Cet article paru le 29 janvier 2019 sur le site http://www.tsa-algerie.com/ propose une analyse détaillée des relations entre le Royaume marocain et l’entité sioniste, en revenant sur les fondements historiques de ces liens. « Si depuis 2000, les relations diplomatiques officielles entre Rabat et Tel Aviv sont apparemment rompues, les ambiguïtés des rapports entre les deux capitales ne sont pas levées. Depuis 2011, une série de révélations est venue conforter l’idée que, derrière ces ambiguïtés liées aux impératifs politiques, il existe une relation durable et stable entre la monarchie marocaine et l’état israélien.Si la situation actuelle est celle d’une normalisation discrète et progressive, la société marocaine ne soutient cependant en rien cette dynamique. […] Si cette normalisation discrète et progressive des relations est vivement souhaitée par Israël, la société marocaine, y est, en revanche, farouchement opposée. »
Une délégation de Marocains s’est rendue, le 10 janvier, en Israël dans le cadre d’un colloque sur l’amitié judéo-marocaine. Ce déplacement n’a pas manqué de susciter l’indignation sur les réseaux sociaux et d’alimenter une vive polémique. Cette visite controversée intervient quelques semaines seulement après celle d’une délégation de journalistes et d’enseignants, en novembre dernier, répondant à l’invitation du ministère israélien des Affaires étrangères.
Si depuis 2000, les relations diplomatiques officielles entre Rabat et Tel Aviv sont apparemment rompues, les ambiguïtés des rapports entre les deux capitales ne sont pas levées. Depuis 2011, une série de révélations est venue conforter l’idée que, derrière ces ambiguïtés liées aux impératifs politiques, il existe une relation durable et stable entre la monarchie marocaine et l’État israélien. Elle est assise à la fois sur des intérêts commerciaux, des échanges interculturels, des convergences d’intérêts politiques, et trouve sa raison d’être dans les conditions historiques d’instauration du régime marocain.
Dynamisme commercial
Avec la fermeture du bureau de liaison d’Israël à Rabat, dans le contexte de déclenchement de la seconde intifada, les contacts entre les deux pays se sont faits plus discrets sans jamais cessé d’exister. D’un côté, le dynamisme commercial est une réalité, avec un volume d’échanges de « 52,3 millions de dollars sur dix-huit mois » entre 2014 et 2015, selon le Bureau israélien central des statistiques (BCS).
De l’autre, une brèche s’est ouverte ces dernières années dans l’opacité des relations depuis les révélations fracassantes faites par Wikileaks sur les rencontres au sommet, notamment en 2009, entre le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Liebermann et son homologue marocain, Taïeb Fassi-Fihri.
Au nombre des scandales politiques entachant la monarchie marocaine, l’enquête publiée en 2015 par le quotidien israélien Yehrodot Ahronot met en lumière la coopération active entre les services de renseignements marocain et le Mossad dans l’assassinat de l’opposant historique de la gauche marocaine, Mehdi Ben Barka. Un an plus tard, de nouvelles informations embarrassantes d’un ancien chef des renseignements militaires israéliens, dévoilant le rôle clé de Hassan II dans la défaite arabe de 1967, a fait l’effet d’une nouvelle bombe dans le royaume chérifien.
Ainsi, si ces relations ont traversé une période de refroidissement, sur le fond en revanche, il a toujours subsisté des éléments de convergences inhérentes aux intérêts propres de chacun des deux États. Cette relation a un ancrage historique fort, né dans un contexte de crise de légitimité d’une monarchie à contre-courant des évolutions régionales.
Ennemis politiques communs
Historiquement, la survie du pouvoir royal a reposé sur la double stratégie de l’affaiblissement du puissant parti nationaliste, l’Istiqlal, et d’édification d’une légitimité indépendantiste auprès du peuple marocain. La France, d’une certaine manière, lui en donnera l’occasion. L’exil, qu’imposent les autorités françaises au roi Mohamed V en 1953, permet de souder les Marocains autour de sa personne et, consolider politiquement la monarchie marocaine face aux autres forces politiques.
