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Gaza : la mythomanie médiatique

_68209289_hamasvictoryrally[1]Saluons les prouesses d’une presse française qui, faisant de la calomnie, de la manipulation, de l’hypocrisie et de la dissimulation ses quatre vertus cardinales, incarne à merveille l’un des plus nobles idéaux des médias : fausser la conscience publique .

Concernant les derniers événements en Palestine, radios et journaux français ont atteint leur plus haut degré sur l’échelle du mensonge : la mythomanie

Cela se comprend. Une étape décisive dans une lutte de libération est d’un enjeu trop important pour que la propagande se risque à voir le contrôle de l’opinion lui glisser entre les doigts. Il y va de l’avenir du monde libre et civilisé. Il faut préserver celui-ci envers et contre tous ces Arabes qui se permettent de pratiquer la résistance, de rejeter l’impérialisme américano-sioniste, d’élire démocratiquement le gouvernement qui les représente le mieux, de refuser de reconnaître une entité nommée Israël qui les massacre, les vole et les affame depuis près de soixante ans, de s’insurger contre ses collaborateurs.

Pareille fin appelle, pour notre presse française, de grands moyens. Aussi la déformation médiatique de la réalité sera-t-elle intégrale, et l’inversion des rôles, complète .

Que devient, chez les mythomanes de la presse française, un gouvernement légalement élu et de surcroît plébiscité par un peuple ? Une bande de hors-la-loi, de rapaces et de pillards .

Que devient la lutte politique entre un Fatah embourgeoisé et minoritaire, prêt à se vendre à l’occupant, et les classes populaires favorables au Hamas ? Une lutte fratricide , voire, plus tribal, une guerre clanique .

Ce même choix du Hamas et de la résistance par ces mêmes classes populaires ? Une allégeance au nouveau pouvoir .

La victoire militaire des leaders Hamas de la résistance à Gaza ? Un coup d’Etat .

Le calme retrouvé dans Gaza libérée ? Une occupation qui sent l’univers concentrationnaire et la purge .

Les journaux français diabolisent le Hamas. Mais ils le diabolisent objectivement. Comme ils défendent tout aussi objectivement le parti des Abbas et autres Dahlan dont aucun résistant palestinien ne veut. Car ils pratiquent un manichéisme impartial.

Alors que le Hamas, qui n’a pas encore eu l’heureuse idée de prendre des leçons auprès du Monde ou de Libération , sépare arbitrairement les bons des méchants. Nous en avons pour preuve la proposition qu’il a faite au Fatah, son adversaire malheureux aux dernières élections législatives, de participer à un gouvernement d’union nationale. Offre d’ailleurs déclinée par l’intéressé – à tous les sens du terme. Lequel a depuis œuvré à l’élimination du gouvernement Haniyeh. Mais il y a œuvré en toute loyauté, c’est-à-dire avec l’aide des ennemis du peuple palestinien.

A en croire nos quotidiens préférés, en Palestine le monde tourne à l’envers. Les Palestiniens marchent sur la tête. Ils s’auto-occupent. Ils s’auto-détruisent. Ils s’entre-dévorent. Le monde libre, qui tourne à l’endroit, pleure sur ces malheureux qui s’aliènent dans leur lutte de libération. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient crier, crier en chœur avec les médias français l’absolue légitimité de leur usurpateur sioniste. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient applaudir les collaborateurs, clamer leur solidarité avec ceux qui les trahissent, s’agenouiller devant leurs assassins.

A en croire nos quotidiens préférés, les Palestiniens n’ont pas compris que leur avenir n’est pas en Palestine. Que leur volonté d’autodétermination est un crime de lèse-sionisme qui ne peut que les conduire à leur perte.

Comité Action Palestine

 




Bienvenue en « Palestine »

hamas[1]Article de Robert Fisk paru dans The Independent le 16 juin 2007.

L’auteur montre qu’en Palestine comme ailleurs au Proche-Orient, les régimes occidentaux ne soutiennent pas les gouvernements ou les hommes politiques parce qu’ils sont démocratiquement élus mais parce qu’ils sont acquis à leurs intérêts, très souvent par la corruption.


Ah ! Les Musulmans au Proche-Orient ! Comme ils peuvent être pénibles ! Pour commencer, nous exigeons des Palestiniens qu’ils épousent la démocratie. Mais eux, ensuite, ils élisent le mauvais parti – le Hamas – et après celà celui-ci remporte une mini guerre civile et préside sur la Bande de Gaza. Et nous, les Occidentaux, voulons toujours négocier avec le président discrédité [de l’Autorité Palestinienne], Mahmoud Abbas. La « Palestine » d’aujourd’hui – et laissons ses guillemets à leur place ! – a deux Premiers ministres. Bienvenue au Proche-Orient !

Avec qui pouvons-nous négocier ? A qui nous adressons-nous ? Oui, bien sûr, nous aurions dû parler au Hamas depuis des mois. Mais nous n’aimions pas ce gouvernement démocratiquement élu par les Palestiniens. Ces Palestiniens qui étaient censés voter pour le Fatah et sa direction corrompue. Mais c’est pour le Hamas qu’ils ont voté. Le Hamas qui refuse de reconnaître Israël ou de respecter l’Accord d’Oslo totalement discrédité.

Personne n’a demandé – dans notre camp – quel Israël particulier le Hamas était supposé reconnaître. Israël de 1948 ? Israël des frontières d’après 1697 ? Israël qui construit – et continue de construire – de vastes colonies pour les Juifs et seulement les Juifs sur la terre arabe, avalant encore plus des 22% de la « Palestine » qui restent à négocier ?

Et c’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes censés discuter avec notre loyal policier, M. Abbas, le dirigeant palestinien « modéré ». (C’est ce qu’en disent la BBC, CNN et Fox News). Un homme qui a écrit un livre de 600 pages sur [le processus d’] Oslo sans mentionner une seule fois le mot « occupation ». Un homme qui a toujours parlé du « redéploiement » israélien plutôt que du « retrait ». Un « dirigeant » en qui nous pouvons avoir confiance parce qu’il porte une cravate, se rend à la Maison Blanche et dit toutes les choses qu’il faut dire. Ce n’est pas parce qu’ils voulaient une république islamique que les Palestiniens ont voté pour le Hamas , mais c’est ce qu’on dira après leur sanglante victoire. Ils ont voté pour le Hamas parce qu’ils en avaient marre de la corruption du Fatah , le parti de M. Abbas, et de la nature pourrie de l’ « Autorité Palestinienne ».

Je me souviens avoir été convoqué, il y a des années, chez un officiel de l’Autorité Palestinienne dont les murs venaient juste d’être crevés par l’obus d’un char israélien. Véridique. Mais ce qui me frappa, c’était les robinets plaqués-or dans sa salle de bain. Ce sont ces robinets — ou les choses de cet acabit — qui ont coûté au Fatah son élection. Les Palestiniens voulaient la fin de la corruption — le cancer du monde arabe – et c’est pourquoi ils ont voté pour le Hamas. Et alors, nous, l’Occident si sage et si bon, avons décidé de les sanctionner, de les affamer et de les maltraiter pour avoir voté librement. Peut-être devrions-nous offrir la qualité de membre de l’Union Européenne à la « Palestine » si elle avait la grâce de voter pour les bonnes personnes ?

Au Proche-Orient, c’est partout la même chose .

En Afghanistan , nous soutenons Hamid Karzai, même s’il garde des chefs de guerre et des barons de la drogue dans son gouvernement. (Et, soit dit en passant, nous sommes vraiment désolés pour tous ces civils afghans innocents que nous tuons dans notre « guerre contre la terreur » sur les terres abandonnées de la province du Helmand).

Nous aimons l’Egyptien Hosni Moubarak. Ses tortionnaires n’en ont pas encore fini avec les politiciens des Frères Musulmans, arrêtés récemment à l’extérieur du Caire. Sa présidence a reçu le soutien chaleureux de Mme – oui, Mme – George W. Bush – et dont la succession passera presque certainement à son fils, Gamal.

Nous adorons Muammar Kadhafi, le dictateur fou de la Libye . Ses loups-garous ont assassiné ses opposants à l’étranger. Son complot pour assassiner le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite a précédé la récente visite de Tony Blair à Tripoli. Le colonel Kadhafi, devrait-on se souvenir, a été appelé « homme d’Etat » par Jack Straw pour avoir abandonné ses ambitions nucléaires qui n’existaient pas. Et sa « démocratie » nous est parfaitement acceptable parce qu’il est de notre côté dans la « guerre contre la terreur ».

Oui, nous aimons la monarchie du Roi Abdallah en Jordanie et tous les princes et les émirs du Golfe , en particulier ceux qui reçoivent des pots-de-vin si gros de nos sociétés d’armement que même Scotland Yard doit clore ses investigations sur les ordres de notre Premier ministre — et oui, je peux très bien voir pourquoi il n’aime pas la manière dont The Independent couvre ce qu’il appelle de façon pittoresque le « Moyen-Orient ». Si seulement les Arabes — et les Iraniens — pouvaient soutenir nos rois, nos shahs et nos princes, dont les fils et les filles sont éduqués à Oxford et à Harvard, comme le « Moyen-Orient » serait plus facile à contrôler !

Il s’agit bien de cela – du contrôle – et c’est pourquoi nous tenons bon et que nous retirons nos faveurs à leurs dirigeants. Maintenant que Gaza appartient au Hamas, que vont faire nos propres dirigeants élus ? Tous nos dogmatiques de l’UE, de l’ONU, de Washington et de Moscou doivent-ils désormais parler à ces gens misérables et ingrats (je crains que non, puisqu’ils ne seront pas capables de leur serrer la main) ou devront-ils reconnaître la version cisjordanienne de la Palestine (Abbas, la paire de bras sans danger), tout en ignorant le Hamas élu et militairement victorieux à Gaza ?

C’est facile, bien sûr, d’appeler la malédiction sur chacune de leurs maisons. Mais c’est ce que nous disons de tout le Proche-Orient. Si seulement Bashar al-Assad n’était pas le Président de la Syrie (Dieu seul sait quelle serait l’alternative !) ou si le Président cinglé Mahmoud Ahmadinejad n’était pas aux manettes de l’Iran (même s’il ne sait qu’approximativement ce qu’est un missile nucléaire). Si seulement le Liban était une démocratie bien de chez nous comme nos petits pays de derrière les fagots — la Belgique, par exemple, ou le Luxembourg. Mais non ! Ces satanés Proche-Orientaux votent pour les mauvaises personnes, soutiennent les mauvaises personnes, ne se comportent pas comme nous, les Occidentaux civilisés.

Alors, qu’allons-nous faire ? Soutenir la réoccupation de Gaza, peut-être ? Nous ne critiquerons certainement pas Israël. Et nous continuerons de donner notre affection aux rois et aux princes — et aux présidents disgracieux — du Proche-Orient, jusqu’à ce que toute la région nous pète à la figure. Et, ensuite, nous dirons — comme nous le disons déjà aux Irakiens — qu’ils ne méritent pas notre sacrifice et notre amour.

Comment traitons-nous un coup d’Etat fait par un gouvernement élu ?

Robert Fisk

Traduit de l’anglais par [|JFG/QuestionsCritiques ]

 




Election présidentielle en France : Et la Palestine ?

crif-diner01[1]Tract et analyse du CAP de mai 2007 qui dénonce le positionnement des candidats à propos de la cause palestinienne. Tous ont entretenu un flou qui dissimule en fait leur soutien à l’Etat d’Israël.

Ainsi, pour tous les candidats : il y a des Apartheid plus légitimes que d’autres, des fascismes plus tolérables que d’autres puisqu’ils ne s’élèvent pas contre l’Etat israélien.

Le sacro-saint principe de laïcité ne semble pas, lui non plus, devoir s’appliquer à l’état juif.

Enfin, les élections démocratiques en Palestine ne semblent pas avoir la même valeur qu’ailleurs : certains peuples ont-ils le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres non ?

Il est temps de mettre ces questions en avant : les échéances électorales sont encore nombreuses et les candidats devront un jour ou l’autre répondre de leur soutien à Israël.


 

Saisissant l’occasion de l’élection présidentielle et considérant que le domaine des relations internationales en est un élément capital, le Comité Action Palestine a décidé d’intervenir dans cette campagne pour informer les électeurs au sujet du positionnement des candidats sur la cause du peuple palestinien.

Dans ce domaine, la majorité des candidats entretiennent un flou qui dissimule en fait un soutien objectif à l’Etat d’Israël .

Au-delà des bonnes intentions qui en appellent vaguement au droit international, aucun candidat ne dit ou n’ose dire la vérité sur la nature de cet Etat colonial. Ils se prononcent tous en France pour la défense de la laïcité, mais jamais ne remettent en cause la légitimité religieuse dont se drape l’Etat d’Israël . Ils savent pourtant que la « Déclaration d’Indépendance » de cet Etat fait explicitement référence à la Bible. L’exigence de laïcité est-elle à géométrie variable ?

Quand tous prétendent lutter contre toutes les formes de racisme, ils acceptent voire ils défendent un Etat qui, en son sein même, pratique ouvertement le racisme et la discrimination : l’accès différentiel à la citoyenneté pour les juifs (automatique) et pour les Arabes (conditionnel), la discrimination dans l’accès à l’emploi, dans le bénéfice des droits sociaux, etc. Un détour par l’Histoire montre que l’ONU a voté en 1975 une résolution condamnant le sionisme en tant qu’idéologie raciste et que la conférence de Durban en Afrique du Sud en 2001 a prononcé le même verdict. Cet Apartheid qui dure depuis soixante ans est-il plus légitime qu’un autre ?

Le mur du racisme, comme le nomment les Palestiniens, édifié pour les spolier davantage de leurs terres, ne fait pas partie des sujets d’indignation des postulants à l’élection présidentielle, certains le trouvent même justifié. Ils ne dénoncent pas fermement non plus la colonisation commencée à la fin du 19è siècle, qui s’est accélérée avec la création en 1948 de l’Etat d’Israël et qui continue encore en Cisjordanie, dans la vallée du Jourdain et au Naqab notamment. Pas un mot non plus sur la judaïsation de Jérusalem et d’autres villes palestiniennes. Pourtant certains historiens comme l’israélien Ilan Pappé désignent ce processus comme une forme d’épuration ethnique. Existe-t-il alors des indignations sélectives ?

Quand tous ces candidats n’ont que le mot de démocratie à la bouche, il n’y en a aucun pour qualifier de terrorisme d’Etat le kidnapping de plus de 60 ministres et députés palestiniens. Ils ne sont pas non plus mobilisés pour s’opposer au blocus politique et économique occidental contre le peuple palestinien, puni pour avoir donné la majorité au Hamas lors des dernières élections législatives. Faut-il croire alors que certains peuples ont le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres pas ?

En bref, ils ne condamnent pas clairement et sans appel un Etat sioniste qui, dés le départ, réunit des caractéristiques pourtant propres au fascisme dans ses discours et ses pratiques. Dans ses discours : le sionisme mêle idéologies nationaliste et socialiste pour légitimer sa nature coloniale ; il accrédite l’idée religieuse de « peuple élu » mobilisable pour s’emparer de la « Terre promise », et qui aurait des droits supérieurs.

Dans ses pratiques : la surmilitarisation et le fait que la plupart des dirigeants sont issus des corps d’élite de l’armée ; la conquête permanente, la torture, le terrorisme d’Etat et l’épuration ethnique constituent son mode d’existence. Existe-t-il donc des formes de fascisme plus tolérables que d’autres ?

De plus ils soutiennent des gouvernements israéliens composés à la fois de ministres de gauche et de ministres issus de la droite et de l’extrême droite qui prônent des méthodes directes et radicales : le transfert de populations et à terme la disparition des Palestiniens en tant que peuple.

Que faut-il penser des candidats qui se précipitent au dîner annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (le CRIF) ? Il faut rappeler que cette organisation a pour leitmotiv la défense de l’Etat d’Israël et, qu’à ce titre, elle est la nouvelle Inquisition, créant un amalgame criminel entre antisémitisme et critique du sionisme, et définissant l’axe du bien et celui du mal.
Les citoyens doivent profiter de cette échéance électorale pour se demander quel rôle doit jouer la France au niveau international. Serait-il acceptable qu’un futur président ait d’ores et déjà démontré son soutien complice à un tel Etat ?

Quant à nous, membres du Comité Action Palestine, nous nous battons pour la justice , pour qu’enfin soit reconnu le droit au retour des réfugiés et que le peuple palestinien accède à son autodétermination sur l’ensemble de sa terre.




Diviser et conquérir : la force d’une alliance régionale Sunnite-Chiite mise à mort avec Saddam

shiasunni[1]Article de Kristen Ess publié le 2 janvier 2007 sur Palestinian News Network et traduit par N. Ollat pour le CAP.

L’auteur analyse la mise à mort de Saddam Hussein comme un élément de la stratégie américaine qui consiste à diviser Sunnites et Chiites pour mieux régner.


Pourquoi exécuter le Président iraquien Saddam Hussein, le jour de l’Eid Al Adha, le jour de la fête musulmane du sacrifice, le jour de l’égorgement du mouton pour le partager avec les pauvres, le jour des étrennes pour les parents et les démunis, le jour des cadeaux pour les enfants ? Pourquoi les Etats-Unis ont-ils choisi un gouvernement clientéliste chiite après l’arrestation de Saddam Hussein ?

La technique de la division et de la conquête semble si facilement utilisée au Moyen Orient. Sous occupation US, l’Irak a été disloquée par des luttes entre Sunnites et Chiites. Ce n’est pas que ces luttes n’aient jamais existé auparavant, mais jamais avec la même ampleur. Sous occupation israélienne, la Palestine est en train d’être disloquée par des luttes entre le Fatah et le Hamas. Mais la question de la programmation et de la partition politique en Irak semble avoir plus de lien avec le projet de Nouveau Moyen Orient publié cet été par les USA que ce qui était originellement prévisible.

L’Iran chiite n’a pas rabattu ses intentions face aux USA et la Syrie chiite gagne en pouvoir et en influence. Le Hezbollah chiite au Liban a vaincu l’armée israélienne dans l’esprit des populations locales. Et les Chiites sont les opprimés au sein du gouvernement libanais et de la société, les trouble-fête de la classe moyenne, des puissants sunnites et des encore plus puissants chrétiens. Mais avec la défaite ressentie comme telle d’Israël face au Hezbollah, car c’est bien d’un ressenti qu’il s’agit, peu importe le nombre de Libanais tués par les Israéliens cet été, le Hezbollah a été finalement considéré comme celui qui a vaincu la soit disante armée israélienne invaincue, quel que fût le soutien apporté par les USA. Le mythe de l’invincibilité des forces israéliennes a été brisé.

Et Saddam Hussein était aussi considéré comme celui qui avait combattu les Israéliens dans le passé et qui avait gagné. Pourquoi fallait-il qu’un gouvernement chiite l’exécute le premier jour de l’Eid Al Adha pendant que la presse américaine rapportait que finalement c’était les ennemis chiites qui avaient pratiqué l’exécution ? Maintenant en Palestine, l’Iran fait face à presque autant de condamnations pour cette exécution que les Américains.

Pour diviser et conquérir, il est nécessaire qu’il existe auparavant certains points de divergence. Mais le plus important est de favoriser ceux qui augmentent ces divergences. Et de quoi doivent avoir peur les USA ? D’un Moyen Orient unifié, d’un Iran fort travaillant en étroite collaboration avec la Syrie, les deux pays finançant le mouvement de résistance libanaise Hezbollah et son secrétaire général Hassan Nassrallah, et certains disent le Hamas. Et tout le monde sait ce qui est arrivé au Hamas après qu’il ait été élu démocratiquement. Le parti a été détruit, ainsi qu’une grande partie de la Palestine. L’unité a certainement été détruite en raison du blocus politique et économique conduit par les Etats-Unis. Le Hamas est devenu le nœud du problème, même si les gens ont voté pour eux, en faisant fi de qui était derrière tout cela. Et le Hamas était fortement soutenu par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah…et pourtant ils sont sunnites.

Nassrallah soutenait fortement la Palestine, en particulier la résistance armée à Gaza, résistance que les Israéliens comparent dans la presse à un Hezbollah en herbe. Et avec une population palestinienne sunnite, quoi de mieux que de mettre à mal cette alliance croissante qui prenait la forme d’une aide morale, économique et militaire apportée au Hamas et à d’autres factions de la résistance armée. Le soutien venait du Hezbollah, de la Syrie (où se trouve le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Meshaal) et de l’Iran, que les USA essayent de déstabiliser en l’accusant de développer un armement nucléaire et en le menaçant de sanctions et de guerre. Et en Palestine de nombreuses dénonciations des USA pour l’exécution de Saddam Hussein faisaient aussi référence à l’Iran.

Et pourquoi le jour de l’Eid Al Adha ? Pourquoi les journaux américains font une telle propagande des divisions entre Sunnites et Chiites ? Ce n’est pas seulement pour faire disparaître la culpabilité des USA, car après tout, la chute de Saddam était la raison initiale pour cette guerre en Irak. Mais après toutes ces années pendant lesquelles la presse américaine a exacerbé le « fanatisme »et le « fondamentalisme » des Chiites, ces derniers apparaissent comme ceux ayant l’autorité morale aux USA. Simplement parce que Saddam était sunnite ? J’en doute. Ou peut-être que les médias ne connaissent rien d’autre et fondent leur analyse limitée sur les divisions entre Chiites et Sunnites qui existent actuellement en Irak, mais qui ne sont pas insurmontables, même dans les conditions actuelles. Mais si ces divisions étaient finement exploitées, cela pourrait garantir un Moyen Orient non unifié. Et un Moyen Orient fort, uni ne serait certainement pas conforme à la vision américaine !!!!




De la barbarie coloniale à la politique nazie d’extermination

arton82[1]Communication de Rosa Amelia Plummelle-Uribe présentée le 15 juin 2006 à Berlin dans le cadre du Forum de Dialogue organisé par la section européenne de la Fondation AfricAvenir et publiée le 10/09/06 sur le site Afrikara.

L’auteur de «La Férocité blanche» [Albin Michel, 2001], remet en cause la spécificité de l’holocauste en le replaçant dans une continuité historique « jalonnée sans interruption par la barbarie coloniale« .


Nous sommes réunis ici pour analyser ensemble le lien historique qui, comme un fil conducteur conduit de la barbarie coloniale à la politique nazie d’extermination. Il s’agit d’un effort visant à détecter au moins la plupart des facteurs qui, de manière directe ou indirecte, auraient favorisé le développement politique et l’épanouissement idéologique d’une entreprise de déshumanisation comme la barbarie nazie en Allemagne et au-delà de ses frontières.

Cette contribution est utile à toute démarche qui voudrait mettre fin à toute sorte de discrimination d’où qu’elle vienne ; à commencer par cette discrimination qui consiste à trier parmi les crimes pour ensuite, suivant l’identité des victimes ou parfois l’identité des bourreaux, sélectionner le crime qu’il faut condamner. Cette hiérarchisation des crimes et donc de leur condamnation, demeure un handicap majeur dans la lutte pour la prévention des crimes contre l’humanité dont le crime de génocide.

 

Esclavage et trafic d’esclaves

Des historiens du 20ème siècle, travaillant sur la conquête de l’Amérique, sont parvenus à se mettre plus ou moins d’accord pour estimer le nombre d’habitants du continent américain à la veille de l’invasion. Il a donc été retenu qu’à la veille de 1500, environ 80 millions de personnes habitent dans le continent américain. Ces chiffres furent comparés à ceux obtenus cinquante ans plus tard à partir des recensements espagnols.

Il en ressort que vers 1550, des 80 millions d’Indigènes ne restent que 10 millions. C’est-à-dire, en termes relatifs une destruction de l’ordre de 90% de la population. Une véritable hécatombe car en termes absolus il s’agit d’une diminution de 70 millions d’êtres humains. Et encore, il importe de savoir que ces dernières années, des historiens sud-américains sont parvenus à la conclusion qu’en réalité, à la veille de la conquête il y avait en Amérique plus de 100 millions d’habitants. D’un point de vue européen, ces estimations sont inacceptables, et pour cause ! Si cela était vrai, nous serions devant une diminution de 90 millions d’êtres humains.

Mais, au-delà du nombre d’Indigènes exterminés, le comportement collectivement adopté par les conquérants chrétiens a eu des conséquences qui perdurent. Par exemple, la justification postérieure de ce génocide a conditionné l’évolution culturelle, idéologique et politique de la suprématie blanche à l’égard d’autres peuples non Européens, et finalement à l’intérieur même d’Europe.

