Omar Mazri : Révolutions et contre-révolution dans le monde arabe

img4f63093f6e864[1]Dans le cadre de la préparation du cycle de conférences-débats « Résister au sionisme » organisé par le Comité Action Palestine du 23 au 29 mars 2012, Omar Mazri, qui sera l’un des intervenants sur la question « révolutions et contre-révolution dans le monde arabe », a accepté de répondre à l’interview que nous lui avons proposée. Vous pourrez y trouver une analyse approfondie des rapports de force politiques et géopolitiques qui agitent actuellement le monde arabe, des conditions socio-politiques des phénomènes révolutionnaires, des obstacles internes et externes de l’avancée des mouvements populaires et de la nature des axes étatiques qui s’affrontent au Moyen-Orient. Le Comité Action Palestine ne peut que recommander très fortement cette réflexion rigoureuse et stimulante sur les forces et les faiblesses des mouvements populaires arabes et sur les mutations de l’équilibre régional qui à terme peuvent faire basculer les rapports de domination Nord-Sud localement et sans doute globalement.

Omar Mazri est ingénieur polytechnicien  algérien en technologie de pointe. Il a été économiste spécialisé en planification industrielle et transfert de technologie. Il travailla également comme logisticien pour les états-majors de l’armée de terre. Il a consacré sa vie professionnelle au transfert technologique, à l’administration publique et à la gestion d’entreprises en Algérie. Il a travaillé ensuite près de 12 ans dans les quartiers Nord de Marseille comme formateur en mathématiques et en physique-chimie dans la filière électrotechnique. Penseur de l’Islam politique en Algérie, il a été conseiller stratégique et géopolitique de Abdelkader Hachani, leader du Front islamique du Salut.

Il anime actuellement une réflexion sur la globalité d’approche civilisationnelle de l’Islam dans ses aspects de théologie de libération, de mystique et de Praxis socio-politique.

Il est l’auteur de plus de 120 articles sur l’Islam, l’Algérie, la communauté musulmane de France, le sionisme et les révolutions arabes. Récemment, il a publié plusieurs ouvrages dont : « Le dilemme arabe et les 10 commandements US » (2012), « Islamophobia : Deus ex Machina » (2011), « Les « Révolutions arabes » : Mystique ou mystification?» (2011), « Gaza : La bataille du Forqane » (2010), « La République et le Voile : Symboles et inversions » (2010) tous aux éditions « Editions et Conseils ».

Interview  de Omar Mazri

1-Comment analysez-vous les transformations politiques récentes dans le monde arabe ? Font-elles avancer la cause des peuples arabes ?

Il faut d’abord insister sur le fait que tout changement est une rupture avec l’immobilisme morbide, mortel et mortifère, même si le changement ne va pas dans le sens espéré. Que le monde arabe bouge et se transforme ou tente de se transformer est donc une rupture bénéfique qui va générer à terme une culture du changement sans laquelle il n’y aurait ni progrès ni salut. Il faut aussi insister sur le fait que les changements imposés au peuple par les armes, la dictature ou la pression de l’Empire ne sont pas des changements et à terme ils seront remis en cause par le peuple.

Pour l’instant au-delà du discours émotionnel et infantile, des déceptions ou des euphories, il faut que nous sachions que la conscience collective va imprimer durablement l’idée de la possibilité du changement et l’idée sur le mode de changement. Cette conscience imprimée par le changement va finir fatalement par exprimer le cap du changement qui à son tour sera de nouveau imprimé dans la conscience sociale et politique. Cela prend du temps et consomme de l’énergie. Les élites de demain devront gérer l’efficacité, c’est-à-dire réduire les énergies dissipées et mettre en synergie les efforts socialement et politiquement utiles pour un meilleur rendement. Il y a des gisements de travail à explorer et à activer pour aller plus vite et plus loin et en harmonie. Dans mon livre Les Révolutions arabes : mystique ou mystification ?, j’ai développé quelques axes pour disposer d’une grille de lecture méthodologique sur la nature et le mode des mouvements, à la lumière des récits coraniques sur les Prophètes.

Ces généralités n’occultent pas la réalité tangible : il y a eu des mouvements populaires dont les transformations politiques, sociales et économiques sont en attente de visibilité. La visibilité est caricaturée, rendant impossible une lecture objective. Ces mouvements, d’un pays à l’autre, sont hétérogènes en revendications, en mode d’expression et en indépendance par rapport à l’Empire et à ses vassaux. Au sein d’un même pays, comme en Egypte, le positionnement par rapport aux monarchies et à la Turquie ne s’est pas stabilisé et des revirements spectaculaires sont possibles. Certains de ces mouvements ont occupé le devant de la scène médiatique et d’autres ont été occultés, car l’agenda étranger intervient comme facteur d’amplification ou de réduction, de subversion ou de mobilisation de ces mouvements à son profit tactique, stratégique ou civilisationnel.

Indépendamment des acteurs endogènes et exogènes, on ne peut déboiter l’histoire des peuples arabes en relation avec la Palestine. À titre d’illustration, la Syrie a eu son indépendance en 46, l’Égypte sa révolution en 52 et l’Algérie en 54, autour du drame de 48. La révolution libyenne en 69 après 67. La révolution iranienne en 1979 après les Accords du Camp David de 78. 2011 et 2012 après la bataille du Forqane en décembre 2009. La Palestine subit et influence le monde arabe et musulman et elle sera l’un des critères d’analyse des mouvements arabes et musulmans en perdant cette fois la possibilité d’être instrumentalisée, comme par le passé, par les rentes du nationalisme arabe et de l’islamisme infantile.

En Égypte et en Tunisie, nous avons assisté à des soulèvements sociaux qui se sont transformés en désobéissance populaire menant à la chute des têtes du régime. Ces mouvements ont souffert de six lacunes.

La première lacune est l’absence de cadre idéologique qui fixe le cap et le rythme de la révolution ainsi que le clivage idéologique du moment historique, tant interne qu’externe.

La seconde est la confiscation du mouvement populaire par l’esprit partisan. Le mouvement populaire se trouve privé de l’exercice politique, économique et informationnel ainsi que de la force de proposition et d’initiative, pour être relégué à jouer le rôle de votant qui confie son destin aux élus instaurant la polyarchie au lieu de la démocratie.

La troisième est l’arrangement des appareils qui a permis de ralentir le rythme et le niveau des revendications, donnant ainsi le temps de coopération de l’ancien système et de l’impérialisme pour mener un mouvement contre-révolutionnaire.

La quatrième lacune est la médiocrité et la pensée unique cultivées par les gouvernants despotiques que les opposants ont héritées comme legs culturels et politiques qu’ils se transmettent et qu’ils cultivent.

La cinquième lacune est de s’inscrire dans l’économie mondiale et les règles du jeu géopolitique au lieu de fédérer le peuple sur la résistance et de se faire protéger par ce peuple. La méconnaissance de la géopolitique et l’absence de laboratoire de veille stratégique dans le monde arabe sont accentuées par une culture d’empire qui s’appuie sur la connaissance des idées, du terrain des idées, des hommes qui, s’appuyant sur les lacunes, a la compétence d’anticiper, de mettre plusieurs fers au feu et d’imaginer plusieurs scénarios avec la compétence et les moyens de les mettre en œuvre.

La sixième lacune est qu’en dehors de la revendication de faire tomber la tête du régime, il n’y a eu ni projet d’avenir énoncé ni travail pédagogique pour expliquer les mécanismes politiques et géopolitiques qui sont derrière les tyrans arabes qu’il faut détricoter. Je suis presque certain que les machines qui choisissent et nomment les commis de l’État sont toujours en place à ce jour, même s’il y a un ravalement de façade au sommet.

En Libye, nous avons vu la contre-révolution se mettre en place en réalisant la stratégie impérialiste. La stratégie avait quatre axes. Le premier axe est la mainmise du prédateur sur l’objet de sa convoitise : ressources naturelles, finances et exportation de ses crises internes. Le second axe est d’interdire toute possibilité d’émancipation hors du cadre idéologique et politique de l’Occident. Le troisième axe est de procéder à une dislocation de la grammaire des civilisations en disloquant ses constituants : les mentalités collectives, les espaces, les histoires communes, les économies sur le plan de la considération historique (continuer la fragmentation commencée par Sykes Picot), sur le plan du présent des révolutions qui ne doivent pas faire jonction, sur le plan de l’avenir pour interdire toute situation pacifique et harmonieuse favorable à une émergence d’une aire civilisationnelle autonome, alternative. Enfin, il s’agit de faire des islamistes, certains islamistes naïfs, cyniques, revanchards ou ignorants, les agents de la disharmonie, de l’entropie, pour bloquer l’émergence de l’Islam politique, social, libérateur et civilisateur et maintenir « l’Islam » rétrograde, réactionnaire, bigot, consumériste. Dans les faits : l’Égypte et la Tunisie sont coupées, l’Égypte a maintenant un front ouest qui s’ajoute au front sioniste. Dans les faits, l’Algérie et le Maroc sont poussés à faire des concessions : passer en base coloniale après avoir été comptoir commercial, les peuples arabes sont traumatisés par l’issue entropique et ils sont isolés du processus de résistance contre l’Empire et le sionisme. Pour la Libye, il faut garder en tête la conjugaison d’au moins trois agendas : la subversion interne pour faire tomber un régime et changer les donnes en Libye et en Afrique ; la diversion pour déplacer le centre d’intérêt des révolutions égyptiennes et tunisiennes ; la lutte idéologique pour diaboliser l’Islam. Dans mon livre Islamophobia : deus machina , j’ai montré quelques aspects de la lutte idéologique menée par l’Empire pour créer la méfiance envers l’Islam et créer la défiance entre les musulmans en jouant sur l’émotionnel et l’infantilisme d’un côté, et sur les techniques de guerre psychologique et de propagande médiatique. Il s’agit de détruire le capital de résistance, de libération et d’édification civilisationnel de l’Islam en profitant de la médiocrité politique et culturelle des Musulmans qui sont parvenus à se réveiller après un long cauchemar, sans pour autant voir la réalité dans sa globalité, sa complexité et sa dynamique. Il s’agit de détruire la confiance et les repères pour ne laisser que la défiance et la confusion qui ne favorisent pas la résistance quand elles s’ajoutent à la corruption et à la mal gouvernance.

Pour l’instant il n’y a donc pas de changement significatif ; mais les possibilités du changement réel deviennent plus impératives et seront davantage clarifiées une fois que l’expérience du vote et de la polyarchie sans programme de résistance et d’édification aura montré de nouveau ses limites en Egypte, en Tunisie, en Algérie, au Yémen et au Maroc.

2-Quels sont les enjeux politiques ou géopolitiques du conflit actuel en Syrie ?

