

Le racisme en Bolivie : frein ou catalyseur de la lutte des classes ?

Le racisme en Bolivie est plus qu’ailleurs encore le reflet d’une position de classe socio-économique dont les racines sont historiques et de nature coloniale. Le pauvre en Bolivie est Indigène. Le pauvre non-Indigène est quasiment inexistant. Par conséquent, la question ethnique semble agir ici plutôt comme un catalyseur de lutte de classes qu’un élément de division de la classe exploitée, comme c’est par exemple le cas en France, aux Etats Unis et dans d’autres pays d’Amérique latine. À cet égard, il n’existe pas à l’intérieur de la classe exploitée bolivienne de division entre des camps hostiles, telle que la division entre les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais des cités industrielles anglaises au XIXe siècle, ou, de nos jours en France, entre les travailleurs pauvres issus de l’immigration et blancs, ou encore entre les travailleurs pauvres latino-américains, noirs, asiatiques et blancs aux USA. Dans l’Angleterre du XIXe, cet antagonisme artificiellement entretenu par tous les moyens dont disposaient le pouvoir (notamment la presse), était le secret du maintien de la domination de la classe capitaliste(24). Cet antagonisme n’existe pas en Bolivie aujourd’hui, et l’impuissance des classes exploitées rurales et urbaines dont les liens sont forts, semble plutôt résider dans leur absence d’auto-organisation.

L’organisation de ces classes à travers le MAS a certes permis d’accéder au pouvoir en 2005 via la voie institutionnelle bourgeoise, mais celle-ci porte intrinsèquement l’impossibilité d’un coup décisif contre la bourgeoisie, comme a pu le montrer le coup d’Etat de novembre 2019.

La question « raciale » en Bolivie semble exacerber la lutte de classes. Elle a renforcé l’unité au sein des deux camps en confrontation. L’union sacrée des bourgeois face au péril indien, c’est-à-dire le péril populaire, a renforcé l’unité des dominés. L’apparition d’une nouvelle classe moyenne ascendante n’a en rien atténuée le racisme, la multiplication des contradictions au sein de la classe moyenne bolivienne en pleine expansion a au contraire exacerbé ce racisme. Evo Morales l’avait parfaitement compris lors de ses années au pouvoir, et celui-ci n’hésitait pas à ressusciter des figures de la lutte populaire encore bien ancrées dans le cerveau des vivants, dont Bartolina Sisa et son époux Tupac Katari. Ce couple de guerrier aymara mena héroïquement une grande révolte autochtone contre les colons espagnols en 1781 sur l’altiplano bolivien, notamment à La Paz qu’ils assiégèrent. Ils furent finalement capturés par les barbares espagnols. Peu avant d’être démembré, Tupac Katari lançait cet avertissement prémonitoire, repris lors de chaque manifestation populaire au moment du coup d’Etat de novembre 2019 : « Vous ne faites que me tuer, mais demain je reviendrai et je serai des millions ».

Pour revenir aux années Morales, on drapa ainsi le processus de changement dans le costume des révoltes indiennes du 18es contre le colon espagnol. Le premier satellite bolivien est nommé Tupac Katari. L’université autochtone de Warisata est appelée Tupac Katari et on utilise largement le statut de héros national du couple héroïque lors des discours officiels de l’Etat. Cela ne doit pas faire oublier que Tupac Katari a mené une révolte armée des classes opprimées contre les classes dominantes, en l’occurrence les Espagnols. Cette révolte a tourné en tragédie. Qu’en est-il du processus de changement décolonial actuel ? Et que dire de la tentative de décolonisation de l’armée ? « Il convient de distinguer dans les luttes historiques, entre la phraséologie et les prétentions des partis, et leur constitution et leurs intérêts véritables, entre ce qu’ils s’imaginent être et ce qu’ils sont en réalité », disait Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Si l’indianité a été l’élément fédérateur majeur autour du MAS et d’Evo Morales, elle n’est pas venue épauler un projet populaire et concret de sortie du capitalisme. On peut ainsi comprendre comment bien qu’ayant largement redonné sa dignité au peuple indigène bolivien, Evo Morales n’a « rien fait pour décoloniser le pays ».

Peuple autochtone et bourgeoisie coloniale : Une coexistence impossible

Déplaçons-nous dans le quartier chic de Sopocachi, autre bastion des classes supérieures de la Paz. Notre hôte, un camarade Bolivien d’origine familiale populaire affirme qu’une des « erreurs d’Evo Morales a été de vouloir séduire la classe moyenne », en allant jusqu’à faire venir à Santa Cruz en concert en 2013 le chanteur de la révolution cubaine Silvio Rodríguez, mais « cela ne fonctionne pas » ! « Morales a donné l’impression qu’on allait tous vivre en harmonie quelque soit notre ethnie et classe sociale… mais après 14 ans, le racisme est plus fort que jamais dans la classe moyenne supérieure ». Le père de notre hôte était blanc hispanique, sa mère indigène. Il prend désormais l’exemple de sa mère, qui pour essayer de s’intégrer, de bien se faire voir auprès de sa belle-famille blanche, cuisinait, leur offrait ou confectionnait des petites choses… mais cela avait pour unique conséquence de renforcer leur sentiment de supériorité et leur racisme. Il compare cette situation au XVIe siècle, lorsque les « indiens » faisaient des offrandes aux conquistadores, les accueillaient de la manière la plus courtoise et la plus noble possible, pour finalement se faire massacrer en retour. Etant donné le racisme et le sentiment de supériorité ethnique : « Je ne vois pas comment les gens pourrait un jour co-exister ». Là se trouve toute la difficulté en Bolivie, à la lutte des classes s’incorpore une lutte de décolonisation. Mais cette dernière peut également être perçue comme accélératrice de la première. Au décours de cette lutte populaire, il est probable peut-être même souhaitable que les résidus bourgeois, contraint par le rapport de force défavorable, s’enfuient en Europe et aux USA pour échapper à une coexistence qu’ils fuient déjà depuis 500 ans.»»

https://simonb.noblogs.org/post/2020/10/14/racisme-et-lutte-des-classe…

Crédit photographique: Simon B.

