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Premier bilan de la rencontre Resister pour Exister

Retour sur la rencontre 

organisée par le CAP entre le 3 et le 11 Août 2008 autour du thème :

Résistances à l’Oppression et Droit des Peuples à l’Autodétermination

MERCI à tous les participants

Blog consacé à la rencontre
resisterpourexister.unblog.fr

A l’occasion de la commémoration du 60ème anniversaire de la Nakba, 20 jeunes Palestiniens ont été accueillis en France {à Lormont près de Bordeaux} du 3 au 11 août 2008.

Venus du camp de réfugiés de Aida en Cisjordanie, des camps de réfugiés du Liban, de Haifa, de Gaza et de Ramallah, ces jeunes Palestiniens étaient invités par le Comité Action Palestine

L’objectif de cette rencontre était de faire connaître, de populariser la cause du peuple palestinien en France, en faisant intervenir de jeunes palestiniens qui n’ont pas la possibilité de se rencontrer en Palestine. De jeunes français ont également participé à cet échange.

Ils ont pu témoigner de l’oppression sioniste et partager la réflexion sur le thème du droit à la résistance et à l’autodétermination avec de jeunes Français. Au cours de la soirée consacrée à la Nakba, les Palestiniens et un intervenant du Comité Action Palestine ont clairement exposé l’histoire de la colonisation de la Palestine par les sionistes. Les Palestiniens ont insisté sur l’idée que la Nakba continue toujours {construction du mur raciste, judaïsation de la Palestine, crimes de masses, expulsions …} et ont vigoureusement défendu le principe, non négociable, du droit au retour des réfugiés palestiniens.

Plusieurs autres conférences publiques ont été organisées afin de présenter d’autres situations d’oppression, passées ou présentes.

La résistance algérienne contre la colonisation française a été évoquée grâce à la projection du film « la bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo. Deux raisons expliquent le choix de ce film : d’abord la lutte de libération du peuple algérien a longtemps symbolisé pour les peuples des pays du Sud une victoire exemplaire contre le colonialisme et l’impérialisme occidental ; ensuite de nombreux parallèles ont été faits entre le modèle de libération nationale algérienne et la résistance palestinienne. En effet, les jeunes Palestiniens ont été frappés par les nombreuses similitudes des modes d’oppression coloniale israéliens et français et des formes de lutte de la résistance algérienne et palestinienne.

Lors d’une autre soirée publique, le sociologue Saïd Bouamama a abordé le thème de l’oppression néo-coloniale en France. Sa thèse est qu’il y a une persistance de l’idéologie coloniale en France. C’est une idéologie qui peut se résumer à son caractère raciste et discriminatoire confinant la population issue de l’immigration à un statut social inférieur. L’interdiction du port du voile à l’école, la répression permanente dans les quartiers à forte concentration de personnes immigrées, le débat sur les effets positifs de la colonisation, sont autant d’exemples concrets qui montrent que la société française n’a pas rompu avec l’idéologie coloniale.

De nombreux débats ainsi que des ateliers artistiques ont été organisés. Cet évènement a aussi donné lieu à de multiples rencontres avec les habitants de Lormont et des environs. A l’issue de cette semaine, un spectacle retraçant l’histoire du peuple palestinien depuis 1948 a été présenté par l’ensemble des jeunes palestiniens et français, à l’occasion d’un festival organisé par la ville de Lormont.

Auprès de la presse locale, les jeunes palestiniens ont pu s’exprimer sur « le génocide social, la révolution intérieure et sur l’importance de la culture et de l’éducation ». Ils ont déclaré « Nous avons des mentalités différentes, mais nous sommes tous un même peuple ».

Les organisations palestiniennes associées à cette rencontre étaient Al Rowwad (Camp de réfugiés de Aida), Ajial (réfugiés palestiniens au Liban), Ittijah (collectif d’associations de Palestine de 48) et la GUPS.

Vous pouvez retrouver sur notre site, certains des articles de presses parrus à propos de cette rencontre :

– Terre de Rencontre – Sud Ouest – Mardi 05 Août 2008
– Rapper et résister – Sud Ouest – Vendredi 08 Août 2008
– D’une même voix – Sud Ouest – Lundi 11 Août 2008




PROGRAMME de la rencontre

Publié: Thu, 28-Aug-2008
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Une vingtaine de jeunes palestiniens venant de Cisjordanie, du Liban et des territoires de 48 seront présents à Lormont pour rencontrer de jeunes français et conduire une réflexion sur la résistance à l’oppression et le droit des peuples à l’autodétermination.

Voir notre présentation de la rencontre .

Débats, conférences, ateliers artistiques, visites à thème, projection de film sont au programme.

Plusieurs rencontres publiques vous sont proposées.

Mardi 5 août 20h00 au Centre Social Lormont Génicart
Conférence-débat avec Said Bouamama, sociologue.
De l’oppression coloniale à l’oppression néocoloniale :
racisme et discriminations

Mercredi 6 août 20h00 au Centre Social Lormont Génicart
Commémoration du 60ème anniversaire de la Nakba palestinienne : interventions politiques, témoignages des participants palestiniens.

Vendredi 8 août 20h30 au Centre Social Lormont Génicart
Projection-débat du film « La Bataille d’Alger ».

Samedi 9 août 9h30 au Centre Social Lormont Génicart
Blabladej sur le thème « Résistances et Solidarités ».

Samedi 9 août : Soirée de clôture, place Magendie à Lormont,
dans le cadre du Festival « Bleue comme une Orange »
* Présentation d’une création artistique préparée par les jeunes participants au cours de la semaine
* Concert du trio Al Khatib, musique traditionnelle palestinienne
* Concert de reggae avec LeeRoy

Avec le partenariat de la Mairie et des Centres Sociaux de Lormont, des associations « Collectif pour l’Egalité », « Qu’on pose », « DiversCités », et le soutien du CCFD, du CBSP, du Conseil Général de Gironde et du Conseil Régional d’Aquitaine.




Rencontres de jeunes, Palestiniens et Français

Publié: Thu, 07-Aug-2008
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Formes de résistance à l’oppression et droit des peuples à l’autodétermination

L’objectif général de ce projet est de faire connaître et de populariser la cause du peuple palestinien, élément central de cette manifestation, auprès d’autres jeunes et auprès d’un public plus large.

L’enjeu de cette rencontre est aussi de permettre que des jeunes échangent à partir de leur histoire et de celle de leurs peuples. Non seulement ceux-ci ont une appartenance géographique commune, la Méditerranée, mais les histoires de leurs peuples se sont souvent croisées et elles présentent de grandes similarités. Si les modèles politiques de types fascistes ou coloniaux ont été vaincus, les Palestiniens, eux, résistent toujours à la plus terrible des colonisations. Aujourd’hui nous nous trouvons également dans une phase politique mondiale où les peuples font face à une réapparition de modèles politiques autoritaires et à de nouvelles formes d’occupation ou de colonialisme.

La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ainsi que la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 reconnaissent le droit de résistance à l’oppression. La charte des Nations Unies reconnaît, quant à elle, le droit des peuples à la libre détermination. Le droit à la résistance et le droit à l’autodétermination seront le thème central de l’échange intellectuel, politique et artistique entre ces jeunes. Cet échange ne sera pas donc un simple exercice formel, il devrait déboucher sur une expérience positive de la solidarité entre ces jeunes, une solidarité durable au-delà des nombreuses frontières qu’elles soient d’ordre culturel, géographique, historique, etc.

Il s’agira donc au cours de l’échange de restituer le vécu de chacun des groupes et leurs réflexions sur les différentes formes d’oppression et de répression politiques vécues par leurs peuples.

Choisie comme l’un des modes principaux de la rencontre, la création artistique, comme médiation universelle entre les peuples, est un mode approprié pour établir une communication entre ces jeunes aux histoires particulières et mettre en lumière ce qui les unit, les rassemblent : la résistance contre des modèles politiques par nature répressifs et aliénants, tout en soulignant le caractère central de la cause des Palestiniens qui vivent l’une des formes de domination politique les plus radicales. Dans ce cas, la création artistique s’appuie sur le particulier, sur ce qui est propre à chaque groupe, pour nous indiquer la voie commune fondée sur la solidarité et la conscience d’un destin commun : la libération.

 Cet échange rassemblera, du 3 au 11 août 2008 , 35 jeunes, principalement palestiniens (réfugiés en Cisjordanie, territoires de 48, réfugiés au Liban) et français, à Lormont, commune de l’agglomération bordelaise.

Ces échanges se concrétiseront entre autres par une création collective qui sera élaborée au cours de la semaine à partir de ce que chaque groupe apportera et des échanges qui auront lieu pendant la rencontre. Cette création collective sera présentée en fin de semaine lors d’une soirée festive intitulée « Palestine au cœur du Monde ». Un espace débat et la participation de musiciens palestiniens sont envisagés.

La semaine de rencontre et d’échanges entre jeunes palestiniens et français sera aussi animée par des conférences-débats autour de la question des formes de résistance à l’oppression et du droit des peuples à l’autodétermination .

Trois thèmes structurant cette problématique ont été retenus :

– censure et désinformation,
– racisme et discrimination,
– guerre et démocratie .

Le Comité Action Palestine a décidé d’inviter pour aborder chacun des thèmes un spécialiste en la matière. Les thèmes choisis ont le mérite d’être transversaux, ce qui permettra d’exposer des situations communes d’oppression aux Palestiniens et aux Français, de réfléchir aux causes systémiques de la domination et de l’injustice et enfin d’envisager les modalités de résistance populaire.