L’intronisation du roi à l’indépendance en 1956 ne met pas fin, cependant, à la lutte pour le pouvoir entre le palais et le mouvement nationaliste, qui culmine avec l’assassinat de Mehdi Ben Barka en 1965. Cette situation politique a fragilisé le règne de Mohamed V puis de son fils Hassan II, héritier d’un contexte marqué par des troubles sociaux et politiques.
En proie à une instabilité grave, Hassan II, qui échappe à deux tentatives de coup d’État, en 1971 et en 1972, œuvre avec acharnement à la stabilisation du régime. L’occupation du Sahara occidental en 1975, contestée par l’Algérie, est une opportunité historique pour isoler l’opposition politique radicale qui est férocement réprimée. Cette instabilité politique permanente explique l’importance du rapprochement israélo-marocain.
Combattre l’ennemi intérieur et fragiliser l’ennemi extérieur
Pour mettre son pouvoir à l’abri d’une nouvelle crise interne et guid par une conception politique régionale plus proche d’Israël que des régimes arabes dits progressistes, Hassan II s’est rapproché de Tel Aviv dès 1961, date de la conclusion des accords secrets conclus avec le Mossad. Les services de renseignements israéliens ont, dès lors, répondu avec zèle aux sollicitations du pouvoir marocain, notamment dans l’affaire Ben Barka en 1965.
Ainsi l’impératif de sécurité nationale et la volonté d’affaiblir les régimes nationalistes arabes comme l’Algérie et l’Égypte éclairent la stratégie de Hassan II, qui s’associe à Israël pour combattre l’ennemi intérieur et fragiliser l’ennemi extérieur. À l’initiative d’une diplomatie minimale et discrète, il multiplie les démarches officielles pour la paix à partir de 1985 (date à laquelle il invita Shimon Pérès à se rendre au Maroc). Afin de concrétiser le rapprochement, il sera l’artisan d’une relation directe et originale avec l’établissement, en 1994, d’un siège diplomatique ayant des organes à Rabat et à Tel Aviv.
L’importance des relations entre les Marocains juifs et les Israéliens d’origine marocaine a également participé au renforcement des liens entre les deux pays. Une étude publiée par le ministère des Marocains résidant à l’étranger a établi que la deuxième plus importante communauté marocaine à l’étranger se trouve en Israël avec plus de 800.000 personnes.
Dans un article intitulé « La mise en scène de l’identité marocaine en Israël : un cas d’’israélianité’ diasporique », Emanuela Trevisan-Semi analyse le rattachement étroit entre les deux communautés. Elle note que les Israéliens d’origine marocaine « ne se sont pas contentés d’entretenir une mémoire individuelle et familiale du pays natal dans l’espace domestique privé (cuisine, musique, récits, objets, portraits aux murs des rois du Maroc, y compris du souverain actuel, dialecte arabo-marocain), ils sont également à l’origine de l’introduction à l’intérieur de l’espace public israélien de symboles traditionnels du pouvoir marocain ».
La figure la plus emblématique de la communauté juive marocaine est André Azoulay, conseiller, successivement de Hassan II et de Mohamed VI. Au-delà, de son rôle joué dans la libéralisation de l’économie marocaine, des observateurs soulignent qu’il a eu un rôle clef dans la normalisation d’Israël auprès des pays arabes et, notamment du Maroc. Si cette normalisation discrète et progressive des relations est vivement souhaitée par Israël, la société marocaine, y est, en revanche, farouchement opposée. Entre les réactions populaires contre cette normalisation, qui ne dit pas son nom, et cette politique d’ouverture à Israël, la monarchie devra, à terme, opérer un choix douloureux.
http://www.tsa-algerie.com/20170129/maroc-israel-normalisation-ne-dit-nom/
Source de la photo: http://reseauinternational.net/maghreb-les-relations-tres-particulieres-entre-le-maroc-et-israel/