La situation d’impunité dont bénéficiaient les conquistadores devait, fatalement, favoriser l’apparition très rapide de pratiques assez inquiétantes. Ainsi, la mauvaise habitude de nourrir les chiens avec des Indigènes et parfois avec des nourrissons arrachés à leur mère et jetés en pâture à des chiens affamés. Ou la tendance à s’amuser en faisant brûler vifs des Indigènes jetés dans des bûcher allumés pour les faire rôtir. Ce désastre fut la première conséquence directe de ce que les manuels d’histoire continuent à appeler ‘la découverte de l’Amérique’.

La solution africaine

Après avoir vidé le continent américain de sa population, les puissances occidentales naissantes ont fait de l’Afrique noire, une pourvoyeuse d’esclaves pour l’Amérique. Cette entreprise a désagrégé l’économie des pays africains et vidé le continent d’une partie de sa population dans ce qui demeure, la déportation d’êtres humains la plus gigantesque que l’histoire de l’humanité ait connue. Ici, il convient de rappeler la situation des pays africains au moment où ils sont abordés par les Européens.

C’est un fait que, même si le mode de production en Afrique n’était pas fondamentalement esclavagiste, les sociétés y connaissaient certaines formes de servitude. Comme nous l’avons dit, au Moyen âge, l’esclavage ainsi que la vente d’êtres humains, était une pratique très généralisée et l’Afrique n’a pas été une exception. Depuis le 7ème siècle, l’Afrique noire, tout comme l’Europe depuis le 8ème siècle, approvisionne en esclaves les pays de l’empire arabo-musulman. Il semblerait qu’à l’époque, la dimension et les modalités du trafic d’esclaves n’auraient pas été incompatibles avec la croissance de l’économie dans les pays concernés par ce commerce d’êtres humains. Il est d’ailleurs couramment admis que c’est sous le règne de l’islam en Espagne que l’Europe a commencé à sortir des ténèbres du Moyen âge. Concernant l’Afrique, on notera qu’au 15ème siècle, malgré la ponction faite par la traite négrière arabo-musulmane, les pays de ce continent jouissaient d’un bon niveau de bien être social.

Le dépeuplement du continent ainsi que la misère et l’indigence de ses habitants malades et affamés, décrits par les voyageurs qui abordèrent l’Afrique noire au 19ème siècle, contrastent avec les pays densément peuplés, l’économie fleurissante, l’agriculture abondante, l’artisanat diversifié, le commerce intense et surtout, avec le niveau de bien être social décrits par les voyageurs, géographes et navigateurs ayant abordé l’Afrique noire entre le 8ème et le 17ème siècle, et dont nous connaissons maintenant les témoignages grâce aux diverses recherches, entre autres celles de Diop Maes.

Entre le 16ème et le 19ème siècle, les guerres et razzias en chaîne, provoquées par les négriers pour se procurer les captifs, ont conduit à la destruction quasiment irréversible de l’économie, du tissu social et de la démographie des peuples africains.

Le cumul des traites, arabe et européenne, au moyen d’armes à feu, le caractère massif, voire industriel, de la traite négrière transatlantique en accroissement constant, a causé en trois siècles, des ravages que le continent n’avait jamais connus jusque là. Ce nouveau désastre fut la deuxième conséquence de la colonisation d’Amérique.

Une entreprise de déshumanisation

Dans le cadre de la domination coloniale sur le continent américain, les survivants indigènes, dépouillés de leurs terres furent refoulés et parqués dans des réserves. Dans le même temps, des millions de femmes, d’enfants et d’hommes Africains arrachés de chez eux et déportés dans l’Amérique, furent systématiquement expulsés hors de l’espèce humaine et réduits à la catégorie de bien meuble ou de sous-homme. L’infériorité raciale des non-Blancs et sa soeur jumelle, la supériorité de la race blanche, furent inscrits dans la loi, consacrées par le christianisme et renforcées dans les faits.

Les puissances coloniales, Espagne, Portugal, France, Angleterre, Hollande, légiféraient pour se doter du cadre juridique à l’intérieur duquel la déshumanisation des Noirs devenait légale. En conséquence, chaque métropole avait un arsenal juridique pour réglementer sa politique génocidaire dans l’univers concentrationnaire d’Amérique. A cet égard, la codification la plus achevée aura été le code noir français. Promulgué en 1685, cette monstruosité juridique est restée en vigueur jusqu’à 1848 lors de la seconde abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Il est significatif que, au moins pendant les 16ème et 17ème siècles, pour autant que nous sachions, il n’y eut pas une seule voix autorisée pour dénoncer et condamner l’expulsion légale des Noirs hors de l’espèce humaine. Même au 18ème siècle qui était pourtant le siècle des Lumières, aucun de ces grands philosophes n’a, formellement, exigé des autorités compétentes la suppression immédiate, réelle, sans atermoiements, des lois qui réglaient ces crimes.

Une idéologie unanimement partagée

On a l’habitude d’ignorer que grâce à la racialisation de l’esclavage dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, la supériorité de la race blanche et l’infériorité des Noirs sont devenues un axiome profondément enraciné dans la culture occidentale. Il faut savoir que cet héritage pernicieux de la domination coloniale européenne, combiné aux effets néfastes de la manie des Lumières de tout ordonner, hiérarchiser, classifier, a stimulé l’émergence d’une culture plus ou moins favorable à l’extermination des groupes considérés inférieurs. Entre le 15ème et le 19ème siècle, toute la production littéraire et scientifique concernant les peuples indigènes d’Amérique, visait à justifier leur extermination passé et à venir. Après trois longs siècles de barbarie coloniale sous contrôle chrétien, un des principes validés par les catholiques espagnols, est la certitude que tuer des Indiens n’est pas un pêché.. Cette conscience fut renforcée par les protestants anglophones, convaincus qu’un bon Indien est un Indien mort. Aussi, toute la littérature concernant la bestialisation des Noir dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, était une véritable propagande en faveur de la traite négrière et de l’esclavage des Noirs présentés comme un progrès de la civilisation.

Lorsque finalement eut lieu le démantèlement de l’univers concentrationnaire d’Amérique, le changement provoqué par les abolitions de l’esclavage eut une portée assez limitée. D’abord parce que l’essentiel des structures et des rapports sociaux et économiques mis en place par la barbarie institutionnalisée, sont restés quasiment inchangés. Et aussi, parce que le triomphe de la pensée scientifique sur la foi religieuse a donné à la race des seigneurs et aux valeurs de la civilisation occidentale, une crédibilité dont la religion ne bénéficiait plus auprès des esprits éclairés. Désormais, la colonisation et les actes de barbarie qui lui sont consubstantiels, par exemple l’extermination de groupes considérés inférieurs, se feront ayant comme support un discours scientifique.

Une culture d’extermination

Il serait utile de réaliser une étude très serrée concernant le rôle des scientifiques occidentaux dans le développement de la culture d’extermination qui a prévalu au 19ème et au début du 20ème siècle dans les pays colonisateurs. Malgré son rapport étroit avec notre analyse, cela n’est pas le sujet central de cette communication. Mais, nous pouvons néanmoins dégager quelques pistes pour ceux qui voudraient reprendre le sujet et se renseigner davantage.

Au milieu du 19ème siècle, les Associations scientifiques les plus prestigieuses semblent avoir été la Geographical Society et l’Anthropological Society à Londres et aussi, la Société de Géologie à Paris. Le 19 janvier 1864, eut lieu une table ronde organisée par l’Anthropological Society sur « l’extinction des races inférieures ». Il y fut question du droit des races supérieures à coloniser les espaces territoriaux considérés vitaux pour leurs intérêts.

Dans le “journal of the Anthropological Society of London, vol. 165, 1864” fut publié un compte rendu des débats de la Conférence. Il s’agissait de savoir si dans tous les cas de colonisation l’extinction des races inférieures serait inévitable, ou si jamais il serait possible qu’elles puissent coexister avec la race supérieure sans être éliminées. A l’époque, l’Angleterre avait déjà commis, outre le génocide des Indigènes en Amérique du Nord, celui des Aborigènes d’Australie dont les Tasmaniens.

En France, Albert Sarraut, tenant discours aux élèves de l’Ecole coloniale affirmait : « il serait puéril d’opposer aux entreprises européennes de colonisation un prétendu droit d’occupation […] qui pérenniserait en des mains incapables la vaine possession de richesses sans emploi. ». De son côté, le sociologue français Georges Vacher de Lapouge, soutenait qu’il n’y avait rien de plus normal que la réduction en esclavage des races inférieures et plaidait pour une seule race supérieure, nivelée par la sélection.

Des scientifiques réticents

On remarquera que la plupart des anthropologues allemands, même convaincus de leur supériorité raciale, ne partagent pas avec leurs collègues britanniques, nordaméricains et français, la conviction que les races inférieures doivent nécessairement disparaître au contact de la civilisation. Le professeur Théodore Waitz par exemple, développe entre 1859-1862 un travail pour contester le bien fondé des théories propagées par ses collègues occidentaux, engagés dans la justification scientifique des exterminations commises par leurs pays.

Par la suite, son élève George Gerland fait en 1868 une étude sur l’extermination des races inférieures. Il dénonce la violence physique exercée par les colonisateurs comme étant le facteur d’extermination le plus tangible. Et affirme qu’il n’existe aucune loi naturelle qui dit que les peuples primitifs doivent disparaître pour que la civilisation avance. Le plaidoyer de ce scientifique allemand pour le droit à la vie des races dites inférieures est un fait rarissime dans cette période de l’histoire.

En 1891 le professeur allemand Friedrich Ratzel publie son livre «Anthropogeographie » et dans le dixième chapitre sous-titré « Le déclin des peuples de cultures inférieures au contact avec la culture », il exprime son hostilité concernant la destruction des peuples indigènes :

« C’est devenu une règle déplorable, que des peuples faiblement avancés meurent au contact avec des peuples hautement cultivés. Cela s’applique à la vaste majorité des Australiens, des Polynésiens, des Asiatiques du Nord, des Américains du Nord et des nombreux peuples d’Afrique du Sud et d’Amérique du Sud. (…) Les Indigènes sont tués, chassés, prolétarisés et l’on détruit leur organisation sociale. La caractéristique principale de la politique des Blancs est l’usage de la violence par les forts sur les faibles. Le but est de s’emparer de leurs terres. Ce phénomène a pris sa forme la plus intense en Amérique du Nord. Des Blancs assoiffés de terres s’entassent entre des peuplements indiens faibles et partiellement désintégrés ».

Ce serait le dernier discours dans lequel le professeur Ratzel exprimerait un point de vue aussi peu favorable à l’extinction des peuples inférieurs.

Une évolution malheureuse

Les anciennes puissances négrières réunies à Berlin en 1884-1885, officialisent le dépècement de l’Afrique. L’Allemagne s’assure le contrôle du Sud-Ouest africain (c’est-à-dire la Namibie), de l’Est africain (correspondant aux territoires actuels de la Tanzanie, du Burundi et du Rwanda) et aussi le contrôle sur le Togo et le Cameroun.

L’entrée de l’Allemagne dans l’entreprise coloniale marque un hiatus sensible entre le discours des scientifiques allemands avant les années 1890 et celui qu’ils auront après les années de 1890 sur le même sujet : l’extermination des races inférieures ou leur asservissement suivant les besoins des conquistadores et le progrès de la civilisation.

En effet, en 1897 le professeur Ratzel publie son ouvrage «Géographie politique» dans lequel, l’auteur prend fait et cause pour l’extermination des races inférieures. Il affirme qu’un peuple en développement qui a besoin de plus de terres doit donc en conquérir « lesquelles, par la mort et le déplacement de leurs habitants, sont transformées en terres inhabitées ».

La domination économique combinée à des méthodes racistes, a donné naissance à la suprématie blanche chrétienne. Son idéologie hégémonique règne sans partage sur la planète et connaît toute sa splendeur entre la seconde moitié du 19ème et la première moitié du 20ème siècle. Même dans les anciens pays colonisés, l’extermination des races inférieures tenait lieu de politique officielle.

Une idéologie triomphante

La plupart des pays d’Amérique sont devenus indépendants au 19ème siècle. Les classes dirigeantes de ces pays, se croient blanches parce qu’elles sont issues des aventuriers européens qui souvent violaient les femmes indigènes. Arrivées au pouvoir suite aux guerres d’indépendance, ces élites se sont toujours identifiées à leur ancêtre blanc. De fait, elles adoptèrent les méthodes d’extermination des Indigènes hérités de la colonisation.

En avril 1834, les autorités d’Argentine, pays indépendant depuis peu, déclenchent la «Campaña del Desierto » (Campagne du Désert), dont le but est l’extermination des survivants Indigènes qui occupent la pampa. Dirigée par Juan Manuel de Rosas, devenu Président d’Argentine à partir de 1835, cette campagne fut coordonnée avec le gouvernement du Chili. Le premier gouvernement constitutionnel d’Uruguay, dirigé par Fructuoso Rivera, s’est aussi joint à la Campagne qui devait transformer ces terres en espaces inhabités.

Malgré la violence extrême de la « Campagne », tous les Indigènes ne sont pas morts, au grand dam du président Rosas pour qui les Indiens se reproduisaient comme des insectes. Pour remédier à cet échec, en 1878, par initiative du Ministre de la Guerre Julio Argentino Roca, le Congrès National argentin vote et approuve la loi « de expansión de las fronteras hasta el Rio Negro » (expansion des frontières). C’est le point de départ de la seconde « Campagne du Désert » qui doit définitivement vider la Pampa de sa population indigène pour faire avancer la civilisation.

Un espace vital avant la lettre

La « Campagne » a lieu au moment où les survivants Indigènes sont traqués partout dans le continent. En Amérique du Nord ils sont massacrés et refoulés afin de libérer un espace devenu vital pour l’installation de familles civilisées, c’est-à-dire blanches.

En Argentine, l’objectif avoué de la « Campagne » était le même : Remplacement de la population locale par une population civilisée pouvant garantir l’incorporation effective de la Pampa et la Patagonie à la nation de l’Etat Argentin. Quelques décennies plus tard, Heinrich Himmler défendrait le même principe de remplacement des populations lorsqu’il affirmait : « Le seul moyen de résoudre le problème social, c’est pour un groupe, de tuer les autres et de s’emparer de leur pays ». Mais, pour le moment, cela se passait en Amérique et au détriment de populations non-Européennes. Le Ministre Roca, qui est à l’origine de la seconde «Campagne du Désert», a même gagné les élections en 1880 et est devenu Président de l’Argentine.

Bien sûr, quelques voix se levèrent pour critiquer la barbarie des atrocités commises pendant la Campagne. Mais, dans l’ensemble, l’infériorité des victimes n’était pas contestée et le gouvernement de Julio Roca appelé le conquistador du Désert, est perçu comme le fondateur de l’Argentine moderne. L’histoire de ce pays a retenu surtout, que c’est sous la Présidence de Roca que le pays a avancé vers la séparation de l’église et l’Etat, le mariage civil, le registre civil des naissances et l’éducation laïque. Une des plus grandes villes de la Patagonie porte le nom de Roca.

Il n’y a pas longtemps, l’historien Félix Luna affirmait sans rire :

« Roca a incarné le progrès, il a intégré l’Argentine dans le monde : je me suis mis à sa place pour comprendre ce qui impliquait d’exterminer quelques centaines d’indiens pour pouvoir gouverner. Il faut considérer le contexte de l’époque où l’on vivait une atmosphère darwiniste qui favorisait la survie du plus fort et la supériorité de la race blanche (…) Avec des erreurs, des abus, avec un coût Roca fit l’Argentine dont nous jouissons aujourd’hui : les parcs, les édifices, le palais des OEuvres Sanitaires, celui des Tribunaux, la Case du Gouvernement ».

Exterminables parce qu’inférieurs

On remarquera que depuis le premier génocide des temps modernes, commis par les chrétiens en Amérique à partir de 1492, la situation des peuples non Européens en général et des Noirs en particulier se trouve rythmée par les exigences de la suprématie blanche. Dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, le Noir expulsé hors de l’espèce humaine en tant que sous-homme ou bien meuble, ne fut jamais réintégré ou réinstallé dans son humanité. Et les survivants indigènes étaient massivement massacrés pour rendre inhabitées leurs terres. En Afrique le peuple congolais, sous l’administration de ce bourreau que fut le Roi Léopold, est soumis à des formes d’asservissement causant la destruction de la moitié de la population qui est passée de vingt millions à 10 millions d’habitants.

Dans ce même continent, l’Allemagne aussi, comme d’autres avant elle, appliquera les bons principes de la colonisation. Entre 1904 et 1906, soit en l’espace de deux ans, les Allemands exterminèrent les trois quarts du peuple Herero. Sans compter les morts des Nama, Baster, Hottentots, etc..

Dans le cadre de la domination coloniale allemande en Namibie, le professeur Eugen Fischer va étudier en 1908, chez les Baster installés à Rehoboth « le problème de la bâtardisation chez l’être humain ». Les recommandations du chercheur sont sans détour. On lit dans son traité à propos des métis : « Qu’on leur garantisse donc le degré précis de protection qui leur est nécessaire en tant que race inférieure à la nôtre, rien de plus, et uniquement tant qu’ils nous sont utiles –autrement, que joue la libre concurrence, c’est-à-dire, selon moi, qu’ils disparaissent. »

Ce travail dans lequel le professeur Fischer considérait avoir démontré scientifiquement l’infériorité des Noirs, fit la gloire de son auteur dont le prestige alla au-delà des frontières du pays. Des années plus tard, lorsqu’en 1933 Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, tout naturellement, le professeur Fischer mettra au service de la politique raciale du nouvel Etat le prestige et l’autorité que lui conférait sa condition de scientifique de renommée mondiale. En fait, ce fut le cas de l’establishment scientifique dans son ensemble.

Le danger d’être classé inférieur

C’est un fait vérifiable, à la fin du 19ème et pendant les premières décennies du 20ème siècle, l’extermination d’êtres inférieurs ou la programmation de leur disparition, était une réalité qui ne soulevait pas de grandes vagues de solidarité à l’égard des victimes. C’est pourquoi les dirigeants nazis s’appliquèrent à convaincre les Allemands que les Juifs, ainsi que les Slaves et autres groupes, étaient différents et en conséquence étaient inférieurs.

C’est dans ce contexte si favorable à l’extermination des inférieurs, que les conseillers scientifiques du plan quadriennal chargé de planifier l’économie de l’Allemagne nazie, poussant la logique de l’anéantissement plus loin que leurs prédécesseurs, et dans une combinaison aussi terrible que sinistre entre les facteurs idéologiques et les motivations utilitaires, ont programmé l’extermination à l’Est, de 30 millions d’êtres humains.

Dans leur essai « Les architectes de l’extermination », Susanne Heim et Götz Aly soulignent que les planificateurs de l’économie, choisis non pas en fonction de leur militance politique mais de leur compétence professionnelle, fondaient leur dossier sur des considérations purement économiques et géopolitiques, sans la moindre référence à l’idéologie raciale. Ils rapportent le procès-verbal d’une réunion pendant laquelle, les conseillers économiques ont expliqué en présence de Goebbels leur plan d’approvisionnement alimentaire.

Ce dernier nota dans son journal le 2 mai 1941 : « La guerre ne peut se poursuivre que si la Russie fournit des vivres à toutes les forces armées allemandes durant la troisième année de la guerre. Des millions de personnes mourront certainement de faim si les vivres qui nous sont nécessaires sont enlevés au pays. » En effet, ce plan devait faire mourir environ 30 millions de Slaves dans un premier temps. Mais cela devait assurer l’approvisionnement des vivres pendant une année et en plus, rendre inhabitées des terres où des familles allemandes seraient installées.

Une tradition sinistre

Ainsi, Hermann Göring, dont le père fut le premier gouverneur allemand en Namibie, pouvait dire en 1941 à son compère le ministre italien des Affaires étrangères, le comte Ciano : « Cette année, 20 à 30 millions de personnes mourront de faim en Russie. Peut-être est-ce pour le mieux, puisque certaines nations doivent être décimées. » Ceux qui, dans une association extrême de l’idéologie raciste et la motivation utilitaire, programmaient l’extermination de 30 millions de Slaves, pouvaient programmer sans état d’âme, l’extermination d’un autre groupe considéré aussi inférieur, en l’occurrence les Juifs.

Ce n’est pas par hasard que le Professeur Wolfang Abel : « Chargé par le haut commandement des forces armées de réaliser des études anthropologiques sur les prisonniers de guerre soviétiques, proposa entre autres options la liquidation du peuple russe ». Le professeur Abel fut l’élève du Professeur Fischer avant de devenir son assistant. Ensemble, ils formèrent les premiers experts scientifiques chargés de sélectionner ceux qui, coupables de ne pas être Aryens devaient être exterminés à Auschwitz ou ailleurs.

Quant aux Soviétiques : « Au 1er février 1942, sur les 3,3 millions de soldats de l’Armée rouge fait prisonniers, 2 millions étaient déjà morts dans les camps allemands et au cours des transports, soit 60%. Si l’on enlève les trois premières semaines de guerre, au cours desquelles les premiers prisonniers purent puiser dans leurs réserves corporelles, ce chiffre correspondait à un taux de mortalité de 10 000 hommes par jour ».

La tragédie des uns et le profit des autres

La très grande majorité des Allemands, heureuse de se trouver du bon côté, accepta le fait accompli, c’est-à-dire l’exclusion des non-Aryens, et en retira tout le bénéfice possible. Il va sans dire qu’à l’époque, la solidarité à l’égard des groupes considérés inférieurs ne faisait pas vraiment recette dans la culture dominante. Plusieurs siècles de matraquage idéologique pour justifier l’écrasement des peuples colonisés et asservis, n’avaient pas certainement favorisé l’humanité de ceux qui en profitaient. Comme le dit si bien Aly :

« Le gouvernement nazi suscita le rêve d’une voiture populaire, introduisit le concept de vacances pratiquement inconnu jusqu’alors, doubla le nombre des jours fériés et se mit à développer le tourisme de masse dont nous sommes aujourd’hui familiers. (…) Ainsi, l’exonération fiscale des primes pour le travail de nuit, les dimanches et les jours fériés accordés après la victoire sur la France, et considérée, jusqu’à sa remise en cause récente comme un acquis social. (…)Hitler a épargné les Aryens moyens aux dépens du minimum vital d’autres catégories.»

L’argent spolié aux Juifs d’Europe et aux pays sous occupation allemande a bien servi au gouvernement nazi pour financer sa politique sociale visant à favoriser le niveau de vie de la population aryenne. On comprend qu’après la guerre, tant d’Allemands pouvaient admettre en privé, avoir vécu la période la plus prospère de leur vie sous le gouvernement nazi y compris pendant la guerre…

Conclusion

La domination coloniale sur d’autres peuples a toujours fourni les conditions indispensables pour la mise en place de systèmes d’asservissement et déshumanisation froidement réglés.

Ce fut le cas dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, où les puissances coloniales ont inventé un système juridique à l’intérieur duquel, la bestialisation des Noirs parce que Noirs, se faisait en toute légalité.

Au 19ème siècle, la colonisation britannique en Australie a renoué avec le génocide commis en Amérique du Nord.

En Afrique, les peuples congolais ont souffert leur Adolf Hitler incarné par le Roi des Belges qui non satisfait de faire mourir la moitié des populations, faisait couper la main à ceux qui chercheraient à fuir les travaux forcés.

En Namibie, l’Allemagne coloniale a commis son premier génocide et, je peux continuer mais je peux aussi m’arrêter.

Il y a assez pour comprendre que l’entreprise nazie de déshumanisation, s’inscrit dans une continuité, jalonnée sans interruption par la barbarie coloniale. A la fin de la guerre, les puissances coloniales, victorieuses, ont décrété que le nazisme était incompréhensible et effroyable parce que derrière ses atrocités il n’y avait aucune rationalité économique. La motivation utilitaire ayant toujours servi à cautionner les entreprises de déshumanisation menées contre d’autres peuples non-Européens, il fallait absolument que l’entreprise nazie de déshumanisation soit dépourvue de toute motivation utilitaire. De là, cette approche réductionniste qui a historiquement isolé le nazisme, et focalisé l’attention sur les atrocités commises par les nazis, en faisant abstraction des facteurs sans lesquels, chacun devrait le savoir, ce désastre effrayant n’aurait jamais atteint la disproportion que nous savons.

Rosa Amelia Plummelle-Uribe

 




Du discours dominant dans la mouvance « pro-palestinienne » et de l’hégémonie sioniste

solidar-pal[1]Texte d’une conférence que fit Gilad Atzmon à Edinbourg, à l’invitation de la Campagne Ecossaise de Solidarité avec la Palestine, en préliminaire à un concert qu’il a donné au profit de cette organisation, le 22 novembre 2006.

Pour G. Atzmon, « c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre », « c’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre ».