Conjointement auront lieu des projections de film et des témoignages en rapport avec la question de l’oppression des peuples.

Des journées détente sont prévues. Plusieurs soirées publiques seront organisées, pour que les jeunes, notamment les Palestiniens, témoignent et rendent compte de ce partage d’expérience. Une soirée sera consacrée à la commémoration de la Nakba.

Si vous voulez nous aider pour que cette rencontre ait lieu dans les meilleures conditions, envoyez vos dons par chèque à Comité Action Palestine, 6 bis rue de Janeau, 33 100 BORDEAUX.

Pour plus de renseignements, n’hésitez pas à nous contacter :

– rubrique CONTACT du site
– ou par mail : actionpalestine@hotmail.com




Aimé Césaire : Lettre à Maurice Thorez

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Dans cette lettre de démission envoyée par Aimé Césaire à Maurice Thorez, alors secrétaire général du PCF, le 24 octobre 1956 , il y a des éléments de réflexion précieux et toujours actuels qui ne concernent pas seulement la critique du stalinisme.

Aimé Césaire a admirablement bien décrit le rapport instauré par le PCF avec les mouvements de libération anticoloniaux : une posture de « fraternalisme », qui à l’instar du paternalisme colonial, dictait aux militants anticoloniaux leur conduite politique ; une condescendance qui n’avait rien à envier à celle qui était instituée par les colons avec les indigènes.

Le Parti Communiste Français considérait la lutte de libération nationale comme une question secondaire, subordonnée à la révolution prolétarienne mondiale (horizon politique très lointain bien sur). Aimé Césaire a justement refusé ce rôle secondaire dévolu aux indépendantistes, cette subordination au PCF, comme au fait colonial en général.

Une analyse juste et toujours actuelle ? Lisez plutôt : « c’est une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative dont je parlais tout à l’heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité« .

Transposée à la Palestine aujourd’hui, l’analyse semble lumineuse. En effet de l’extrême droite à l’extrême gauche en France comme dans toute l’Europe on refuse aux Palestiniens ce droit à l’initiative, ce droit à la personnalité. Cette révolution copernicienne souhaitée par Aimé Césaire est plus que jamais très lointaine.


 

Aimé Césaire, Député de la Martinique,
à Maurice Thorez, Secrétaire Général du Parti Communiste Français.

 

Maurice Thorez,

Il me serait facile d’articuler tant à l’égard du Parti Communiste Français qu’à l’égard du Communisme International tel qu’il est patronné par l’Union Soviétique, une longue liste de griefs ou de désaccords.

La moisson a été particulièrement riche ces derniers temps et les révélations de Khrouchtchev sur Staline sont telles qu’elles ont plongé, ou du moins, je l’espère, tous ceux qui ont, à quelque degré que ce soit, participé à l’action communiste dans un abîme de stupeur, de douleur et de honte.

Oui, ces morts, ces torturés, ces suppliciés, ni les réhabilitations posthumes, ni les funérailles nationales, ni les discours officiels ne prévaudront contre eux. Ils ne sont pas de ceux dont on conjure le spectre par quelque phrase mécanique.

Désormais leur visage apparaît en filigrane dans la pâte même du système, comme l’obsession de notre échec et de notre humiliation.

Et bien entendu, ce n’est pas l’attitude du Parti Communiste Français, telle qu’elle a été définie en son XIVe Congrès, attitude qui semble avant tout avoir été dictée par le dérisoire souci des dirigeants de ne pas perdre la face, qui aura permis de dissiper le malaise et obtenu que cesse de s’ulcérer et de saigner au plus vif de nos consciences une blessure.

Les faits sont là, massifs.

Je cite pêle-mêle : les précisions données par Khrouchtchev sur les méthodes de Staline ; la vraie nature des rapports entre le pouvoir de l’Etat et la classe ouvrière dans trop de démocraties populaires, rapports qui nous font croire à l’existence dans ces pays d’un véritable capitalisme d’Etat exploitant la classe ouvrière de manière pas très différente de la manière dont on en use avec la classe ouvrière dans les pays capitalistes ; la conception généralement admise dans les partis communistes de type stalinien des relations entre états et partis frères, témoin le tombereau d’injures déversées pendant cinq ans sur la Yougoslavie coupable d’avoir affirmé sa volonté d’indépendance ; le manque de signes positifs indiquant la volonté du Parti Communiste Russe et de l’Etat soviétique d’accorder leur indépendance aux autres partis communistes et aux autres états socialistes ; ou alors le manque de hâte des partis non russes et singulièrement du Parti Communiste Français à s’emparer de cette offre et à affirmer leur indépendance à l’égard de la Russie ; tout cela nous autorise à dire que – exception faite pour la Yougoslavie – dans de nombreux pays d’Europe, et au nom du Socialisme, des bureaucraties coupées du peuple, des bureaucraties usurpatrices et dont il est maintenant prouvé qu’il n’y a rien à attendre, ont réussi la piteuse merveille de transformer en cauchemar ce que l’humanité a pendant longtemps caressé comme un rêve : le Socialisme.

Quant au Parti Communiste Français, on n’a pas pu ne pas être frappé par sa répugnance à s’engager dans les voies de la déstalinisation ; sa mauvaise volonté à condamner Staline et les méthodes qui l’ont conduit au crime ; son inaltérable satisfaction de soi ; son refus de renoncer pour sa part et en ce qui le concerne aux méthodes antidémocratiques chères à Staline ; bref par tout cela qui nous autorise à parler d’un stalinisme français qui a la vie plus dure que Staline lui,même et qui, on peut le conjecturer, aurait produit en France les mêmes catastrophiques effets qu’en Russie, si le hasard avait permis qu’en France il s’installât au pouvoir.

Ici comment taire notre déception ?

Il est très vrai de dire qu’au lendemain du rapport Khrouchtchev nous avons tressailli d’espérance.

On attendait du Parti Communiste Français une autocritique probe ; une désolidarisation d’avec le crime qui le disculpât ; pas un reniement, mais un nouveau et solennel départ ; quelque chose comme le Parti Communiste fondé une seconde fois… Au lieu qu’au Havre, nous n’avons vu qu’entêtement dans l’erreur ; persévérance dans le mensonge ; absurde prétention de ne s’être jamais trompé ; bref chez des pontifes plus que jamais pontifiant, une incapacité sénile à se déprendre de soi même pour se hausser au niveau de l’événement et toutes les ruses puériles d’un orgueil sacerdotal aux abois.

Quoi ! Tous les partis communistes bougent. Italie. Pologne. Hongrie. Chine. Et le parti français, au milieu du tourbillon général, se contemple lui, même et se dit satisfait. Jamais je n’ai eu autant conscience d’un tel retard historique affligeant un grand peuple…

Mais, quelque grave que soit ce grief – et à lui seul très suffisant car faillite d’un idéal et illustration pathétique de l’échec de toute une génération – je veux ajouter un certain nombre de considérations se rapportant à ma qualité d’homme de couleur.

Disons d’un mot : qu’à la lumière des événements (et réflexion faite sur les pratiques honteuses de l’antisémitisme qui ont eu cours et continuent encore semble-t-il à avoir cours dans des pays qui se réclament du socialisme), j’ai acquis la conviction que nos voies et celles du communisme tel qu’il est mis en pratique, ne se confondent pas purement et simplement ; qu’elles ne peuvent pas se confondre purement et simplement.

Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, hommes de couleur, en ce moment précis de l’évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience.

Singularité de notre « situation dans le monde » qui ne se confond avec nulle autre.

Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.

Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle.

Singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle.

Qu’en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l’avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites ; qu’elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ? C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l’on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier.

Ici il est clair que je fais allusion au vote du Parti Communiste Français sur l’Algérie, vote par lequel le parti accordait au gouvernement Guy Mollet Lacoste les pleins pouvoirs pour sa politique en Afrique du Nord – éventualité dont nous n’avons aucune garantie qu’elle ne puisse se renouveler. En tout cas, il est constant que notre lutte, la lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme, la lutte des peuples de couleur contre le racisme est beaucoup plus complexe – que dis-je, d’une tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière, être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte.

Je me suis souvent posé la question de savoir si dans des sociétés comme les nôtres, rurales comme elles sont, les sociétés de paysannerie, où la classe ouvrière est infime et où par contre, les classes moyennes ont une importance politique sans rapport avec leur importance numérique réelle, les conditions politiques et sociales permettaient dans le contexte actuel, une action efficace d’organisations communistes agissant isolément (à plus forte raison d’organisations communistes fédérées ou inféodées au parti communiste de la métropole) et si, au lieu de rejeter à priori et au nom d’une idéologie exclusive, des hommes pourtant honnêtes et foncièrement anticolonialistes, il n’y avait pas plutôt lieu de rechercher une forme d’organisation aussi large et souple que possible, une forme d’organisation susceptible de donner élan au plus grand nombre, plutôt qu’à caporaliser un petit nombre. Une forme d’organisation où les marxistes seraient non pas noyés, mais où ils joueraient leur rôle de levain, d’inspirateur, d’orienteur et non celui qu’à présent ils jouent objectivement, de diviseurs des forces populaires.