En Syrie, nous sommes face au scénario libyen avec l’accent mis davantage sur la géopolitique. Il s’agit pour l’Occident de parachever Sykes Picot qui a donné la Syrie en démembrant le Cham, pour démembrer la Syrie sur des bases ethniques et confessionnelles et réaliser le nouveau Moyen-Orient. Étouffer la révolution égyptienne en l’encerclant avec deux guerres civiles, deux présences étrangères. Le troisième point est discréditer les islamistes pour liquider toute contestation islamique révolutionnaire dans les monarchies vassales. Le quatrième point est de briser l’axe Iran, Syrie, Palestine, Liban et Irak et de liquider la résistance contre l’entité sioniste poussant les Arabes et les Palestiniens à accepter la feuille de route américaine. Enfin, le dernier point est la guerre sunnite/chiite pour remettre en marge le monde musulman de cet ensemble Euro-Asie et faire face à la Chine dont l’Empire veut couper les sources et les voies d’approvisionnement avant de les agresser une fois que les Arabes ont montré leur vassalité à l’Empire dans l’agression contre l’Iran et le désarmement nucléaire du Pakistan appelé à poursuivre l’œuvre de fragmentation commencée par l’Empire britannique. Contrairement à la Libye, le régime syrien dispose d’une armée plus forte, d’une population moins ruraliste, de savants de stature internationale, de couches moyennes préférant le statu quo au changement incontrôlé. La Syrie dispose de l’appui de la Chine et de la Russie qui ont laissé les Occidentaux et les Arabes sortir déshonorés de l’agression par une stratégie cynique, mais payante.

Le régime syrien avait la possibilité hier de livrer la Palestine (les cadres vivant en Palestine, la logistique et le droit au retour) et de servir l’Empire. Les données ont changé et la Syrie sait qu’elle sera, à la moindre concession, sur la trajectoire du reniement envers le Hezbollah, l’arabité et la résistance et être disloquée car géographiquement et historiquement elle constitue la ligne de démarcation Orient-Occident. Elle a livré une bataille de survie et elle vient de remporter une victoire éclatante. L’axe Syrie-Iran remporte des victoires stratégiques contre l’Empire et ses vassaux ainsi que contre les défaitistes. Les médias minimisent le retrait des forces d’occupation de l’Irak et la disponibilité de l’Irak à venir renforcer l’axe de la résistance contre le remodelage de la région. La logique impérialiste est normale : elle exige de mener de front une campagne subversive, une opération de diversion et une lutte idéologique dans un cadre plus vaste et plus complexe que le cas libyen. La plus grande hantise est la jonction Syrie-Egypte avec pour conséquence l’encerclement d’Israël et la coopération avec l’Iran.

Le régime syrien doit se réformer et faire passer des mesures radicales et rapides contre la corruption et la marginalisation du peuple pour apporter le coup de grâce au projet du nouveau Moyen-Orient et faire porter la véritable révolution dans les pays du Golfe, celle que refusent les dix commandements américains : la révolution iranienne avec une ouverture vers l’Égypte. Les Frères Musulmans égyptiens doivent en contrepartie se libérer de leur esprit partisan. Les élections présidentielles en Égypte vont sans doute relancer le débat idéologique et géopolitique en Égypte.

3-Quels sont, selon vous, les effets des transformations politiques dans le monde arabe sur la situation en Palestine ?

Pour l’instant, on va assister à des maquillages et des instrumentalisations, mais sur le plan concret, les Palestiniens vont être relégués au second plan et ils vont faire des concessions de survie. La bataille est dans le camp arabe, mais aussi sur d’autres terrains de confrontation comme en Afghanistan. Par ailleurs, les Turcs ont su s’imposer comme nouvelle pièce majeure dans le conflit, et la Turquie est dans une situation instable face à l’axe Syrie-Iran. La question palestinienne est passée de question d’occupation coloniale à une question humanitaire à Gaza et à l’indemnisation de quelques réfugiés. Pour l’instant, ces problèmes sont relégués à la réconciliation FATAH- HAMAS imposée par les conditions géopolitiques. Tous ces éléments dépendent de la conjoncture et de l’issue de la confrontation des axes arabes.

A terme les mouvements islamiques prendront de la consistance politique et géopolitique tout en favorisant l’émergence de nouvelles élites jeunes et intellectuellement compétentes qui vont fatalement reposer la question idéologique en interne pour la constitution d’un front national de résistance à l’impérialisme et d’édification nationale, ainsi que la constitution d’un front externe idéologique et diplomatique contre Israël, aboutissant inévitablement à une confrontation globale et au recentrage de la question palestinienne dans la conscience collective , avec ses effets tactiques et stratégiques sur des changements révolutionnaires plus soutenus, plus étendus et plus radicaux.

Dans mon livre Le dilemme arabe et les dix commandements américains, j’ai montré les axiomes de la géopolitique que les révolutions ont occultés et qui se retournent contre eux et contre la cause palestinienne. Ces commandements sont la nature idéologique de l’Empire et ils sont dévastateurs pour le reste du monde. Ce n’est pas le vote d’un parlement ici ou ailleurs qui va changer l’équation des rapports de force, de domination et d’intelligence, mais la remise du curseur sur les véritables défis, sur les véritables clivages et sur les véritables ingénieries politiques, économiques et informationnelles. Les Musulmans non seulement ne donneront pas des solutions à la libération de la Palestine, mais ne se libéreront pas du formaliste, des slogans et de la vassalisation s’ils ne parviennent pas à hiérarchiser et à harmoniser la notion de souveraineté divine avec la souveraineté du peuple. Il en est de même de la notion (fi sabil Allah) qui doit être libérée du confinement au seul qualificatif islamique pour s’ouvrir à l’universel de sa vocation. Le premier pas de libération de la Palestine sera celui de la libération des concepts, des mots, des comportements hérités de la décadence musulmane qui a fait du musulman un minus habens errant sur son propre sol et gaspillant son temps et son énergie faute de stratégie autonome, de veille sur le monde…

Pour l’instant le chaos qui s’est emparé du monde arabe annonce des clarifications à venir. A titre d’illustration nous avons les fossoyeurs de la question palestinienne, qui sont la Ligue arabe, la conférence internationale islamique et les monarchies du Golfe, qui viennent d’être discrédités aux yeux de l’opinion arabe dans leur rôle de vassal au Soudan, en Libye et en Syrie. La seconde illustration est le comportement erratique d’Ennahda et de Moncef Marzouki qui acceptent de faire de la Tunisie le pion avancé de l’Empire et de ses vassaux, moyennant quelques petro dollars, prouvant ainsi la confiscation de la révolution tunisienne non par des traitres comme le disent certains, mais par l’absence de cadre d’orientation idéologique qui permet tous les retournements et toutes les compromissions faute de cap, de veille, de boussole et de carte de navigation. La partie gagnée par le régime syrien va imposer de nouveau la ligne palestinienne radicale et fermer la porte aux compromis de Doha, d’Istanbul et de Tunis.

En Egypte, une fois la devanture institutionnelle parachevée, deux questions vont émerger et imposer de nouveaux défis à la classe politique : les luttes sociales et la question palestinienne (notamment l’ouverture des frontières et le soutien plus consistant à Gaza)

4-Comment expliquez-vous la relative stabilité de l’Algérie dans le contexte de déstabilisation du monde arabe :

L’absence de clivage idéologique des révolutions arabes, les scénarios violents en Libye et en Syrie, la mémoire des stigmates de 20 ans, la gestion de la pénurie, du terrorisme résiduel et la distribution de la rente sociale avec l’absence de culture d’État et l’absence de culture d’opposition politique, le caractère non mécaniste de contagion des révolutions laissent le peuple livré à l’attente messianique. Cette attente est mise à profit par les Eradicateurs pour faire du matraquage idéologique rappelant les événements depuis juin 90 à ce jour. Cette attente est mise à profit par les « Réformateurs » pour imputer au FIS la responsabilité des événements et prendre les résultats en Egypte, Libye, Maroc et Tunisie comme la réalisation de l’axe de Washington et demander de ne pas voter pour les islamistes lors des prochaines législatives. Les partis islamistes sont divisés, certains trop impliqués dans l’appui au CNT Libyen et au CNS syrien sans prise de distance, laissant l’émotionnel prendre le pas dans un pays en catastrophe politique, sociale et économique, qui a davantage besoin de clarification et d’assurances que de confusion ou d’aventurisme. Ils font peur à la classe moyenne et à la grande masse des fonctionnaires qui ne sont pas prêts de prendre le risque libyen. En Algérie Il y a eu 500 000 victimes, 20 000 disparus et 3 millions de personnes déplacées et il n’y a toujours pas de réponses ni de justice ni de clarification ni de vérité. Le peuple vit sa révolution passive laissant la porte ouverte à l’inconnu. Pour l’instant il ne cible pas Bouteflika comme a été ciblé Moubarak ou Ben Ali. Le peuple algérien ne voit pas les occasions ratées et les ambitions de l’Algérie piétinées mais la « concorde civile », la rente sociale. Il ne voit pas l’Algérie comme cible dans le projet de dislocation des territoires musulmans, il ne voit pas l’esprit de revanche instrumentalisé par les Etats-Unis, il ne voit pas la lutte des appareils et des clans partisans des Etats-Unis, de la France ou de la monarchie saoudienne se livrer bataille comme il ne voit pas les luttes de clans pour la possession de la rente du pétrole. Il ne décode pas la signification de l’aveu des jeunes loups et des seconds couteaux de s’émanciper de la génération de novembre 54.

Le peuple algérien conserve encore intacte sa mémoire de peuple agressé par l’extérieur et par l’intérieur pour avoir choisi une solution islamique dans une conjoncture de réformes politiques et économiques qui ne siéent pas à l’impérialisme ni aux monarchies. Il a connu la tragédie et la solitude alors qu’il était agressé par des hordes ayant la garantie de l’impunité car elles entrent dans le plan de diaboliser l’Islam et de bloquer le potentiel de développement et de l’indépendance de l’Algérie. Le peuple algérien n’a trouvé ni l’ONU ni la communauté internationale « démocratique » ni la ligue arabe ni les monarchies du Golfe pour l’aider en tant que victime et faire face à l’agression ou pour l’armer juridiquement, médiatiquement et militairement contre ses agresseurs. Le peuple algérien attaché à l’Islam sait par l’expérience et par la doctrine que la révolution est légitime sur le plan religieux si et seulement si elle ne se fait pas sous l’étendard de la confusion, si elle ne se réalise par une alliance stratégique avec les profanateurs et les prédateurs et si le mal qu’elle occasionne n’est pas supérieur au mal qu’elle est censée guérir. Le peuple algérien n’a jamais revendiqué l’internationalisation du conflit ni l’ingérence étrangère par intuition politique, par expérience du colonialisme qu’il a vécu comme la forme la plus cynique et la plus humiliante de deshumanisation.