Toutes les mouvances du mouvement pro-palestinien devraient considérer cela comme un point de départ et lutter contre la stratégie sioniste qui vise à les diviser et à leur imposer des combats qui ne touchent pas aux intérêts fondamentaux d’Israël.


Regardons les choses en face : au moment même où la résistance palestinienne et la résistance arabe, de manière générale, sont en passe de devenir l’exemple absolu de l’héroïsme suprême et du patriotisme collectif, le mouvement de solidarité avec la Palestine, au Royaume-Uni, mais aussi partout dans le monde, n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une éclatante « success story ». De fait, il serait erroné et injuste d’affirmer que ce serait entièrement la faute des militants qui lui consacrent et leur temps et leur énergie. Soutenir les Palestiniens, en effet, ce n’est pas de la petite bière. Bien que les crimes perpétrés contre les Palestiniens se produisent en plein jour et ne soient nullement des secrets, les priorités que se donne le mouvement de solidarité avec eux sont loin d’être claires.

Quand nous pensons à la société palestinienne, ce qui nous vient habituellement à l’esprit, ce sont des querelles idéologiques et culturelles particulièrement aiguës, mais peu claires à nos yeux, entre le Hamas et l’OLP. Il n’est bien entendu nullement dans mon intention de dénier qu’un tel contentieux existe bel et bien, mais je suis venu ici vous proposer un angle de vue alternatif, susceptible, je l’espère, de nous conduire à une compréhension autre de la notion de militantisme pro-palestinien et de solidarité avec les Palestiniens, tant du point de vue idéologique que du point de vue pratique.

J’affirme que le peuple palestinien est en gros divisé entre trois principaux groupes et que c’est cette précisément cette division qui dicte, de fait, trois narratifs politiques spécifiques, et donc trois discours politiques et trois agendas politiques différents, dont nous devons tenir compte. Ces trois groupes peuvent être ainsi décrits :

1 – Les Palestiniens qui se trouvent vivre à l’intérieur de l’Etat israélien , et qui possèdent la citoyenneté israélienne. Les Israéliens ont un nom, pour les désigner ; ils les appellent les « Arabes israéliens ». Ces Palestiniens sont très gravement discriminés par la loi israélienne, dans tous les aspects de leur existence ; leur lutte vise essentiellement l’obtention de leurs droits civiques et l’égalité civique avec l’ensemble des citoyens israéliens ;

2 – Les Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés . La plupart d’entre eux sont coincés entre des murs de béton et des fils de fer barbelés, dans des bantoustans et des camps de concentration, dans l’ainsi dite « zone contrôlée par l’Autorité palestinienne [AP] ». Pour parler franchement, ces gens vivent sous une occupation militaire israélienne criminelle. Depuis trente ans, ces gens sont terrorisés quotidiennement par des militaires israéliens, aux barrages militaires et durant d’incessantes incursions armées ; ils sont exposés aux raids aériens et aux bombardements de l’artillerie israélienne. Leur société est explosée, leur système éducatif est en train de s’écrouler, leur système sanitaire n’existe pratiquement plus. Ces Palestiniens n’aspirent qu’à une seule chose : connaître – enfin – ne serait-ce qu’une seule journée sans tués ni blessés ;

3 – Les Palestiniens de la Diaspora . Ce sont les Palestiniens victimes d’épuration ethnique au fil des années, qui se voient dénier leur droit à retourner chez eux par le système juridique intrinsèquement raciste d’Israël (Loi du Retour et Loi sur les Absents). Les Israéliens n’ont pas de nom, pour désigner ces Palestiniens-là ; pour eux, tout simplement, ils n’existent pas ! Les Palestiniens de la Diaspora vivent dans le monde entier. D’après les statistiques de l’ONU, sur l’ensemble des réfugiés du monde entier, un tiers sont des Palestiniens. Des millions de réfugiés palestiniens vivent au Moyen-Orient, dans des camps de réfugiés ; les autres vivent dans pratiquement tous les pays du monde, ils sont d’ailleurs nombreux parmi nous, ici, ce soir. Les Palestiniens de la Diaspora connaissent leurs droits, et ils veulent pouvoir retourner chez eux s’ils décident de le faire : ils exigent leur droit au retour.

Confrontés chacun à des réalités très différentes entre elles, ces trois groupes ont fini par se doter de trois discours politiques concurrents : le premier groupe, celui des ainsi dits « Arabes israéliens », lutte pour l’égalité. Les moyens dont ils disposent pour atteindre leurs objectifs sont très largement des moyens politiques. Ils sont en quête d’une expression, au sein d’une société israélienne ontologiquement raciste.

Le deuxième groupe, celui des « habitants de l’AP », se battent face à l’occupation. Ils luttent en vue de leur libération. Leurs moyens sont des moyens politiques, la résistance civile et la lutte armée (de fait, c’est au sein de ce deuxième groupe que se déroule la lutte la plus acharnée pour l’hégémonie, entre l’OLP et le Hamas).

Se trouvant en-dehors d’Israël, et étant dépourvu de soutien international ainsi que d’une représentation politique adéquate, le troisième groupe de Palestiniens continue à être ignoré par la totalité du système politique israélien, et même par les principaux acteurs de la scène internationale. Les Palestiniens exilés sont dans une très large mesure négligés, et leur exigence de droit au retour n’est toujours pas prise en considération comme elle devrait l’être.

Manifestement, le discours palestinien est fragmenté. Il est divisé en au minimum trois discours différents, et parfois opposés entre eux. Reconnaissons leur intelligence perverse, sans oublier leur impitoyable cruauté, aux Israéliens, lesquels déploient des prouesses afin de perpétuer cet état de fragmentation. Ce sont les Israéliens qui réussissent à empêcher le discours politique et culturel palestinien fragmenté de se fédérer et de fusionner en un narratif unique, grandiose et indestructible. Comment font-ils ? Quel est leur secret ? Ils recourent à différentes tactiques, qui, toutes, perpétuent l’isolement et la conflictualité entre les trois groupes distincts de Palestiniens. A l’intérieur de l’Etat d’Israël, les Israéliens entretiennent un système juridique raciste, qui fait des Palestiniens citoyens d’Israël des citoyens de dixième catégorie. Quant aux habitants de l’AP, les Israéliens les maintiennent sous une pression militaire impitoyable et constante. La bande de Gaza est maintenue au bord de la famine, elle est bombardée quotidiennement. Une partie de ce territoire est réduit à l’état de gravats. De plus en plus nombreux, les observateurs considèrent que la situation actuelle dans les territoires « de l’AP » n’est rien d’autre qu’une extermination et un génocide à bas bruit.

Afin d’humilier le troisième groupe de Palestiniens, les Israéliens mettent en œuvre une législation raciste, qui accueille n’importe quel juif à bras ouverts dans le pays, mais rejette tous les autres [c’est la Loi du Retour]. Dans la pratique, c’est un système juridico-politique ontologiquement raciste qui empêche les Palestiniens exilés de revenir chez eux, dans leur pays.

De manière tout à fait paradoxale, plus les Israéliens infligent de souffrances à l’un quelconque de ces trois groupes, plus les Palestiniens s’éloignent de l’écriture d’un grandiose narratif de résistance héroïque. De même, plus les Israéliens sont pervers, plus le mouvement de solidarité avec les Palestiniens tourne le dos à la mise au point d’un programme d’action unifié.

De fait, le militant de la solidarité avec la Palestine est perdu ; il se demande quelle campagne de solidarité choisir ? Qui doit-il soutenir ? Le tronçonnement du discours palestinien en trois narratifs concurrents et conflictuels entre eux rend la solidarité avec les Palestiniens singulièrement complexe. De même, différentes associations de solidarité avec les Palestiniens ont des missions politiques différentes, et embrassent des causes palestiniennes différentes. Certains en appellent à la fin de l’occupation israélienne, d’autres prennent fait et cause pour le droit au retour des exilés palestiniens. Certains défendent l’égalité. La plupart des militants pro-palestiniens sont divisés entre eux. Ceux qui prônent le droit au retour et la formation d’un Etat unique sont totalement insatisfaits de la simple exigence d’une « fin de l’occupation », qu’ils considèrent comme extrêmement limitée et comme une solution où tellement d’eau a été mise dans le vin qu’on ne sent plus du tout le goût du vin. Manifestement, le mouvement de solidarité avec la Palestine est dans l’impasse.

Opter pour une revendication et ignorer les autres, cela revient, en réalité, à capituler devant un discours imposé par les Israéliens, par la violence et par le crime. C’est très précisément grâce à cela que le sionisme réussit à maintenir son hégémonie au sein même du discours de la solidarité avec les Palestiniens. C’est la brutalité israélienne qui impose au discours de la solidarité pro-palestinienne un état de fragmentation idéologique. Quelque décision que puisse bien vouloir prendre un activiste palestinien, on s’arrange pour en faire un a priori permettant d’ostraciser telle ou telle dimension de la cause palestinienne. Bien sûr, c’est très douloureux, de reconnaître que ce sont les Israéliens qui nous ont fait tomber dans ce piège. Notre travail, notre discours et notre terminologie de militants solidaires des Palestiniens sont déterminés de A jusqu’à Z par l’agression israélienne ; nous devons en prendre conscience.

Mais la bataille n’est pas perdue

Il est toutefois possible de contourner cette complexité et de la surmonter. Au lieu de capituler devant la stratégie sioniste consistant à diviser le discours de la solidarité avec les Palestiniens, nous pouvons tout simplement redéfinir ce qui fait le cœur de la tragédie palestinienne, qui est en train de se transformer sous nos yeux en crise mondiale.

Dès lors que nous aurons compris et assimilé que le discours de la solidarité avec les Palestiniens est dominé par les pratiques brutales et malignes d’Israël, nous serons plus ou moins prêts à prendre conscience de la réalité. A savoir que c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre , avant toute chose. C’est l’État juif et ses partisans, dans le monde entier, que nous devons harceler. C’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre. Dès aujourd’hui !

Et pourtant, c’est exactement là où le brave militant pro-palestinien lâche prise. Être capable d’identifier le désastre palestinien avec l’« État réservé aux seuls juifs », c’est un pas que peu de militants sont capables de franchir, actuellement. Reconnaître que l’État juif est le nœud du problème, cela implique qu’il y a sans doute quelque chose d’un peu plus fondamental encore, dans le conflit, que des intérêts coloniaux classiques ou une banale querelle ethnique sur un territoire. Comprendre que c’est l’« État réservé aux seuls juifs » qui est le noyau du problème, c’est reconnaître que la paix n’est pas nécessairement une option possible. La raison est simple : l’« État réservé aux seuls juifs » obéit à une philosophie expansionniste et raciste, qu’il met en œuvre. Cet Etat raciste ne laisse aucune place à qui que ce soit d’autre ; c’est là un simple constat, mais pour l’État raciste d’Israël, c’est même une question de principe.

Pourtant, quand nous finissons par saisir cette réalité, une fois que nous sommes éclairés, et que nous avons pris conscience du fait qu’il y a quelque chose d’un peu plus fondamental qu’une simple bataille entre un envahisseur et un envahi, l’envahisseur étant confronté à une forme ou une autre de lutte de résistance indigène en vue de la liberté, nous sommes sans doute plus ou moins disposés à nous lancer dans une enquête critique sur ce qu’est le sionisme. Nous sommes prêts à examiner la notion moderne de la judéité (plutôt que du judaïsme). Dès lors que nous avons le courage de reconnaître que le sionisme n’est que la continuation de la judéité (plutôt que du judaïsme), dès lors que nous avons compris que le sionisme, qui fut jadis une idéologie juive marginale, est devenu l’expression de la juiverie [organisée] mondiale, une fois que nous savons et admettons tout cela, alors nous sommes sans doute prêts à vaincre le cancer sioniste. Si nous luttons, c’est pour les Palestiniens, mais c’est aussi pour sauvegarder la paix mondiale.

Les tuteurs, maîtres du discours

Essayons d’imaginer une situation dans laquelle une dizaine d’intellectuels dissidents allemands se démèneraient afin de contrôler et de dicter les discours de Churchill au peuple britannique, en plein Blitz. A chaque fois que Churchill laisserait parler son cœur pour appeler les Britanniques à tenir bon face à l’Allemagne et à sa puissance militaire, les dissidents allemands exilés donneraient de la voix : « Ce n’est pas l’Allemagne, Monsieur le Premier Ministre, c’est le parti nazi… Le peuple allemand et l’esprit allemand, eux, sont innocents. » Là, bien entendu, Churchill présenterait immédiatement ses excuses…

J’imagine que vous avez tous conscience qu’une telle scène est totalement surréaliste. L’Angleterre n’aurait jamais permis à une escouade d’Allemands exilés de contrôler son discours en pleine guerre avec l’Allemagne… De plus, des intellectuels allemands dissidents n’auraient pas la Chutzpah [culot cachère, NdT] ne serait-ce que d’imaginer dicter aux Britanniques ce que devrait être ou ne devrait pas être la rhétorique appropriée à utiliser en temps de guerre avec l’Allemagne !

Pourtant, quand c’est du discours de la solidarité avec les Palestiniens dont il est question, nous sommes d’une certaine manière bien plus tolérants. En dépit du fait que c’est bien en réalité contre l’« État réservé aux seuls juifs » que nous nous battons, nous laissons une petite bande de dirigeants et de militants juifs autoproclamés devenir nos tuteurs. Aussitôt que n’importe lequel d’entre nous identifie les symptômes du sionisme avec quelque précepte juif fondamental ou essentiel, une campagne de diffamation et de dénigrement est lancée contre cette personne.

Cela fait maintenant pas mal d’années que je suis de près le discours de la gauche juive . Je dois d’ailleurs reconnaître que je vois au moins une bonne raison au militantisme juif antisioniste. Je comprends bien, en effet, le besoin que ressentent certains juifs humanistes de se lever et de dire : « Je suis juif, et je trouve le sionisme répugnant ». À un certain stade de mon existence, je disais exactement la même chose. Comme le savent certains parmi vous, j’admire totalement les juifs de la Torah, qui ont exactement cette position. Toutefois, quand il s’agit d’associations juives socialistes et de groupes laïcs de gauche, je suis perplexe.

Moshe Machover, dissident israélien entré dans la légende, et juif marxiste qui se trouve être le mentor intellectuel des militants juifs progressistes britanniques, a dit, voici quelques jours, à propos d’une pétition contre laquelle il protestait :

« L’antisémitisme est un problème des Palestiniens, car il ne fait que pousser les juifs dans les bras du sionisme. Cela, tous les progressistes palestiniens l’ont compris depuis fort longtemps. L’antisémitisme est un allié objectif du sionisme ; c’est l’ennemi commun des Palestiniens, des juifs, et de toute l’humanité. »

Certes, l’antisémitisme est sans doute un problème. Cependant, est-ce vraiment un problème des Palestiniens ? La campagne de solidarité avec les Palestiniens doit-elle, de surcroît, s’engager dans la lutte contre l’antisémitisme ? Ne devrions-nous pas plutôt laisser ça à l’Anti-Defamation League [à la LICRA… NdT] et à Abe Foxman ? Je pense que nous ferions mieux de faire tout ce que nous pouvons afin de sauver les habitants de Beit Hanoun. C’est là-bas, qu’on a besoin de nous. Je suis persuadé que l’immense majorité des militants solidaires des Palestiniens savent que j’ai raison.

Tous les militants avec lesquels j’ai conversé ont reconnu qu’il y avait très peu de Palestiniens qui accordent le moindre intérêt à la Campagne de Solidarité avec la Palestine. De fait, la déclaration de Marchover fournit l’explication de ce phénomène réel. D’après Marchover, ceux des Palestiniens qui ne comprendraient pas que l’antisémitisme est le véritable problème seraient tout simplement des réactionnaires, étant donné que seuls les Palestiniens « progressistes » reconnaissent que l’antisémitisme « est » vraiment un problème. Permettez-moi de vous dire que les palestiniens que je connais n’aiment pas vraiment que Marchover ou qui que ce soit d’autre, d’ailleurs, les traite de réactionnaires, au simple motif qu’ils n’en ont rien à cirer, de l’antisémitisme. À lire Machover, il est parfaitement évident que de telles opinions servent de bouclier humain au collectivisme laïc juif et au narratif historique siono-centriste. Pour être franc, il n’y a pas vraiment de raison, pour un Palestinien, de rejoindre le mouvement de solidarité, obnubilé comme l’est actuellement ce mouvement par l’antisémitisme.

Permettez-moi de préciser que je ne suis pas historien. J’ai une formation universitaire en philosophie, et en particulier en philosophie européenne. Je suis particulièrement passionné par la notion d’essence. Pour moi, attaquer efficacement le sionisme, cela passe par une réelle et complète prise de conscience de ce qu’en est l’essence. Dans une certaine mesure, je suis, de fait, essentialiste. Je sais : c’est là quelque chose de plutôt dérangeant pour ceux qui essaient de réduire le discours à un échange positiviste sur des chiffres et des faits historiques. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’essence du sionisme . Ce qui m’importe, c’est ce qui transforme inéluctablement les Israéliens et ceux qui les soutiennent en machines à tuer atteintes de cécité morale.

Au-delà du culot

Vous avez peut-être entendu parler du livre que je tiens à la main. C’est sans doute le pire en matière de pourriture sioniste : il s’agit du bouquin d’Alan Dershowitz : « Plaidoyer pour Israël » [en anglais : « The Case For Israel »]. Je ne sais pas si quelqu’un parmi vous a jamais eu l’idée de lire ce texte d’une platitude infinie, pour ne pas dire totalement idiot. C’est mon cas ; ce bouquin m’est tombé sous la main, il y a quelques jours de cela.

D’une manière très frappante, ce livre est structuré comme un manuel destiné au sioniste fanatique débutant ; c’est une sorte d’ « Israël pour les imbéciles ». Il enseigne au juif nationaliste la manière de devenir un avocat plaidant la « cause d’Israël ». Nous savons que Norman Finkelstein a démontré au-delà de tout doute que ce texte est littéralement une farce, du point de vue universitaire. Mais il y a quelque chose de très révélateur, dans cet ouvrage…

Ce livre est une énumération de déconstructions de « l’argumentation antisioniste ». Il commence par les accusations idéologiques et morales les plus graves formulées contre Israël, puis il devient de plus en plus léger, de plus en plus historique et roman de détective, au fur et à mesure que vous avancez dans sa lecture.

Dershowitz lance le jeu avec la question « à un million de shekels » : « Israël est-il un pays colonialiste, impérialiste ? » Dans une certaine mesure, Dershowitz réussit à donner le change ; il demande : « Si Israël est bien un État colonial, au service de quel drapeau est-il ? » Bon, me dis-je. Il a peut-être raison ?… Personnellement, je ne vois pas dans le sionisme une quelconque aventure coloniale. Mais, attendez une minute, Mister Dershowitz ; manifestement, vous vous en tirez à trop bon compte, là… Notre problème avec Israël n’a rien à voir avec ses caractéristiques coloniales ou non-coloniales… Notre problème avec l’ « État réservé aux seuls juifs » porte sur ses caractéristiques racistes, expansionnistes et nationalistes. Notre problème avec Israël a tout à voir, en revanche, avec le fait qu’il s’agit d’un État fasciste soutenu par l’immense majorité du peuple juif, dans le monde entier !

Maintenant, je vous propose, à vous, les militants d’Ecosse, de prendre une seconde pour réfléchir et vous demander pourquoi Dershowitz commence-t-il son bouquin en s’attaquant (pour le réfuter) à l’aspect colonialiste d’Israël, plutôt que de regarder en face ses caractéristiques fascistes ? Ma réponse est toute simple : nous avons peur de reconnaître qu’Israël est bel et bien un pays fasciste. C’est principalement les associations politiquement correctes qui servent à Dershowitz de feuille de vigne sioniste. De fait, ce sont les guetteurs, à gauche, qui ont réussi à réduire le sionisme à une simple aventure coloniale . Pourquoi l’ont-ils fait ? A cela, je vois deux raisons :

1 – Si Israël, l’ « État réservé aux seuls juifs » doit être condamné en tant qu’aventure raciste, alors « Les Juifs pour la Paix, « Les Juifs contre le sionisme », les « Juifs socialistes », les « Juifs Sans Frontières » [NDR : ce n’est pas une invention de Gilad Atzmon : Jews sans frontières existe réellement !], les « Juifs pour ceci » et les « Juifs contre cela » sont tous à jeter, exactement pour la même raison (leur engagement étant une aventure marquée au coin du racisme) ;

2 – Voir dans le conflit israélo-palestinien une querelle coloniale leur permet de s’assurer qu’il rentrera à merveille dans leur notion de politique des classes laborieuses. Me permettrez-vous de suggérer qu’une vision universaliste, de classe, d’Israël implique que l’État juif n’est autre chose qu’une expérimentation fasciste ?…

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte ce soir pour en appeler à tous nos amis juifs socialistes ou militants dans d’autres mouvements juifs de solidarité.

Je voudrais leur demander de quitter la scène de bon gré, et de rejoindre l’humanité ordinaire. Le mouvement de solidarité avec la Palestine a un besoin vital de changement. Il a besoin d’ouvrir des portes, et non de videurs. Il aspire à un discours ouvert et dynamique. Les Palestiniens, sur le terrain, en ont déjà pris conscience. Ils ont élu démocratiquement une vision alternative de leur avenir. Le temps n’est-il pas venu, pour nous, de soutenir les Palestiniens pour ce qu’ils sont, au lieu d’attendre d’eux qu’ils se conforment à notre [propre] vision du monde ?

Gilad Atzmon

Traduction française originale de M. Charbonnier, révisée par F. Giudice, membres de Tlaxcala (www.tlaxcala.es) réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.




Israël/Etats-Unis : Qui est le maître ?

USISRAEL[1]Cet article a été rédigé et publié par l’association COMAGUER  (Comprendre et Agir contre la Guerre) dans son bulletin n°151, 2006, semaine 36.

Dans le cadre du débat entre ceux qui considèrent Israël comme le bras armé de l’impérialisme américain au Moyen-Orient et ceux qui pensent que les Etats-Unis ne sont que les exécutants de la politique de l’Etat d’Israël, cet article vise à faire avancer la réflexion en apportant une analyse concrète des mécanismes par lesquels le lobby juif états-unien impose une politique extérieure conforme aux intérêts israéliens.

Le lobby juif – puissamment organisé dans des structures d’envergure nationale ou locale et regroupant deux millions d’individus très riches et politiquement hyperactifs – exerce son action dans deux directions principales : le contrôle des élus et le formatage de l’opinion publique.

Le contrôle des élus passe par la pression réalisée directement au niveau du Congrès (et de la commission européenne), par le soutien ou l’absence de soutien matériel aux candidats lors des campagnes électorales ou par le dénigrement médiatique de tout opposant à Israël. L’emprise du lobby juif sur la vie politique est si forte que les élus n’apparaissent plus que comme des agents serviles des intérêts sionistes.

Le conditionnement idéologique de la population est assuré par la mainmise du Lobby sur les deux grands journaux nationaux , le New York Times et le Washington Post, dont le contenu éditorial est repris par les grands réseaux de télévision et de radio ainsi que par la grande majorité des quotidiens locaux. Le formatage des consciences est complété par la surveillance des professeurs des universités et des étudiants et par un enseignement pro-sioniste dans le primaire et le secondaire.

L’étude de l’influence du lobby juif sur la politique extérieure des Etats-Unis aboutit à la conclusion que sionisme et impérialisme sont intrinsèquement liés et qu’il est impossible de les combattre séparément.


SOMMAIRE

I- Le « LOBBY JUIF »
II- Le contrôle des élus
A- Structure du lobby
B- Finances du lobby
III- L’action directe de formatage de l’opinion publique
IV- Le LOBBY commence à être critiqué

[Nous avons légèrement modifié les titres de l’article dans le but d’en faciliter la lecture]


Le récent déchaînement militaire d’Israël contre la Liban et Gaza et le soutien total du gouvernement et du Congrès des Etats-Unis à ces actions ont donné un surcroît d’actualité à un débat déjà ancien sur les rapports entre les deux pays.

Ce débat met face à face deux thèses :

La première qu’on peut qualifier de thèse « impérialiste classique » consiste à dire que l’impérialisme dominant (les USA) disposent avec Israël d’un bras armé régional pour l’exécution de leur politique de domination et de transformation du Proche et du Moyen-Orient à leur profit.
La seconde renverse la perspective et considère que le sionisme est politiquement déterminant et que, au moins au Proche et au Moyen-Orient voire dans l’ensemble du monde musulman, les Etats-Unis sont, malgré quelques hésitations tactiques ou divergences momentanées des exécutants de la politique expansionniste de l’Etat sioniste.