L’impasse où nous sommes aujourd’hui aux Antilles, malgré nos succès électoraux, me paraît trancher la question : j’opte pour le plus large contre le plus étroit ; pour le mouvement qui nous met au coude à coude avec les autres et contre celui qui nous laisse entre nous ; pour celui qui rassemble les énergies contre celui qui les divise en chapelles, en sectes, en églises ; pour celui qui libère l’énergie créatrice des masses contre celui qui la canalise et finalement la stérilise.

En Europe, l’unité des forces de gauche est à l’ordre du jour ; les morceaux disjoints du mouvement progressiste tendent à se ressouder, et nul doute que ce mouvement d’unité deviendrait irrésistible si du côté des partis communistes staliniens, on se décidait à jeter par dessus bord tout l’impedimenta des préjugés, des habitudes et des méthodes hérités de Staline.

Nul doute que dans ce cas, toute raison, mieux, tout prétexte de bouder l’unité serait enlevé à ceux qui dans les autres partis de gauche ne veulent pas de l’unité, et que de ce fait les adversaires de l’unité se trouveraient isolés et réduits à l’impuissance.

Et alors, comment dans notre pays, où le plus souvent, la division est artificielle, venue du dehors, branchée qu’elle est sur les divisions européennes abusivement transplantées dans nos politiques locales, comment ne serions-nous pas décidés à sacrifier tout, je dis tout le secondaire, pour retrouver l’essentiel ; cette unité avec des frères, avec des camarades qui est le rempart de notre force et le gage de notre confiance en l’avenir.

D’ailleurs, ici, c’est la vie elle-même qui tranche. Voyez donc le grand souffle d’unité qui passe sur tous les pays noirs ! Voyez comme, çà et là, se remaille le tissu rompu ! C’est que l’expérience, une expérience durement acquise, nous a enseigné qu’il n’y a à notre disposition qu’une arme, une seule efficace, une seule non ébréchée : l’arme de l’unité, l’arme du rassemblement anticolonialiste de toutes les volontés, et que le temps de notre dispersion au gré du clivage des partis métropolitains est aussi le temps de notre faiblesse et de nos défaites.

Pour ma part, je crois que les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion qu’il ne leur manque ni vigueur, ni imagination mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.

Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination. Solidarité et démission. Or c’est là très exactement de quoi nous menacent quelques uns des défauts très apparents que nous constatons chez les membres du Parti Communiste Français : leur assimilationisme invétéré ; leur chauvinisme inconscient ; leur conviction passablement primaire – qu’ils partagent avec les bourgeois européens – de la supériorité omnilatérale de l’Occident ; leur croyance que l’évolution telle qu’elle s’est opérée en Europe est la seule possible ; la seule désirable ; qu’elle est celle par laquelle le monde entier devra passer ; pour tout dire, leur croyance rarement avouée, mais réelle, à la civilisation avec un grand C ; au progrès avec un grand P (témoin leur hostilité à ce qu’ils appellent avec dédain le « relativisme culturel », tous défauts qui bien entendu culminent dans la gent littéraire qui à propos de tout et de rien dogmatise au nom du parti).

Il faut dire en passant que les communistes français ont été à bonne école. Celle de Staline. Et Staline est bel et bien celui qui a ré introduit dans la pensée socialiste, la notion de peuples « avancés » et de peuples « attardés ». Et s’il parle du devoir du peuple avancé (en l’espèce les Grands Russes) d’aider les peuples arriérés à rattraper leur retard, je ne sache pas que le paternalisme colonialiste proclame une autre prétention.

Dans le cas de Staline et de ses sectateurs, ce n’est peut-être pas de paternalisme qu’il s’agit. Mais c’est à coup sûr de quelque chose qui lui ressemble à s’y méprendre.

Inventons le mot : c’est du « fraternalisme ».

Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès.

Or c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus.

Nous voulons que nos sociétés s’élèvent à un degré supérieur de développement, mais d’ elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité intérieure, par progrès organique, sans que rien d’extérieur vienne gauchir cette croissance, ou l’altérer ou la compromettre.

Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous. Si le but de toute politique progressiste est de rendre un jour leur liberté aux peuples colonisés, au moins faut-il que l’action quotidienne des partis progressistes n’entre pas en contradiction avec la fin recherchée et ne détruise pas tous les jours les bases mêmes, les bases organisationnelles comme les bases psychologiques de cette future liberté, lesquelles se ramènent à un seul postulat : le droit à l’initiative.

Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est ni le marxisme ni le communisme que je renie, que c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. Que ce que je veux, c’est que marxisme et communisme soient mis au service des peuples noirs, et non les peuples noirs au service du marxisme et du communisme. Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, non les hommes pour la doctrine ou pour le mouvement. Et bien entendu cela n’est pas valable pour les seuls communistes. Et si j’étais chrétien ou musulman, je dirais la même chose. Qu’aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous. Cela a l’air d’aller de soi. Et pourtant dans les faits cela ne va pas de soi.

Et c’est ici une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative dont je parlais tout à l’heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité.

C’est sans doute là l’essentiel de l’affaire.

Il existe un communisme chinois. Sans très bien le connaître, j’ai à son égard un préjugé des plus favorables. Et j’attends de lui qu’il ne verse pas dans les monstrueuses erreurs qui ont défiguré le communisme européen. Mais il m’intéresserait aussi et plus encore, de voir éclore et s’épanouir la variété africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales et nos vieilles sagesses nuanceraient, j’en suis sûr, ou compléteraient bien des points de la doctrine.

Mais je dis qu’il n’y aura jamais de variante africaine, ou malgache, ou antillaise du communisme, parce que le communisme français trouve plus commode de nous imposer la sienne. Qu’il n’y aura jamais de communisme africain, malgache ou antillais, parce que le Parti Communiste Français pense ses devoirs envers les peuples coloniaux en termes de magistère à exercer, et que l’anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu’il combat. Ou encore, ce qui revient au même, qu’il n’y aura pas de communisme propre à chacun des pays coloniaux qui dépendent de la France, tant que les bureaux de la rue Saint- Georges, les bureaux de la section coloniale du Parti Communiste Français, ce parfait pendant du Ministère de la rue Oudinot, persisteront à penser à nos pays comme à terres de missions ou pays sous mandat. Pour revenir à notre propos, l’époque que nous vivons est sous le signe d’un double échec : l’un évident, depuis longtemps, celui du capitalisme. Mais aussi l’autre, celui, effroyable, de ce que pendant trop longtemps nous avons pris pour du socialisme ce qui n’était que du stalinisme. Le résultat est qu’à l’heure actuelle le monde est dans l’impasse.

Cela ne peut signifier qu’une chose : non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir, mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l’imposture, à la tyrannie, au crime.

C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres.

L’heure de nous mêmes a sonné.

Et ce que je viens de dire des nègres n’est pas valable que pour les nègres. Oui tout peut encore être sauvé, tout, même le pseudo socialisme installé çà et là en Europe par Staline, à condition que l’initiative soit rendue aux peuples qui jusqu’id n’ont fait que la subir ; à condition que le pouvoir descende et s’enracine dans le peuple, et je ne cache pas que la fermentation qui se produit à l’heure actuelle en Pologne, par exemple, me remplit de joie et d’espoir.

Ici que l’on me permette de penser plus particulièrement à mon malheureux pays : la Martinique.

J’y pense pour constater que le Parti Communiste Français est dans l’incapacité absolue de lui offrir une quelconque perspective qui soit autre chose qu’utopique ; que le Parti Communiste Français ne s’est jamais soucié de lui en offrir ; qu’il n’a jamais pensé à nous qu’en fonction d’une stratégie mondiale au demeurant déroutante.

J’y pense pour constater que le communisme a achevé de lui passer autour du cou le noeud coulant de l’assimilation ; que le communisme a achevé de l’isoler dans le bassin caraïbe ; qu’il a achevé de le plonger dans une manière de ghetto insulaire ; qu’il a achevé de le couper des autres pays antillais dont l’expérience pourrait lui être à la fois instructive et fructueuse (car ils ont les mêmes problèmes que nous et leur évolution démocratique est impétueuse) : que le communisme enfin, a achevé de nous couper de l’Afrique Noire dont l’évolution se dessine désormais à contre-sens de la nôtre. Et pourtant cette Afrique Noire, la mère de notre culture et de notre civilisation antillaise, c’est d’elle que j’attends la régénération des Antilles, pas de l’Europe qui ne peut que parfaire notre aliénation, mais de l’Afrique qui seule peut revitaliser, repersonnaliser les Antilles.

Je sais bien. On nous offre en échange la solidarité avec le peuple français ; avec le prolétariat français, et à travers le communisme, avec les prolétariats mondiaux. Je ne nie pas ces réalités. Mais je ne veux pas ériger ces solidarités en métaphysique. Il n’y a pas d’alliés de droit divin. Il y a des alliés que nous impose le lieu, le moment et la nature des choses. Et si l’alliance avec le prolétariat français est exclusive, si elle tend à nous faire oublier ou contrarier d’autres alliances nécessaires et naturelles, légitimes et fécondantes, si le communisme saccage nos amitiés les plus vivifiantes, celle qui nous unit à l’Afrique, alors je dis que le communisme nous a rendu un bien mauvais service en nous faisant troquer la Fraternité vivante contre ce qui risque d’apparaître comme la plus froide des abstractions. Je préviens une objection. Provincialisme ? Non pas. Je ne m’enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas non plus me perdre dans un universalisme décharné.

Il y a deux manières de se perde : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’ « universel ».

Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. Alors ? Alors il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au lieu de suivre ; la force « d’inventer » notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent. En bref, nous considérons désormais comme notre devoir de conjuguer nos efforts à ceux de tous les hommes épris de justice et de vérité pour bâtir des organisations susceptibles d’aider de manière probe et efficace les peuples noirs dans leur lutte pour aujourd’hui et pour demain : lutte pour la justice ; lutte pour la culture ; lutte pour la dignité et la liberté ; des organisations capables en un mot de les préparer dans tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l’histoire en ce moment même fait peser si lourdement sur leurs épaules.

Dans ces conditions, je vous prie de recevoir ma démission de membre du Parti Communiste Français.

Aimé Césaire, Paris, le 24 octobre 1956




Le hezbollah et les inconnues bien connues

abc_hezbollah_080619_mn[1]Article de Ramzy Baroud publié le 24 février 2008 par Maan News Agency .

Cette analyse montre comment l’assassinat de Imad Mugniyah le 12 février, général en chef du Hezbollah, par le Mossad, fait partie d’un plan de déstabilisation du Liban et de toute la région.

Le chaos dans lequel s’enfonce lentement le Liban est programmé par Israël et son allié américain pour qu’une guerre civile éclate dans ce pays.

L’objectif est, pour Israël, de réussir par d’autres moyens, ce qui a échoué en 2006 et ainsi provoquer une guerre éventuelle avec le Liban et la Syrie en espérant également l’implication de l’Iran.

Si le plan d’Israël est assez clair pour parler d’inconnues connues, le fait de savoir si une telle guerre tournera en faveur d’Israël reste du domaine des inconnues inconnues.


Nous savons tous très bien qui a tué le général en chef du Hezbollah, Imad Mugniyah, le 12 février dernier à Damas.

Pendant que dans les médias américains, seuls des journalistes comme Seymour Hersh ont le cran de pointer l’évidence, les médias israéliens ont reculé devant les preuves que les services de renseignements israéliens étaient impliqués dans cet assassinat bien préparé.

L’important quotidien israélien Maariv a présenté une version partagée par beaucoup d’autres journaux en concluant : « Officiellement, Israël a nié hier toute responsabilité dans cet assassinat. Mais les experts ont dit que l’excellente méthode utilisée pour cette attaque était caractéristique du Mossad.

Le Financial Times a aussi rapporté l’analyse lourde de sens d’un commentateur israélien. « L’assassinat de Mugniyah est peut-être le coup le plus fort porté au Hezbollah jusqu’à ce jour. Pas seulement pour ses compétences opérationnelles, ses liens étroits avec les Iraniens, et la série des attaques terroristes qu’il a conduite avec succès. Mais aussi parce qu’il était un symbole, une légende, un mythe ».

Donald Rumsfeld n’est peut-être plus au premier plan, mais sa philosophie est toujours bien vivante. « Nous savons aussi qu’il y a des inconnues bien connues » a t-il une fois déclaré à des journalistes perplexes. Précisément, l’inconnue connue est que le Mossad israélien a tué Mughiyah, et l’a tué pour des raisons spécifiques, à un moment et un lieu bien choisis, dans une parfaite logique pour les intérêts du gouvernement israélien.

Intéressons nous d’abord au moment :

Le second mandat du Président Bush se terminera dans un an. Pour ce Président qui a inconditionnellement approuvé sans discussion la politique israélienne, une année n’est pas suffisante pour fixer des objectifs à long terme, mais c’est assez pour initier le chaos.

« Si vous voulez le chaos, alors nous y sommes favorable. Si vous voulez la guerre, et bien vous l’aurez. Nous n’avons aucun problème avec les armes ou avec les roquettes que nous allons vous envoyer ». Ce sont les mots de Walid Jumblatt leader libanais de la coalition du 14 mars actuellement au pouvoir, mots dirigés à l’encontre de l’opposition conduite par le Hezbollah quelques jours avant le 3ème anniversaire de l’assassinat de Rafiq Hariri. En connaissant la force militaire du Hezbollah au Liban, il n’est pas difficile d’imaginer d’où les roquettes évoquées par Walid Jumblatt vont provenir.

Effectivement, les désaccords internes et l’hostilité ouverte, l’impasse politique qui plane sur le futur parlement du pays et le gouvernement, tout concourt à dire que le Liban est prêt à plonger dans le chaos. Ce sont de bonnes nouvelles pour Israël et pour l’administration Bush. Une guerre civile peut réussir là où la guerre illégale et pourrie menée en 2006 par Israël a échoué.

Cette guerre de 34 jours, célébrée par le Hezbollah comme une victoire, a représenté un recul massif des conceptions régionales israéliennes et de ceux qui souhaitaient supprimer le Hezbollah de l’équation politique du pays. En fait cette guerre a eu l’effet inverse : le Hezbollah en est sorti triomphant. Plus récemment, la propre enquête israélienne sur cette guerre a conclu, en quelque sorte, à la défaite d’Israël.

Le rapport de la commission Winograd a largement mis en cause l’armée et levé toutes responsabilités du Premier Ministre Ehud Olmert. Ce rapport a décrit l’échec de la guerre comme « une sérieuse occasion manquée ». Le rapport n’a pas condamné la guerre, mais a décrié son manque d’efficacité et sa piètre mise en œuvre.

Comment Olmert peut-il corriger les erreurs de cette guerre sans en conduire une autre ?

Et quel meilleur moment pour une guerre que celui où le Hezbollah et ses rivaux sont engagés dans leur propre conflit interne ?

Mais l’assassinat d’une personne de haut rang comme Mugniyah n’était pas simplement une occasion pour se vanter d’une opération classique du Mossad. C’était une composante majeure du plan, dont l’objectif est une guerre éventuelle avec le Liban et la Syrie en espérant également l’implication de l’Iran.

Israël n’a pas caché sa déception lorsque le rapport des Services Secrets Américains a conclu que l’Iran ne fabriquait plus d’armes nucléaires. Cela voulait simplement dire que les USA n’attaqueraient pas l’Iran cette fois-ci. Mais pour Israël, « l’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence » une autre remarque de Rumsfeld. En redoutant que l’Iran prenne le contrôle de la région, Israël, avec le feu vert de Bush, est maintenant prêt pour l’escalade.

Les officiels israéliens, les experts et leurs amis dans le gouvernement US, ainsi que les médias construisent un motif de confrontation avec l’Iran. Au cours d’un voyage récent en Allemagne, avec des entretiens avec le Chancelier Angela Merkel à Berlin, Olmert s’est déclaré « sûr » que l’Iran mettait au point des armes nucléaires. « Les Iraniens avancent dans leurs projets de développer leur arsenal d’armes non-conventionnelles » a-t-il déclaré à des journalistes.

Israël, n’est cependant, ni capable, ni ne souhaite faire face à l’Iran dans une guerre conventionnelle.

Pour que le plan d’Israël réussisse, le conflit interne au Liban doit aller en s’intensifiant et l’union nationale ne doit pas être atteinte, une mission remplie par les mystérieuses explosions à la bombe qu’on n’hésite pas à mettre sur le dos de la Syrie et de ses alliés libanais.

Par leur exultation malveillante, sans toutefois révéler beaucoup de choses sur l’assassinat de Mugniyah, les commentateurs israéliens pourraient avoir perdu de vue le grand pari de leur gouvernement. La réponse du Hezbollah, clamée par leur leader Hassan Nasrallah, était un vœu pour une guerre « ouverte ». Le groupe préfère éviter les altercations à la frontière et porter la guerre contre Israël sur la scène internationale, comme Israël l’a fait. Et comme Israël, il pourra exulter, mais officiellement dégager sa responsabilité des opérations qu’il effectuera.

Le cours des évènements futurs est maintenant plus prédictible, bien que le fait de savoir si une telle riposte tournera en faveur d’Israël reste au royaume des inconnues inconnues. Peut-être que Rumsfeld avait raison après tout.

Ramzy Baroud

Traduction : N. Ollat pour le Comité Action Palestine




Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l’ONU

ONU-cible-[1]Article de Bruno Guigue publié le 13 mars 2008 sur Oumma.com. Cet article a servi de prétexte à l’état français pour limoger le sous-prefet de Saintes dès le 19 mars.

Le Comité Action Palestine dénonce la censure qui frappe tous les défenseurs de la cause palestinienne et témoigne de sa solidarité avec tous les nouveaux justes qui, à l’instar de Bruno Guigue, soutiennent le peuple palestinien, un peuple dont l’extermination, lente mais certaine, a commencé il y a 60 ans.

Le CAP dénonce avec force la chasse aux sorcières contre tous les antisionistes qui ont l’audace de dire la vérité, une vérité pourtant toute simple : l’Etat raciste d’Israël est un « artefact colonial bâti au forceps sur les ruines de la Palestine au nom de la Bible et de la Shoah « .

Ce qui est en fait reproché à Bruno Guigue est la critique de l’Etat d’Israël et non pas la transgression du devoir de réserve imposé aux hauts fonctionnaires. Car nombreux sont ceux qui, comme lui, ont été soit censurés soit limogés pour la même raison, c’est-à-dire avoir dévoilé la nature du sionisme. Il ne fait aucun doute que le devoir de réserve masque mal la volonté de museler un intellectuel soucieux de jouer son rôle en apportant sa contribution à la dénonciation du sionisme, un néofascisme pourtant défendu et élevé au rang d’une nouvelle religion par la classe politique française.