5-Le mot de la fin :

La culture d’empire nous a vendu son modèle politique, économique et médiatique. Maintenant, alors que l’Empire est en plein déclin, sa culture parvient à nous vendre la fin de l’Histoire et la fin de l’idéologie, alors que jamais l’équation idéologique n’a été au cœur de notre existence et de notre devenir. L’idéologie ou l’art de production et de discours des idées est la seule démarche à répondre aux questions de sens de la grammaire des civilisations : comment conjuguer l’homme, le sol et le temps une fois que la finalité ultime a été définie et que le sens d’orientation a été tracé. Le monde arabe non seulement a fait de l’idéologie un discours creux et vague sans logique pragmatique, mais il est déchiré entre des idéologies antagonistes y compris au sein des mouvances islamiques. Sans idéologie commune, nous ne pouvons ni définir notre identité, ni notre appartenance, ni notre implication dans une cause en toute indépendance ou en résistance contre les autres idéologies. Pour l’instant, la voie pacifique ou la voie armée n’ont pas de réponse à apporter sur le projet de société, sur le projet de civilisation, sur le projet d’édification de l’homme nouveau, faute de débat idéologique fédérateur pour faire émerger l’idée primordiale sur laquelle il y a consensus pour vivre ensemble, regarder l’avenir dans la même direction et résister pour défendre les mêmes valeurs. L’Empire, spécialiste de la lutte idéologique, mène une œuvre de fragmentation idéologique pour empêcher toute continuité des mentalités collectives, des territoires géographiques, des idées, des économies et de l’histoire des peuples en opérant dans le Moi arabe des disharmonies, des intrusions, des incisions, des déchirures, des déchirements. L’impérialisme à l’avantage de connaitre notre état de décadence avant la colonisation, les fléaux qu’il nous a inoculé durant la colonisation, et les syndromes post indépendance qu’il a géré grâce à sa cinquième colonne et à notre ignorance de la lutte idéologique, politique et économique pour nous maintenir dans la posture de proie et se maintenir dans celle du prédateur. Les Arabes n’ont pas d’autres voies que de se fédérer autour d’un axe de résistance et de libération pour décoloniser leur esprit et produire leurs idées en autonomie de pensée et de décision.




Les fonctions sociales et politiques d’un racisme respectable : entretiens avec Rokhaya Diallo, Abdelaziz Chaambi et Pierre Tévanian

526x297-jif[1]Le Comité Action Palestine est l’une des rares organisations en France à produire une analyse et à intervenir publiquement sur la question du lien étroit entre sionisme et islamophobie. L’analyse proposée permet de comprendre le lien entre l’oppression coloniale en Palestine et l’oppression sociale en France qui légitime une certaine forme de domination sociale et politique dans un contexte de crise.

L’islamophobie, fabriquée et entretenue par les « intellectuels médiatiques sionistes », chiens de garde de la domination sioniste dans un monde arabe aujourd’hui en transformation, est une arme raciste à double usage.

D’une part, cette islamophobie concourt à ôter toute légitimité aux mouvements islamiques de résistance contre l’impérialisme et le sionisme à travers le monde, et à contrer toute forme de soutien en France aux peuples arabo-islamiques luttant pour leur émancipation, notamment au peuple palestinien qui combat le sionisme depuis plus de 100 ans…

Elle permet, d’autre part, de neutraliser le potentiel contestataire des populations immigrées en France, en fabriquant l’image d’un musulman antirépublicain, sexiste et violent, en marge du code culturel dominant, l’objectif est bien de normaliser les discriminations et la répression contre les minorités issues des anciennes colonies.

Afin de mieux cerner cette problématique, le Comité Action Palestine a organisé un cycle de conférences au cours de la deuxième quinzaine de juin 2011 qui visait à condamner le sionisme comme mouvement politique colonialiste et raciste implantés dans les pays occidentaux et plus particulièrement en France.

Nous vous présentons, sur les liens suivants, les interviews des principaux intervenants qui ont participé à ce cycle de conférences.

Pierre Tévanian

Abdelaziz Chaambi

Rokhaya Diallo

  

 




Le calendrier 2012 Palestine Libre est maintenant disponible

Le Droit au retour des réfugiés palestiniens

Nous rentrerons !

Le droit au retour des réfugiés chez eux est indissociable du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Ce droit sacré ne peut être l’objet ni de tractations ni de négociation. Il est individuel et collectif . Il est inscrit dans le droit international : la résolution 194 votée par l’ONU au lendemain de la « création » de l’Etat colonial israélien reconnaît que le peuple palestinien a vécu une injustice effroyable. Les colonisateurs juifs ont pratiqué en 1948 une épuration ethnique de grande envergure pour s’approprier les terres des Palestiniens chassés de chez eux.

Cette épuration ethnique se poursuit aujourd’hui sous des formes différentes et ne semble pas déranger les bonnes consciences occidentales. Bien au contraire, les Occidentaux ont fait du droit au retour une formule juridique vidée de son sens politique. Ces tartuffes du droit international se sont ingéniés à faire de ce droit au retour une question humanitaire. La raison en est simple : rendre effectif le droit au retour, c’est signer l’acte de décès du sionisme, c’est démanteler l’un des systèmes coloniaux les plus abjects au regard de l’exigence de justice. Le retour chez eux des réfugiés rendrait impossible la réalisation de l’objectif raciste d’un Etat exclusivement juif. Ce droit imprescriptible est devenu une hantise pour les sionistes et leurs soutiens occidentaux. L’enjeu pour eux est de contrecarrer par tous les moyens la réalisation de ce droit.

Autour du droit au retour, se joue donc une lutte à mort entre un régime colonial impitoyable et un peuple qui résiste pour que justice soit faite.

Si le peuple palestinien continue à se battre pour la reconnaissance de ce droit ou pour qu’il ne soit pas sacrifié en échange d’un Etat croupion, il le fait d’abord de manière très concrète. Il s’agit pour lui de résister à la destruction des camps où vivent les réfugiés. L’existence de ces camps est le témoignage vivant que l’épuration ethnique est la colonne vertébrale de l’Etat israélien. Rester dans les camps, c’est maintenir vivant l’espoir du retour. Préserver les camps c’est préserver l’identité de réfugiés, et dire au monde que le peuple palestinien ne renoncera pas face à la barbarie.

A Gaza, en Cisjordanie, en Palestine de 48, dans les camps de réfugiés et partout dans le Monde, les Palestiniens ne renonceront pas après plus de 60 ans de résistance acharnée pour libérer la Palestine, toute la Palestine : la Palestine arabe qui est la seule patrie des réfugiés palestiniens. Défendre le droit au retour c’est combattre le racisme colonial et lutter pour que l’égalité entre les hommes ne soit pas un vain mot.

 Calendrier 2011 Palestine Libre couverture

Ce calendrier est entièrement bilingue arabe/français.

Il présente chaque mois de l’année sur 2 pages au format 21*29,7.

Chaque mois, un texte revient sur un grand moment de la résistance Palestinienne.

  Calendrier 2012 Palestine Libre Janvier

Le calendrier, réalisé par le CAP, est vendu au prix de 5 euros. L’argent collecté permet de soutenir les actions de l’association et notamment l’invitation de Palestiniens pour qu’ils présentent eux-mêmes en France leur lutte de libération.

Vous pouvez le commander dès maintenant grâce à ce formulaire . Imprimez-le et renvoyez-le nous accompagné de votre règlement.




Indicible mais vrai : Charlie Hebdo parodie la Shoah avec Shoah Hebdo !

liberte[1]Charlie Hebdo a reçu un soutien unanime de la classe politique et médiatique pour défendre la liberté d’expression. Rien d’étonnant à cette unanimité, la judéophobie dans les années 30 faisait aussi l’unanimité dans la classe politico-médiatique…La défense de la liberté d’expression n’est qu’hypocrisie car l’éviction de Siné de Charlie hebdo pour de supposés propos antisémites (Charlie hebdo a été condamné dans cette affaire) n’a pas mobilisé ces hypocrites islamophobes. Que dire alors de la liberté d’expression s’agissant de Dieudonné qui a eu le tort de caricaturer un colon juif ? Eric Blanrue a raison de lancer un défi à Charlie Hebdo : faites nous rire avec une Shoah Hebdo…

On ne savait pas que les soixante-huitards de Charlie Hebdo, grands amateurs de cocktails molotovs lorsque ceux-ci sont lancés sur des policiers, des pompiers, des manifestants catholiques ou musulmans, considéraient que cela devenait répréhensible lorsque la cible était…Charlie Hebdo. Ce répugnant canard de fausse provoc, fort avec les faibles, faible avec les forts, passé sous pavillon sioniste sous le règne de Philippe Val, s’était notamment illustré pas sa campagne de caricatures contre le prophète de l’Islam. On peut aussi compter sur lui pour injurier tout ce qui de près ou de loin ressemble à un catholique.

Ne lui demandez pas en revanche de s’attaquer à des symboles sionistes, juifs ou shoahtiques. A Charlie Hebdo, on ne mélange pas les torchons goys avec les serviettes juives. Ainsi si le journal annonce qu’il titrera mercredi sur « Charia (législation) Hebdo », ne comptez pas sur lui pour titrer sur « Shoah Hebdo » par exemple, d’ici à sa fermeture révolutionnaire…

On a donc droit à une levée de bouclier de toute la camarilla libérale-sioniste pour défendre la « liberté d’expression », et dénoncer le fanatisme, sans d’ailleurs que les auteurs ne soient connus. Florilège :

« Si je peux aider Charlie Hebdo à retrouver des locaux, je le ferai » – Bertrand Delanoë

Jean-Luc Mélenchon : « Si c’est un incendie volontaire, c’est tout à fait répugnant ».

Jean-François Copé qualifie l’incendie de Charlie Herbo d’attentat.

Christine Boutin : cet acte « manifeste un symptôme de violence. »

Souhaitons que les meilleurs des catholiques aient le même réflexe que certains musulmans à l’occasion de la manifestation contre la christianophobie à laquelle ils ont participé, et refusent de s’associer à cette opération de défense d’un journal qui confond injure et opinion, contre le christianisme comme contre l’Islam. [Eric Blanrue]
[Source : http://www.medialibre.eu/culture/charlie-hebdo-titre-sur-shoah-hebdo-et-recoit-un-coktail-molotov-texte-et-video/11102]




Libye : L’impérialisme et les nouveaux harkis

BHL en Libye
Dans un sursaut de fin de règne, l’Occident en déclin (crise sociale, économique et morale ), a lancé en 2011 une nouvelle offensive sanglante et barbare contre des peuples arabes et leurs gouvernants qui résistent encore à l’hégémonie impérialiste. Après l’Afghanistan et l’Irak au cours de la première décennie du XXIème siècle, l’Occident vient d’installer durablement le chaos en Libye et s’apprête à faire de même en Syrie, puis en Iran.