L’opposition entre les tenants de ces deux thèses parait irréductible mis il est de toute première importance de les confronter car, quel que soit le chef d’orchestre, la musique jouée par l’orchestre étasuno-sioniste est une marche funèbre déversée depuis un demi-siècle dans les oreilles des peuples du Moyen-Orient. Mettre un terme à cette sombre période historique exige une claire compréhension du complexe étasuno-sioniste.

A ce titre les travaux récents de plusieurs intellectuels étasuniens méritent d’être présentés car ils sont le signe que la crainte d’être accusé d’antisémitisme qui a longtemps servi d’interdiction de réfléchir et a condamné à être mis immédiatement à l’index s’estompe et qu’un travail raisonné, évitant imprécations et invectives, sur ce phénomène politique de grande ampleur et de grands effets devient progressivement possible.

Nous nous sommes appuyés en particulier sur les récents articles du journaliste étasunien JEFFREY BLANKFORT (JB) qui ont l’avantage de faire une synthèse de nombreuses données existantes mais les écrits de JAMES PETRAS et de MANUEL FREYTAS sur ce sujet méritent aussi l’attention (textes en anglais ou en espagnol disponibles à la demande chez comaguer@nomade.fr )

Pourtant cette dépendance matérielle flagrante ne produit pas de dépendance politique c’est-à-dire que contrairement à toute logique capitaliste apparente, le flux massif et ininterrompu de dollars des Etats-Unis vers Israël n’est jamais assorti de conditions politiques. En langage managérial : la filiale Israël, constamment déficitaire, serait donc tenue à bout de bras par la maison mère qui s’interdirait en même temps de mettre le nez dans ses comptes. Etrange ! En changeant de langage : Israël serait-il la « danseuse » des Etats-Unis entretenue à grands frais par un amant éperdu qui lui passe tous ses caprices ?

Cette relation entre Etats est unique. Pour mieux la comprendre il est indispensable d’analyser comment elle s’est progressivement constituée comme un invariant de la politique des Etats-Unis. Ce à quoi s’est employé JB. Le pilier de cette relation spéciale est le « LOBBY JUIF » aux Etats-Unis.

I- Le « LOBBY JUIF »

Le mot « LOBBY » souvent traduit par « groupe de pression » est désormais d’un usage assez répandu en France mais son usage sans précaution ne contribue pas à la compréhension de la réalité de l’institution.

Car un LOBBY est bien aux Etats-Unis une institution et pas un groupement de fait tirant des ficelles dans les coulisses et exerçant une influence clandestine ou discrète. Ne confondre LOBBY ni avec MAFIA ni avec SOCIETE SECRETE.

La Mafia est un objet différent qui s’est développé historiquement aux Etats-Unis à partir des années 30 avec une Mafia italienne dont AL CAPONE est la figure emblématique mais dont le patron incontesté était LUCKY LUCIANO et une mafia juive très puissante qui firent alliance sous la conduite de MEYER SLANSKY, patron incontesté de la seconde, pour constituer ce qui a reçu le nom de SYNDICAT DU CRIME. Nulle prédestination, nul atavisme là dedans, pas plus juif qu’italien : les couches d’immigrants les plus récentes jouaient des coudes pour faire leur place dans la société étasunienne et tous les moyens étaient bons. La conquête de l’Ouest ne s’est pas faite non plus dans la légalité.

Quant aux sociétés secrètes il n’est que d’évoquer le Ku Klux Klan pour rappeler que cette forme sociale a toute sa place aux Etats-Unis.

Un LOBBY est donc un groupement reconnu officiellement avec des locaux, un organe de direction, un budget, des salariés et qui a, à égalité avec l’individu citoyen électeur, un droit à la liberté d’expression sur tout sujet et en particulier sur toute action du gouvernement et de l’administration, droit d’expression garanti par le premier amendement de la Constitution et reconnu régulièrement par des décisions de la Cour Suprême. Ainsi tout LOBBY peut intervenir ouvertement dans le champ politique et ses capacités d’intervention sont d’autant plus grandes qu’il est plus riche. Il y a eu le LOBBY du chemin de fer puissant au moment de la Conquête de l’Ouest comme il y le LOBBY des détenteurs d’armes à feu.

Dans la construction institutionnelle des Etats-Unis tout a été fait pour que l’Etat soit faible, pour que la vie du personnel politique soit précaire, pour que le pouvoir judiciaire soit fragile à force de renouvellement des juges par la voie électorale et pour que le gouvernement et sa politique soit l’expression des intérêts des LOBBIES qui disposent eux de la stabilité et de la richesse. Ainsi une campagne électorale aux Etats-Unis est avant tout une collecte d’argent auprès des particuliers riches et auprès des LOBBIES en échange d’engagements à défendre leurs intérêts au sein des instances de la République. La démocratie étasunienne est en réalité une PLOUTOCRATIE , gouvernement des riches et non un gouvernement du peuple et un système où la corruption est normale et légale car comment appeler autrement le fait qu’un LOBBY achète et entretienne très officiellement un sénateur, un représentant ou un gouverneur.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser le fonctionnement et la puissance du LOBBY JUIF aux Etats-Unis. Il est même souvent appelé « THE LOBBY » sans précision, c’est-à-dire qu’il est l’archétype du LOBBY, le plus actif, le mieux structuré. D’après les observateurs locaux il ne serait dépassé en puissance que par le LOBBY des retraités mais celui-ci a évidemment moins d’influence sur la politique étrangère des Etats-Unis.

LOBBY JUIF est une qualification inexacte puisque sur les 6 millions de juifs citoyens des Etats-Unis (autant qu’en Israël), 2 millions seulement sont impliqués dans son fonctionnement et qu’il existe même sur le terrain des petits groupes de juifs antisionistes. Une question vient immédiatement à l’esprit : est-il possible qu’un si petit LOBBY puisse exercer une influence déterminante sur la politique d’un pays de 300 millions d’habitants, première puissance économique de la planète ?

JB répond à cette question. Cette petite minorité est politiquement hyperactive dans un pays où le trait dominant est une passivité politique de masse, passivité encouragée par la classe dirigeante – qui est capable d’une extrême férocité et tue sans scrupules quand une révolte apparaît – et favorisée par un système médiatique particulièrement abêtissant. Cette hyperactivité a un résultat très tangible. Au Congrès des Etats-Unis (Sénat et Chambre des Représentants) tout texte accordant des faveurs militaires, financières à l’Etat d’Israël recueille, cela se vérifie en longue période, l’assentiment de 99 sénateurs (sur 100) et au minimum de 400 représentants (sur 435). JB n’hésite pas à dire que LE LOBBY a dressé les élus de la Nation comme des « animaux de cirque ». Ce contrôle est tel que la Présidence ne peut même pas proposer une mesure que LE LOBBY considérerait comme néfaste pour Israël mais au contraire que ses propositions favorables à Israël sont souvent améliorées par le Congrès.

Sur le montant du soutien financier et pour donner simplement un ordre de grandeur simple notons que depuis 1985 ce ne sont pas moins de 100 milliards de dollars d’aides publiques qui sont passés des caisses des Etats-Unis vers celles d’Israël. Cette aide ne s’interrompt jamais, ne diminue jamais même lorsque le budget des Etats-Unis est gravement déficitaire, ce qui est le cas aujourd’hui. LE LOBBY est en fait un véritable système.

II – Le contrôle des élus

A – Structure du lobby

1- AIPAC

Au centre du système l’AIPAC : AMERICAN ISREAL PUBLIC AFFAIRS COMMITTEE, qui intervient directement dans le Congrès à Washington et auprès des membres du Congrès. L’AIPAC a son siège à Washington et des bureaux dans de nombreux autres Etats de l’Union. Elle occupe 165 personnes. Etant enregistrée comme « LOBBY NATIONAL » elle n’est pas considérée comme un organisme de soutien à un pays étranger. Si elle l’était, et les LOBBIES non nationaux ont le droit d’exister, elle serait tenue beaucoup plus à l’écart du Congrès. En tant que LOBBY NATIONAL elle a le droit de participer aux travaux des commissions parlementaires, d’élaborer des propositions de résolutions ou de lois à soumettre ensuite au vote du Congrès, de nommer des membres dans les cabinets des élus. Ainsi tel sénateur ou tel représentant peut avoir très officiellement un salarié de l’AIPAC au nombre de ses collaborateurs directs les plus proches. Celui-ci lui distillera régulièrement le rapport bihebdomadaire sur le Proche-Orient établi par l’AIPAC à destination des parlementaires. Ce salarié s’occupera également en période électorale de réunir les soutiens nécessaires à la réélection de son « élu », soutien évidemment conditionné par la stricte orthodoxie prosioniste de l’élu en question.

L’omniprésence de l’AIPAC à l’intérieur du Congrès permet à tout moment de mobiliser sénateurs et représentants et l’AIPAC est capable d’obtenir la signature quasi instantanée de 70 sénateurs sur 100 pour faire pression sur le Président au cas où celui-ci aurait l’intention de prendre une position ou de proposer des mesures qui ne serviraient pas strictement les intérêts d’Israël. La Maison Blanche le sait et le cas se présente rarement. Le plus connu, relaté par JB remonte à la Présidence de Gérald FORD. En 1976, le Président (Républicain) s’apprêtait à appeler publiquement au respect par Israël des frontières de 1967. Une lettre des sénateurs l’en dissuada et son discours ne fut jamais prononcé !

Le LOBBY n’a pas manqué d’intervenir au moment de la récente guerre du Liban .

Dés le début de l’attaque israélienne, La Chambre des représentants a voté par 410 voix contre 8 une résolution qui « condamne les ennemis de l’Etat juif »

Aussitôt – le 20 Juillet – l’AIPAC, qui a organisé l’opération et probablement rédigé le projet de résolution, clame « l’écrasant soutien du peuple américain à la guerre d’Israël contre le terrorisme et la compréhension du fait que nous devons nous tenir aux côtés de notre allié le plus proche en ce temps de crise. »

Le « peuple » n’a pas eu le temps de dire grand-chose mais l’AIPAC n’hésite pas à le faire parler !

L’AIPAC s’appuie sur la CONFERENCE DES PRESIDENTS DES PRINCIPALES ORGANISATIONS JUIVES AMERICAINES qui fédère 52 organisations ou groupements partageant toutes deux objectifs principaux :

1- promouvoir l’Etat d’ISRAEL
2- stigmatiser les opposants à ISRAEL et à sa politique et les intimider

Les deux membres les plus importants de cette CONFERENCE sont l’ANTI DEFAMATION LIGUE (ligue anti-diffamation) ADL, et l’AMERICAN JEWISH CONGRESS (Comité juif américain) AJC.

2 – ADL

Créée en 1949 celle ligue est à l’origine une association de lutte contre l’antisémitisme, émanation de la B’NAI B’RITH qui existe toujours. Aujourd’hui elle s’est transformée en défenseur vigilant du sionisme, surveille ceux qui critiquent Israël et lance des campagnes médiatiques pour les « démolir » dans l’opinion publique.

JB relate un cas de surveillance de l’opinion publique par l’ADL. En 1992 la police de San Francisco fait une perquisition dans les locaux du bureau local de l’ADL. Elle y trouve un fichier de 600 groupes et 12000 personnes opposés à des degrés divers à la politique d’Israël. L’ADL s’intéresse particulièrement aux associations et militants contre l’apartheid sud-africain à une époque où Israël et l’Afrique du Sud avaient des liens très étroits et où l’apartheid sud-africain constituait un modèle qui a inspiré largement l’apartheid anti-palestinien. Cette activité illégale de fichage de la population fit l’objet d’une plainte mais ne fut pas sanctionnée par la justice. Une promesse de l’ADL de « ne pas recommencer » suffit à arrêter les poursuites et la justice ne se donna pas les moyens de vérifier si elle avait été tenue. Pour effacer la mauvaise impression qu’aurait pu produire son activité illégale sur la police locale, l’ADL offrit aux policiers des séjours en Israël. Ils y firent connaissance avec les méthodes de lutte antiterroriste en vigueur dans ce pays qui leur furent ainsi données en modèle.

3 – AJC

Organisation créée en 1906 par des juifs venus d’Allemagne qui voulaient défendre les droits de leur communauté en expansion aux Etats-Unis. Antisioniste à l’origine elle se convertit au sionisme après 1945. Evolution sans surprise : à l’origine il s’agissait de soutenir les immigrés juifs s’installant aux Etats-Unis, une fois l’Etat d’Israël créé et les juifs bien installés aux Etats-Unis la priorité devint la défense du nouvel Etat. L’AJC s’occupe particulièrement des « affaires étrangères » du LOBBY et a dans ce cadre ouvert un bureau à Bruxelles en 2004 histoire de faire pression sur l’Union européenne, trop sensible, selon cette organisation, aux problèmes des Palestiniens. L’AJC rencontre chaque semaine un commissaire ou un chef d’Etat de l’UE , en particulier celui occupant la Présidence tournante.

4 – Comités locaux et laboratoires de pensée

A ces grosses structures nationales s’ajoutent 117 comités locaux qui poursuivent sur le terrain les mêmes objectifs généraux que ceux des structures nationales. Le militantisme prosioniste de terrain est nourri par le travail idéologique réalisé par une certain nombre de laboratoires de pensée (« think tanks ») parmi lesquels se détachent :

– WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY (Institut de Washington pour la politique proche-orientale)
– AMERICAN ENTERPRISE INSTITUTE
– FONDATION POUR LA DEFENSE DE LA DEMOCRATIE (créée par Bush après le 11 Septembre)

5 – Le soutien chrétien

Toutes ces organisation sont actives là où vivent les 2 millions de juifs qui en sont membres, c’est çà dire dans les grandes villes et surtout sur les côtes Est et Ouest. Pour autant le « pays profond » où les juifs sont très peu nombreux n’est pas insensible à leur influence et à leur discours car les positions du LOBBY sont de plus en plus relayées par la droite chrétienne protestante, évangélistes en tête, qui s’est organisée dans le CUFI : CHRISTIANS UNITED FOR ISREAL (www.cufi.org)

Cette convergence entre sionistes et chrétiens fondamentalistes ne doit pas surprendre. Ces chrétiens sont pénétrés de l’idée que l’arrivée et l’installation de leurs ancêtres sur la terre d’Amérique a été un don de Dieu au nom duquel le pays s’est agrandi et construit et que la vocation à la grandeur des Etats-Unis : la fameuse « destinée manifeste » est une vocation divine. Ils ne peuvent que soutenir les sionistes en train d’établir au nom de Yahvé et des annonces de l’Ancien Testament un nouvel Etat. Cette fraternité de destin les conduit à considérer les palestiniens d’aujourd’hui comme leurs ancêtres ont considéré les Apaches et les Cheyennes : des obstacles à l’expansion territoriale et à la volonté divine

Le CUFI tient un grand meeting annuel à San Antonio et favorise les rencontres des chrétiens avec des représentants de l’Etat d’Israël qui viennent explique l’état d’avancement de la prédiction biblique
Ce pathos idéologique peut faire sourire mais il a une conséquence pratique très concrète : grâce à ce relais chrétien, l’influence sioniste s’exerce sur la totalité du territoire des Etats-Unis.

6 – Les « Political Action Committee » (PAC)

Les PAC sont des organismes locaux qui font sur le terrain le même travail que les LOBBIES à Washington : campagnes d’opinion, pressions sur les élus, soutien électoral …. Les PAC pro israéliens sont au nombre d’une quarantaine mais se cachent sous des identités diverses et anodines, évitant ainsi d’apparaître comme des organes de soutien à un pays étranger. Exemple : le « Comité des californiens du Nord pour le bon gouvernement » est en fait un comité de soutien à Israël.

Les PAC pro-israéliens jouent un rôle clé au moment des élections. Très actifs, bien coordonnés au niveau national, ils sont capables au moment des inscriptions pour les primaires d’organiser le déplacement des votes entre républicains et démocrates pour barrer la route à tout candidat qui ne leur conviendrait pas et d’apporter en plus un soutien financier important à son adversaire.

La dernière victime du LOBBY est la représentante démocrate sortante de l’Etat de Virginie CYNTHIA MAC KINNEY qui, battue aux primaires de son parti par un inconnu soutenu par l’AIPAC, ne pourra pas retrouver son siège à l’assemblée en Novembre 2006. CYNTHIA MAC KINNEY est connue pour ses critiques de la politique israélienne et d’une façon plus large de la politique intérieure et extérieure de l’équipe BUSH.
Ce cas exemplaire et tout récent est venu à point pour rappeler la puissance du LOBBY et la quasi impossibilité d’être réélu si le candidat ne prend qu’une position « équilibrée » c’est-à-dire non entièrement prosioniste dans le conflit palestinien. La campagne de l’AIPAC contre l’élection de CYNTHIA MAC KINNEY a fait l’objet d’un documentaire « American Blackout » campagne qui lui avait déjà coûté son siège en 2002, siège qu’elle avait réussi à récupérer en 2004.

B – Finances du lobby

La fonctionnement du LOBBY et de toutes ses composantes est favorisé par un système de financement très puissant qui est partie intégrante de la législation fiscale des Etats-Unis [1], mais qui s’explique aussi par la position sociale élevée de ses 2 millions de membres actifs et par leur concentration dans les milieux financiers et médiatiques.

Une enquête réalisée en 2000 par le magazine MOTHER JONES sur les principaux donateurs individuels pour la campagne électorale (présidentielle et législatives) fait apparaître que sur les 10 plus gros donateurs, 7 sont juifs, sur les 20 plus gros 12 le sont et sur les 250 plus gros, 125 le sont.

Mais l’argent ne vient pas que des citoyens riches ou très riches. Les syndicats US ont des économies et ont investi 5 milliards de dollars dans les bons du trésor israélien.

III- L’action directe de formatage de l’opinion publique

Le contrôle des élus est d’autant plus facile et incontesté que parallèlement LE LOBBY poursuit une action de formatage de l’opinion publique à travers les grands journaux nationaux : NEW YORK TIMES, WASHINGTON POST en particulier. Leur influence est considérable alors que le nombre de leurs lecteurs est faible mais l’organisation du système médiatique est telle qu’un éditorial de l’un de ces deux quotidiens va être cité abondamment dans les grands réseaux de télévision et de radio, aux Etats-Unis comme ailleurs, et que le mécanisme de la « SYNDICATION » assure la reproduction massive de cet éditorial sur tout le territoire et dans le monde entier. La « SYNDICATION » est un système de mise en commun de la matière éditoriale qui permet à un obscur quotidien du Missouri ou de l’Arkansas de consacrer son travail de journalisme à l’actualité locale et de simplement reproduire sur les questions de politique générale ou internationale les éditoriaux qu’il achète aux « grands » journaux. Cet achat de matériau déjà tout prêt est souvent complété par l’achat de dossiers supposés permettre à tout journaliste jeté le matin sur un sujet un peu complexe de pouvoir avoir l’air savant deux heures plus tard et asséner avec tranquillité des certitudes pré-mâchées qui ne seront pas de son cru.

La « SYNDICATION » est un système mondial et les grands quotidiens français y adhèrent.

De plus, pour empêcher toute déviation, existent deux groupes de surveillance des médias CAMERA WATCH et HONEST REPORTING qui sont chargés de susciter des réactions nombreuses et indignées de téléspectateurs à tel ou tel programme ou émission n’ayant pas strictement repris le point de vue sioniste.

Récemment s’est développée une action plus ciblée en direction des universités soupçonnée d’abriter de trop nombreux pro-palestiniens tant chez les étudiants que chez les professeurs. Il a donc été créé un ISRAEL CAMPUS WATCH (ICW), organe de surveillance des universités. Cet organisme établit la liste des professeurs et des activistes pro-palestiniens, la tient constamment à jour et la distribue aux médias pour qu’ils ne les invitent pas. Ce travail est effectué sur place par des étudiants membres de l’ICW qui assure leur formation au moyen des productions des « think tanks » cités plus haut.

Dans le droit fil de cette activité a été déposé récemment au Sénat un projet de loi visant au contrôle des départements d’études moyen-orientales, de leurs étudiants, enseignants et chercheurs, soupçonnés a priori « d’intelligence avec l’ennemi »

Les enseignements primaire et secondaires ne sont pas oubliés non plus. Le JOURNAL d’ANNE FRANK et les livres d’ELIE WIESEL sont étudiés presque partout. De la même façon l’Holocauste des juifs occupe beaucoup plus de place dans les programmes d’histoire que l’élimination des Indiens d’Amérique du Nord comme du Sud.

IV – Le LOBBY commence à être critiqué

Ce fonctionnement du LOBBY tel qu’il vient d’être décrit est connu des militants mais il a fallu attendre l’année 2005 pour que deux universitaires étasuniens publient un rapport dans lequel ils soulignent sa puissance et qu’il concluent par un appel à ne pas définir la politique des Etats-Unis en fonction des seuls intérêts d’Israël. Les Etats-Unis devraient selon eux défendre d’abord leurs propres intérêts et pas ceux d’un autre Etat et ils estiment que la soutien permanent et total à Israël commence à avoir des conséquences négatives pour les Etats-Unis eux-mêmes qui, pour cette raison, sont de plus en plus haïs dans le monde. Rien de révolutionnaire donc mais un appel aux dirigeants des Etats-Unis pour qu’ils ne soient plus à la remorque de la politique d’un autre Etat.

L’un de ces deux universitaires, JOHN J. MEARSHEIMER est enseignant à Chicago, l’autre STEPHEN M. WALT à Harvard. Leur rapport, une cinquantaine de pages, annexes comprises – dont COMAGUER peut adresser à la demande la version française – a été boycotté par les éditeurs, passé sous silence même par un intellectuel critique comme CHOMSKY et n’a pas été publié aux Etats-Unis mais dans une respectable revue britannique la LONDON REVEW OF BOOKS au printemps 2005.

Ce problème de bon sens a bien été évoqué dans le passé dans certains cercles du pouvoir US mais sans suite concrète.

JB cite ROGER HILSMAN, chargé du renseignement dans l’administration KENNEDY qui a pu écrire :

« Il est évident même pour l’observateur le moins attentif que la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen Orient a été plus la réponse aux pressions de la communauté juive US et à son désir naturel de soutien à ISRAEL qu’aux intérêts pétroliers US ; »

Il est bien connu que KENNEDY ne voyait pas non plus d’un bon œil la bombe atomique israélienne, en préparation à l’époque grâce aux contributions françaises d’abord puis britannique, mais il n’eut ni le pouvoir ni le temps d’empêcher sa fabrication. Ainsi STEPHEN GREEN auteur du livre « Les relations secrètes des USA avec l’ISRAEL militant » a-t-il pu écrire :

« Depuis 1953, ISRAEL et les amis d’ISRAEL aux USA ont fixé les grandes lignes de la politique US dans la région. Aux présidents de la mettre en œuvre avec des degrés divers d’enthousiasme et de gérer les problèmes tactiques. »

Observation qui fut confirmée par le grand intellectuel palestinien EDWARD SAID. Il écrit dans « Le dernier tabou américain » (2001) :

« Qu’est-ce qui explique le présent état des choses ? La réponse tient dans le pouvoir des organisations sionistes sur la politique américaine, dont le rôle dans le processus de paix n’a jamais été suffisamment pris en compte , négligence absolument étonnante vu que la politique de l’OLP a été de remettre le destin de notre peuple entre les mains des USA, sans avoir aucune conscience stratégique du fait que la politique US est dominée par une petite minorité dont les positions sur le Moyen-Orient sont d’une certaine façon plus extrêmes que celles du Likoud lui-même. »

Mais EDWARD SAID, bien qu’installé aux Etats-Unis, ne pouvait pas troubler l’establishment étasunien comme l’ont fait MEARSHEIMER et WALT, purs produits de l’élite nationale.

Ceux-ci se plaignent encore maintenant que, sous la pression du LOBBY, le débat sur leur rapport n’ait pas pu avoir lieu sereinement mais qu’ils aient surtout été la cible d’attaques personnelles et de la classique accusation d’antisémitisme. La récente agression du Liban par Israël les a conduits à confirmer leur analyse : pour eux, le soutien inconditionnel à Israël est néfaste aux intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient et une attaque de la Syrie et/ou de l’Iran ne ferait que dégrader encore la position internationale des Etats-Unis.

Pour conclure, provisoirement

Cette présentation faite, la question initiale de savoir qui, dans ce couple très lié, influence l’autre, prend une autre profondeur.

L’influence du LOBBY est considérable mais elle l’est car il a su et n’a rien fait d’autre qu’utiliser à son avantage et avec une remarquable efficacité tous les mécanismes officiels du système politique étasunien et du rôle déterminant qu’y joue l’argent.