L’Etat français est un Etat de droit… de se taire dès qu’il s’agit de faire la lumière sur la politique criminelle de l’Etat-artéfact d’Israël.

Pour le CAP, la liberté d’expression est un absolu et, à ce titre, il publie l’article du courageux sous-préfet de Saintes, sanctionné pour avoir croisé le fer avec les intellectuels organiques du sionisme et de l’Etat français.


Dans sa rubrique « Point de vue » du 27 février 2008, « Le Monde » a généreusement offert ses colonnes à un texte d’une hystérie verbale et d’une mauvaise foi insondables. Les accusations qu’il profère à l’égard du conseil des droits de l’homme de l’ONU sont si mensongères que même la liste des signataires ne tempère qu’à peine notre stupéfaction : Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Claude Lanzmann, Elie Wiesel, Pierre-André Taguieff, Frédéric Encel .. On peut facilement compléter la liste tant l’omniprésence des intellectuels organiques du lobby pro-israélien nous est devenue familière.

Le titre sans nuances de cette prose haineuse est déjà tout un programme : « L’ONU contre les droits de l’homme » . Dès les premières lignes, on peut y lire cet appel angoissé : « L’année 2008 verra-t-elle simultanément le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU et la destruction de ses principes par la même ONU ? Tout porte à le redouter, tant depuis un certain nombre d’années, par ses dérives, l’ONU s’est caricaturée » . Inévitablement le lecteur non averti s’alarme : l’organisation internationale serait-elle brusquement devenue suicidaire ?

Mais par bonheur la suite nous éclaire aussitôt sur les préoccupations profondes de nos signataires : « A Durban, en Afrique du Sud, s’est tenue en 2001 la conférence mondiale contre le racisme, à l’initiative des Nations-Unies. C’est au nom des droits des peuples que furent scandés des « mort à l’Amérique ! » et « mort à Israël ! » et c’est au nom du relativisme culturel qu’on fit silence sur les discriminations et violences commises contre les femmes ».

Quel rapport entre la géopolitique du Moyen-Orient, manifestement en cause dans les appels à combattre les Etats-Unis et Israël, et l’oppression des femmes que viendrait cautionner le « relativisme culturel » ? Probablement aucun. Mais amalgamer les deux sujets présente l’intérêt polémique de suggérer une pernicieuse concurrence entre les victimes : vous qui condamnez Israël et l’Amérique, vous ne dites rien de la souffrance des femmes opprimées dans les pays musulmans. C’est une antienne dont la rhétorique lobbyiste est coutumière : elle permet de détourner le lecteur occidental de la critique de la politique américaine ou israélienne en fixant son attention sur un problème interne des sociétés moyen-orientales.

Ce rapprochement polémique entre les deux sujets, pourtant, est particulièrement cocasse. L’Arabie saoudite, où le port du voile est obligatoire et les femmes interdites de conduite automobile, est l’alliée historique des Etats-Unis dans la région. Le régime obscurantiste des talibans, lui, a vu le jour sous les auspices d’une CIA qui a prêté ses camps d’entraînement sur le sol américain aux combattants du mollah Omar. En revanche, l’Irak et la Syrie baasistes, plus proches de la norme occidentale en matière de condition féminine, n’eurent pas droit aux mêmes égards. Le premier a été pulvérisé sous les bombes US, la seconde est rangée dans la catégorie des « Etats voyous ». Mais peu importe : les partisans de la politique américaine au Moyen-Orient se croient fondés à donner des leçons en matière d’émancipation féminine.

S’agissant de l’ONU, en outre, on ne s’étonnera guère d’un tel ressentiment de la part des porte-parole du néoconservatisme à la française. Car les résolutions du conseil des droits de l’homme, comme hier les déclarations de l’assemblée générale, ont osé mettre en cause la répression israélienne en Palestine occupée. Les 47 Etats élus par leurs pairs au CDH bénéficient de l’égalité de vote. La sensibilité qui s’y exprime reflète donc une opinion majoritaire qui n’a aucune raison de cautionner l’occupation militaire des territoires arabes. Que les thuriféraires d’Israël, cependant, se rassurent : ces résolutions demeurent symboliques à défaut d’être exécutoires. Mais ce n’est pas suffisant. Il leur faut aussi en stigmatiser le principe par un usage grossier de la calomnie.

C’est à quoi s’emploient rageusement les signataires. « Par sa mécanique interne, les coalitions et les alliances qui s’y constituent, les discours qui s’y tiennent, les textes qui s’y négocient et la terminologie utilisée anéantissent la liberté d’expression, légitiment l’oppression des femmes et stigmatisent les démocraties occidentales .. Le CDH est devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs. Ignorée des grands médias, jour après jour, session après session, résolution après résolution, une rhétorique politique est forgée pour légitimer les passages à l’acte et les violences de demain ».

Symptôme d’une psychose paranoïaque ou monument de la démonologie occidentale : on hésite sur le diagnostic. La seule certitude, c’est que ce réquisitoire contre des forfaits inexistants témoigne d’une inventivité hors du commun. Le conseil des droits de l’homme de l’ONU voudrait « anéantir la liberté d’expression » ? On se demande bien pourquoi et comment. Mais nos interrogations demeurent sans réponse. Nos polémistes annoncent « la mise à mort de l’universalité des droits » par l’ONU elle-même, mais cette mort annoncée reste nimbée de mystère. Aucune citation des résolutions du CDH ne vient étayer cette accusation, et les détracteurs de l’ONU condamnent ses idées supposées avec une violence inversement proportionnelle aux preuves de ce qu’ils avancent. Visiblement, ils préfèrent parler à sa place en procédant directement au commentaire de ce qu’elle est censée avoir dit.

En guise de citations, on doit alors se contenter des propos résumés au style indirect, sans guillemets, qu’aurait tenus M. Doudou Diène, rapporteur spécial sur le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie auprès de l’ONU. L’intellectuel sénégalais aurait ainsi déclaré qu’ « énoncer une critique contre le port de la burqa constitue une agression raciste, que la laïcité est ancrée dans une culture esclavagiste et colonialiste, et que la loi française contre le port des signes religieux à l’école participe du racisme antimusulman » . Seul problème : ces citations sont introuvables. Si chacun de ces énoncés soulève évidemment des objections, encore faut-il qu’il ait été formulé. Une polémique grossière sur des citations qui n’en sont pas : le procédé condamne ses auteurs.

Au demeurant, les seules citations que les idéologues publiés par « Le Monde » auraient dû produire à l’appui de leur propre thèse sont celles du CDH lui-même. Mais ils se gardèrent bien de le faire. Livrant leur interprétation tendancieuse en lieu et place de la pensée d’autrui, ils pérorent gravement en prenant leur fantasme pour la réalité : « La confusion est à son comble, affirment-ils, quand est dénoncée comme une attitude raciste toute critique de la religion » . Mais d’où vient cette idée ? Qui l’a émise ? Nul ne le sait. N’importe qui, en revanche, peut vérifier ce qu’a énoncé le CDH sur la question religieuse. Il suffit de consulter les compte-rendus officiels des six sessions réunies depuis sa création en juin 2006.

Le 30 mars 2007, le CDH a ainsi adopté une résolution « sur la lutte contre la diffamation des religions ». Ce texte nuancé insiste sur « le droit de chacun à la liberté d’expression, qui devrait s’exercer de façon responsable et peut donc être soumis à de restrictions, prescrites par la loi et nécessaires pour le respect des droits ou de la réputation d’autrui, la protection de la sécurité nationale, de la santé ou de la morale publiques, et le respect des religions et des convictions ». Sur le plan des principes, ce texte ne diffère guère du droit positif en vigueur dans la plupart des pays, les Etats occidentaux ayant eux aussi entouré l’exercice de la liberté d’expression de certaines limites juridiques. En France, la reconnaissance de la liberté d’expression n’entraîne aucun droit à diffamer son voisin, toute forme d’injure manifestant une discrimination raciale ou religieuse est punie par la loi, et certaines dispositions législatives ont même eu pour effet d’énoncer une vérité officielle sur des faits historiques.

Naturellement, la teneur de cette résolution du CDH n’est pas indifférente au contexte politique lié à la « guerre contre le terrorisme » menée tambour battant par Washington. « Le Conseil se déclare préoccupé par les images stéréotypées négatives des religions et par les manifestations d’intolérance et de discrimination en matière de religion ou de conviction. Il se déclare en outre profondément préoccupé par les tentatives visant à associer l’islam avec le terrorisme, la violence et les violations des droits de l’homme. Il note avec une vive inquiétude l’intensification de la campagne de diffamation des religions, et la désignation des minorités musulmanes selon des caractéristiques ethniques et religieuses depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001 ».

L’adoption de ce texte s’est heurtée à l’opposition des pays occidentaux, mis en minorité lors du vote final. Aucun d’entre eux n’y a vu, toutefois, le danger mortel pour la civilisation universelle que dénoncent les signataires de notre pamphlet antionusien. Au nom de l’Union européenne, la représentante de l’Allemagne « a fait remarquer que, comme l’a établi le rapport de M. Doudou Diène, la discrimination fondée sur la religion ne concerne pas uniquement l’islam, mais également le judaïsme, le christianisme et des religions et croyances venues d’Asie, ainsi que des personnes sans religion. Elle a également souligné qu’il est problématique de séparer la discrimination fondée sur la religion des autres formes de discrimination. Elle a aussi jugé l’utilisation du concept de diffamation contre-productive, préconisant plutôt un texte axé sur la liberté de religion ou de conviction ».