Profitant des mouvements populaires de contestation en Tunisie et en Egypte, l’Occident a pu mettre en œuvre un plan prévu de longue date pour dépecer la Libye et se débarrasser de son Chef d’Etat le colonel M. Kadhafi. Après sept mois d’une guerre approuvée par l’ONU et menée par l’OTAN, dont le nombre de victimes civiles s’élève certainement à plusieurs dizaines de milliers, les puissances impérialistes pensent enfin avoir atteint leur objectif avec le lynchage programmé de Kadhafi par des mafieux armés, que les médias appellent les « rebelles ».

Pour s’emparer du pétrole libyen, ne pouvant prendre le prétexte de la lutte contre le terrorisme international comme en Afghanistan ou de la présence supposée d’armes de destruction massive comme en Irak, une autre stratégie a été utilisée : celle du coup d’Etat, vraisemblablement planifié depuis longtemps. Les services secrets occidentaux avaient réussi à retourner des responsables politiques proches de Kadhafi, des traîtres comme on en trouve dans les allées du pouvoir dans tous les Etats arabes et prêts à vendre leur pays pour une poignée de dollars. La rapidité avec laquelle l’ONU, puis l’OTAN ont apporté leur « soutien » massif à ces « rebelles » ne laisse aucun doute sur les intentions de l’Occident.ces impérialistes pensent enfin avoir atteint leur objectif avec le lynchage programmé de Kadhafi par des mafieux armés, que les médias appellent les « rebelles ».

Mais l’impérialisme est peu regardant sur les harkis qu’il utilise. Moustapha Abdeljalil l’actuel président du CNT était ministre de la Justice de Kadhafi, et en tant que président de la cour d’appel de Tripoli, avait confirmé par deux fois la peine de mort des infirmières bulgares. F.D Roosevelt disait du dictateur nicaraguayen Somoza : « c’est un fils de pute, mais notre fils de pute ». M. Abdeljalil est bien le « fils de pute » de la coalition américaine, anglaise et française !

Maintenant que la Libye est exsangue et qu’une guerre civile s’annonce, il est fort probable que les puissances occidentales abandonneront très vite leurs marionnettes peu recommandables afin de maintenir leur mainmise sur les ressources libyennes. La démission peu après l’assassinat de Kadhafi, de Mahmoud Djibril, premier ministre du CNT, est un signe : « les rats quittent le navire ». Les opposants syriens auraient tout intérêt à se méfier, l’Occident n’a ni scrupule ni sens de la loyauté quand il s’agit de ses intérêts.

Il ne fait aucun doute que les régimes de Mouammar Kadhafi et de Bachar el Assad ne peuvent être considérés comme des modèles en matière de libertés civiles et politiques. Mais que dire alors du régime saoudien et de ceux des pays du Golfe ? Que dire alors de la monarchie marocaine ou jordanienne ? Que dire aussi des pays occidentaux eux-mêmes où la démocratie n’est qu’un leurre et la toute-puissance de la finance une réalité ?

L’Occident protègent les dictatures serviles et d’un autre âge dès lors qu’elles préservent ses intérêts vitaux et ceux du sionisme. Comme à l’époque coloniale, les puissances occidentales sèment terreur et destruction dans les pays qui leur résistent et appuient les régimes « amis » les plus rétrogrades.

Cette politique coloniale doit être condamnée avec force. Ceux qui au sein de ces Etats arabo-musulmans et africains pensent que l’Occident peut jouer un rôle favorable à la liberté se trompent assurément. Le seul projet de l’Occident pour le monde arabe et l’Afrique, c’est l’asservissement. Ces régimes « amis » pris en étau entre la prédation occidentale et l’élan révolutionnaire des peuples ont déjà la corde autour du cou.

Comité Action Palestine




Les révolutions arabes nous donnent de la force

Ameer Makhoul est prisonnier politique palestinien.Ameer Makhoul Il présidait le comité populaire pour la défense des libertés politiques en Palestine occupée en 1948, lorsqu’il a été arrêté par les forces coloniales sionistes en mai 2010. Il a été condamné à 9 ans d’emprisonnement. Son arrestation fait partie de la stratégie de l’occupant pour empêcher toute structuration de la résistance en Palestine de 48.

Dans ce texte, A.M. produit une analyse particulièrement clairvoyante du changement actuel du rapport de forces dans le monde arabe. Il replace les révolutions arabes actuelles dans le cadre général des mouvements révolutionnaires, tout en soulignant leurs spécificités. En plus du caractère fédérateur au niveau des peuples de la région, ces révolutions permettent de réafficher avec plus de force la dimension arabe de la lutte de libération palestinienne.

Il montre comment ces révolutions marquent une inversion du rapport de forces dans la région, inversion sans laquelle aucune cause même la plus juste ne peut triompher. Cette force croissante des masses arabes contraste avec l’effondrement du projet sioniste qui ne cesse d’afficher son affaiblissement militaire et son absence de vision stratégique de l’avenir. Ce changement de rapport de forces, notamment avec la chute du régime égyptien représente un atout majeur pour la lutte du peuple palestinien pour la libération de sa terre.


Ameer Makhoul, prisonnier politique palestinien, le 17 juin 2011 :

 

Aucun régime au monde ne peut se soustraire à la possibilité de tomber quand certaines conditions sont réunies mais il n’est jamais arrivé qu’un régime politique tombe de lui-même, en l’absence d’une action qui vise à le renverser.

Lire l’histoire des révolutions est très riche en enseignements mais quand une révolution se déroule maintenant, elle apporte ses propres enseignements.

Ainsi en est-il des révolutions que mène actuellement notre peuple arabe. Elles apportent ce que doit apprendre toute révolution qui se déroule en cette ère de mondialisation et d’internet. Mues par de formidables masses humaines qui croissent et gagnent en force à un rythme inconnu auparavant, elles tirent leur force d’un mouvement social- celui des gens ordinaires- qui porte en lui toute la diversité des courants de pensée et d’action qui aspirent au changement. C’est, en pratique, l’écrasante majorité de la société. Les révolutions arabes se déroulent conformément à la loi qui préside à la naissance des révolutions : ce moment où les opprimés n’acceptent plus leur statut d’opprimés et où les oppresseurs deviennent incapables de se maintenir au pouvoir en usant des mêmes méthodes d’oppression. Nous vivons alors ce que l’on peut appeler « le dernier quart d’heure des dictatures ».

Ces révolutions nous donnent à voir comment des régimes arabes oppressifs et injustes, réputés invulnérables, se fissurent, se désagrègent avant de s’effondrer. Elles nous donnent aussi à voir comment les gens –tous les gens, le peuple- créent des situations où l’institution militaire est, comme cela s’est passé en Tunisie et en Egypte, placée devant un choix incontournable et excluant toute voie médiane : abandonner le sommet du régime ou affronter le peuple. Le peuple, dans cette situation nouvelle qu’il a créée, devient alors le seul détenteur de la légitimité qui se traduit par la conquête de places fortes au sein même du régime, dans l’armée aussi bien que dans des centres de décision économique, médiatique, judiciaire, religieux etc.

Dans de tels moments, quand la tyrannie s’exerce de façon plus féroce que jamais et que se multiplient sans frein les atteintes à la dignité humaine et nationale, la colère et le sentiment d’humiliation longtemps réprimés chez le peuple deviennent une force qui secoue les fondements du régime et l’amène à l’effondrement total ou partiel. Nous entrons alors dans une ère de transformation rapide.

Il est difficile de croire que les révolutions qui ont éclaté en Tunisie et en Egypte soient l’œuvre planifiée d’une seule force, quelle qu’elle soit. Tout en elles, en effet, indique qu’elles sont mouvement spontané et là, il faut souligner les façons dont Twitter , Facebook, Internet de façon générale ainsi que les chaînes satellitaires pour transmettre des images prises sur le vif, sont devenues, entre les mains de la jeunesse de Tunisie, d’Egypte et d’autres partie du monde arabe , de formidables instruments d’information, d’échange et de coordination de la parole et de l’action, non seulement à l’échelle d’un pays mais dans un espace qui embrasse le monde arabe dans son ensemble. L’usage des moyens de communication les plus avancés est la marque d’une jeunesse arabe qui monte et aspire à extirper le monde arabe de l’état de morcellement, d’archaïsme et d’écrasement des libertés qui pèse sur lui depuis si longtemps. Il porte en lui –au moins pour ce qu’il nous est donné de constater maintenant et en attendant que se dessine de façon plus nette le cours des choses – la volonté des peuples arabes d’édifier un ordre social et politique où règneront la dignité des citoyens, la démocratie et le pluralisme.

Pour le moment, nous ne pouvons pas faire beaucoup plus que de vivre intensément en esprit et en émotion ce qui se passe. Chacun de nous aspire à être dans ces lieux où se déroule l’action libératrice arabe, dans ces lieux baptisés « Place de la Libération » et précisément, au sein même du Caire. Mais en dépit de tout cela, nous sommes beaucoup plus que de simples spectateurs de ces révolutions, car ces révolutions ne nous sont pas étrangères, ce sont nos révolutions, une partie intégrante de notre combat pour la Libération. Notre désir d’y participer activement, cet élan qui nous porte spontanément vers elles précède souvent nos positions politiques officielles mais il porte en lui une chose que rien ne peut altérer : l’authenticité. Ce sont des révolutions qui apportent à notre combat un souffle nouveau, un souffle porté par une vision qu’on s’était empressé, ces dernières années, de croire moribonde mais qui renaît maintenant avec plus avec plus de force que jamais : c’est la dimension arabe.

Pour compléter le tableau des révolutions arabes, il y a cette image qu’il ne nous a pas été donné de voir depuis des décennies, celle, pitoyable, d’un Israël que rongent le désespoir et le sentiment de la défaite. Une telle chose n’est pas étonnante quand on sait qu’Israël est totalement privé de perspectives d’avenir et que d’ores et déjà s’accélère pour lui la perte irrémédiable de ce qui faisait sa force et son influence en tant qu’entité. Il faut dire que pour poser l’équation qui a fait prévaloir la force et l’arrogance d’Israël durant ces soixante dernières années, parler de sa puissance militaire et de la solidité de son front intérieur n’est pas suffisant , il y a dans la configuration stratégique en place un donnée essentielle : c’est la faiblesse chronique des Arabes, faiblesse qui s’est traduite et cristallisée dans les accords de Camp David avec l’Egypte et ceux d’Oslo avec l’OLP, ces derniers étant le rejeton des premiers, conclus à une époque où selon les termes de Shimon Pérès tentant de les justifier aux yeux de l’opinion israélienne, l’OLP était au « summum de sa faiblesse ». Aujourd’hui, à la suite du véto étasunien apposé au projet de résolution de l’Autorité Palestinienne déposé au Conseil de Sécurité et condamnant la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem, nous ne pouvons que constater l’érosion de la capacité de pression des Américains sur les Palestiniens, érosion qui n’a pas d’autre cause que la perte de l’allié principal des USA et d’Israël dans la région : Hosni Moubarak. Ce dernier eût-il été toujours en place, constatent amèrement les Américains au plus haut niveau, il eût étouffé l’idée même de ce projet. Les exemples de la soumission des régimes arabes dictatoriaux aux desseins stratégiques des Usa et d’Israël sont innombrables. Parmi ces exemples, les révélations de Wikileaks et, plus récemment, ce que la révolution égyptienne a révélé en levant le voile sur les liens multiples, économiques, énergétiques, militaires et stratégique du régime de Moubarak avec Israël, liens qui s’insèrent dans la stratégie américaine dans la région.