Le LOBBY sioniste aux Etats-Unis n’est pas un acteur de l’ombre, un comploteur, un manipulateur, il est un cas d’hyperintégration et d’hyperadaptation au dispositif capitaliste impérial dont le centre est à Washington. Nulle illusion à entretenir : l’imbrication d’ISRAEL et des ETAT-UNIS a atteint un tel degré que seul un blocage mondial de leur politique impériale commune peut rendre possible un arrêt du programme conquérant et dévastateur qu’ils portent en commun, tous partis politiques dominants confondus [2] : démocrates et républicains d’un côté, travaillistes, Likoud et Kadima de l’autre.

Ce blocage mondial suppose : un regain d’activisme politique aux Etats-Unis d’abord et dans tous les pays impérialistes – même secondaires comme la France, une meilleure coordination de « l’autre monde » celui qui, à travers le Venezuela, Cuba, la Chine, l’Iran, la Russie – que Richard LUGAR, Président de la commission des affaires étrangères du Sénat US vient de demander de classer dans l’axe du mal – et quelques autres tente de s’émanciper de la dictature capitaliste et militaire des Etats-Unis dont Israël constitue un concentré.

Le sionisme, fabrication et élément constitutif de l’impérialisme, en est indissociable. On ne combat pas l’un sans combattre l’autre.

Notes

[1] Les contributions déductibles peuvent atteindre 50% du revenu individuel et 10% du revenu imposable des entreprises. Pas étonnant que plus de 2 millions d’associations à but non lucratif soient en permanence en chasse de cette manne d’autant plus que les finances publiques à tous les niveaux sont de plus en plus avares – application rigoureuse et systématique des politiques néolibérales depuis 25 ans – en subventions pour la culture, le sport, la science, la littérature …

[2] Ce qui conduit à penser que l’émergence du débat public sur le LOBBY aux Etats-Unis, bien que lente et difficile, n’est rien de plus que la préparation de la campagne présidentielle démocrate de 2008, destinée à faire croire à un rééquilibrage de la politique internationale des Etats-Unis mais qui se conclura comme en 2004 par un affrontement entre deux candidats qui seront dépendants l’un et l’autre, même si c’est par des par des canaux divers, de l’influence du LOBBY. Ne pas oublier que parmi les candidats à la candidature démocrate pour 2004, les deux seuls : HOWARD DEAN et DENIS KUCINIH qui avaient manifesté quelque sympathie pour la cause palestinienne ont été recalés.

 

 




Modernité et holocaustes du XXème siècle. La construction d’empires et l’assassinat de masse

genocide[1]Article de James Petras publié dans Rebelion le 5 juin 2006.

terre et des chômeurs au Brésil et en Argentine.impérialisme au 21ème siècle » (2002).  Le but de cet article est de montrer que les holocaustes du 20ème et du 21ème siècles sont le produit des conquêtes impérialistes .  holocauste juif, en le resituant parmi tous les autres holocaustes, arménien, chinois, coréen, indochinois, guatémaltèque, irakien et en lui déniant toute singularité qui le placerait au-dessus des autres. [ …]

Dans un deuxième temps, J. Petras s’attaque aux explications psycho-culturelles mettant en avant l’irrationalité et la haine des masses dans l’apparition des holocaustes. Au contraire, les masses ne sont jamais à l’initiative des assassinats de masse et lorsqu’elles y prennent part, elles sont manipulées.

En dernier lieu, l’auteur nous donne sa propre interprétation du phénomène à savoir que l’holocauste moderne a partie liée avec l’impérialisme pour des raisons économiques et politiques : créer une cohésion interne pour entreprendre des conquêtes, détourner les masses populaires de la lutte des classes dans un contexte d’expansion très coûteuse, s’accaparer les terres et les richesses des populations conquises, écraser les populations indigènes beaucoup plus résistantes à l’impérialisme après la phase de décolonisation.

                                                                                                                                          Photo : Abdellah Derkaoi (Maroc). 

Dessin issu du concours de caricatures organisé à Téhéran après la publication des caricatures antimusulmanes au Danemark.


SOMMAIRE

Introduction
1. Critique de la « singularité » de l’Holocauste juif
2. Critique des explications psycho-culturelles
3. Explications alternatives du phénomène holocaustique
4. Holocauste, cohésion et impérialisme
5. Pourquoi l’impérialisme débouche sur des holocaustes
6. Les holocaustes comme objet d’étude de la modernisation et de la construction impérialiste
7. Des héritages troubles
Conclusion


 Introduction

Les holocaustes comportent l’extermination, sur une grande échelle, d’un grand nombre de civils non combattants durant une longue période, sponsorisée systématiquement par l’État. Il s’agit d’exterminations basées sur l’identité de classe, ethnique, raciale ou religieuse des victimes. La violence est le précédent de tous les holocaustes du XXème et du XXIème siècles, une violence exercée par l’État ou la société civile contre les populations victimes.

Avant les holocaustes, certains secteurs importants de la société étatique et civile expriment généralement leur opposition à la violence contre ces victimes. Cependant, une fois que les auteurs des holocaustes parviennent à s’emparer du pouvoir d’État, ils sont capables de neutraliser, de faire taire, de réprimer et de s’attirer ceux dont ils étaient auparavant les opposants.

Plusieurs théoriciens ont tenté d’expliquer l’holocauste (ou les holocaustes) en se centrant exclusivement sur un cas particulier, l’extermination de vastes secteurs des communautés juives par l’Allemagne nazie en Europe centrale, occidentale et orientale.

D’un point de vue méthodologique, si l’on se centre sur le cas particulier des juifs en Europe, on n’obtient pas un modèle fonctionnel, puisque cela ne permet pas d’expliquer les holocaustes antérieurs, contemporains ou postérieurs perpétrés contre d’autres victimes en Europe, en Amérique ou en Asie.

 Ce sont surtout, mais pas exclusivement, les universitaires juifs qui parlent de la « singularité » des victimes juives des nazis. Ce faisant, ils se moquent des données historiques et justifient des compensations monétaires considérables [2 ] et l’exercice de l’expansion coloniale en Palestine et en d’autres lieux du Moyen-Orient. Et ils le font en appliquant les mêmes techniques que les oppresseurs nazis : culpabilisation collective, législation basée sur la race, torture massive légalisée et nettoyage ethnique.

 1. Critique de la « singularité » de l’Holocauste juif

 Les holocaustes modernes n’ont certes pas commencé aux XXème et XIXème siècle avec les pratiques génocidaires anglaises, nord-américaines et belges qui ont eu lieu en Inde et à l’ouest des États-Unis, ni au moment où le Congo a fait état de ses racines prémodernes [3 ]. Et il est vrai qu’il y a de grandes différences entre les divers holocaustes du XXème et du XXIème siècles, mais ils ont en commun une force conductrice sous-jacente : la construction impérialiste , ou la riposte face à ceux qui défient l’empire.

Les déclarations de « singularité » de l’holocauste judéo-nazi (HJN) se basent sur quelques arguments fragiles qui peuvent être démontés de façon rapide et simple.

 Ceux qui ne parlent que du HJN basent leurs arguments sur la quantité de victimes : 6 millions de juifs [4 ]. C’est exactement dans le même temps que les nazis et leurs alliés ont exterminé 20 millions de civils soviétiques, en majorité russes [5 ]. De la même façon, les Japonais ont exterminé 10 millions de Chinois, disparus entre 1937 et 1942 [6 ]. Pendant l’occupation et le bombardement massif des USA en Indochine et en Corée, [8 ] ce sont respectivement 3 à 4 millions de civils qui ont péri. Il n’y a donc pas lieu d’argumenter que l’Holocauste juif est supérieur quant au nombre de victimes et donc « singulier ».

La seconde justification de la singularité du HJN est le rôle de l’État dans le processus d’extermination systématique de victimes juives. Comme dans le cas précédent, cet argument manque de validation historique. Durant la période de décadence de l’empire ottoman, le gouvernement des Jeunes Turcs a entrepris une politique d’extermination massive qui a déclenché le génocide du peuple arménien entre 1915 et 1917, qui a fait plus d’un million et demi de victimes [9 ].

 De la même façon, sous prétexte de politique de ”contre-insurrection”, usaméricaine pendant les bombardements massifs (Vietnam, Laos et Cambodge) plus de 4 millions de civils ont été exterminés. Les politiques de la terre brûlée commanditées par USA en Amérique centrale dans la décennie de 1980, provoquèrent l’assassinat systématique de plus de 200 000 Indiens mayas, et la destruction de plus de 250 communautés rurales [10 ].

 Il en est de même pour l’embargo américain contre l’Irak entre 1991 et 2003, qui avait été planifié scientifiquement, tout comme l’invasion et l’occupation (de mars 2003 à aujourd’hui) ont fait plus de 500 000 morts d’enfants entre 1991 et 2000, et plus de 200 000 morts civils depuis l’invasion [11 ].

D’autres défenseurs de la singularité du HJN invoquent l’idéologie raciale et exterminationniste , en oubliant la base profondément raciale des politiques génocidaires du Japon contre la Chine, les régimes fantoches d’Amérique centrale et leurs campagnes aussi racistes que virulentes contre les Mayas, pour ne citer que quelques exemples parlants.

 Certains historiens juifs comme Goldhagen s’approprient les méthodes historiographiques nazies pour affirmer la thèse de la « singularité » sur la base de la culpabilité de l’ensemble du peuple allemand et de son histoire [12 ]. Cette propagande, brandie par un professeur de Harvard, omet le fait que les nazis n’avaient obtenu que 37,3 % des votes en juillet 1932, et perdirent presque un tiers de leur électorat en novembre de la même année, juste avant de prendre effectivement le pouvoir [13 ]. Goldhagen passe sous silence le fait qu’un tiers des Allemands (surtout les ouvriers) votèrent pour les candidats socialistes-communistes, qui s’opposaient fermement aux nazis et soutenaient les droits des juifs [14 ].

En termes historiques, l’argument est encore plus fragile. Avant les années 1920, les mouvements qui se montraient ouvertement antisémites, les meneurs de l’opinion et les politiques, étaient exclus de la vie politique allemande. En outre, il est évident que l’argument ignore le « niveau culturel élevé » des Allemands, basé sur la tolérance, que partageaient de nombreux juifs et qui donna lieu dans une grande mesure à ce dont nous avons hérité de l’Allemagne en matière de musique, de philosophie, de sciences et de lettres.

Enfin, la notion de faute collective de toute la société civile refuse de reconnaître que la première rafle politique, et la plus large, affecta des dizaines de milliers d’Allemands, en majorité communistes, syndicalistes et militants antifascistes, tous sujets à l’extermination dans les premiers camps de concentration, y compris Buchenwald et Baden-Baden.

L’argument postérieur aux faits se base sur le manque de résistance franche de la part des Allemands une fois que le régime terroriste eut consolidé son pouvoir. Cet argument n’a que peu de rapport avec l’ « acquiescence » allemande en faveur de l’antisémitisme, et se rapproche plus de l’efficacité de la répression d’État.

Mais, même dans le cas où presque 50% de la société civile allemande aurait consenti au génocide d’État et y aurait même contribué, cela ne serait pas un cas isolé. De fait, l’extermination d’un nombre de Slaves trois fois plus grand fut soutenu dans la même proportion (les “scientifiques” nazis chargés de l’hygiène raciale considéraient que les Slaves étaient semblables aux bêtes, des infrahumains destinés à travailler jusqu’à la mort).

 Des secteurs importants tant de la société civile turque que de la société kurde ont pris part à l’assassinat et au pillage des Arméniens. Dans le cas des USA, la plus grande partie de la société a réélu le président Reagan après qu’il eut déclaré publiquement son soutien au dictateur guatémaltèque Rios Montt, qui avait exterminé le peuple maya. Une majorité écrasante de la société “civile” israélienne finance et sert la colonisation militaire et la dépossession de 4 millions de Palestiniens dans l’holocauste palestino-israélien [15 ]. La société civile japonaise dans son ensemble a soutenu le massacre de Nankin et ses séquelles.

Il est impossible d’argumenter que le seul lien entre les nazis et la société civile ait été l’extermination des juifs, surtout si nous tenons compte du point de vue qui se cache derrière les yeux volontairement aveugles d’une historiographie prédisposée.

C’est si évident qu’on se trouve obligé de faire une incursion dans la « sociologie de la connaissance » en ce qui concerne la singularité de l’holocauste juif : en quoi elle est un outil pour l’augmentation actuelle du pouvoir israélien, aux niveaux politiques et économiques. L’usage et l’abus de l’histoire, concrètement dans le cas de la singularité du NJH, débouche sur une accumulation de facteurs permettant l’holocauste palestinien.

La manipulation de la question des victimes de l’holocauste a contribué de façon disproportionnée à l’influence que les groupes de pression pro-israéliens exercent pour assurer que les USA comme l’Europe financent le nettoyage ethnique du peuple palestinien .

Les explications ethno-raciales des holocaustes, y compris celle qui se base sur la « faute collective », peut être remplacée rapidement par celle de « châtiment collectif » des familles, des communautés et des villages, sans le moindre rapport avec l’allégation d’offenses à des victimes uniques devenues pouvoir régional. Un exemple de ceci peut être trouvé dans la mentalité de nombreux experts du terrorisme, israéliens et juifs, qui se vantent de tout savoir sur la « mentalité arabe ».

 2. Critique des explications psycho-culturelles

Ces explications de l’holocauste basées sur le « comportement massif irrationnel » ou d’une façon plus générale, sur la « psychologie de masse » passent sous silence le point central de la manipulation des élites, ancrées dans l’État, dans l’économie et dans la société civile. Dans aucun des holocaustes du XXème et du XXIème siècles, les masses ne se sont trouvées en situation de démarrer, d’organiser ni de diriger les holocaustes.

Cependant, il est vrai que ce sont quelques secteurs des classes inférieures qui ont mis en oeuvre les politiques en question, et tiré profit directement des camps de concentration. En premier lieu, les holocaustes sont des activités d’État qui profitent de toute attitude contradictoire de la population (le préjugé contre le groupe qui en est l’objet) et qui l’instrumentalisent pour créer une cohésion avec l’élite expansionniste, ou avec des politiques impérialistes.

Les classes dirigeantes qui ont soutenu les holocaustes sponsorisés par l’État ne l’ont pas fait par haine de classe ou en raison d’une haine ethnique irrationnelle, mais simplement parce que l’holocauste est une façon de légitimer l’idée de maîtrise inconditionnelle de l’État, de même que c’est la base de l’exploitation économique sur les marchés intérieur et extérieur. De fait, les facteurs psychologiques et culturels des holocaustes reposent sur les grands intérêts économiques et géopolitiques impérialistes de l’État. Il n’y a aucun attribut culturel ou psychologique « singulier » bien ancré dans les sociétés qui fomentent l’holocauste. Il y a beaucoup de cultures parallèles en concurrence, et une multitude de psychologies différentes. Sous l’impératif de l’expansion de l’État impérial, qui jouit du soutien des institutions religieuses, des partis politiques et des moyens de communication influencés par l’État, ce sont surtout (mais pas seulement) les masses manipulées qui ont un rôle actif dans le processus d’assassinat massif.

Défendre les explications culturelles et psychologiques des holocaustes est un procédé utilisé pour détourner la population de l’examen du rôle de la politique impérialiste et de l’État. Se centrer exclusivement sur l’idéologie, c’est une façon de négliger le cadre social dont se nourrissent, sont financées et soutenues les fonctions de l’idéologie génocidaire. Rejeter les bases politiques et économiques fondamentales, les impératifs de la conquête impérialiste et la nécessité de cohésion interne, de même que les holocaustes en gestation, empêche de réaliser les processus en jeu.

D’un autre côté, les structures impérialistes permanentes favorisent la récurrence des holocaustes , comme on a pu le constater durant les quatre principaux holocaustes des XXème et XXIème siècles, dans lesquels entrait en jeu l’impérialisme usaméricain : l’exécution de 4 millions de Coréens (1950-1953), de 4 millions d’Indochinois (1960-1975), de 300 000 Mayas au Guatemala (1980-1983), et des centaines de milliers d’Iraquiens (1991-2002 et de 2003 à ce jour).

Dans leur combat pour la conquête impériale, les élites holocaustiques suscitent des collaborateurs dans certaines classes sociales, qui en bénéficient directement. Les grands propriétaires et les paysans turcs et kurdes se sont emparés de la propriété arménienne. Les professeurs allemands ont pris possession des chaires et des laboratoires de leurs collègues juifs. Les élites des entreprises japonaises se sont emparées des compagnies minières de Mandchourie.

Les militaires usaméricains ont pillé les antiquités inestimables et les richesses de l’Asie. Le pillage et le dépouillement de victimes à grande échelle produisent des rapports verticaux entre l’élite de l’Empire et les secteurs moins représentatifs de celui-ci, créant de la sorte, momentanément, une réalité qui permet au peuple de s’investir dans le génocide collectif.

Ceux qui s’occupent de recruter des collaborateurs parmi les victimes sont les organisateurs d’holocaustes. Les Allemands constituèrent la « police juive » (les kapos) » et les « conseils » adéquats pour préparer l’HJN, et les soldats ukrainiens et russes blancs préparèrent le terrain pour l’holocauste russe. Le Japon constitua des régimes fantoches tout en en mettant fin à l’existence de dizaines de millions de Chinois. Pour leurs chefs usaméricains, les régimes fantoches de Sygman Rhee en Corée et de Diem au Vietnam servaient de façade politique tandis que leurs pays étaient dévastés par les bombardiers B52 avec des millions de tonnes d’explosifs, de napalm et de poisons comme l’Agent orange, qui mirent fin à l’existence de millions de personnes.

Dans certains cas, les holocaustes sont des opérations conjointes des élites et des classes supérieures qui se sentent menacées par les victimes. Ainsi par exemple au Guatemala, les spécialistes en assassinats massifs des USA et d’Israel se sont joints aux élites guatémaltèques (les descendants d’Européens blancs) et ont entrepris des massacres qui ont anéanti la population indienne; ils ont pris leurs terres, se les sont partagées, et tour cela fait partie du processus d’holocauste.

En fait, les holocaustes sont structurés, en des strates multiples, et requièrent un grand nombre de collaborateurs et de bénéficiaires dans les couches inférieures. Plutôt que des évènements qui englobent toute la société, il s’agit de processus verticaux , dans lesquels l’État a un rôle dominant pour assurer la cohésion interne nécessaire pour l’expansion externe.

 3. Explications alternatives du phénomène holocaustique

Expliquer les holocaustes à partir des notions de “faute collective culturelle” ou en termes de phénomène psychosocial est au bout du compte creux, ou au mieux, partiel, dérivé. La plus grande carence de ces explications est le manque de compréhension de la dynamique structurelle de l’impérialisme.

Une relation intime et profonde avec l’impérialisme, voilà le trait commun à tous les holocaustes du XXème et du XXIème siècle, qu’il s’agisse d’une conquête externe ou de « cohésion interne » orientée vers la construction impérialiste. Même si tous les holocaustes ne sont pas fomentés par l’impérialisme (certains sont le résultat d’accumulations de capital « interne », telle la collectivisation forcée de Staline entre 1929 et 1934) depuis le XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui tous les impérialismes ont débouché sur des holocaustes.

 4. Holocauste, cohésion et impérialisme

Le HJN est un exemple frappant d’élite dirigeante qui prend pour victime une minorité afin de créer une cohésion de classe, en détournant les masses des conflits internes entre travail et capital et des coûts réels ou potentiels des politiques impérialistes.

Au lieu d’approfondir la critique de l’exploitation capitaliste, l’élite dirigeante orientait le mécontentement des travailleurs et des classes moyennes vers les banquiers et les capitalistes juifs. Cette propagande était particulièrement efficace dans des branches comme la médicine ou les petits commerçants, où la concurrence était forte entre juifs et non-juifs, pour les postes et pour les profits du marché.

Le passage de l’exclusion intensifiée et de la discrimination ethnique à la pratique du génocide a coïncidé avec l’expansion militaire, économique et politique massive, et avec la conquête qui a eu lieu à la fin des années 1930 et au début des années 1940. A mesure que les coûts de la construction impérialiste augmentaient, la nécessité de distraire la population avec des assassinats massifs augmentait d’autant. De façon parallèle au HJN, la conquête impériale de grandes zones d’Europe occidentale et de la Russie produisait un holocauste encore plus vaste, l’assassinat de 30 millions de Slaves et la mise en esclavage de bien d’autres millions qui furent intégrés à la machine de guerre impérialiste-capitaliste.

 L’holocauste a accompagné les conquêtes impériales japonaises et le régime colonial de la Chine depuis la fin des années 1930 jusqu’en 1945. L’assassinat systématique de millions de paysans, de boutiquiers, d’ouvriers et de professeurs chinois (c’est-à-dire de toutes les classes sauf les élites collaboratrices) fut une forme extrême de dépouillement colonial de leur propriété et de leur vie, qui a servi de moteur à la construction impérialiste, et de subvention à la loyauté des masses japonaises dans le pays même [16 ].

Les holocaustes ont eu lieu comme résultat des défis révolutionnaires massifs adressés à des dirigeants impopulaires de régimes fantoches, qui minaient les prétentions à l’invincible domination impériale. L’intervention militaire des USA et l’occupation de la Corée et de l’Indochine en soutien aux régimes en échec ont débouché sur l’assassinat de 8 millions de victimes civiles et à la destruction totale de grands secteurs de l’économie, au moyen du bombardement massif génocidaire et de la guerre chimique, qui firent des zones industrialisées des champs de ruines, comme pour les terres cultivées, et installèrent des troubles génétiques à long terme chez les générations suivantes. Pourtant, malgré la taille et l’ambition des camps de concentration, on ne put vaincre les armées populaires de libération nationale.

 La cohésion interne s’accompagna de purges politiques parmi les dissidents usaméricains dans la société civile et les emplois publics, surtout pendant l’holocauste US-coréen. Mais les coûts humains élevés, en matière de perte de soldats impériaux usaméricains, et les dépenses effrénées (l’holocauste a également un coût élevé) forcèrent les dirigeants impérialistes à signer un armistice [17 ].

Plus les mouvements de libération nationale sont forts, efficaces et populaires, plus ils menacent les régimes fantoches, plus il est probable que les pouvoirs impérialistes qui les combattent recourront systématiquement aux assassinats massifs et à la guerre totale. Plus les législateurs élaborent des visions stratégiques intégrées, dans lesquelles ils considèrent l’empire comme dépendant de la sécurité de chaque dirigeant fantoche dans chaque nation, plus il est probable que s’appliquera la stratégie de la guerre totale, qui efface les frontières entre civils et combattants, économies de subsistance et industries de guerre [18 ].

Les empires se construisent autour de réseaux qui vont des chaînes de ravitaillement, de matières premières et d’exploitation dans le travail, aux percées militaires et aux dirigeants fantoches. Ils comptent sur le soutien des armées impériales et de leurs défenseurs nationaux, comme l’indique le complexe de supériorité de la « nation dominante » sur ses sujets coloniaux. Les holocaustes impériaux sont la conséquence des menaces qui pèsent sur les « réseaux globaux », mais ne sont pas nécessairement liés aux profits économiques immédiats attendus d’un projet bien circonscrit. C’est pourquoi les holocaustes ne peuvent pas s’expliquer simplement en termes de coûts et profits , de pertes et de gains économiques. Par exemple, tous les pouvoirs impériaux entreprennent ce qu’ils décrivent comme des assassinats massifs exemplaires de civils, pour provoquer la reddition, la soumission, la dépossession et l’obéissance face au régime impérial.

L’attaque militaire massive perpétrée par les USA en Irak fut qualifiée très justement de « commotion écrasante ». En Russie les nazis élaboraient des politiques de la terre brûlée. Le dirigeant clientéliste Rios Montt, sous la protection des USA, a rayé de la carte des centaines de villages mayas. Les assassinats exemplaires de Palestiniens ont fait que des millions de personnes ont fui des terres qui ont ensuite été occupées et exploitées [19 ].

Quand les pouvoirs impériaux s’engagent dans l’horreur de l’holocauste, ils justifient leurs crimes au nom d’une « cause sacrée » qui repose sur « la mission historique la plus haute ». On peut supposer que, à défaut d’une telle cause, le dégoût qu’inspirent leurs actes pourrait susciter le doute, dans les armées impériales elles-mêmes. Le HJN a été compris comme une façon de libérer le peuple allemand des tentacules de la « conspiration juive » ; et l’holocauste russe, assorti de conquête, était vu comme le moyen de « créer un espace vital pour l’esprit libre des Allemands ». L’holocauste usaméricain en Asie a été présenté comme la « libération du joug totalitaire ». l’holocauste palestino-israélien continue à être décrit en termes de « retour du peuple juif à sa terre promise ». Tous les holocaustes impériaux sont décrits et justifiés au nom d’une fausse « libération nationale » dans laquelle les dirigeants impériaux assument le guidage d’un « peuple élu », soit par Dieu, soit par l’histoire, soit par la génétique.