Que ce débat témoigne d’une différence de sensibilité sur les questions religieuses entre pays membres de l’organisation de la conférence islamique (OCI) et pays occidentaux est une évidence. Cela méritait une réflexion sur la sécularisation relative des sociétés concernées et la référence, explicite dans les pays musulmans, à des valeurs religieuses. Mais cette réflexion n’effleura même pas l’esprit de nos intrépides signataires qui, faute d’avoir lu les textes auxquels ils font vaguement allusion, en dénaturent volontairement la signification. Refusant de discuter rationnellement les arguments de l’autre, on préfère le stigmatiser en imaginant une dramaturgie grossière mettant en scène des personnages réels. Ce théâtre de marionnettes, du coup, tient lieu d’argumentaire.

C’est ainsi que nos signataires s’en prennent violemment à Mme Louise Arbour, haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. « Elle a participé à une conférence à Téhéran consacrée aux droits de l’homme et à la diversité culturelle, dénoncent-ils. Portant le voile, comme la loi de la république islamique l’exige, la haut-commissaire a été le témoin passif de l’énoncé de principes à venir, ainsi résumés : offense aux valeurs religieuses considérée comme raciste. Bien pire, dès le lendemain de cette visite, vingt et un Iraniens, dont plusieurs mineurs, furent pendus en public. C’est en sa présence que le président Ahmadinejad a renouvelé son appel à la destruction d’Israël ».

Encore une fois, l’art de l’amalgame intellectuel atteint des sommets. Mêlant tout et son contraire, le texte publié par « Le Monde » mise sur la confuse indignation du lecteur en anesthésiant au passage son jugement critique. Louise Arbour portait le voile à Téhéran, soit. Mais aurait-elle pu, en Israël, organiser une réunion pendant le shabbat ? Les régimes religieux ont des exigences que n’ont pas les autres. On peut le déplorer, mais ils sont chez eux. L’offense à la religion, dans certains pays, est considérée comme une forme de racisme. Faut-il que nous allions les convaincre du contraire, et de quelle manière ? La peine de mort, enfin, est cruellement appliquée en Iran. Mais les aspects odieux du régime de Téhéran ne le résument pas pour autant, et le régime saoudien n’a rien à lui envier. Surtout pas l’amitié des Etats-Unis, où un président texan a été élu sur sa réputation d’exécuteur intraitable des criminels supposés. Sans parler d’Israël, seul Etat au monde dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles.

Les diatribes iraniennes contre l’Etat hébreu relèvent, elles, d’un affrontement géopolitique dont l’un des principaux paramètres est l’attitude d’Israël lui-même. S’il avait appliqué la peine de mort aux civils palestiniens avec davantage de discernement depuis soixante ans, il n’aurait pas suscité un tel rejet de la part de ses voisins proches ou éloignés. Sous occupation militaire, amputés d’une partie de leur territoire, ou régulièrement bombardés par son aviation, ces derniers ont d’excellentes raisons de le détester. Mais peu importe. Décidés à instruire à charge contre Mme Arbour pour son séjour à Téhéran, nos polémistes incriminent « son silence et sa passivité » , qu’elle aurait justifiés par « le respect de la loi iranienne et le souci de ne pas offenser ses hôtes ».

« Charbonnier est maître chez soi, commentent-ils. C’est le docteur Goebbels qui utilisait cet argument d’opportunité, à la tribune de la Société des nations en 1933, pour se soustraire à toute critique d’une institution internationale impuissante ». On croit rêver. Car, analogie pour analogie, frappante est la ressemblance entre le Reich qui s’assied sur la SDN en 1933 et l’Etat hébreu qui bafoue le droit international depuis 1967. Comme son lointain prédécesseur, Israël, lui aussi, se « soustrait à toute critique d’une institution internationale impuissante ». Et s’il le fait, c’est pour mieux conquérir « son espace vital, de la mer au Jourdain », selon la belle formule employée par Effi Eitam, ministre d’Ariel Sharon, en 2002.

« Les grands crimes politiques ont toujours eu besoin de mots pour se légitimer. La parole annonce le passage à l’acte », philosophent nos signataires. Ils n’ont pas tort : le 29 février, le vice-ministre israélien de la Défense Matan Vilnaï a brandi la menace d’une « shoah » contre les Palestiniens avant de lancer à Gaza la sanglante opération qui fit 110 victimes palestiniennes en une semaine. Quitte à enfreindre un tabou religieux, l’Etat hébreu, manifestement, a franchi un cap sémantique avant de déchaîner sa puissance militaire : il est passé « de la parole à l’acte ».

Mais le meilleur a été gardé pour la fin. « Les idéologies totalitaires avaient remplacé les religions. Leurs crimes, les promesses non tenues d’avenir radieux ont ouvert grande la porte au retour de Dieu en politique. Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c’est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l’histoire fut commis ». Lier dans une même trame le 11 septembre 2001 et les résolutions du CDH, il fallait oser. Il est vrai que nous avons affaire à des spécialistes.

« Retour de Dieu en politique » , disent-ils. Nos intellectuels savent de quoi ils parlent : Israël n’est-il pas l’Etat confessionnel par excellence ? « Si la revendication d’un coin de terre est légitime, affirmait Theodor Herzl, alors tous les peuples qui croient en la Bible se doivent de reconnaître le droit des juifs ». Bibliquement établie, la légitimité d’un Etat juif en Palestine va de soi : le texte sacré tient lieu de titre de propriété. Pour les sionistes religieux, le retour des juifs en Eretz Israël est inscrit dans le récit de l’Alliance lui-même. Prendre possession de la terre que Dieu a donnée aux juifs fait partie du plan divin, et ce serait le contrarier que de renoncer à cette offrande.

Du coup, aucun compromis n’est possible avec les Arabes. En 1947, le grand rabbin de Palestine martelait le statut théologique du futur Etat juif : « C’est notre forte conviction que personne, ni individu, ni pouvoir institué, n’a le droit d’altérer le statut de la Palestine qui a été établi par droit divin ». Chef du parti national-religieux, le général Effi Eitam expliquait à son tour en 2002 : « Nous sommes seuls au monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple. Un Etat réellement juif aura pour fondement le territoire, de la mer au Jourdain, qui constitue l’espace vital du peuple juif ». Au moins, c’est limpide.

Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que le lobby pro-israélien exècre l’ONU : son appétence pour le droit international est inversement proportionnelle à son engouement pour le droit divin. Il est vrai que l’un est infiniment plus favorable au Grand Israël que l’autre. Percuter les résolutions de l’ONU avec la Thora relève de l’exploit intellectuel et du prodige politique : Israël l’a fait. Pour nos signataires, « c’est au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l’histoire fut commis ». Ce n’est pas tout à fait faux, à condition d’inclure dans l’analyse l’Etat hébreu, cet artefact colonial bâti au forceps sur les ruines de la Palestine au nom de la Bible et de la Shoah.

A propos de terrorisme, l’Etat d’Israël, qui plus est, peut se targuer d’un palmarès hors compétition. Les odieux attentats du 11 septembre 2001 ont fait dix fois moins de victimes que le siège de Beyrouh par Tsahal en 1982. Ses admirateurs occidentaux doivent certainement s’extasier sur les prouesses d’une armée capable de tuer aussi aisément des enfants avec des missiles. Ils doivent aussi se confondre d’admiration devant les geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on s’interrompt de torturer durant le shabbat. L’Etat hébreu mérite bien ce concert de louanges que les intellectuels organiques lui décernent à longueur de colonnes. Et quelle outrecuidance, de la part de l’ONU, de vouloir fourrer son nez sale dans les affaires intérieures israéliennes !

A l’instar des pires calomnies, les accusations publiées dans « Le Monde » du 27 février se sont répandues sur la toile. Elles suscitent sur certains blogs des commentaires haineux que l’on ose à peine citer. M. Doudou Diène y est qualifié de « défenseur de la secte du pédophile fou et des adorateurs du caillou » . On y lit que « depuis les invasions musulmanes le croissant fertile est devenu le croissant stérile, et la civilisation a émigré en Occident ». Sur l’ONU, un internaute déchaîné résume à sa façon l’article publié par « Le Monde » : « l’ONU, c’est un ramassis de la racaille islamiste et tiers-mondiste ». Qu’attend-on pour supprimer l’ONU ? Ce sera encore plus simple. Islamophobie déclarée, haine du monde arabe, stupéfiante arrogance occidentale, tout y est. Opération réussie, mesdames et messieurs les intellectuels organiques.

Bruno Guigue

Diplômé de l’Ecole normale supérieure et de l’ENA
Auteur de « Proche-Orient : la guerre des mots », L’Harmattan, 2003

 




La défense des intérêts de l’État d’Israël en France

Résumé-Commentaire de l’ouvrage de Marc Heckercollaboration_france_israel[1]

Ce travail se présente à la fois comme un résumé et un commentaire critique de l’ouvrage du politiste Marc Hecker,  La défense des intérêts de l’État d’Israël en France  publié chez L’Harmattan en 2005. L’auteur avait déjà publié en 2004 chez le même éditeur La presse française et la première guerre du Golfe.

Nous avons choisi de présenter ce livre car il aborde la question centrale des rapports de l’État français au sionisme, et rares sont les travaux en France sur cette question épineuse. D’autre part, le livre de Marc Hecker est riche en informations historiques et a le mérite d’être synthétique.