Une des grandes vérités touchant au combat contre le projet sioniste , projet colonialiste, raciste et belliqueux , est qu’il ne suffit pas que la cause du camp palestinien et arabe soit juste pour qu’elle triomphe, car une cause aussi juste soit-elle a besoin d’un état des forces en présence qui la protège et lui offre les conditions de sa réalisation.

La chute de régimes arabes importants aux niveaux régional et mondial inaugure, en rupture nette avec le passé, une ère de changements de grande ampleur car ces régimes et en particulier le régime égyptien, étaient des pièces essentielles dans le dispositif belliqueux et agressif de l’axe américano-israélien. Que ce dispositif se fissure maintenant montre qu’aucun régime fondé sur la falsification historique, la conquête militaire, la colonisation et la purification ethnique et raciale n’est capable d’affronter les peuples.

Un fait marquant dans les positions israéliennes aujourd’hui est qu’elles sont comme frappée d’abattement et d’absence totale de vision devant les tempêtes soulevées par les peuples arabes. Dans ce contexte, Il n’est pas étonnant d’entendre Netanyhahou lui-même exprimer ouvertement son inquiétude de constater qu’Israël non seulement perd des positions et de l’influence dans le monde mais reste exposé au danger de perdre jusqu’à sa légitimité internationale. Cet état de fait n’est pas le fruit du hasard mais le résultat de l’action menée par nous, les Palestiniens, les peuples arabes et toutes les personnes éprises de liberté dans le monde. Avec l’effondrement des régimes de Ben Ali et de Moubarak et les secousses subies par la plupart des régimes arabes s’effrite tout un discours trompeur qui désigne les mouvements de résistance, ces forces qui refusent l’hégémonie américano-israélienne dans la région, comme l’ennemi principal des peuples arabes. A la place de ce discours périmé, une vision juste des choses est en train de gagner en force, qui refuse que le fond du conflit à l’échelle de la région soit posé en termes ethniques, religieux ou sectaires et que l’Iran, entre autres tentatives de diversion, soit désigné comme la grande menace. Elle s’oppose à l’invasion américaine de l’Irak et aux projets de mainmise sur la région. Elle remet les choses à leur place, à savoir que le fond du conflit est constitué par la conquête sioniste de la Palestine, par les projets hégémoniques de l’axe américano-israélien sur la région et par l’asservissement de régimes négateurs de la volonté des peuples aux desseins de cet axe. Cette vision qui éclaire les vrais enjeux est portée par l’irruption des peuples arabes sur la scène politique mais ces peuples ne sont pas masses compactes mesurables seulement en quantité. Ce sont des sociétés qui s’affirment dans toute la diversité de leurs composantes sociales et intellectuelles, qui joignent côte à côte dans le combat pour la démocratie et le pluralisme, femmes et hommes, laïques comme religieux, libéraux comme forces de gauche et nationalistes arabes. Ces masses sont les peuples arabes qui ont décidé de prendre leur destin en main afin de le conduire vers un avenir de liberté, d’état de droit et de dignité du citoyen.

En tant que Palestiniens et pour ce qui a trait à notre lutte, nous observons que les grands équilibres dans la région ont changé et qu’ils sont appelés à changer encore plus profondément. Il va sans dire que nos droit fondamentaux en tant que Palestiniens restent les mêmes et que l’essence de notre combat reste la même, mais il est clair que nous nous dirigeons vers une situation dans la région où les antagonismes sont posés en termes nouveaux. Nous n’avons plus affaire à une confrontation entre armées mais à un combat opposant la volonté des peuples- ainsi que des pouvoirs nouveaux issus de cette volonté et investis de responsabilités nouvelles- à un régime militariste et belliqueux d’essence colonialiste et raciste.

Nous, Palestiniens, sommes un peuple engagé dans un combat incessant depuis la mise en place du projet sioniste dans la région en 1948. Nous avons connu des moments de flux et de reflux, mais nous n’avons jamais perdu de vue le but ultime de notre lutte, celui de notre libération, celui de la restauration du droit à notre terre, la terre de Palestine. Face à des ennemis implacables, aucun répit, aucun relâchement ne nous ont été permis et, conformément au droit et au devoir que nous dicte notre situation de peuple opprimé, nous avons usé de toutes les formes de lutte afin de restaurer l’ensemble de nos droits au premier plan desquels il y a le retour des réfugiés, la fin de l’occupation, la libération des prisonniers et le droit à l’autodétermination. C’est cette lutte que nous, masses palestiniennes de l’intérieur, menons en célébrant, chaque année le 30 mars et cela depuis 1976, la Journée de la Terre. Cette célébration qui gagne en ampleur chaque année, secouant toujours plus fort les chaînes de l’oppression, est un des hauts lieux de notre lutte et rappel que nulle force, nul régime ne sont capables d’affronter un peuple déterminé à recouvrer ses droits inaliénables.

Les révolutions arabes sont pour nous, peuple palestinien, source de plus de force, d’unité et de capacité à agir sur les évènements. Elles démontrent de façon plus nette que jamais qu’aucun équilibre fondé sur l’injustice ne peut prétendre à la pérennité.

Traduction : Najib Alaoui

Comité Action Palestine




Lutter contre l’islamophobie et pour la Palestine : un même combat politique

arton1186[1]D’une réflexion dense au style énergique, ce texte de la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI) publié le 27 octobre  2009,démontre qu’il ne peut exister d’affirmation positive de soi de la communauté musulmane en France sans revendication du soutien à la résistance palestinienne, pas de combat authentique contre l’islamophobie et toutes les formes d’injustices vécues par l’immigration postcoloniale sans un militantisme en faveur de la cause palestinienne.

L’histoire du colonialisme et du post-colonialisme a définitivement lié les destins du peuple palestinien et des populations immigrées en France, et les injonctions de l’Etat ne doivent pas faire taire l’expression d’une solidarité bien ancrée dans la communauté musulmane, sauf à l’amputer d’une partie vitale de son identité politique.

L’alternative est à la fois cruciale et simple : renier la cause palestinienne et s’affaiblir immanquablement sur le terrain des luttes sociales et politiques ou soutenir sans concession cette cause qui nous renforce face à un pouvoir néocolonial et sioniste.


LUTTER CONTRE L’ISLAMOPHOBIE ET POUR LA PALESTINE : UNE MEME RESISTANCE ET UN MEME COMBAT POLITIQUE !

Lutter contre l’islamophobie ne consiste pas seulement en une dénonciation des actes racistes qui frappent de plus en plus et de plus en plus violemment les musulmans, aussi ferme, tranchée, intransigeante et subversive soit-elle. Certes, on doit dénoncer les institutions et les autorités publiques qui, tout en feignant de dénoncer ponctuellement ces actes agressifs alors même qu’elles en sont les principaux vecteurs, engendrent ce racisme et cette islamophobie structurels. Cette démarche suppose un engagement réel dans l’espace public et une implication politique totale et assumée, qui s’émancipe des fonctions qu’on veut nous voir tenir : expert fanfaron qui vient cautionner des mesures racistes à notre encontre, musulman de service chargé de contrôler la communauté ou autre oncle Tom musulman à la solde de l’ordre établi. Si nous voulons voir l’islamophobie reculer, nous n’avons d’autre alternative que celle qui conduit sur le terrain politique. Mais, au-delà d’un seul discours centré sur des revendications spécifiques liées à une problématique islamique, l’implication en politique doit être globale.

Il est certes nécessaire de porter le combat contre l’islamophobie mais se contenter de cette seule dimension est insuffisant. Lutter contre l’islamophobie, c’est imposer la présence des musulmans, une présence non pas seulement sociale, médiatique et économique, mais une présence politique, sans que cette dernière ne soit sujette à une quelconque compromission car, comme l’écrit Abdelmalek Sayad, « exister, c’est exister politiquement ». Les musulmans, comme n’importe quel autre citoyen ou résident soucieux de s’occuper des affaires publiques, doivent se saisir de toutes les questions sans se cantonner aux problèmes qu’on nous attribue d’office et en prenant en charge même celles qui sont dites sensibles et qu’on voudrait précisément nous voir abandonner. Et à ce titre, la question palestinienne est déterminante.

Alors que Gaza en janvier 2009 subissait l’atrocité des attaques et résistait dans la plus grande dignité, des foules immenses, constituées pour l’essentiel d’arabes et de musulmans, ont déferlé dans les rues des grandes villes. Ce soutien au peuple palestinien et à sa résistance n’est en aucun cas le reflet d’une solidarité confessionnelle : c’est une solidarité éminemment politique sur des critères historiques. La connaissance de notre histoire nous impose cette solidarité. On sait que les musulmans, issus de l’immigration post-coloniale, sont l’objet de regards et pratiques déterminés notamment mais de façon marquante par l’histoire coloniale de la France et c’est cette même expérience de résistance face au colonialisme et au post colonialisme que partagent musulmans en France et palestiniens. Evidemment, les effets ne se réalisent pas de la même manière ni dans les mêmes degrés, toutefois, la conscience de notre historicité et la compréhension de cette histoire commune de libération face à l’oppression coloniale explique cette solidarité avec la lutte palestinienne, consubstantielle à nos luttes intrinsèques. Cette histoire coloniale qui continue de s’écrire sous les noms d’assimilation, de discrimination, de stigmatisation : qu’il s’agisse de résister à la dépossession identitaire, et à son lot d’acculturation et de dépersonnalisation tragiques, ou à la dépossession territoriale, c’est un même combat.