La désintégration des empires provoque des holocaustes ; Ce sont des instruments de « reconstruction nationale » destinés à amener « un sang neuf » à en finir avec les dirigeants en décadence et les minorités « privilégiées ».

Le génocide turco-arménien (1915-1917) perpétré par les Jeunes Turcs est un exemple de « revitalisation nationale » d’un empire en décadence, menée à bien au moyen de l’holocauste contre des « séparatistes » supposés. De même, on peut dire que le HJN fut en partie le résultat de la défaite et du démembrement de l’empire allemand, et de la tentative des nazis d’en reporter la faute sur les trahisons (“juives”) internes. En résumé, l’impérialisme se base sur le consensus interne et la cohésion sociale pour mobiliser une nation entière pour les guerres de conquête, particulièrement là où les failles en termes de classe sont les plus graves. Une guerre ou un holocauste contre les minorités ethniques internes sert à détourner le mécontentement de classe envers les guerres ethniques et impérialistes.

Les holocaustes reposent toujours sur une idéologie de “régénération morale” et l’extermination massive sert à intensifier l’idée de “peuple moral” qui punit le peuple “dégénéré” ou inférieur. Les mythes reposant sur des affirmations exclusives qui se basent sur des « religions populaires » ou des « impératifs historiques » sont instrumentalisés pour servir à la construction d’un empire moderne.

 5. Pourquoi l’impérialisme débouche sur des holocaustes

 Par nature, l’impérialisme comporte le dépouillement et la rafle des ressources, de la main-d’œuvre et du territoire, outre la domination politique et économique [20 ]. La construction de l’empire exige les assassinats en masse et la « diplomatie » garantissant l’acquiescement de l’élite puis de l’opinion internationale. Les holocaustes internes peuvent se comprendre comme une sorte d’ « accumulation primitive de capital » qui permet de confisquer les ressources d’une minorité, et ensuite le transfert de celles-ci vers les élites qui dirigent les conquêtes impériales. S’agissant des holocaustes impériaux transnationaux, le vol de biens, de territoires, le pillage des ressources agricoles, minières et industrielles conduit à l’appauvrissement général, tandis que les réfugiés grossissent les excédents de force de travail, et que des ennemis potentiels apparaissent. La décision de mise en œuvre d’un holocauste a pour objet de réduire l’excès de population provoqué par les réquisitions et le pillage, au moyen de l’élimination physique des gens qui peuvent constituer les recrues de la guérilla des déracinés.

Dans ce contexte l’impérialisme doit faire face à une contradiction. D’une part, il entreprend un holocauste pour déposséder des millions de gens ; de l’autre, il a besoin d’exploiter les travailleurs et de fournir des sepoys (soldats indigènes de l’Armée britannique des Indes, qui se révoltèrent en 1857 ; équivalent anglais des harkis, NDT), qui servent à maintenir en activité les armées d’occupation impériale. La solution consiste à exploiter les peuples conquis comme s’il s’agissait d’esclaves, avec une main d’œuvre à bon marché, ou à éliminer l’excédent de population « non travailleuse ». Dans la plupart des cas, l’ « holocauste » est un processus parallèle à l’extermination massive et aux travaux forcés. Dans les cas où un holocauste a fini par éliminer la main d’œuvre locale, ou si la résistance des masses est apparue, bien souvent le pouvoir impérial-colonial recourt à l’importation de main d’œuvre, soit par force, soit en provenance d’autres régions conquises avec des bas salaires.

 6. Les holocaustes comme objet d’étude de la modernisation et de la construction impérialiste

 Depuis le premier holocauste du XXème siècle (le génocide arménien en Turquie) les assassinats massifs ont été considérés comme faisant partie intégrante du processus de modernisation et d’unification d’une nation, processus basé sur la violence d’État. Au cours du « nettoyage ethnique » consécutif, concernant toutes les minorités de l’ancien empire ottoman, une logique républicaine laïque a été mise en œuvre, dans laquelle les militaires assumaient le rôle de défenseurs de l’ethos « moderniste » face aux « ennemis » imaginaires, les minorités. [21 ]

La fondation mythique servant de justification à l’État d’Israël a servi à installer l’idée que la Palestine était une terre sans peuple, tandis que les juifs seraient un peuple sans terre ; le mythe s’est transformé en prophétie d’auto-réalisation, tout à fait utile, puisque les juifs israéliens étaient justement en train d’expulser de force des millions d’arabes palestiniens des terres qu’ils occupaient [22 ].

On continue à justifier l’holocauste palestino-israélien par l’existence d’un État juif démocratique, quoique exclusif, maintenant des liens exceptionnels avec un réseau mondial d’élites modernes, qui se caractérisent par leur richesse et leurs succès financiers [23 ]. L’interaction du comportement holocaustique avec une modernité reposant sur des réseaux globaux très denses paraît remarquable à toutes les élites impériales qui cherchent à reconstruire les empires du Proche Orient, surtout parmi les civils militaristes des USA.

L’HJN a donc été une manifestation supplémentaire de la modernité industrielle et dynamique, qui a été mise à profit pour mener à bien la conquête impériale : la technologie supérieure allemande et les grandes avancées scientifiques se sont basées sur la cohésion interne encouragée par l’antisémitisme sur plan interne et l’antislavisme sur le plan exetrne. Le résultat fut un double holocauste : campagnes d’extermination des juifs d’une part, et des russo-slaves de l’autre. Et la destruction historique et irréversible de la gauche et de ses organisations de masse a constitué une condition préalable essentielle pour toute la dynamique expansioniste nazie.

Les impérialismes « tardifs » comme l’Allemagne, le Japon ou les USA, ont manifesté la même tendance à entreprendre des guerres génocidaires et des campagnes d’extermination telles qu’on peut les qualifier d’holocaustes. A l’exception du Japon, où on a affaire à une société homogène du point de vue ethnique, les États où l’impérialisme a été tardif ont entrepris des campagnes d’extermination génocidaire à grande échelle contre des minorités internes diverses : indienne et afroaméricaine aux USA, juive en Allemagne. C’est ainsi que s’est forgée une cohésion nationale, et le complexe de supériorité raciale indispensable pour mener à bien les conquêtes impérialistes et les holocaustes : l’Allemagne contre les peuples slaves, les USA contre l’Asie et contre les Indiens de l’Amérique centrale.

L’holocauste japonais en Chine a atteint son sommet avec l’infâme « viol de Nankin », où plus de 300 000 Chinois ont été violés et assassinés brutalement en quelques jours, au cours de l’année 1938. Ceci a été précédé et immédiatement prolongé par l’extermination systématique, dirigée par l’État, de plus de 7 millions de civils chinois de tout âge et de toute classe sociale. Dans l’holocauste sino-japonais le nombre de victimes a été encore plus élevé que dans le cas de l’holocauste judéo-nazi ; cependant on constate l’inexistence de monuments, fondations, compensations millionnaires et autres branches de la commémoration, dans le cas de l’holocauste sino-japonais ; ceci s’explique par l’absence d’un groupe de pression fort en faveur de cet holocauste-là en Occident, et par le fait que l’Occident et le Japon se soient ligués ensuite contre la République Populaire de Chine. Naturellement, les affirmations autopersuasives des publicitaires juifs sur la singularité de l’HJN ont contribué à l’expansion de l’amnésie collective.

L’ascension des USA jusqu’à devenir la puissance impérialiste dominante est liée aux holocaustes tricontinentaux, c’est à dire multiples, en Corée (1950-1953), en Indochine (1961-1975) pour l’Asie, dans l’Afrique australe par procuration (Angola, Mozambique, Congo-Zaïre entre 1961 et les années 1990), en Amérique centrale (1979-1990) et au Proche-Orient (Irak 1991-2006) [24 ].

Pour des raisons de méthodologie, nous avons exclu de ce panorama l’extermination d’État que supposaient les bombardements nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, et la campagne d’extermination par procuration en Indonésie, durant l’année 1966, qui provoqua la mort de plus d’un million de gens censés être des syndicalistes, parfaitement désarmés, des membres du parti communiste, des sympathisants et de leurs proches. Le recensement des victimes de l’impérialisme tardif des USA est comparable à celui de ses prédécesseurs japonais et allemand : quatre millions en Indochine, quatre millions en Corée, encore plus dans l’Afrique australe, plus de 300 000 en Amérique centrale (200 000 mayas au Guatemala, 75 000 au Salvador, 50 000 au Nicaragua, 10 000 au Honduras et 10 000 au Panama, ces derniers dans le cadre d’une invasion militaire directe et en Irak, plus de 700 000 à ce jour. Les stratégies employées par l’impérialisme usaméricain mènent directement aux camps de concentration holocaustiques, parce qu’il n’y a aucune distinction entre victimes civiles et militaires.

La multiplication des holocaustes en ce contexte d’impérialisme tardif s’explique en partie parce qu’il y a justement un vif rejet du retour à la domination coloniale-impériale. En fait, les nations issues de mouvements anticoloniaux massifs qui avaient pris des distances nettes par rapport à l’impérialisme européen et japonais sont mieux préparées pour résister aux nouvelles menées usaméricaines, au plan social, au plan politique et au plan militaire. Idéologie et culture anti-impérialiste et nationaliste sont bien enracinées désormais dans les nations post-coloniales, depuis les années 1950, et ces nations diffèrent complètement des sociétés féodales-marchandes sur lesquelles s’était exercé le pouvoir impérial plus tôt. La dépossession et la désarticulation des sociétés où la mobilisation nationaliste ou socialiste est très élevée requièrent des moyens supplémentaires. Il ne suffit plus d’assassiner ou d’envoyer en exil quelques milliers de dirigeants. Ce sont des populations entières qui peuvent être attaquées à titre « d’exemple », ou comme le disent les mongers (« commerçants en problèmes ») israéliens à propos des Palestiniens après l’élection démocratique du gouvernement du Hamas : « c’est à eux d’assumer les coûts », c’est à dire d’encaisser les assauts militaires et les assassinats quotidiens de civils, le blocus systématique sur la nourriture et les médicaments, ce qui débouche sur un état de malnutrition généralisée [25 ].

Les avancées technologiques dans la machinerie de l’extermination massive ne déterminent pas la fréquence des holocaustes, dont ils accélèrent, certes, la mise en route. Les holocaustes manuels, qui requièrent beaucoup d’efforts, comme celui de Nankin, peuvent être aussi mortels que des chambres à gaz hautement technologiques, requérant des investissements élevés, ou le bombardement massif de villes en Corée, en Indochine et en irak. Mais la haute technologie accélère le processus d’extermination et diminue le risque de « ratés » humains (tels que la pitié, la mauvaise conscience) qui peuvent entraver l’exécution du projet. Les holocaustes sont une source de motivations pour l’expérimentation, l’évaluation et l’application de nouvelles méthodes d’extermination en temps et en situation réels. Ainsi par exemple, les USA ont testé des armes nucléaires sur des champs de bataille avec de l’uranium appauvri dans les deux guerres du Golfe et dans les Balkans.

L’holocauste commis par Israël a toutes les caractéristiques décisives des holocaustes ci-dessus : usage du terrorisme d’État à grande échelle et à long terme ; dépouillement de plus de 4 millions de Palestiniens ; réclusion forcée de plus de 3 millions de Palestiniens dans des ghettos ; ségrégation raciale et ethnique, séparation à tous les niveaux : justice, propriété, transport, mobilité géographique ; droits basés sur des « liens de sang » (filiation par la mère) ; torture légalisée ou quasi-légalisée, usage systématique du châtiment collectif ; une société hautement militarisée tendant à entreprendre des attaques militaires dans les communautés voisines de Palestine et d’autres États arabes ; assassinats unilatéraux extraterritoriaux et extrajudiciaires ; rejet chronique et systématique du droit international ; idéologie de guerre permanente et paranoïa internationale (ils voient de l’ « antisémitisme » partout), idéologie de la supériorité ethnique « le peuple élu ») [26 ]. On a là tous les paramètres des holocaustes passés et présents , y compris les camps de concentration pour les milliers de « militants » présumés, la destruction des fondements économiques de la vie quotidienne, les évictions massives des logements, le nettoyage ethnique systématique.

Pour l’Irak et le HEI (holocauste Usaméricano-irakien) depuis 16 ans (1990-2006) c’est un exemple on ne peut plus clair d’extermination planifiée par l’État, avec tortures, destruction physique, le tout visant à dé-moderniser la société civile en plein développement, et à en faire une série d’entités basées sur la guerre des clans, la guerre tribale, cléricale ou ethnique, privée d’autorité nationale ou d’économie viable.

L’ampleur des faits confirme qu’il s’agit absolument d’un holocauste : 500 000 enfants morts comme résultat d’un blocus économique assassin sous Clinton (1992-2000), 250 000 morts entre 2003 et 2006 [27 ]. Cet holocauste a été approuvé ouvertement par son principal architecte, Madeleine Albright, qui a déclaré que toutes ces morts d’enfants « en valaient la peine ». Le bombardement aveugle sur des cibles civiles au cours des deux guerres du Golfe, mais surtout de la seconde, a abouti à la destruction de toute l’infrastructure. A terme, l’usage systématique et généralisé de projectiles à l’uranium appauvri aura des conséquences mortelles sur des milliers de personnes. On a tous les documents prouvant l’usage systématique de la torture et de l’assassinat en masse de civils. Tout cela est considéré comme justifié dans l’entourage de Bush et par la majorité au Congrès et au  Sénat [28 ].

Rien d’essentiel ne distingue, finalement, la campagne d’extermination usaméricaine des holocaustes antérieurs, si ce n’est que le monde entier y assiste en direct, comme à un spectacle pour des millions de spectateurs. La répugnance globale devant chaque révélation particulière est aussi générale que « l’acceptation passive » de cette réalité. L’holocauste devient donc une activité de routine, se résumant à des comptages journaliers de victimes, produisant l’immunisation de la communauté mondiale devant l’horreur d’un holocauste en direct.

 7. Des héritages troubles

A l’exception du HJN et probablement du HCJ (holocauste sino-japonais), les auteurs ont échappé à des poursuites judiciaires internationales. Un traitement différencié dans le cadre de l’impunité générale correspond à des avancées militaires et politiques : les empires nazi et japonais ont été battus ; en dehors du petit groupe des dirigeants nazis, presque tous les cadres nazis ont été blanchis par la suite, et une grande partie d’entre eux a retrouvé la réussite professionnelle dans le monde de l’économie et de la politique, certains étant recrutés par les gouvernements usaméricain et allemand pour occuper des postes stratégiques ; ceci s’est fait principalement à la faveur de la guerre froide ; à cette occasion, les auteurs de l’holocauste japonais ont joué un rôle décisif en soutenant les holocaustes coréen et indochinois, et en mettant à la disposition des USA des bases militaires, des ressources et un soutien logistique.

Plusieurs tribunaux non officiels ont examiné ces faits, avec un grand écho médiatique, en particulier le Tribunal Bertrand Russel pour l’holocauste indochinois. Mais leur rôle a été purement symbolique, dans la mesure où ils manquaient des mécanismes permettant de faire appliquer leurs verdicts. Et les auteurs n’ont pas manifesté la moindre reconnaissance du moindre remords ou repentir, même après le changement des équipes au pouvoir. En d’autres termes, il y a un consensus systématique pour justifier ces holocaustes ; aussi peut-on dire que la notion de « norme juridique » est à ce jour désastreuse.

De fait, l’ONU en est complice : impliquée activement dans l’holocauste usaméricain en Corée, incapable d’intervenir dans l’holocauste palestino-israélien, et offrant un soutien institutionnel aux USA en Irak. Au niveau national, le système judiciaire international a des résultats aussi piteux : au Japon, le régime Koizumi continue à rendre hommage aux criminels de guerre du passé (les principales autorités se rendent tous les ans au tombeau de Yoshikuni), les manuels scolaires japonais offrent une version « blanchie » des crimes de guerre. La nostalgie de l’holocauste continue à empoisonner les relations bilatérales avec la Chine, mais seulement au niveau symbolique-diplomatique, et les relations économiques entre la Chine et le Japon n’en sont nullement affectées.

De façon comparable, en dehors de la France, aucun pays occidental n’a condamné officiellement le massacre turco-arménien ou le refus de la Turquie de reconnaître sa responsabilité. Malgré le fait que bien des Israéliens aient été victimes de l’holocauste nazi, Israël refuse de reconnaître le génocide turco-arménien, et interdit aux Arméniens d’intervenir dans aucune des commémorations holocaustiques. C’est particulièrement irritant, si l’on se souvient qu’Israël a accueilli des milliers de survivants de ce même génocide arménien. En fait, Israël a un pacte militaire avec ceux qui nient le génocide arménien. Ceci est valable aussi pour expliquer le soutien des USA aux Turcs qui nient l’holocauste, malgré la forte pression exercée par la communauté arméno-usaméricaine, soutenue par le Congrès : l’exécutif bloque toute condamnation officielle du génocide.

Pour les holocaustes usaméricano-asiatiques, Washington impose toujours un blocus économique brutal, en Corée du nord et en Indochine, ce qui a conduit à l’ »autarcie forcée » ces pays; au Cambodge c’est la même situation qui a poussé le régime des Khmers rouges à déclencher l’exode massif depuis les centres urbains, ce qui constitue un cas d’holocauste conjoint entre USA et Khmers rouges.

Avec la conversion des élites indochinoises au capitalisme, dans le cadre de l’impunité dont bénéficièrent les crimes de guerre commis par les USA, la réconciliation des USA et du Vietnam, sans rapport avec la justice, est devenue la norme pour la suite. On peut constater que les politiques de libéralisation ont débouché sur une nouvelle exploitation impériale de main d’œuvre à bon marché, obtenue par les « lois » du marché et non plus par les invasions militaires.

Pour ce qui est de l’holocauste en Amérique centrale, il n’y a pas eu la moindre intention d’entreprendre des poursuites internationales. L’ancien président Bill Clinton a seulement présenté des excuses pour la forme, en confirmant l’appui des USA au gouvernement fantoche du Guatemala. Les régimes impliqués, clients des USA, sont les descendants directs et les bénéficiaires des holocaustes usaméricains antérieurs en Amérique centrale. Après avoir détruit le tissu social et avoir miné l’économie locale par la guerre et la liberté commerciale, après avoir démobilisé les guérillas, l’Amérique centrale est devenue une région de paysans déracinés, de réfugiés errants qui deviennent des immigrés ailleurs ou des criminels, gouvernés par des politiciens cleptocrates et par une oligarchie d’hommes d’affaires. Ce sont des survivants qui fuient vers l’Amérique du nord, où les attend maintenant une législation très répressive, outre la criminalité massive, le dépouillement, la prison et la déportation.

L’holocauste palestino-israélien s’accélère à présent ; non seulement les dirigeants et les civils sont assassinés, mais l’économie est totalement bloquée : c’est la stratégie d’encerclement du ghetto, digne de l’époque nazie, il s’agit d’affamer jusqu’à la reddition. Le groupe de pression juif au sein du gouvernement usaùéricain et tout autour de lui assure l’impunité à Israël, et la complicité tant des USA que de l’Europe [29 ].

Désormais, la mise en œuvre d’holocaustes parvient à la connaissance générale par les médias et l’internet, malgré les campagnes de propagande officielle. La complicité de certains secteurs de la société civile et des médias privés, dans le cadre de régimes qui ne sont pas totalitaires ou dictatoriaux exige une réflexion nouvelle sur le rapport entre dictateurs, systèmes électoraux et holocaustes.

 Conclusion

Aucun des grands crimes contre l’humanité récents ne débouche sur la justice ; c’est plutôt l’impunité et la récidive qui dominent. L’impunité usaméricaine en Corée a permis les holocaustes suivants, en Indochine, en Amérique centrale, en Irak. Le nettoyage ethnique des Palestiniens, commis par Israël entre 1947 et 1950 permet la progression constante vers la « solution finale » de l’expulsion totale. La négation du génocide turco-arménien a permis le nettoyage ethnique du peuple kurde en Anatolie. Ces crimes contre l’humanité ne relèvent pas de la psychopathologie de quelques dirigeants ou de traditions autoritaires, car ils se réclament de traditions concurrentes, de « psychologies collectives » propres, et d’idéologies diverses ou opposées.

Dans tous les cas, ce sont les offensives impériales qui déclenchent les holocaustes ; et elles se fortifient du fait de l’impunité, de la négation systématique des crimes commis.

Les intellectuels occidentaux ne reconnaissent pas les multiples holocaustes du XXème siècle et du XXIème, non par manque d’information sur le sujet, mais par refus d’envisager la responsabilité directe des gouvernements et des États dans les holocaustes. Ils ne veulent pas voir que leurs gouvernements élus prennent part au terrorisme de masse, que leurs médias privés mentent et maquillent systématiquement les actes de génocide, et que de grands secteurs de la « société civile » sont soit des critiques impuissants soit des collaborateurs, des complices.

La plupart des intellectuels des sociétés impériales sont incapables de mesurer et de comprendre la gravité des crimes qui se commettent en LEUR nom. Ils nous parlent de « conflits territoriaux » entre voisins, de « guerre de Corée, d’Indochine, d’Irak » ou même de « guerres pour la démocratie » et autres falsifications monstrueuses. Étranges guerres où toute la société civile, des millions de gens, sont partisans du camp adverse, où la destruction fait suite à l’occupation, et où tous les dépossédés sont les cibles des constructeurs d’empire.

Il y a une résistance ; on attaque des soldats impériaux ; on attaque des armées fantoches ; on détruit des hélicoptères et des blindés. Dans le ghetto de Varsovie, la résistance avait réussi à vaincre les troupes d’assaut nazies. Les Vietnamiens étaient parvenus à abattre 58 000 envahisseurs, faisant 500 000 blessés. Falloudjah résiste en Irak ; Jénine en Palestine résiste : l’endurance de ceux qui refusent de succomber ou qu’on extrait des décombres ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit de guerre totale contre des peuples entiers.

Les historiens conventionnels autant que les révisionnistes ont intégré l’euphémisme systématique, et parlent de « confits », de « croisades », de « drames » alors qu’ils devraient analyser un processus criminel récidiviste à grande échelle. Les seuls tribunaux effectifs sont ceux qu’implantent les puissances impériales pour s’acharner sur leurs adversaires vaincus, comme dans le cas de la Yougoslavie, de Panama [contre le président Noriega, après l’invasion US], l’Irak.

Seules des révolutions populaires, et la défaite définitive de l’État impérial permettra à une cour pénale internationale de faire répondre les auteurs d’holocauste de leurs crimes. Pour le moment, les nouvelles élites capitalistes qui émergent au sein des peuples victimes sont toutes prêtes à pardonner et à oublier les crimes de l’holocauste en échange d’une monnaie forte et d’une position privilégiée sur le marché mondial.

James Petras

Traduit de l’anglais en espagnol pour Laberinto par Eloísa Monteoliva García, membre de ECOS (Traducteurs et interprètes pour la solidarité) et de l’espagnol en français par Maria Poumier et révisé par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala (http://www.tlaxcala.es ),  le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.

Notes

[1 ] Traduit de l’anglais pour Laberinto par Eloísa Monteoliva García, membre de ECOS (Traducteurs et interprètes pour la solidarité)

[2 ] Finkelstein, Norman. L’industrie de l’holocauste, Paris 2001.

[3 ] Davis, Mike. Late Victorian Holocausts (London: Verso 2001)

[4 ] Bauer, Yehuda. A History of the Holocaust (New York: Franklin Watts 1983; Bard, Mitchell. The Complete History of the Holocaust (California: Green Haven 2001)

[5 ] Dallin, Alexander. German Rule in Russia, 1941-45 (London: MacMillan, 1957); Salisbury, Harrison. The 900 Days: The Seize of Leningrad (NY De Capo Press 1969); Mayer, Arno. Why Did the Heavens Not Darken: The Final Solution in History (NY: Pantheon Books 1988)

[6 ] Fenby, James. Generalissimo: Chiang Kai-Shek and the China He Lost (London: Free Press 2003)

[7 ] Sur le Vietnam, voir Fitzgerald, Francis. Fire in the Lake: The Vietmanese and the Americans in Vietnam (New York: Little, Brown and Co., 1972); Herman, Edward. Atrocities in Vietnam: Myths and Realities (Pilgrim Press: 1971); Chomsky, Noam and Herman, Edward. The Washington Connection and Third World Fascism: The Political Economy (Boston: South End Press 1979), Ch. 5; Falk, Richard. Crimes of War (New York:RH Press 1971); The Dellums Committee Hearings on War Crimes in Vietnam, (NY: Vintage 1972); sur le Cambodge, voir le Center for Genocide Studies (Yale Univeristy). La page web correspondante affiche: Pour les points bombardés par les USA, des tableaux consignent les données suivantes : date du bombardement, situation exacte, nombre et type d’avions à chaque opération, charge du bombardement, type d’ordonnance, nature de la cible visée, évaluation des dommages causés ; exemple : 13 000 villages au Cambodge, 115 000 cibles pour les 231 000 bombardiers qui survolèrent le Cambodge entre 1965 et 1975, lançant 2,75 millions de tonnes de munitions ; 158 prisons dirigées par le régime de Pol Pot et les Khmers rouges entre 1975 et 1979 ; 309 cimetières comportant 19 000 fosses ; 76 poursuites judiciaires après 1979, pour la mémoire des victimes des Khmers rouges. Le directeur du Genocide Center, Ben Kierman, d’une perversité inégalée dans le monde universitaire, n’inclut pas, dans sa contribution au débat sur le génocide, l’assassinat et la mutilation de millions de Cambodgiens, par la faute des USA. Il se borne à étudier le régime de Pol Pot. C’est grâce à cette vision sélective du génocide qu’il a obtenu un poste de titulaire à l’université de Yale, et son centre a été distingué par un prix, assorti de financement généreux de George Soros et de Coca Cola.