La première partie analyse les relations de l’État français à l’État d’Israël en montrant les différences de politique étrangère entre la droite et la gauche ou entre les périodes historiques. La deuxième partie plus sociologique veut mettre en lumière les mécanismes par lesquels les institutions et les organisations pro-israéliennes cherchent à influencer les dirigeants français.

Cependant le contenu idéologique de la recherche de Marc Hecker, ses accointances avec le sionisme malgré le ton objectiviste adopté, nous ont poussés à développer un commentaire critique. Ainsi nous avons essayé de montrer le caractère déficient d’une thèse selon laquelle la défense des intérêts d’Israël en France consisterait uniquement dans le travail des organisations pro-israéliennes qui agiraient sur l’État de manière extérieure par les seuls moyens de l’information et des manifestations. Nous avons voulu en revanche expliquer que le sionisme est partie intégrante de l’État français et que ce courant n’a pas cessé de croître – même s’il a été contenu sous l’ère gaulliste – au point de devenir dominant aujourd’hui.

SOMMAIRE

Partie 1 Les modalités de la défense des intérêts de l’État d’Israël en France
Chapitre 1
L’évolution de la politique française au Moyen-Orient de 1945 à 1969

I- Les relations franco-israéliennes sous la 4ème République : l’âge d’or
II- La période gaullienne ou la dégradation progressive des relations franco-israéliennes
III- La guerre des Six Jours, un tournant dans l’engagement en faveur d’Israël

Chapitre 2 La position de la France à l’égard d’Israël de Georges Pompidou à Jacques Chirac : le poids de l’héritage gaullien

I- 1969-1981 : Dans la droite ligne de la « politique arabe » de la France
II- François Mitterrand et le Proche-Orient : les espoirs déçus des tenants d’Israël
III- Jacques Chirac, un « philosémite pro-arabe » à l’Elysée

Partie 2 La « politique arabe » de la France ou la genèse de la défense des intérêts d’Israël
Chapitre 1 Les principaux acteurs de la défense d’Israël en France

I- L’ambassade d’Israël à Paris, défenseur essentiel de la cause israélienne en France
II- Le rôle des associations juives dans la défense des intérêts d’Israël en France
III- L’implication d’associations et d’institutions laïques pour la défense d’Israël en France

Chapitre 2 Les pratiques des défenseurs des intérêts d’Israël en France

I- Rencontrer, discuter, informer
II- Soutenir Israël par des manifestations de masse

Conclusion


Partie 1 : La « politique arabe » de la France ou la genèse de la défense des intérêts d’Israël

Chapitre 1 : L’évolution de la politique française au Moyen-Orient de 1945 à 1969

De 1945 à 1969, la politique française proche-orientale va se transformer profondément, la césure correspondant à l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958. La 4ème République va intensifier ses échanges avec Israël et choisir cet État comme allié dans la région tandis que la période gaullienne sera marquée par une détérioration croissante des relations franco-israéliennes.

I-Les relations franco-israéliennes sous la 4ème République : l’âge d’or

De 1945 à 1958, les relations franco-israéliennes vont connaître une période faste, tranchant avec les rapports du passé même si la France avait acceptée la Déclaration Balfour de novembre 1917 prévoyant la création d’un « foyer national juif en Palestine ». L’importance de la coopération se situe surtout au niveau militaire, la France fournissant matériel et savoir-faire technique.

Le 29 novembre 1947, la France vote le « plan de partage » de la Palestine pour marquer un tournant symbolique après le régime de Vichy. Dans les années 1950, les relations avec Israël vont en s’améliorant parallèlement à la dégradation des relations avec les colonies. En effet l’alliance avec Israël est un moyen d’affaiblir les États arabes solidaires des mouvements de résistance, en particulier l’Egypte de Nasser. En 1953 est signé un premier accord de coopération nucléaire. En 1956 la crise de Suez a pour conséquence de renforcer la solidarité entre les deux États parce qu’est née à cette occasion une coopération stratégique et parce que l’alliance face aux États arabes est apparue plus urgente encore. En 1957, un nouvel accord de coopération militaire est signé qui permettra la construction de la centrale nucléaire de Dimona et la livraison du mode de fabrication de la bombe A.

Durant toute la 4ème République, les échanges militaires échappent totalement au Quai d’Orsay considéré comme anti-israélien et sont pris en charge par le ministère de la Défense favorable aux échanges avec l’État d’Israël. A partir de la 5ème République, c’est le Quai d’Orsay qui prendra en charge toute la politique étrangère. Pour Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey dans  Itinéraires de Paris à Jérusalem –La France et le conflit israélo-arabe   (Les livres de la Revue d’études palestiniennes, 1992, tome 1, p 176), le renforcement des liens sous la 4ème République s’explique par le « puissant lobby pro-israélien » : le Comité français pour l’alliance France-Israël. S’y trouvent notamment Jacques Soustelle, Michel Debré, Pierre Koenig, François Mitterrand et Maurice Schumann.

Commentaire du CAP

Marc Hecker fait ici preuve d’un esprit de synthèse remarquable, il expose les faits importants de la coopération franco-israélienne sous la 4ème République en montrant que la complicité entre les deux États atteint un niveau inégalé. On y apprend notamment que la France est à l’origine de la fabrication de la bombe atomique israélienne. Mais la présentation des faits se veut « neutre », la mise au point de l’arme nucléaire par Israël allant de soi et l’implication de la France perçue comme un acte de « realpolitik ». Or la neutralité en sciences sociales n’est pas synonyme d’objectivité, elle occulte les contradictions fondamentales qui existent dans la vie sociale, les rapports de domination, les conflits et les responsabilités politiques. La neutralité épistémologique est au bas mot une erreur théorique et le plus souvent une ruse pour masquer la réalité du système, comme sous la façade démocratique règne l’oppression, l’injustice, le racisme ou le colonialisme. Les intellectuels bourgeois sont les adeptes de cette neutralité épistémologique qui permet de se voiler la face et de tromper tout le monde. Car dire la vérité sur une société reposant sur les rapports sociaux de domination c’est dénoncer. Le discours scientifique dans les sciences humaines est essentiellement critique et porte un savoir chargé politiquement. La neutralité, dans la bouche de ses défenseurs, signifie non prise de position politique mais une telle posture est un non-sens. Le chercheur est déterminé, socialement, politiquement et il pourra se débattre dans tous les sens il ne se défera jamais de son conditionnement. « L’homme est un animal politique » disait Aristote dans son ouvrage La Politique . Par ailleurs toute connaissance dans les sciences humaines contient en soi la finalité de l’action et l’action est par nature politique. Le savoir qui conduit à l’action est donc forcément politique ou alors, s’il prétend ne pas y mener, il n’est rien d’autre que « ruine de l’âme ».

Si l’on considère maintenant la pensée en général, c’est-à-dire le savoir que produit une société ou des groupes sociaux, on observe qu’elle est déterminée par l’évolution historique, le stade particulier auquel est parvenue la société et l’état de développement des classes objectivement (degré de formation économique des classes) et subjectivement (niveau de maturation de la conscience de classe) . Ainsi la bourgeoisie révolutionnaire des 18ème et 19ème siècles a produit un savoir objectif dans les domaines de l’économie, de la pensée sociale et politique, de la recherche historique ou de la littérature. La connaissance accompagnait le développement d’un système économique, le capitalisme et l’essor de la bourgeoisie. Mais dès que le prolétariat a commencé à se constituer en classe sociale capable de menacer la domination des capitalistes, la pensée bourgeoise effrayée est rentrée dans l’ordre de la justification idéologique, de la légitimation et des recettes pour maintenir l’ordre social. Le stade impérialiste du capitalisme, défini comme étape ultime et pourrissement de ce mode de production, a accentué cette tendance à la réaction de la pensée, au conservatisme intellectuel et aux mensonges théoriques plus ou moins conscients. Car penser l’impérialisme c’est réfléchir sur la domination économique mondiale d’un nombre réduit de grands groupes, sur la violence et les dégâts de la colonisation, sur la déliquescence de tous les secteurs de la vie sociale et politique et in fine sur la mort prochaine du capitalisme. Evidemment, tout cela était inacceptable du point de vue de la cognition bourgeoise-impérialiste : les penseurs bourgeois ont vite fait de devenir des intellectuels-idéologues du système à l’image des néoclassiques ou des keynésiens en économie, des wébériens ou des durkheimiens en sociologie, des néokantiens ou des heideggériens en philosophie, des behaviouristes ou des freudiens dans les disciplines du psychisme. Les démocraties bourgeoises-impérialistes du début vingtième siècle ont donc généré les doctrines réactionnaires quand il s’agissait d’étouffer les contestations internes ou racistes quand il fallait écraser les colonies, en somme elles ont concocté des magmas idéologiques justifiant l’asservissement des peuples et dénués de toute portée euristique. Elles sont exactement le contraire de ce qu’elles prétendent être à savoir des « paradigmes scientifiques politiquement neutres » si jamais une telle expression ait eu un sens. Pour les désigner, il faudrait parler plutôt de paradigmes non scientifiques politiquement chargés. C’est pourquoi la gnoséologie doit replacer la pensée et le savoir humain dans leur dimension historique et politique et ne pas se laisser bercer par l’illusion ou le mensonge de la neutralité épistémologique.