Islamophobie, choc des civilisations et sionisme, dans un cas comme dans un autre, il s’agit d’un colonialisme polymorphe. L’hostilité générale qui a accueilli ces manifestations témoigne à la fois d’un consensus en faveur de l’entité sioniste mais aussi d’une islamophobie arrogante à l’égard de ces musulmans qui se font visibles et politiques pour soutenir des résistances et contester des injustices. Les commentaires douteux et méprisants stigmatisant cette foule en la qualifiant de communautaire et d’islamiste révèlent que c’est encore une fois ce processus de diabolisation de l’Islam et des musulmans qui est à l’œuvre pour disqualifier des luttes politiques. Ce même procédé qui est utilisé lorsqu’il s’agit d’écraser la résistance palestinienne : « … vous dites que, si les Palestiniens arabes s’opposent à l’installation et à l’occupation de leurs terres par les Israéliens, ce n’est rien d’autre que le « retour de l’islam » » (E. W. Said , L’Orientalisme). Tout se passe comme s’il suffisait d’attribuer la caractéristique d’ « islamique » ou pire d’ « islamiste » à un militant , un mouvement ou un événement politique pour qu’aussitôt il soit touché de suspicion, de défiance et de discrédit ; et l’exemple des bagagistes de Roissy est révélateur en ce sens. Ainsi, à la lumière de ce processus, les raisons pour lesquelles le Hamas et le Hezbollah sont la cible de toutes les attaques de la part des régimes occidentaux paraissent évidentes : ils résistent et luttent contre l’injustice, on les affuble alors de stigmates islamiques disqualifiant pour essayer de les neutraliser. On perçoit d’autant mieux l’utilisation de ce prisme déformant, et qui est d’une efficacité redoutable dans les médias et l’opinion publique, quand on compare le traitement réservé aux différents régimes du Moyen-Orient selon la règle de la géométrie variable : quand des musulmans choisissent de résister, ils sont diabolisés ; quand des musulmans font allégeance, ils deviennent alors fréquentables et courtisés, comme c’est le cas des régimes corrompus, soumis et serviles. La diabolisation, véritable carburant de l’islamophobie, frappe délibérément la catégorie de l’Islam et des musulmans qui résiste à l’oppression. Et les répercussions sur les musulmans en France sont immédiates.

L’instrumentalisation et la diabolisation de l’Islam visent à nous faire taire. On ne peut pas, sous prétexte d’être mieux entendu ou mieux accepté, faire l’économie de la dénonciation de la diabolisation de l’Islam à des fins coloniales, qu’elle soit à l’échelle nationale ou internationale, comme en Afghanistan ou en Palestine, qu’elle s’appelle islamophobie ou choc des civilisations. Le risque étant de devenir, ad vitam aeternam, des sous-citoyens ou des individus de seconde zone toujours en proie aux discriminations quotidiennes et autres humiliations. Il est impératif de s’affranchir de ce cadre discursif fondé sur une espèce de chantage tacite à la respectabilité et qui nous impose, comme condition de notre recevabilité, de nous détacher d’une part de notre identité, de nous désolidariser des mouvements de résistance et d’abandonner la Palestine. Et sans redouter d’être rabroué, disqualifié et renvoyé au statut illégitime qu’on voudrait nous voir porter en permanence.

La Palestine a toujours été un catalyseur de conscience politique et d’engagement militant dans l’immigration post-coloniale, et ce qu’elle nous dit aujourd’hui, c’est qu’oublier la Palestine, c’est se nier soi-même. Etre capable de revendiquer haut et fort, sans complexe et sans concession, la libération totale de la Palestine c’est, aussi, lutter contre l’islamophobie.

Septembre 2009, Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie




Cycle de conférences sur l’islamophobie : Les fonctions sociales et politiques d’un racisme respectable

islamophobie_01[1]La France a peur. Elle a peur du « voile islamique » et de la « bombe islamique », des minarets et du hallal dans les restaurants. Elle a peur de l’Islam et des musulmans. Elle a peur de l’« islamo-gauchisme » comme jadis elle avait peur du « judéo-bolchévisme ». Son identité semble vaciller : la laïcité et les racines chrétiennes seraient menacées !


Selon le philosophe Enzo Travenso, le « portrait de l’arabo-musulman brossé par la xénophobie contemporaine ne diffère pas beaucoup de celui du juif construit par l’antisémitisme au début du XX e siècle. Dans les deux cas, les pratiques religieuses, culturelles, vestimentaires et alimentaires d’une minorité ont été mobilisés afin de construire un stéréotype négatif d’un corps étranger inassimilable à la communauté nationale ». (Libération, 5 janvier 2011)

Comparaison n’est pas raison, mais il existe des homologies entre le racisme anti-juif des années 1930 et l’islamophobie à la française. Un contexte de crise économique et politique semble favoriser la fabrication d’un bouc émissaire. Comme dans les années 30, l’enjeu est-il à la fois de faire diversion (détourner l’attention des problèmes réels) et « diviser ceux qui sont unis et unir ceux qui sont divisés » (S. Bouamama)? A qui profite cette stratégie politique? Et surtout comment contrer cette stratégie dont l’objectif est de légitimer une certaine forme de domination sociale et politique en crise ?

Apparue au début des années 2000, cette nouvelle islamophobie (V. Geisser) est une arme raciste à double détente. A usage interne, l’islamophobie a pour fonction de neutraliser le potentiel contestataire des populations immigrées : En fabriquant l’image d’un musulman antirépublicain, sexiste et violent, en marge du code culturel dominant, l’objectif est bien de normaliser les discriminations et la répression contre les minorités issues des anciennes colonies.

A usage externe, cette islamophobie concourt à ôter toute légitimité aux mouvements islamiques de résistance contre l’impérialisme et le sionisme : sur ce front, l’objectif est de contrer et de délégitimer toute forme de soutien en France aux peuples arabo-musulmans luttant pour leur émancipation, notamment au peuple palestinien qui combat le sionisme depuis plus de 100 ans.

En bref, en interne, l’enjeu est de recoller les morceaux d’une domination politique qui se fissure ; en externe, de légitimer une domination occidentale radicalement contestée.

Mais comment peut-on expliquer cette virulence islamophobe à partir du début des années 2000 ? Quelles en sont les conditions sociales et politiques ? Le racisme est un fait social normal dans les sociétés occidentales (F. Fanon), mais il s’agit ici de comprendre et d’analyser les nouvelles formes qu’il revêt. Certes, le racisme et les discriminations relèvent de mécanismes structurels, mais il importe aussi d’interroger les formes variables qu’ils prennent : l’islamophobie ne serait-elle pas une forme de racisme anti-arabe non avouable ?

Cette islamophobie à double détente a mis en lumière un acteur central dans la production des normes racistes « respectables » : l’intellectuel médiatique sioniste. Chien de garde de la domination sioniste dans un monde arabe aujourd’hui en transformation, il alerte en permanence contre le danger « islamiste » qui menacerait l’ordre social et républicain français.

L’Etat d’Israël et la République française auraient un même ennemi : un islam conçu comme un « corps étranger non assimilable », incompatible avec la « modernité » et les « valeurs fondatrices » du monde occidental.

En agitant le danger de la décomposition du modèle républicain, en exigeant des lois d’exception pour les musulmans et davantage de répression dans les quartiers populaires, l’intellectuel médiatique sioniste n’est-il pas le produit de la mutation actuelle vers un ordre politique autoritaire ?

Sur la base de ce questionnement général, le Comité Action Palestine organise un cycle de conférences au cours de la deuxième quinzaine de juin.

  Comité Action Palestine




Libye : Offensive impérialiste

libyeAujourd’hui vendredi 18 mars 2011, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, dirigé par les puissances impérialistes, a adopté la résolution 1973 autorisant de fait, la violation de la souveraineté et du principe d’autodétermination du peuple libyen. Cet acte d’ingérence militaire, qui légitime le recours à la force même s’il n’est pour le moment que question d’interventions aériennes, ne doit tromper personne.

Comme toujours, l’impérialisme avance masqué. C’est sous le prétexte de venir en aide à la population libyenne que l’Occident justifie son intervention dont les buts sont en réalité tout autres.

La France, par l’action de son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, maire de Bordeaux, a pris les devants dans l’agression qui se prépare contre la Libye. Une fois encore, sous couvert d’un mandat onusien, l’objectif est bel et bien de préparer, comme en Irak, le terrain à une occupation militaire.

En fait, on l’aura bien compris : le discours des puissants sur le respect des droits de l’homme et des peuples est pure hypocrisie.

Engagé dans un soutien sans faille aux dictatures serviles de la région jusqu’aux soulèvements populaires arabes de ce début d’année, l’Occident change de discours, mais continue la même politique : Soutien aux régimes combattus par le peuple en Egypte et en Tunisie. Feu vert donné à l’armée de l’allié saoudien pour envahir Bahreïn et mater la révolte populaire à l’œuvre contre la monarchie corrompue. Soutien à la monarchie marocaine quand elle réprime massivement un peuple écrasé par l’injustice et la pauvreté. Soutien sans conditions à l’entité coloniale sioniste qui génocide le peuple palestinien.

Les guerres menées en Irak et en Afghanistan prouvent que toute intervention occidentale débouche sur les massacres de masse de civils.

Après avoir officiellement fait en 2004 du régime de Kadhafi un allié dans sa stratégie sécuritaire contre le « terrorisme », et alors qu’une révolution populaire menace de renverser ce régime, l’impérialisme, après maints atermoiements, met en place une nouvelle stratégie. L’enjeu est clair : face à une révolution armée populaire risquant de donner le pouvoir réel au peuple, c’est-à-dire le contrôle de l’Etat, des ressources en hydrocarbures et des armes, face à un régime discrédité et condamné à moyen terme, l’objectif est d’intervenir afin d’imposer un « régime de transition » en apparence révolutionnaire, mais en réalité favorable aux intérêts économiques et géopolitiques occidentaux.

La reconnaissance précipitée par certains Etats impérialistes, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, d’un Conseil National libyen, téléguidé par cette même coalition occidentale, n’est qu’une ruse de plus pour justifier l’intervention militaire et saborder l’élan révolutionnaire du peuple libyen, voire le processus révolutionnaire en Tunisie et en Egypte.

Le mouvement révolutionnaire libyen est hétérogène et composé de comités de résistance populaire locaux sans véritables instances de coordination et de représentation politique. Néanmoins, les révolutionnaires libyens sont unanimes et opposés à une intervention étrangère quelle qu’en soit la forme. Et c’est au peuple libyen de conduire sa lutte et de choisir ses alliances. La contre-révolution née de cette résolution de l’ONU aura des conséquences désastreuses pour le peuple libyen, mais elles seront surtout à terme désastreuses pour l’Occident. Perdant peu à peu pied dans le monde arabe, l’Occident, divisé et affaibli, cherche par des tentatives désespérées à garder le contrôle en recourant à des actions armées. Mais il est déjà perdu, l’avenir appartient aux damnés de la terre.

Nous, militants du Comité Action Palestine, qui soutenons inconditionnellement l’autodétermination et la résistance du peuple palestinien contre la plus abjecte des oppressions qu’est le sionisme, exprimons notre totale solidarité avec les mouvements populaires du monde arabe qui réclament la liberté et l’égalité.