[8 ] Pour la Corée, voir John Gittings and Martin Kettle, “US and S Korea Accused of War Atrocities”, Guardian. January 18, 2000; Bruce Cummings, The Origins of the Korean War, Vol.I, Vol II. (Princeton, New Jersey: Princeton University Press 1981, 1990). Selon les données publiées en Union soviétique, 11,1% du total de la population de la Corée du nord (1.130.000 personnes) a péri par l’armée de terre et l’aviation usaméricaines. Dans toute la Corée, ont été assassinées plus de 2.500.000-3.000.000 personnes, et 80% des infrastructures industrielles et publiques ont été détruites, ainsi que trois quartiers où se trouvaient les bureaux du gouvernement, et la moitié des logements. Entre juin 1950 et mai 1953, les généraux Eisenhower et McArthur, les présidents Truman et Eisenhower, et le chef adjoint d’État-major ont recommandé l’utilisation d’armement nucléaire contre la Corée. Selon Gittings et Kettle, outre les milliers de réfugiés assassinés par des officiers de l’armée usaméricaine « les bombardements usaméricains à la fin de la guerre ont causé bien plus de morts de civils encore, en particulier à Pyongyang en 1952 ».

[9 ] Richard Hovannisian (ed). The Armenian Genocide: History, Politics, Ethics (St. Martin’s Press NY 1992); Richard Hovannisian, ed. Remembrance and Denial: The Case of the Armenian Genocide (Detroit: Wayne State University Press 1999)

[10 ] Patrick Bell et al. State Violence in Guatemala 1960-96 (AAAS, Washington DC 1999); Amnesty International Report: Guatemala (1982, 1983, 1984 London); Thomas Melville, Through a Glass Darkly: US Holocaust in Central America (Xlibris Corporation 2005); Kent Ashabranner Children of Maya (NY Dodd Mead 1986). Guatemala Nunca Mas: 4 Tomos, Officina de Derechos Humanos Arzbipado 1998.

 [11 ] Les Roberts, et al, ‘Mortality before and after the 2003 invasion of Iraq: cluster sample survey. Lancet Vol. 364, no. 9445; Oct.31, 2004.

[12 ] Daniel Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners: Ordinary Germans and the Holocaust (New York, Knopf 1996)

[13 ] Ver Thomas Childer, The Nazi Voter: The Social Foundations of Fascism in Germany 1919-1933 (Chapel Hill, North Carolina: University of North Carolina Press 1983) surtout todo pp 264-266.

[14 ] Aux élections de novembre 1932, les nazis avaient obtenu 33,1% des votes; les communistes et socialistes en avaient 37,3%, Childer op cit.

[15 ] Sur l’holocauste plaestino-israélien, voir Edward Said, Politics of Dispossession: The Struggle for Palestinian Self-Determination(NY Vintage 1995).Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem: 1947-49 (Cambridge, Cambridge University Press 19987). Felicia Langer, With My Own Eyes, (Ithaca: Ithaca Press 1975). Naseer Hasan Aruri, Palestinian Refugees (London: Pluto Press 2001); Ilan Pappe, Israel/Palestine Question: Rewriting History (London Rutledge 1999); Edward Said, The Question of Palestine (NY Vintage Press, 1979); Maxine Rodinson, Israel: A Colonial Settler State (Monad Press: NY 1973); Walid Khalidi, ed. All That Remains (Institute of Palestine Studies).

[16 ] Iris Chang, The Rape of Nanking (London, Penguin 1997).

[17 ] Selon le Pentagone, le nombre des victimes usaméricaines dans la guerre de Corée fut de 54.246 personnes, dont 33.686 morts au combat, et 8.142 « pertes dans les combats ».

[18 ] Pendant la guerre de Corée, Douglas McArthur a ordonné à l’aviation de “détruire tous les moyens de communication, installations, usines, villes et villages” situés au sud du fleuve Yalu à la frontière chinoise. Voir la citation complète sur www.brianwillson.com/awol/koreacl.html .

[19 ] Voir Benny Morris op cit. Selon Edward Said, op cit 4 millons de Palestiniens sont des réfugiés, et presque 2 millions vivent dans les territoires occupés par l’armée israélienne. Selon l’Observatoire des droits humains en Palestine depuis la deuxième intifada, Israel a réalisé 300 assauts militaires dans les territoires occupés chaque semaine, provoquant un nombre élevé de morts, des centaines de blessés et de prisonniers ; plus de 10 000 maisons d’habitation ont été détruites, des milliers d’acres de terre cultivée ont été stérilisées. En réponse aux élections démocratiques de Palestine en 2006, Israël a imposé un blocus total sur la nourriture, les produits de santé et d’urgence dans les territoires occupés, mettant en danger la vie de plus de deux millions et demi de Palestiniens.

[20 ] James Petras, Henry Veltmeyer, Luciano Vasapollo et Mauro Casadio. Empire with Imperialism (London: Zed Press 2005)

 [21 ] Hovanassian, op cit

[22 ] Said, op cit

[23 ] James Petras. The Power of Israel over the United States (Atlanta: Clarity Press 2006)

[24 ] Sur l’holocauste usaméricain en Irak, voir le rapport de la Johns Hopkins School of Public Health Epidemiologists, Les Roberts et al, ‘Mortality before and after the 2003 invasion of Iraq: cluster sample survey.’ Lancet Vol. 364, no. 9445; Oct.31, 2004.

[25 ] Voir les numéros du quotidien israélien en version anglaise Haaretz, pour la période de février à juin 2006, qui analysent les politiques de blocus israélien et ses effets catastrophique sur la santé et l’équilibre alimentaire des Palestiniens. Les principaux groupes de pression sionistes USA, les présidents des principales organisations juives et l’AIPAC sont des défenseurs inconditionnels de l’holocauste palestino-israélien, ils soutiennent le blocus et les assassinats journaliers de civils par les forces spéciales israéliennes.

[26 ] Voir Ilan Pappe, Israel/Palestine Question: Rewriting History; E. Said, Politics of Dispossession. Op cit.

[27 ] Sur l’holocauste US-Iraq voir Lancet. Op cit; Anthony Arnove (ed), Iraq Under Siege: The Deadly Impact of Sanctions and War (Boston: South End Press 2002); Alex Cockburn and Jeffery St. Clair, Imperial Crusades (California: Counterpunch 2004).

[28 ] C’est grâce à un vaste réseau de sites web que le public est au courant de l’usage systématique de la torture et de l’assassinat de masse aux USA pour la conquête de l’Irak; c’est même parvenu jusqu’aux médias non dissidents. Voir pour l’anglais : informationclearing house.info; commondreams.org, counterpunch.org, entre autres .

[29 ] James Petras, The Power of Israel Over the United States, op cit.




Frappes médiatiques au Liban

avion[1]Article du journal Le Plan B d’octobre – novembre 2006 sur les relais sionistes dans les médias français et sur le traitement de la débâcle israélienne au Liban.

Légende : « Souris mon fils sinon on pourrait t’accuser d’antisémitisme » .


Quand une guerre éclate entre une puce et un éléphant – ou entre un allié des États-Unis doté d’une aviation moderne et un allié de la Syrie et de l’Iran qui recourt à la guérilla –, les alliés médiatiques de l’éléphant connaissent la musique. Il leur faut, d’une part, humaniser le pachyderme, faire oublier le troupeau qui l’entoure. Et, d’autre part, diaboliser le plus faible, forcément plus fourbe, en particulier s’il est arabe.

Humaniser l’armée israélienne ? Rien de plus facile ; il suffira d’évoquer sans relâche le nom du moindre soldat prisonnier : qui ne connaît celui du caporal Gilad Shalit, « dix-neuf ans », enlevé par le Hamas le 25 juin dernier ? Et qui n’a pas entendu s’exprimer cent fois l’angoisse de sa famille ? En revanche, qui peut réciter le nom d’un seul des huit civils assassinés sur une plage de Gaza par un bateau de guerre israélien, ou celui d’un seul des centaines de Palestiniens – ministres et députés compris – enlevés par l’armée de Tel-Aviv ?

Israël « frappe », le Hezbollah « bombarde »

Vous voulez dire par Tsahal ? Justement, parlons-en ! En avril 2002, un auditeur de France Inter, « Frédéric », avait interrogé les journalistes de la station sur leur utilisation, qu’il jugeait partisane, de ce nom de « Tsahal ». Bertrand Vannier, directeur de l’information, avait expliqué : « Tsahal, c’est un acronyme. Cela veut dire “Tsiva Hagana Lei Israël”, l’armée de défense d’Israël. J’ai demandé aux journalistes de la rédaction de France Inter de ne plus prononcer le mot de “Tsahal”, car il y a risque de confusion à partir du moment où les Israéliens en ont fait une sorte de surnom, diminutif affectueux . » En juillet-août 2006, ce « diminutif affectueux » fut employé plusieurs fois par jour – et même par heure – sur France Inter pour évoquer une « armée de défense d’Israël » qui défendait Israël en envahissant le Liban. Le jour où le Hezbollah baptisera son armée « Mon chéri », l’appellation sera-t-elle aussi couramment reprise par France Inter ?

En temps de guerre, les mots tuent. Bernard-Henri Lévy le sait tellement bien qu’il s’offusqua, dans Le Monde naturellement, de l’emploi du mot « roquette » pour parler des projectiles tirés contre l’État hébreu. « Pourquoi ne pas dire “obus” ? ou “missile” ? Pourquoi ne pas rendre, en utilisant le juste mot, toute sa dimension de violence barbare à cette guerre voulue par les iranosaures du Hezbollah et par eux seuls ? »(1) Quelques jours avant que Le Monde publie l’interminable tartine béachélienne (deux pages !), la mort de dizaines de civils libanais et palestiniens avait pourtant inspiré au quotidien vespéral un titre qui n’avait pas indigné le philosophe préféré de « Tsahal » : « Les frappes israéliennes se multiplient sur le Liban, le Hezbollah bombarde Tibériade » (lemonde.fr, 15.7.06). Et pourquoi pas la formulation inverse, avec le Hezbollah qui « frappe » et les Israéliens qui « bombardent » ?

Le Plan B connaît la réponse. Pendant la guerre du Kosovo, les sondages – trafiqués, comme toujours – employaient plus volontiers le terme de « frappes » occidentales que celui de « bombardements » ou d’« intervention » de l’Otan. L’une de ces enquêtes, réalisée les 26 et 27 mars 1999 par l’institut CSA pour Le Parisien, avait révélé qu’une majorité relative de Français (46%, contre 40%) désapprouvait les « bombardements aériens des forces de l’Otan contre la Serbie ». Le « problème » était corrigé dès le lendemain : une nouvelle enquête d’opinion (Ipsos-Le Journal du dimanche) pouvait proclamer triomphalement qu’une majorité absolue de Français (57%, contre 30%) approuvait « l’intervention militaire de l’Otan en Yougoslavie ». Un sondeur expliqua ce renversement : « “Bombardement” donne un poids de chair et de sang à la question qui est posée. “Frappe”, c’est plus chirurgical et aseptisé que “bombardement” » (2).

On résume : de temps en temps, un membre de Tsahal, le jeune et sympathique Gilad par exemple, « frappe » avec ses camarades. De braves garçons tout juste un peu rugueux, mais c’est de leur âge.

Une « joyeuse bousculade »

Titré « Irresponsabilités », un lumineux éditorial du Monde (ils le sont tous) analysa dès le 16 juillet 2006 : « La crise de Gaza a conduit à celle du Liban, qui, elle-même, n’a été possible que parce que la Syrie et l’Iran ne sont pas opposés au coup de force de leur protégé libanais, le Hezbollah. » Relisons ce résumé : à aucun moment Israël n’est mis en cause. « La crise de Gaza », c’est pourtant dix Palestiniens tués par jour. Et quand BHL pleure sur « ces photos de quinze jeunes gens, parfois des enfants, qui sont morts… », à qui pense-t-il ? Eh oui, à ceux « qui sont morts sous le feu des artificiers palestiniens » (3) ! Les artificiers israéliens en revanche sont sympathiques et humanistes. « Le chef de guerre, roucoule Bernard-Henri, s’appelle Ephraïm Sneh. Il a ce physique de père tranquille, à la fois cordial et bourru. » Quant aux soldats d’Ephraïm, BHL admire « leurs moqueries de gamins », « l’allure décontractée ensuite, j’allais dire débraillée et même désœuvrée, d’une petite troupe qui me rappelle irrésistiblement la joyeuse bousculade des bataillons de jeunes républicains décrits, une fois encore, par Malraux » (4). Vite, un nouveau film !

« Oui mais c’est le Hezbollah qui a commencé ! » Une ânerie journalistique se consommant toujours en boucle, procédons à la revue (partielle) des troupes et des troupiers. Jean Daniel : « Les premières réactions d’Israël contre les agressions du Hezbollah relevaient de l’autodéfense » (Le Nouvel Observateur, 20 juillet). Philippe Val approuve Daniel : « Mets-toi deux minutes à la place des Israéliens : ils se sont retirés du Liban contre la paix. Ils ont eu des roquettes. Ils se sont retirés de Gaza contre la paix. Ils ont eu des roquettes… » (Charlie Hebdo, 26 juillet). Colombani s’inspire de Val : « La crise n’a de précédent que dans celle des missiles soviétiques installés à Cuba en 1962 : en laissant l’Iran et la Syrie installer, via le Hezbollah, de douze mille à dix-sept mille missiles, le Liban a placé Israël à la portée de l’Iran » (Le Monde, 1er août). Attali plagie Colombani : « En mars 1936, face à la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, Halifax puis Blum ont laissé faire, et nous avons eu la guerre. En octobre 1962, face à l’arrivée de fusées soviétiques à Cuba, les frères Kennedy n’ont pas laissé faire, et nous avons eu la paix » (L’Express, 3 août).

Au vu de ce qui précède, on comprend qu’interpellé le 11 août par un lecteur du New York Times – « Pourquoi n’écrivez-vous votre histoire que du point de vue des Israéliens ? » – BHL ait aussitôt répliqué : « Parce que seul l’autre point de vue est considéré et je n’aime pas le conformisme, et encore moins l’injustice. » Dina Sorek, ministre-conseiller à l’information auprès de l’ambassade d’Israël à Paris, qui n’aime pas non plus le conformisme, spamma à ses milliers de correspondants les textes de BHL et de son chouchou Philippe Val.

Au demeurant, des penseurs-chansonniers-humoristes aussi subtils allaient-ils s’encombrer du rappel des dix-huit années d’occupation du Liban par Israël, des milliers de détenus – certes arabes – non encore libérés ? Eux que la fourniture d’armes iraniennes au Hezbollah incommodait tant, allaient-ils s’offusquer des livraisons de missiles américains, y compris à longue portée, y compris à tête nucléaire, à l’État hébreu ? Devaient-ils vraiment se souvenir que la veille du jour où le soldat Gilad Shalit fut capturé, les forces « d’autodéfense » israéliennes avaient kidnappé deux civils de Gaza – bien qu’il s’agisse d’Arabes, Le Plan B dévoile leur nom –, Osama et Mustafa Muamar ? Évidemment non.

« Fiefs du Hezbollah »

Il faut dire qu’Israël ne bombardait pas des villages chiites libanais, des villes comme Tyr, Saada, Baalbek, Beyrouth, mais frappait des « fiefs du Hezbollah ». Claude Angéli, qui nota ce langage « politiquement correct » de « certains confrères » (5), omit de désigner les coupables. Le Plan B les a aussitôt démasqués dans sa banque de données obèse. Palme d’or à Libération, qui, le 22 juillet, annonce : « Vendredi, les chasseurs bombardiers israéliens ont pilonné Baalbek, fief du Hezbollah ». Puis récidive le 9 août : « Raids sur la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. » Ex-æquo, Le Monde du 26 juillet : « Israël s’empare de Bint Jbeil [une ville, pas un hameau], fief du Hezbollah au Liban sud ». Même chose le 4 août : « L’aviation a bombardé la banlieue de Beyrouth, fief du Hezbollah chiite ».

Une guerre comporte toujours ses moments de détente. Le géographe Philippe Val nous les offrit dans son nouvel éditorial antiarabe « Garçon, un demi et un atlas ! » : « Si l’on regarde une carte du monde, en allant vers l’est : au-delà des frontières de l’Europe, c’est-à-dire de la Grèce, le monde démocratique s’arrête. On en trouve juste un petit confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël. Après, plus rien, jusqu’au Japon. […] Entre Tel-Aviv et Tokyo règnent des pouvoirs arbitraires dont la seule manière de se maintenir est d’entretenir, chez des populations illettrées à 80%, une haine farouche de l’Occident, en tant qu’il est constitué de démocraties » (6). Mais selon le Rapport des Nations unies sur le développement humain de 2003, seuls trois pays au monde avaient alors un taux d’illettrisme supérieur à 80%. Et aucun d’entre eux n’était situé entre Tel-Aviv et Tokyo, puisqu’il s’agissait du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Ailleurs, entre Tel-Aviv et Tokyo, le taux d’illettrisme était de 23% en Iran, de 9% en Chine, de 7% aux Philippines. Et… de 13% au Liban.

Mais c’était avant que les écoles y soient (à nouveau) « frappées » par les amis lettrés de Philippe Val et de Charlie Hebdo.

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LE CASSE-PIEDS DU TELEPHONE ET L’AMATEUR DE VINAIGRETTE
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Jeudi 3 août, vers 13 h 15, Claude Lanzmann a pensé tristement à feu Jean-François Revel. Lanzmann venait de publier une nouvelle ode affectueuse aux tankistes de l’armée israélienne. Il escomptait ainsi ne pas être distancé par BHL sur ce créneau qu’il juge lui appartenir en propre depuis la sortie en 1994 de son péplum d’amour sur Tsahal (7). Or, jusqu’au trépas de Revel, il y a quelques mois, sitôt que Lanzmann se débarrassait d’un de ses textes dans les pages du Monde (son vide-poche préféré), il appelait Revel pour en être complimenté…

Ce 3 août, Claude Lanzmann – d’une fatuité telle qu’elle excède parfois celle de Jean Daniel (!) – était plus fier de lui encore que d’habitude. Même s’il n’injuriait pas cette fois les pacifistes israéliens (des « fripouilles sans foi ni loi », avait-il estimé quelques semaines plus tôt [8]), son texte n’en demeurait pas moins un bijou lanzmannien. Il chantait la douce armée israélienne. Le prix qu’elle « attache à la vie de ses hommes ». Sa politesse envers les Libanais : « Israël avait averti, par tracts et par radio, la population d’avoir à quitter les lieux. » Toute cette « population », qui disposait assurément de jets privés et de résidences secondaires, n’avait qu’à s’envoler à destination d’un ryad aussi voluptueux que celui de BHL à Marrakech. Pour y attendre la fin de la guerre en dégustant des olives.

Lanzmann, en transe, ne cessait de relire à voix haute (devant un miroir) le début de son article. Il avait en effet réussi à juxtaposer à intervalles très rapprochés les mots de « clameur », « rues arabes », « voracité » et « hypocrite ». Mais, jurait-il, la vertu l’emporterait : en dépit des Arabes hypocrites qui avaient profité des accords d’Oslo pour « s’armer jusqu’aux dents », « Israël, n’en doutons pas, prendra le dessus ».

La guerre gagnée sur le papier, Lanzmann se demanda qui appeler pour s’entendre couvrir d’éloges. Revel était mort. Or, dans ses Mémoires de l’année 2000, l’ancien immortel raconte l’histoire d’un casse-pieds qui le harcèle au téléphone en plein été. Extrait :

« Samedi 1er juillet. Arrivé hier au soir en Bretagne, je me rends ce matin au marché de Pleubian, qui a lieu tous les samedis. […] Rentré à la maison vers midi, j’entends mon téléphone sonner. Tiens, me dis-je, même le premier jour de mes vacances et en plus un samedi, ils ne peuvent pas me laisser tranquille. Je décroche. C’est Claude Lanzmann.
– Tu n’es donc pas à Paris ? me dit-il.
Je sens une tristesse dans sa voix. Que mon éloignement l’afflige à ce point n’est pas loin de me bouleverser.
– Eh bien, non, lui dis-je, mais nous nous verrons en septembre.
Un silence.
– Dans le lieu écarté où tu te trouves, reprend-il, tu ne reçois pas les journaux ?
– Bien sûr que si. Je viens de les acheter au village.
Long silence.
– Est-ce que tu as lu mon article ?
– Écoute, je viens juste de poser ma pile sur mon bureau et ensuite je suis revenu dans la cuisine, où j’ai commencé à confectionner ma vinaigrette montée. Tu sais à quel point c’est difficile à réussir !
– J’ai un article qui commence à la une du Monde et qui, à la tourne, occupe une page entière.
– Excellente nouvelle !
– C’est un très bon article.
– J’en suis convaincu.
– Lis-le tout de suite.
– Je laisse tomber et retomber ma vinaigrette et je te rappelle dans vingt minutes
»(9).

En achevant sa vinaigrette, Revel sourit. Il se souvint que, moins de quatre mois plus tôt…

« Mercredi 15 mars. […] Lundi prochain, je suis invité à une émission de Thierry Ardisson, avec, m’a-t-on dit, et je m’en suis réjoui, Claude Lanzmann comme interlocuteur. C’est du moins ce que je croyais. Mais Claude Lanzmann me détrompe en me précisant, d’une voix sépulcrale, au téléphone : “C’est une émission sur moi. Toi, tu n’interviens qu’à la fin pour parler de moi” »(10).

Le 3 août 2006, faute de mieux, Lanzmann se résigna à appeler cet âne de Romain Goupil, que chacun laisse braire dans son étable depuis des années. Malheureusement pour Claude, Romain n’achète Le Monde que lorsqu’il y signe une nouvelle tribune à la gloire de W. Bush avec ses collègues du Club de la coupe au bol, Bruckner et Glucksmann. Pour se consoler, Lanzmann a revu Tsahal.

Notes

(1) Le Monde, 27.7.06. Acrimed, notre rutilante vitrine universitaire, a réfuté chacune des assertions conjointes de BHL et du Monde le 1er août 2006.
(2) Sondages et commentaire cités dans Serge Halimi, Dominique Vidal et Henri Maler, L’opinion, ça se travaille, Agone, Marseille, réédition poche, septembre 2006, p. 25.
(3) BHL, op. cit.
(4) Ibid.
(5) Le Canard enchaîné, 9.8.06.
(6) Charlie Hebdo, 26.7.06. Val fut ravi de lire deux jours plus tard l’édito de Denis Jeambar sur le site de L’Express : « Cette défaite d’Israël, si elle devait survenir, serait aussi la première défaite de la seule démocratie existant, à l’exception de la démocratie indienne, entre la Méditerranée et les rivages du Pacifique. » Toutefois, Jeambar se garda bien de répéter l’ânerie de Val sur les « populations illettrées à 80% ».
(7) Lire à ce sujet Amnon Kapeliouk, « “Tsahal”, ou les mésaventures de la vérité historique au cinéma », Le Monde diplomatique, novembre 1994.
(8) Les Temps modernes, mars-juin 2006.
(9) Jean-François Revel, Les Plats de saison, journal de l’année 2000, Le Seuil, 2001, p. 215-216.
(10) Id., Ibid, p. 83.

Dessin : Mantaq Ach Chaatine – La logique du diable : « Souris, mon fils, sinon on pourrait t’accuser d’antisémitisme ».




Hezbollah et Israël : aux sources du conflit

Article de Georges Corm paru sur le site du Réseau Voltaire en octobre 2006.

L’auteur est consultant économique et historien, ancien ministre des Finances du Liban (1998-2000). Il enseigne la coopération économique internationale et les finances publiques à l’université Saint-Joseph de Beyrouth.