Références.

1. GALEANO Eduardo, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Pocket, 2001.

2. Les termes indigènes et indiens sont utilisés indistinctement par la plupart des gens concernés en Bolivie au sein même des classes populaires originaires.

3. MARTINEZ Françoise, «  Régénérer la race  ». Politique éducative en Bolivie (1898-1920), Éditions de l’IHEAL, Paris, 2010.

4. STEFANONI Pablo, “QUE HACER CON LOS INDIOS…” y otros traumas irresueltos de la colonialidad, Plural Editores, La Paz, 2010.

5. GARCIA LINERA Álvaro, La etnicidad como capital simbólico. Estructura social, clase y dominación simbolica en la obra de Pierre Bourdieu, Plural Editores, La Paz, 2019.

6. Au XIX et XXe siècle, le castillan était nécessaire pour faire valoir des droits à la propriété de terre devant les tribunaux d’Etat. STEFANONI Pablo, op. cit.

7. VILLANUEVA RANCE Amaru. «  Bolivia  : la clase media imaginada  ». Nueva sociedad. février 2020. Consulté sur https://nuso.org/articulo/bolivia-la-clase-media-imaginada/

8. ROUX J-C, 2005, La question agraire en Bolivie : La crise agraire en Bolivie  : entre agriculture «  ethnique  » et agriculture de rente dans la mondialisation. consulté sur http://www.museum.agropolis.fr/pages/savoirs/question_agraire_bolivie/…

9. BARRAGÁN Rossana. 2006. « Más allá de lo mestizo, más allá de lo aymara : organización y representaciones de clase y etnicidad en La Paz » . Consulté sur : https://www.researchgate.net/publication/26472215_Mas_alla_de_lo_mesti…

10. C. LACROIX Laurent, Le GOUILL Claude, «  Le « processus de changement » en Bolivie. La politique du gouvernement d’Evo Morales (2005-2018)  », IHEAL, Paris, 2019.

11. Servicios de Comunicación Intercultural, Bolivia Censo 2012 : Algunas claves para entender la variable indígena. Consulté sur:http://www.servindi.or/actualidad/94399

12. LO/FTF Council Analytical Unit. Avril 2018. Perfil del Mercado Laboral 2018. Consulté sur http://dicyt.uto.edu.bo/observatorio/wp-content/uploads/2019/04/Perfil…

13. Harnecker M. HARNECKER Marta, «  Amérique Latine  : Laboratoire pour un socialisme du XXIe siècle.  », Les Éditions Utopia, 2018.

14. Historiquement, la bourgeoisie traditionnelle du croissant oriental (Santa Cruz, Beni, Pando, Tajira), d’extrême droite, privilégie un projet d’autonomie de type fédéraliste.

15. L’Union de la jeunesse crucéniste a été fondée en 1957 par Carlos Valverde Barbery, dirigeant de la Phalange socialiste bolivienne, créée vingt ans plus tôt sur le modèle des brigades franquistes en Espagne. Elle est considérée comme un groupe paramilitaire par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Être phalangiste demeure une condition pour rejoindre l’Union de la jeunesse crucéniste. Valverde Barbery explique  : «  L’Union de la jeunesse crucéniste a été créée pour être le “bras armé” du comité, se chargeant non seulement de la lutte de rue mais aussi de l’endoctrinement populaire et du soutien militaire au comité.  » Le salut fasciste est la norme lors des réunions de l’organisation. Source : Mariette Maëlle. En Bolivie, sur la route avec l’élite de Santa Cruz. juillet 2020. Le Monde diplomatique.

16. GARCIA LINERA Álvaro. 2018. La asonada de la clase media decadente, consulté sur https://bitacoraintercultural.org/wp-content/uploads/2019/03/BITACORA-…

17. http://www.cochabandido.com/2015/01/ahora-hay-mas-movimiento-economico…

18. MARCHAND Véronique. 2009. Pollera y vestido, le langage socioethnique du vêtement  : migration, génération, profession et instruction. Cahiers des Amériques latines. Consulté sur http://journals.openedition.org/cal/1459

19. http://www.condistintosacentos.com/donde-estan-todos-los-indigenas-un-…

20. https://elpais.com/internacional/2019/11/12/america/1573566340_453048.html.

21. https://twitter.com/BenjaminNorton/status/1193689050894475264?s=20.

22. https://twitter.com/BenjaminNorton/status/1194080182077939713?s=20.

23. IHRC. Aout 2018. «  They Shot Us Like Animals  » : Black November & Bolivia’s Interim Government. Consulté le 10.08.2020 sur http://hrp.law.harvard.edu/wp-content/uploads/2020/07/Black-November-E…

24. MARX Karl, ENGELS Friedrich. Le parti de classe (II). L’Internationale et un pays dépendant, l’Irlande. consulté sur https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc062.htm#ftn1