Comité Action Palestine




Le soulèvement en Tunisie, de l’alliance de classes à la lutte de classes

Cinquante ans après les guerres de décolonisation, le monde arabe est entré dans une nouvelle ère de révolutions. Du Maroc au Yémen, les pouvoirs politiques sont partout contestés par des grèves incessantes, des mobilisations violentes, des émeutes, des soulèvements populaires. C’est un véritable moment de rupture historique, moment crucial au cours duquel les peuples arabes veulent en finir avec des Etats post-coloniaux inféodés à l’impérialisme, oppressifs et impotents sur tous les plans. Les révolutions éclatent partout parce que les Etats ont institué des rapports sociaux qui font obstacle au développement économique, social et politique des peuples. Bien qu’ayant des spécificités nationales, les différents pays arabes présentent des caractéristiques similaires : en général, l’appareil d’Etat est contrôlé par une oligarchie qui s’en sert pour spolier les richesses et ressources du pays et créer une économie extravertie, complètement dépendante des Etats occidentaux et des multinationales. Du même coup, l’appropriation conjointe des richesses et du surplus économique par les clans au pouvoir et les capitalistes occidentaux se transforme en système générateur d’exclusion pour de larges secteurs de la société. La bourgeoisie locale est bloquée dans ses investissements, dans son accumulation du capital et dans ces conditions une économie nationale ne peut pas émerger. En conséquence, la main d’œuvre salariée ne trouve que très difficilement les possibilités de s’employer, et lorsqu’elle y parvient, c’est l’exploitation forcenée qui lui est réservée. En s’exacerbant, les contradictions entre les rapports socio-politiques institués et les forces vives de la société débouchent fatalement sur des explosions révolutionnaires. C’est cette hypothèse que nous avons voulu démontrer à travers l’étude du soulèvement tunisien.


Le spectre révolutionnaire a refait surface. Sorti des entrailles de la Tunisie, il s’est déployé sur l’ensemble du pays, propageant ses ondes tel un violent séisme, et plongeant dans le cauchemar les cliques dirigeantes arabes, les dictateurs de tout acabit ainsi que les pouvoirs impérialistes. L’effet de surprise fut total pour les ennemis du peuple, intérieurs et extérieurs. Rien ne laissait présager qu’au bout d’un mois de soulèvement populaire la dictature policière implacable de Ben Ali et des Trabelsi allait être renversée.

Il a suffi d’un geste désespéré d’un chômeur, vendeur à la sauvette de légumes dans une ville du Centre-sud de la Tunisie pour que le pays entier entre dans un processus révolutionnaire. La contestation populaire du régime est partie de la ville de Sidi Bouzid et a gagné ensuite l’Ouest de la Tunisie : Kasserine, Thala, Siliana, Gafsa et bien d’autres localités. Au bout de trois semaines c’est Tunis qui entre en lutte ainsi que toutes les autres villes du Nord et de l’Est. Une semaine de mobilisation populaire conjointe sous le slogan « Ben Ali dégage ! » a suffi pour chasser le clan politico-mafieux des Ben Ali-Trabelsi. Une fois le clan démantelé, il s’agissait de s’en prendre au système Ben Ali, à savoir l’emprise du parti RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) sur toutes les institutions et entreprises. C’est encore le Sud et l’Ouest qui engagèrent la première offensive sous le slogan « RCD dégage ! » et le Nord et l’Est ont pris le relais. Le Sud et l’Ouest poussent et le Nord et l’Est convertissent la lutte en victoire politique. La révolution a éclaté à la périphérie du système, dans les régions les plus pauvres, laissées à l’abandon par le pouvoir politique. Lorsque la révolution a gagné les centres de pouvoir, c’est-à-dire les grandes villes du Nord-est, la domination oligarchique des Ben Ali-Trabelsi a été renversée.

Les caractéristiques du système économique imposé par le clan Ben Ali-Trabelsi et les quelques familles appartenant à ce clan par alliance sont simples : enrichissement via la mise en place de sociétés d’import bloquant toute possibilité d’industrialisation du pays, accaparement des entreprises locales prospères par des méthodes diverses d’intimidation, portes ouvertes à l’installation des multinationales. Comme on peut le constater, le clan parasite au pouvoir s’est enrichi sur la dépendance intégrale de l’économie tunisienne par rapport à l’Occident. Le pouvoir politique du clan a reposé essentiellement sur un parti, le RCD, infestant l’ensemble de la bureaucratie étatique, une police très puissante exerçant en toute impunité et le soutien indéfectible de l’Occident, plus précisément de la France. L’Etat tunisien constitue un cas typique de ce que les sociologues appellent « néo-patrimonialisme » ou l’utilisation des leviers du pouvoir pour faire main basse sur les richesses et ressources économiques du pays.

Violence économique et violence politique se sont donc conjuguées pour éradiquer toute forme d’opposition. Au niveau économique, il fallait empêcher la formation d’une bourgeoisie qui aurait pu concurrencer le pouvoir. Au niveau politique, le régime Ben Ali a poursuivi l’œuvre engagée sous le régime Bourguiba. Les partis politiques ont été démantelés, leurs militants emprisonnés, torturés ou sommairement exécutés. La violence policière s’est d’abord abattue sur le parti islamiste Ennahda dont 30000 membres sont jetés en prison dans les années 1990. L’intelligentsia et la plupart des organisations de gauche, effrayées par l’ascension fulgurante du FIS en Algérie, vont approuver la répression. Puis une fois la gauche instrumentalisée contre le parti de Rashed Ghannouchi, ce fut à son tour d’être décapitée.

Voilà donc, en résumé, le contexte dans lequel a éclaté la révolution tunisienne : au niveau structurel, une dictature sans fard appuyée par la France, l’Italie, les Etats-Unis et Israël, une bourgeoisie sans réelle puissance, des classes moyennes en manque de débouchés professionnels, des classes populaires victimes soit du chômage massif soit de l’exploitation forcenée dans les mines, le textile ou les multinationales du tourisme, des partis politiques sans force organisationnelle ni capacité d’action ou totalement inféodés au pouvoir ; et au niveau conjoncturel, les grèves de 2008 des ouvriers miniers de Gafsa (gouvernorat limitrophe de celui de Sidi Bouzid), qui ont duré six mois et qui ont été violemment réprimées (de nombreux morts, des centaines d’arrestations et de cas de torture) ont sans doute brisé le mur de la peur et rendu possible l’explosion révolutionnaire qui a commencé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid.

C’est ce contexte spécifique qui va imprimer les formes particulières de l’intifada populaire en Tunisie. Ce soulèvement apparait en ses origines comme un modèle pur de révolution. En l’absence de forces politiques structurées, le peuple a pris son destin en main, s’est organisé et mobilisé pour défier l’oligarchie au pouvoir. Conscient politiquement, uni autour de revendications politiques claires, les franges déshéritées du sud et de l’ouest et les quartiers populaires des grandes villes ont porté des assauts successifs jusqu’au renversement de Ben Ali. Face au chaos généré par la police fidèle au régime après la chute du dictateur, le peuple s’est organisé en comités de défense pour ramener l’ordre et arrêter les fauteurs de trouble. Il est intervenu dans les administrations, les entreprises et les banques pour destituer les responsables affiliés au RCD. Le peuple, par la mobilisation de rue, continue, encore aujourd’hui, à faire pression pour faire tomber un « gouvernement de transition » autoproclamé dont l’unique but est de mettre un terme à la révolution, de maintenir le système Ben Ali sans Ben Ali.

Ces bureaucrates de l’ancien système œuvrent aujourd’hui pour consolider un pouvoir en alliance avec l’armée et des secteurs de la bourgeoisie locale. Si l’armée jouit d’une image positive parce qu’elle a adopté une attitude de neutralité, en ayant refusé d’ouvrir le feu sur le peuple et accepté de s’interposer entre le peuple et la police, son accession au pouvoir constituerait une usurpation de la révolution et la mise en place d’une nouvelle dictature. En tant que corps organisé issu du système Ben Ali, l’armée ne peut en aucune manière représenter le peuple. Elle défendra ses intérêts catégoriels et les intérêts des impérialistes qui la soutiennent. Pour y parvenir, elle brimera le peuple à l’image de ce qui s’est passé en Algérie : démocratisation politique après le soulèvement de 1988, floraison des partis, élections réellement libres qui ont au donné la victoire FIS puis coup d’Etat militaire en 1991, stratégie délibérée du chaos durant une décennie pour mater le peuple et spolier les richesses du pays.

En ses origines, le mouvement révolutionnaire tunisien est un mouvement interclassiste. Lorsqu’il fallut abattre la dictature mafieuse et policière de Ben Ali, il y eut une unité parfaite du peuple. Les masses populaires menèrent l’assaut et la petite-bourgeoisie ainsi que les secteurs lésés de la bourgeoisie s’y associèrent. Débarrassées des Ben Ali, Trabelsi et consorts, des franges de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie se contenteraient volontiers de ce nouveau pouvoir débarrassé de quelques têtes gênantes mais préservé dans ses fondements et ses institutions. Caractérisés par leur faiblesse, les capitalistes tunisiens s’imaginent aisément dans une alliance politique pour diriger le pays, alliance qui les unirait à l’armée, à d’anciens bureaucrates du RCD et bien sûr l’occident avec la France et les Etats-Unis en tête. Les ouvriers et les paysans, les précaires et les chômeurs voient les choses d’un tout autre œil. Ils perçoivent parfaitement que le deal proposé est une arnaque politique, une nouvelle dictature avec un semblant d’ouverture démocratique, quelques partis légalisés bien contrôlés ainsi que de futures élections surement truquées. Et quid des revendications économiques et sociales ? Oualou, rien! C’est pourquoi, le 22 janvier, une Caravane de la liberté est partie du cœur du pays, des gouvernorats ruraux de Kasserine et Sidi Bouzid pour aller réclamer à Tunis la démission d’un gouvernement provisoire composé des caciques du RCD, prêts à s’acoquiner avec toute nouvelle faction hégémonique pourvu que leur traitement de bureaucrate-parasite-corrompu soit maintenu. A l’appel des régions centre-ouest, les ouvriers de Sfax, les enseignants du primaire et du secondaire se sont soulevés ainsi que les quartiers populaires de Tunis et de toutes les villes. Les manifestants de la Caravane de la liberté ont été durement réprimés et chassés de la Casbah où ils campaient. Mais le 20 février, une manifestation regroupant 40 000 personnes a défilé à Tunis pour de nouveau réclamer le départ du gouvernement provisoire. Et le 25 février ce sont plus de 100 000 personnes qui défilent à nouveau contre le gouvernement honni. Le 27 février, le Premier Ministre Mohamed Ghannouchi, sous la pression populaire, annonce sa démission. Le gouvernement provisoire est tombé mais il semble probable qu’il soit remplacé par un nouveau gouvernement provisoire où la tendance bureaucratique des anciens du RCD soit réduite tandis que la tendance technocratique-bourgeoise formée à l’étranger soit plus forte. Ce combat pour la destitution du gouvernement provisoire constitue véritablement l’indicateur de la transformation du mouvement interclassiste en lutte de classes.