Pour G. Corm, l’offensive israélienne de l’été 2006 n’a rien à voir avec la défense d’un État, mais correspond à une expansion coloniale. Selon lui, « il apparaît de plus en plus que les États-Unis et Israël servent de polarisateurs à un regain de visées hégémoniques et autoritaires dans le monde, voir même de type fasciste ».


La crise actuelle qui a entraîné le Liban à nouveau dans un cycle de violences et de destructions peu communes ne peut se comprendre que si son analyse est élargie au double contexte historique et régional. Se contenter de l’analyse faite par les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni ou d’autres pays européens qui sympathisent avec leurs thèses ne permet pas de comprendre les enjeux complexes, ni d’appréhender une solution qui participerait à l’apaisement des tensions régionales majeures qui déchirent le Proche-Orient depuis des décades.

Bien au contraire, la simplification, voir la caricature binaire du conflit comme un affrontement entre des « terroristes » (le Hezbollah) manipulés par « un Axe du Mal » (la Syrie et l’Iran) qui s’oppose aux aspirations démocratiques des peuples de la région que les États-Unis s’efforcent de réaliser, est une recette qui ne peut que mener à la catastrophe dans le futur, même si une stabilisation est trouvée dans le court terme.

Cette caricature pourtant constitue le cœur de la doctrine israélo-américaine et anglaise sur la crise libanaise et toutes les autres crises et tensions de la région. C’est elle qui structure tous les commentaires et les analyses et les présentations des nouvelles dans les grands médias occidentaux ; elle peut se résumer de la façon suivante en sept points :

1. Le Hezbollah est une organisation terroriste, tout comme le Hamas en Palestine,

2. Il attaque de façon injustifiée et inadmissible l’État d’Israël,

3. Israël est donc dans son bon droit en voulant éradiquer le Hezbollah du Liban, c’est un État qui protège légitimement sa population civile des agressions commises par ce groupe terroriste

4. Les victimes civiles libanaises ne sont dues qu’à la lâcheté du Hezbollah qui prend en otage la population civile libanaise et en fait un bouclier humain,

5. Sans la Syrie et l’Iran qui lui fournissent armes et financement, le Hezbollah ne pourrait pas exister,

6. L’idéologie du Hezbollah est la même que celle du Hamas ou de la nébuleuse des groupes jihadistes que Ben Laden animerait, c’est-à-dire un fascisme islamique redoutable anti-occidental et anti-sémite qui refuse toutes les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme,

7. C’est donc une partie d’un ennemi global de l’Occident et de la civilisation qu’il faut extirper du Moyen-Orient pour assurer la paix du monde.

Le plus consternant dans cette approche est la confusion générale qu’elle sème et les tensions qu’elle fait monter au Proche-Orient alimentées par l’ampleur et la cruauté des actions de l’armée israélienne qui à le monopole de la violence aérienne qui est exercée sans aucune retenue contre les immeubles d’habitations et les infrastructures civiles et administratives au Liban, comme à Gaza ou en Cisjordanie. Ces images de souffrances indicibles des populations civiles palestiniennes et libanaises, s’ajoutent aux images de souffrances de la population irakienne sous occupation américaine et britannique essentiellement.

La contradiction principale de cette approche réside dans le fait que si la Syrie et l’Iran sont les deux puissances régionales qui manipulent les groupes dits « terroristes », pourquoi martyriser inutilement des populations civiles libanaise et palestiniennes au lieu de s’en prendre directement à ces deux États ? Cette contradiction s’est déjà révélée dans la catastrophe de l’invasion américaine de l’Irak sous prétexte de lutte contre le terrorisme de Ben Laden, alors qu’aucun lien n’a jamais existé entre Ben Laden et le régime irakien.

Après avoir fait supporter à la population civile irakienne 13 ans d’un embargo implacable qui a fait mourir, aux dires des organisations internationales telles que la l’UNICEF ou la FAO ou la Croix Rouge, plusieurs dizaines de milliers d’Irakiens pauvres, et particulièrement d’enfants, les États-Unis et le Royaume-Uni ont cru bon d’abreuver la population irakienne en 2003 de milliers de tonnes de bombes.

En réalité, le problème se situe au niveau de l’analyse du terrorisme « proche-oriental » par les États-Unis et des conséquences qui en sont tirées sur le plan international. La conception et la doctrine états-uniennes sur le sujet sont claires : le terrorisme est une forme de mal qui n’a de cause ou d’explication que dans l’existence d’une « force du Mal » qui cherche à dominer la « force du Bien » incarnée par les démocraties occidentales. Ces forces terroristes sont une et même force, qu’il s’agisse du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine occupée ou des groupes Ben Ladenistes qui opèrent désormais en Irak pour combattre « la force du Bien » , les États-Unis qui y établissent la démocratie.

L’analyse est ici d’une telle pauvreté intellectuelle qu’elle mène directement à des politiques catastrophiques. Pourtant, cette analyse est désormais la doctrine officielle des Nations-Unies qui, dans le document majeur destiné à proposer les lignes d’une réforme de l’institution à l’occasion du sommet des chefs d’État tenu en septembre 2005, considère qu’un seul danger guette l’humanité, celui du terrorisme dit « transnational » (c’est-à-dire « islamique ») qui cherche à mettre la main sur des armes de destruction massives [1].

Aucun des conflits et des situations qui ont entraîné le terrorisme moyen-oriental n’est évoqué ; aucune distinction n’est faite entre la résistance légitime à des occupations et le terrorisme de type classique qui émane de groupes ayant des idéologies de type messianique et nihiliste et qui ont, par ailleurs jalonné l’histoire moderne, notamment le terrorisme russe de la seconde partie du XIXè siècle ou, plus près de nous le terrorisme de groupes marxisants dans les années 60 et 70 du siècle dernier et qui ont affecte l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Amérique latine.

Bien plus, aucune évocation n’est faite de l’instrumentalisation que les États-Unis eux-mêmes ont pratiqué des groupes de jeunes djihadistes arabes anti-soviétiques qu’ils ont soutenu et armés pour lutter contre l’influence grandissante de l’URSS dans le tiers-monde et le développement spectaculaire des partis marxistes et qui sont partis se battre en Afghanistan, puis en Bosnie et qui sont aujourd’hui en Tchétchénie ; ceci, sans parler des religieux en Iran pour contrer la révolution bourgeoises et nationaliste du Premier ministre, Mossadegh, qui avait nationalisé l’industrie du pétrole iranien en 1952, puis pour se substituer au pouvoir défaillant du shah d’Iran en 1979 face au risque d’une prise de pouvoir du parti communiste iranien et des marxisto-islamiques des Moujahidin Khalq.

Plus grave encore, la doctrine états-uno-israélienne et britannique sur le terrorisme ignore de façon absolue et drastique le fait que l’État d’Israël est en infraction permanente à tous les principes du droit international, des résolutions des Nations Unies qui la concernent et des Conventions de Genève sur les responsabilités de l’occupant, notamment la protection de la population civile, ainsi que l’interdiction de changer la structure démographique d’un territoire occupé, l’interdiction de châtiments collectifs sur la population civile).

Aujourd’hui, lorsqu’Israël, les États-Unis, la France et d’autres pays insistent sur la nécessaire application de la résolution 1559 qui enjoint, entre autres, le gouvernement libanais de désarmer le Hezbollah et les groupes palestiniens encore présents au Liban et de déployer son armée, qui n’a plus guère d’équipement que la FINUL présente au sud du Liban depuis 1978, ils oublient toutes les autres résolutions des Nations Unies concernant l’évacuation par Israël des territoires occupés en 1967 (Gaza et la Cisjordanie, le Golan Syrien, la zone des Fermes de Chébaa à la lisère de la frontière entre Israël, la Syrie et le Liban) et le droit des Palestiniens expulsés ou ayant fui les combats en 148, puis en 1967 à revenir dans leur foyer ou à être indemnisés par l’Etat d’Israël.

Pour ce qui est du Liban, Israël prétend avoir respecté la résolution 425 de 1978 qui lui demandait d’évacuer inconditionnellement le Sud du Liban envahi en mars de cette année là, sous prétexte de la présence de guérilla palestinienne opérant contre le territoire israélien à partir du Liban. Mais Israël oublie de dire que c’est la résistance tenace des militants du Hezbollah qui sont tous jeunes villageois du Sud du Liban qui l’ont obligé après 22 ans d’occupation à se retirer unilatéralement en mai 2000 à quitter ce territoire.

Israël et les États-Unis oublient aussi de dire que c’est l’État d’Israël qui a empêché en 1978 la FINUL de se déployer jusqu’à la frontière de façon à ce que l’occupation de 1000 km2 dans cette région du Liban puisse perdurer.

On peut évidemment être étonné que le Hezbollah après l’évacuation des Israéliens du sud du Liban ait conservé ses armes et n’ait pas immédiatement été intégré à l’armée libanaise. En réalité, plusieurs facteurs ont contribué à convaincre l’armée libanaise et une majeure partie des forces politiques du pays que cette intégration était prématurée.

Parmi ces facteurs :

1. l’absence de garanties pour le Liban que son territoire serait désormais à l’abri d’une nouvelle occupation ou de nouvelles agressions de l’armée israélienne contre le Liban, agressions quasi-quotidiennes depuis 1968, en sus des deux invasions du Liban en 1978 et en 1982 ;

2.de plus, après l’évacuation de 2000, les violations de l’espace aérien et maritime libanais ont été permanentes ;

3. de plus, l’État d’Israël a maintenu de très nombreux prisonniers libanais en Israël.

4. Enfin, ce dernier a refusé de reconnaître que le territoire des fermes de Chébaa était libanais, avait été occupé après l’invasion du Golan syrien durant le guerre de 1967 et ne relevait donc pas de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, mais bien de la résolution 478 concernant l’évacuation des territoires occupés.
Face à l’armée israélienne, et comme l’ont montré les évènements récents, seule une guérilla bien entraînée et bien aguerrie peut empêcher une nouvelle occupation et non point une armée régulière qui ne dispose d’aucune aviation et d’aucun système de défense antiaérienne. La question des armes du Hezbollah était d’ailleurs en discussion, sous la pression des États-Unis et de la France pour l’application de la résolution 1559, dans un dialogue national officiel qui tenait des séances régulières, lorsque les évènements dramatiques récents sont arrivés.

Par ailleurs, on peut désapprouver l’étiquette religieuse sous laquelle se bat le Hezbollah, son « extrémisme » ou sa « radicalité », sa rhétorique anti-israélienne ; la réalité est que ce mouvement, tout comme le Hamas, est le successeur des mouvements de libération nationale et de décolonisation. Le Hezbollah, à coloration chiite, le Hamas à coloration sunnite, se battent d’abord pour libérer des territoires occupés ; ils sont les héritiers des Fellaga algériens, du Vietcong vietnamen et de tant d’autres mouvements de libération du tiers monde anti-impérialiste.

La coloration religieuse de ces deux mouvements provient de la nature même de l’État d’Israël qui se définit lui-même comme État des Juifs et qui occupe et colonise des territoires en infraction aux résolutions des Nations Unies et aux conventions de Genève. L’État d’Israël est soutenu sans réserve par les États-Unis qui se définissent eux aussi comme une « nation de croyants » et, de façon plus générale, par les pays occidentaux qui depuis quelques années se définissent à leur tour comme défendant des valeurs judéo-chrétiennes ; l’ancienne définition de l’Occident comme héritier de la civilisation gréco-romaine a disparu des vocabulaires. On peut donc difficilement critiquer l’étendard idéologique de ces deux mouvements, lorsque l’on constate la disparition mondiale des espaces laïques et la non application du droit international d’inspiration laïque et humaniste par l’Occident lui-même, dès qu’il s’agit du Proche-Orient.

Il est oiseux de discuter sur la responsabilité respective du Hezbollah et d’Israël dans la nouvelle destruction du Liban. La provocation du Hezbollah capturant deux soldats israéliens dans l’espoir de reprendre les négociations sur la libération des prisonniers libanais restant dans les prisons israéliennes ne permet en aucun cas aux yeux du droit international, en particulier du droit de représailles qui doit être mesuré et proportionnel à l’acte commis, de mettre ainsi le Liban à feu et à sang et sous blocus maritime, aérien et terrestre.

Si l’IRA irlandaise avait enlevée deux soldats britanniques en Irlande du Nord aurait-on accepté que l’Angleterre abreuve l’Irlande du Sud d’un déluge de fer et de feu ? Ou si l’ETA basque avait enlevé ou tué des gendarmes français ou espagnols auraient-on vu l’armée française ou espagnole pilonner de bombes la province basque et y faire des milliers de victimes civiles sous prétexte que les terroristes de l’ETA s’abritent derrière cette population ?

Il est important ici de rappeler qu’un échange de 400 prisonniers libanais dans les prisons israéliennes avait eu lieu en janvier 2004 par l’intermédiaire du gouvernement allemand, suite à l’enlèvement par le Hezbollah d’un homme d’affaires israélien, vraisemblablement membre des services secrets israéliens ; cet échange avait été suspendu par Israël. Le Hezbollah a-t-il cru qu’en capturant deux soldats, il pourrait continuer cet échange ou bien a-t-il voulu soulager la pression sur le gouvernement de l’Autorité Palestinienne dirigée par le Hamas et qui avait fait de même, enlevant un soldat israélien pour obtenir la libération de prisonniers palestiniens en Israël dont le nombre s’élève à 10 000, ou bien encore a-t-il senti que l’étau se refermait sur lui ? Nul ne le saura avec certitude.

L’autre hypothèse, favorisée par les dirigeants occidentaux, est celle d’une opération télécommandée par l’axe Damas-Téhéran ; c’est sûrement la moins plausible. On ne voit pas le Hezbollah qui s’est profondément libanisé depuis une quinzaine d’années, inséré dans le jeu politique libanais, gagné une popularité sans précédent au Liban, mettre en danger son existence même pour les beaux yeux de ces deux puissances régionales. Les combattants de ce parti, on ne le répètera jamais assez, sont des jeunes libanais du sud du Liban qui ont d’abord dédié leur combat à la libération de leur terre. Le fait que ce combat soit soutenu par l’Iran et la Syrie, voir que l’idéologie du « martyr » soit présente dans le discours du parti, n’enlève rien à cette réalité.

Rappelons-nous ici que les luttes anti-coloniales et anti-impérialistes du tiers monde dans les années 50 et 60 étaient soutenues par l’URSS ou la Chine ou l’Égypte nassérienne ; cela n’enlevait rien à la réalité de l’insertion de ces mouvements dans leur société et la légitimité de leur lutte. La France, au lieu de mettre en cause son propre colonialisme, accusait l’Égypte d’être à l’origine de la rébellion algérienne et a même attaquée l’Égypte en 1956 aux côtés d’Israël et du Royaume-Uni. Les États-Unis ont fait de même au Vietnam, accusant l’URSS de financer et soutenir les combattants du Vietcong. Tous ces mouvements de libération se sentaient d’ailleurs solidaires entre eux et avec les mouvements de guérilla d’Amérique Latine, tout comme aujourd’hui, le Hamas et le Hezbollah ne peuvent que se sentir solidaires de la lutte similaire qu’ils mènent contre un même État qui occupe et colonise. L’opinion dans tous les pays arabes se sent, elle aussi, solidaire du combat anti-israélien mené par ces deux mouvements.

La virulence des réactions israéliennes au « refus » des Arabes de prendre en compte leurs exigences de sécurité et leur « droit à la colonisation », en particulier l’obstination des groupes combattants palestiniens et libanais, les plus directement concernés, a été depuis longtemps analysée par des spécialistes des effets produits par l’Holocauste dans la psychologie des dirigeants israéliens.

Le plus célèbre d’entre eux Raul Hilberg explique comment s’est opéré ce qu’il appelle le « transfert d’hostilité » des Juifs dans leur malheur sur la Grande-Bretagne, alors encore puissance mandataire en Palestine et sur les Arabes. C’est ainsi que les communautés juives survivantes de l’Holocauste en Europe et celle des États-Unis, ainsi que les émigrants en Palestine, ne pouvant exprimer leur hostilité à l’encontre de tous ceux qui avaient fait et laissé faire le génocide, l’ont transféré un moment sur les Britanniques, puis de plus en plus sur les Palestiniens et les autres peuples arabes environnants [2]

En réalité, aujourd’hui, les pays occidentaux parviennent d’autant plus facilement à se défausser sur le monde arabe et musulman de toute culpabilité dans l’antisémitisme européen et son paroxysme, l’Holocauste, que la théorie de la guerre de civilisation a pris consistance en s’incarnant dans la doctrine de l’ennemi unique de l’Occident que serait le terrorisme islamique. A l’ancien ennemi disparu qui était la subversion communiste alimentée par l’URSS et la Chine, l’Occident s’est trouvé un ennemi nouveau et Israël, dans cette vision, se trouve à la pointe de ce combat de par sa position géographique même.

De plus, cela permet aussi aux pays européens qui ont colonisé l’ensemble du monde musulman dans un passé récent d’effacer toute trace de culpabilité sur les atrocités commises lors de la colonisation.

Face au chaos proche-oriental, l’Europe se félicite d’être enfin en paix et de réaliser progressivement son unité, après des siècles de guerres féroces entre ses nations, qui ont entraîné deux conflits successifs d’envergure mondiale et causé des dizaines de millions de morts. Elle ne réalise pas, cependant, que le vent de folie meurtrière qui va de l’Afghanistan à la Palestine et au Liban, en passant par l’Irak et que son allié américain appelle « guerre de civilisation » n’est, en grande partie, que le sous produit de sa propre histoire.

C’est en effet au Proche-Orient que se manifeste incontestablement la convulsion la plus spectaculaire de cette histoire tragique, due à l’horreur causée par le génocide des communautés juives d’Europe sous le Troisième Reich. Ce génocide est un point culminant d’un antisémitisme de nature raciste qui a sévi durant tout le XIXè siècle, prenant le relais de l’antijudaïsme de nature théologique prêché durant des siècles par les catholiques et protestants. La Révolution française et le rationalisme déiste de la Philosophie des lumières avaient largement réussi à ouvrir aux juifs une citoyenneté à part entière, notamment en Europe de l’Ouest. Toutefois, le développement en Allemagne des théories linguistiques et racistes opérant une division binaire du monde entre sémites et aryens, avait contribué à réduire cette avancée majeure de la démocratie naissante en Europe.

Ce sont toutes ces données qui expliquent l’anesthésie des consciences européennes, là où ces consciences se sont révoltées comme dans le cas de l’Afrique du Sud, du Timor Oriental et de bien d’autres situations de violation permanente des principes d’humanité [3] Sortir de ce guêpier ne sera guère aisé. Même après la fin du mandat de Georges Bush, il n’est pas sûr que nous ayons un apaisement, car le « nationalisme », voir le fanatisme « civilisationnel » lancé par la politique américaine et repris par beaucoup d’Européens sera d’autant moins facile à apaiser que la rhétorique « islamique » inverse est alimentée par l’expédition malheureuse contre l’Irak, les violences et souffrances sans fin des deux peuples libanais et palestinien, sans parler de la dégradation rapide de la situation en Afghanistan et du déploiement de troupes américaines dans un très grand nombre de pays musulmans, au plus grand mécontentement des sentiments populaires.

L’Union Européenne pourrait certes être plus active et plus dynamique, comme l’y invite son Parlement qui a préconisé à juste titre une application de l’ensemble des résolutions des Nations Unies sur le conflit Israélo-Arabe. Si la « communauté internationale » s’obstine à vouloir faire appliquer ces résolutions, uniquement lorsqu’elles imposent des obligations aux Etats arabes, mais jamais lorsqu’elles en imposent à l’État d’Israël, comme c’est le cas pour la furie avec laquelle on veut imposer au Liban la mise en œuvre de la résolution 1559, il y a peu de chances de voir une la stabilité et la paix régner dans la région.

On peut d’ailleurs être étonné du contraste entre l’activisme du Conseil de sécurité à l’égard du Liban, et notamment toute la série de résolutions les plus contraignantes prises à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri, et son incapacité à faire cesser la mise sous blocus de tout le Liban et le bombardement de ses populations civiles et de son infrastructure. Il est vrai que M. Hariri était « un ami » de l’Occident, alors que le Hezbollah est considéré comme un ennemi, mais est-ce une raison, suffisante pour avoir ainsi deux poids deux mesures dans le traitement de la violence qui frappe aujourd’hui tous les Libanais.

Comme on le voit, le règlement du conflit israélo-arabe exige de renoncer aux simplifications abusives et à la vision binaire et manichéenne du monde qui domine les médias et les cercles dirigeants dans beaucoup de pays occidentaux.
Certes, pour justifier le bain de sang en Palestine et au Liban, on pourra toujours invoquer la nature fanatique de l’Islam, l’absence de traditions démocratiques, la persistance des traditions tribales et communautaires violentes et autres clichés anthropologiques faciles sur l’Orient musulman. On pourra invoquer aussi à loisir la nature machiavélique et éminemment nocive des deux régimes syrien et iranien.

Il n’en reste pas moins, cependant, qu’admettre qu’au nom de la lutte contre le terrorisme on envahisse des pays, les mette sous blocus maritime, aérien et terrestre, terrorise leurs populations civiles par des bombardements aériens massifs, c’est accepter que le « monde civilisé » s’engouffre à nouveau dans une forme de barbarie que l’on croyait disparue.

Plus grave, en faisant de l’État d’Israël, un État hors norme du droit international, ne s’agit-il pas de la résurgence d’une nouvelle forme de racisme inversé, particulièrement subtile, perverse et dangereuse pour l’avenir ?

Le Proche-Orient continue aujourd’hui de payer les dettes morales des guerres et des violences survenues au sein de l’Europe. Celle-ci peut-elle encore réagir pour arrêter ce nouveau bain de sang, accepter la responsabilité qui est la sienne, dépasser ses traumatismes, retrouver sa culture humaniste et anti-raciste, ouvrant ainsi, enfin, la voie à la paix et la réconciliation avec son Orient proche ?

La Méditerranée pourrait-elle enfin redevenir « notre » mer commune, sans ingérence d’Outre-Atlantique ? Il ne semble pas malheureusement que c’est le cas, dans la mesure où la plupart des gouvernements européens, non seulement se sont alignés sur la politique états-unienne au Proche-Orient, mais certains n’ont pas hésité à déclarer ouvertement, tel le gouvernement allemand, qu’ils envoyaient leurs troupes au Liban, dans le cadre du renforcement de la FINUL prévue par la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, pour protéger l’État d’Israël.

De plus, certains dirigeants européens, tel M. Sarkozy, président du principal parti de la majorité parlementaire en France, n’ont pas hésité non plus à faire étalage de leur absence de sympathie pour le Liban dans l’épreuve qu’il a subie au cours de l’été 2006 du fait de l’ampleur de l’agression israélienne et de leur solidarité totale vis-à-vis d’Israël.

En réalité, il apparaît de plus en plus que les États-Unis et Israël servent de polarisateurs à un regain de visées hégémoniques et autoritaires dans le monde, voir même de type fasciste, dont le Proche-Orient fait directement les frais. La tentation pour l’Europe de se joindre à la croisade états-uno-israélienne dans cette région du monde est très forte. Les pays européens, y compris l’Allemagne, ont désormais des contingents armés déployés de l’Afghanistan au Liban, en passant par les Balkans, l’Irak et les pays de la péninsule Arabique pour des missions dont la nature reste à définir. Au Liban, en tous cas, si ces bataillons s’impliquent dans une chasse au Hezbollah au profit d’Israël, cela ne pourra qu’entraîner de très graves conséquences et achever de déstabiliser le Moyen-Orient.

Georges Corm

[1] Voir Dans une liberté plus grande. Développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous Document A/59/2005 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, New York.

[2] « La réserve qu’observait la communauté juive à l’égard de l’Allemagne fut remplacée au moins chez les juifs du monde occidental, par des actes de militantisme en faveur d’Israël », écrit cet auteur. « Le déplacement de l’hostilité ne constitue pas une réaction isolée dans les annales du comportement individuel et de masse. C’est une vaste entreprise de « neutralisation » réussie, l’une des plus grandes de l’histoire ». Extrait de l’ouvrage capital de Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, vol. II, pp.905-906, Gallimard, Folio/histoire, Paris, 1991.

[3] C’est cette anesthésie qu’illustre parfaitement bien l’article de Joschka Fischer, « Le mauvais calcul iranien » dans le quotidien français Le Monde du 8 août 2006 où il pratique l’analyse caricaturale de la crise que nous avons exposée dans notre analyse et fait preuve d’une insensibilité totale aux souffrances que l’armée israélienne impose aux civils, Libanais et Palestiniens.