Les damnés de la terre, eux, ne veulent pas d’une pseudo-démocratie dans laquelle les élections à venir n’auraient pour seule fonction que de cautionner le pouvoir d’une bande de nantis. Ils réclament la justice sociale, l’égalité et une liberté politique réelle. Pour eux, « la révolution de jasmin » est une expression creuse. C’est une formule petite-bourgeoise, employée à l’origine par des « cyberdissidents » et relayée par les médias occidentaux pour ranger le soulèvement populaire tunisien dans la catégorie des « pseudo-révolutions » des pays de l’Est. En répétant cette formule comme une invocation, les médias occidentaux espèrent pouvoir dompter les spectres et démons de la violence révolutionnaire.

Le combat révolutionnaire est donc entré dans une deuxième phase. Après l’unité entre toutes les composantes de la société pour faire tomber la dictature de Ben Ali, c’est la guerre des classes qui se profile. Arrêter ou poursuivre la révolution, telle est la question !

Si la mobilisation venait à perdurer, si la lutte devait s’intensifier, le peuple tunisien aurait à trancher parmi les différentes options qui apparaissent déjà en filigrane, qui émergent de manière plus ou moins consciente dans les débats et les décisions prises. Les options retenues seront déterminantes pour la victoire du peuple ou la régression à un régime autoritaire. Le premier questionnement concerne l’organisation rapide d’élections ou la mise en place d’une assemblée constituante. La première option est celle des élites et de la petite-bourgeoisie affairiste qui voient dans les élections l’arrivée d’un personnel légèrement renouvelé dans le cadre des institutions existantes. Ceci permettrait de contenir la poussée populaire et de préserver les intérêts acquis. L’option opposée d’une assemblée populaire, définissant une nouvelle constitution, radicaliserait la révolution et engagerait le pays dans l’anéantissement des institutions existantes et l’édification d’une nouvelle société.

Le second concerne les moyens de défense de la révolution : faut-il oui ou non armer le peuple ? Les élites ne veulent pas en entendre parler car elles-mêmes s’apprêtent à remettre au peuple ses anciennes chaines. Il est évident que la révolution tunisienne est en sursis et qu’elle est gravement menacée par des ennemis tous plus dangereux les uns que les autres. Par les ennemis de l’intérieur d’abord : les tenants de l’ancien système, la police, la bureaucratie et les personnels qui dépendaient de l’État, par la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, par l’armée, par l’opposition légale. Et surtout par les ennemis de l’extérieur : les États arabes effrayés par une propagation de la révolution ; Israël, le grand agent de la contre-révolution mondiale qui ne supporterait pas l’apparition d’un nouvel État ennemi ; et l’Occident qui œuvre sans discontinuer pour un « grand Moyen-Orient » vassalisé. Pendant que les États arabes agissent au plus pressé en essayant de contenir les poussées révolutionnaires qui fusent de partout, les États occidentaux préparent déjà la réaction.

Les Etats-Unis ont dès le départ misé sur l’armée tunisienne pour mettre un terme à la révolution et garantir l’ordre, et c’est une stratégie identique qu’ils ont appliqué quelques jours plus tard en Egypte. Historiquement, ils entretenaient de très bonnes relations avec l’institution militaire tunisienne d’autant plus que cette dernière avait été formée par les militaires US. Pendant le soulèvement, le chef d’état-major Rachid Ammar était en contact permanent avec des officiels américains et il est clair qu’il a reçu des consignes sur la conduite à adopter. Trois axes apparaissent dans la stratégie conjointe de l’état-major tunisien et des dirigeants américains. D’abord, adopter une position de neutralité pour éviter que l’armée n’implose. Ensuite, pousser Ben Ali à la fuite pour éviter que le mouvement de protestation ne se radicalise. Enfin, faire en sorte de préserver le système ancien. C’est pourquoi quelques jours après la chute de Ben Ali, le général Ammar a tenu un discours public adressé aux manifestants dans lequel il a affirmé que l’armée protègerait la révolution mais que la Tunisie devait rester dans le cadre constitutionnel. Pour l’armée (et les Américains) la révolution devait s’arrêter là et si le mouvement de contestation venait à se renforcer, il n’est pas sûr que l’armée reste cette fois-ci dans une position de neutralité.

La France, quant à elle, a opté jusqu’à la dernière minute pour le soutien au clan des Ben Ali-Trabelsi. L’attitude et les déclarations de la diplomatie française ont suscité la risée internationale. Plutôt discrètes pendant plus de trois semaines, les langues se sont déliées au moment où la chute de Ben Ali devenait probable pour laisser entendre une invraisemblable cacophonie. D’un côté on suggérait à l’allié de toujours Ben Ali, par la bouche de Mme Alliot-marie, que l’expertise française en terme de sécurité pouvait servir à maintenir l’ordre en Tunisie. Ces propos ont été tenus le 11 janvier 2011 devant une Assemblée nationale pour le moins acquise et convaincue de la justesse d’une telle offre. De l’autre, et ce dès le 14 janvier, jour de l’escapade de Ben Ali, celui qui avait fidèlement servi les intérêts français pendant plus de deux décennies et qui avait, aux dires de certains analystes fait rempart contre l’islamisme, des voix s’élevèrent pour honnir l’hideux dictateur qui avait martyrisé son peuple pendant 23 ans. La perfide complicité entre le pouvoir français et le clan Ben Ali-Trabelsi venait de s’éteindre. En coulisse, les dirigeants français envisageaient avec Ben Ali au début du soulèvement de perpétrer un attentat et de l’attribuer à Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Ben Ali aurait décliné l’offre selon les dires d’un de ses proches conseillers par peur de voir le tourisme fortement affecté.

Pour l’Occident, il n’y a que deux scenarii de contre-révolution possibles : réussir à placer leurs hommes de main à la tête de l’Etat tunisien et si cette stratégie venait à échouer, créer le chaos par la multiplication des attentats et briser l’élan révolutionnaire du peuple. Faisant partie des techniques modernes de contre-insurrection, la stratégie du chaos a déjà été appliquée avec succès en Irak et la Tunisie n’est pas à l’abri de ce type de stratagèmes impérialistes et sionistes. Les rumeurs sur les destructions de synagogues, l’assassinat d’un prêtre polonais ou les manifestations contre les prostituées à Tunis ne constituent-elles pas des manigances pour délégitimer le mouvement islamiste et tenter de créer la confusion à un moment où la contestation semble reprendre de l’ampleur ? La nomination de l’ambassadeur français Boris Boillon, ex-ambassadeur en Irak, n’est-elle pas un indicateur de la possible mise en œuvre de la stratégie du chaos ?

Pour l’instant donc les occidentaux semblent opter dans l’ensemble pour le premier scenario. Face à la pression populaire, le remaniement ministériel s’imposait. Les anciens du RCD ont été écartés mais l’ex-premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghanouchi, est resté à son poste. Etant donné que les institutions existantes sous l’ère Ben Ali ont été maintenues, il était peu probable que la nouvelle direction politique exprimât les aspirations populaires. Bien au contraire, c’est encore un gouvernement parachuté de très haut et qui exprime les intérêts français et américains. Universitaires ou chefs d’entreprise, les nouveaux ministres ont tous des liens plus ou moins explicites avec la France ou les Etats-Unis. En ce sens, la continuité avec le régime Ben Ali est totale : la Tunisie reste sous la dépendance intégrale des puissances impérialistes politiquement et économiquement. Le premier geste politique de ce gouvernement n’a-t-il pas été de se déplacer à Davos pour rassurer les membres du G 20, les investisseurs étrangers et les marchés financiers internationaux ? Après la désignation du nouveau gouvernement, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a appelé à la reprise du travail légitimant de cette manière le nouveau pouvoir. Il ne fallait sûrement pas s’attendre de la part d’une organisation qui avait fait bon ménage avec le régime Ben Ali qu’elle puisse porter les revendications populaires jusqu’à leur réalisation. La stratégie mesquine de ce syndicat officiel est aujourd’hui parfaitement lisible. Il n’a accompagné la contestation populaire que pour éviter de perdre sa base et toute crédibilité. De cette manière il pouvait aussi rappeler à l’ordre et à la fin du mouvement dès qu’un nouveau pouvoir, débarrassé des stigmates du benalisme, était mis en place. Stratégie efficace pour déposséder un peuple de sa révolution !

Si des éléments de la bourgeoisie locale trouvent leur compte dans un pouvoir politique caractérisé par une alliance avec d’anciens bureaucrates du RCD, l’armée et les Etats occidentaux, il est certain que ce ne peut être le cas de toute la bourgeoisie prise dans son ensemble puisque à nouveau elle devra subir la domination implacable des multinationales. Etant faible, n’ayant pas de base économique assez large, elle doit s’allier à d’autres puissances pour gouverner. Mais en nouant son destin à celui de l’étranger, elle se met directement en danger de mort puisque son marché se trouve happé par les firmes européennes, américaines, etc. De l’autre coté, les classes populaires, en particulier la classe ouvrière, sont elle aussi caractérisées par leur faible consistance étant donné l’aspect très fragmentaire du développement industriel ou l’absence de développement autocentré. En ce sens, les classes populaires ne peuvent pas elles aussi espérer prendre le pouvoir politique de manière autonome. Economiquement et socialement, elles ne sont pas assez puissantes pour gouverner seules. C’est pourquoi, dans les pays du Sud, les révolutions ont des chances d’aboutir lorsque s’échafaudent des alliances politiques entre la bourgeoisie locale dominée, la petite-bourgeoisie et les couches sociales déshéritées pour renverser des pouvoirs corrompus aux ordres de l’impérialisme. C’est le chemin qu’avait emprunté la révolution victorieuse en Iran en 1979. Dans les pays arabes aujourd’hui, le succès du combat révolutionnaire dépend de la formation de ce mouvement interclassiste orienté par le refus de toute forme d’ingérence occidentale, qu’elle soit économique ou politique.

Alliance interclassiste sur le plan interne et surtout solidarité entre les peuples en lutte sur le plan externe : telles sont les conditions sine qua non de la victoire et de la consolidation des acquis révolutionnaires. Un pays arabe aujourd’hui, s’il venait à connaitre une transformation révolutionnaire, ne pourrait pas seul faire face aux attaques et aux manipulations en tout genre des Etats impérialistes et de l’Etat sioniste. C’est pourquoi la révolution ne peut être victorieuse qu’à l’échelle d’un bloc de pays. C’est sans doute ce qu’ont compris intuitivement les peuples arabes en déclenchant ensemble les luttes pour leur émancipation. Les soulèvements actuels posent donc avec une grande acuité la question de l’unité du monde arabe. Cette union du monde arabe ne peut se réaliser que dans l’antagonisme avec Israël qui est l’agent régional de la division des Etats et des peuples. La question de l’union du monde arabe pose donc directement la question la libération de la terre arabe de Palestine. Plus la mobilisation des peuples arabes se radicalisera et plus l’espérance de vie de l’Etat d’ Israël se restreindra.

Comité Action Palestine