Ainsi Marc Hecker, adepte de cette neutralité épistémologique, ne nous dit rien sur les courants politiques au sein de l’État français et les dirigeants qui ont permis à Israël de fabriquer sa bombe. Or, c’est la gauche de l’époque, la SFIO, ancêtre du Part Socialiste, qui a poussé au maximum la collaboration avec Israël et c’est Guy Mollet, président du conseil en 1956-1957, qui a pris la décision de fournir l’arme atomique à Israël. C’est ensuite le gouvernement du radical-socialiste Bourgès-Maunoury qui a signé l’accord de coopération nucléaire aboutissant à la fabrication de la centrale de Dimona et de la bombe A. Du coté israélien, c’est Shimon Peres, leader du Parti travailliste, qui a été l’architecte et le négociateur de la collaboration nucléaire franco-israélienne.

 II-La période gaullienne ou la dégradation progressive des relations franco-israéliennes

De 1958 à 1962 la France maintient des relations satisfaisantes avec Israël en raison de l’opposition des pays arabes à la France pendant la guerre d’Algérie (seul le Liban n’avait pas rompu les relations diplomatiques avec la France) mais la coopération militaire et nucléaire est interrompue, le général de Gaulle n’acceptant plus les « abusives pratiques de collaborations établies, depuis l’expédition de Suez, entre Tel-Aviv et paris et qui introduisaient en permanence des israéliens à tous les échelons des états-majors et des services français » selon ses propres mots.

A partir de 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, la France renoue avec les États arabes qui avaient soutenu les mouvements de décolonisation. Le virage de la politique proche-orientale française est amorcé et c’est l’argument économique de l’importance des marchés arabes relativement au marché israélien qui est avancé. De 1962 à 1966, les relations avec Israël restent malgré tout cordiales. La rupture a lieu en 1967, lorsque débute la guerre israélo-égyptienne et que la France décrète un embargo sur les armes qui n’affecte en pratique qu’Israël parce que les cinquante mirages 5 qu’Israël avait déjà commandés et payés ne seront pas livrés. La France vote le 22 novembre 1967 la résolution 242 qui exige le retrait des forces israéliennes des territoires occupés. Cinq jours plus tard, le général de Gaulle qualifie les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». En 1969, après le bombardement de l’aéroport de Beyrouth par l’aviation israélienne, la France durcit ses sanctions à l’égard d’Israël. Alain Dieckhoff dans son article « La France, Israël et les Palestiniens, 1945-1990 » (Regards sur l’actualité, n°169, mars 1991) considère que c’est « l’ultime paraphe apposé sur l’acte de divorce entre de Gaulle et les dirigeants de l’État hébreu ».

Commentaire du CAP

Marc Hecker insiste à juste titre dans ce chapitre sur le relâchement des liens franco-israéliens, le recentrement de la politique proche-orientale sur la base des intérêts économiques nationaux et donc le rapprochement de la France avec les pays arabes. Un rapprochement tel qu’il conduit au moment de la guerre des Six Jours à l’exacerbation des tensions avec Israël. Mais il a tort de dire que, dès l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958, la coopération militaire et nucléaire a été interrompue. Bien au contraire, c’est sous le Général de Gaulle que l’Accord de coopération nucléaire de 1957 a été concrétisé et finalisé. Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey constatent l’ambiguité de la politique gaullienne : « Surtout, ce fut sous de Gaulle que la coopération nucléaire avec Israël alla jusqu’au bout de ses virtualités. Le trouble vient de là : le relâchement progressif des relations avec Israël, dont les signes sont partout tangibles, comme on le verra dans le chapitre suivant, n’affecte pas la coopération nucléaire ou, du moins, il ne l’affecte que tardivement et partiellement ». (Op.cit., tome 1, p 185) . Si au niveau du discours le général de Gaulle a déclaré la cessation de la coopération nucléaire avec Israël, il n’a en revanche donné aucun ordre écrit pour cela et les techniciens français ont travaillé à Dimona jusqu’en 1969. 

 

III-La guerre des Six Jours, un tournant dans l’engagement en faveur d’Israël

L’année 1967 constitue un tournant pour la diaspora qui dans son ensemble va faire corps avec l’ État d’Israël. En France, au début de la guerre des Six Jours, a lieu une importante manifestation en faveur d’Israël (30000 personnes) et contre le gouvernement français et de Gaulle. Dans le même temps, un soutien financier est organisé en faveur de l’État d’Israël qui permettra de récolter en trois jours un milliard de centimes. Les Juifs avaient peur d’un nouvel holocauste en raison de l’isolement d’Israël en 1967 par opposition à la crise de Suez qui avait vu la participation de la France et de l’Angleterre aux côtés du gouvernement Ben Gourion.

La guerre des Six Jours a joué un rôle de révélateur pour les Juifs de France et les plus « modérés » ont déclaré leur attachement à Israël. C’est ainsi que s’exprime Raymond Aron, qui se définit comme non sioniste, dans son livre De Gaulle, Israël et les Juifs (Plon, 1968, p 35) : « Mais je sais plus clairement qu’hier, que l’éventualité même de la destruction de l’État d’Israël […] me blesse jusqu’au fond de l’âme. En ce sens, j’ai confessé qu’un juif n’atteindrait jamais à la parfaite objectivité quand il s’agit d’Israël ».

Concernant les sentiments de Gaulle vis-à-vis d’Israël, les avis au sein de la communauté juive divergent. Des personnalités comme Théo Klein considèrent que de Gaulle n’avait aucune hostilité envers les juifs mais seulement des doutes sur le sionisme; pour Elie Barnavi, c’est après le départ de de Gaulle que l’hostilité de principe à Israël apparaît.

Commentaire du CAP

Effectivement, la Guerre des Six Jours a servi de révélateur de l’attachement des Juifs à Israël et de catalyseur de la mobilisation pro-israélienne en France et ailleurs dans le monde. Marc Hecker dresse en outre le constat suivant que la période gaullienne a laissé des impressions partagées au sein de la communauté juive. Mais l’auteur ne dresse pas lui-même de bilan sur la politique proche-orientale sous de Gaulle à savoir son caractère pro-arabe ou pro-israélien et évite ainsi d’aborder le problème à la racine. Il cite les avis de certaines personnalités juives et ces avis sont censés faire office de constat objectif. C’est là une fausse objectivité qui confond les représentations c’est-à-dire la subjectivité avec le réel. Au mieux ces citations font argument d’autorité. Au contraire la méthode qui veut tendre à l’objectivité doit juger les représentations au diapason du réel analysé par le chercheur.

Etant donnés les changements apportés par la 5ème République sous de Gaulle par rapport à la 4ème République dans les relations avec Israël, beaucoup y ont vu une rupture et le passage d’une politique pro-israélienne à une politique pro-arabe. Le rapprochement de la France avec les États arabes et indirectement la dégradation des relations avec Israël peuvent s’expliquer ainsi que le signale Marc Hecker par le paradigme réaliste selon lequel l’État français ne suit que ses intérêts, mais cette explication ne vaut que dans une certaine mesure. Car la politique menée par un État n’est pas le produit pur et simple de la rationalité des décideurs mais en grande partie la résultante d’un champ de rapports de force au sein de cet État. Si la 4ème République se caractérise par l’avènement et la prépondérance d’un cercle sioniste au sein de l’État français que Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey appellent « lobby pro-israélien », la 5ème République à ses débuts voit l’essor d’une catégorie de dirigeants nationalistes emmenée par de Gaulle et qui va s’opposer à ce cercle sioniste dans la définition de la politique étrangère. Ainsi s’expliquent les changements opérés dans la politique proche-orientale depuis 1958 mais aussi le maintien de bonnes relations diplomatiques avec Israël jusqu’en 1966 et de la coopération nucléaire jusqu’en 1969. De Gaulle, sans doute opposé à cette collaboration militaire, devait la laisser se poursuivre car, ayant déjà imprimé un virage important aux relations franco-israéliennes, il était dans l’obligation de faire des concessions au cercle sioniste.

 

 Chapitre 2 : La position de la France à l’égard d’Israël de Georges Pompidou à Jacques Chirac : le poids de l’héritage gaullien

De 1969 à 2005, on peut distinguer trois périodes dans les relations franco-israéliennes : une permanence de mauvaises relations sous Pompidou et Giscard d’Estaing, puis une embellie sous Mitterrand et enfin des relations en dents de scie sous Chirac.

 I- 1969-1981 : Dans la droite ligne de la « politique arabe » de la France

Durant cette période, les deux chocs pétroliers prouvent la nécessité d’un dialogue privilégié avec les États arabes. De plus, certains États pétroliers sont parmi les meilleurs clients d’armement de la France. Les liens avec Israël aux yeux des dirigeants français paraissent dès lors secondaires et Pompidou va alors développer une politique pragmatique fondée sur les intérêts de l’État français au Moyen-Orient, ce qui implique un rapprochement avec les États arabes.

A la fin de l’année 1969, l’incident des vedettes de Cherbourg est l’élément qui va envenimer les relations franco-israéliennes. Les services secrets israéliens déjouent l’embargo sur les armes en vigueur depuis 1967 puisque les cinq vedettes qu’Israël avait acheté à la France et qui étaient restées au port de Cherbourg en vertu de cet embargo ont disparu pendant la période de Noel. L’explication avancée, c’est que les navires auraient été achetés par la Norvège et seraient en direction pour ce pays. Mais quelques jours plus tard, les vedettes font leur entrée au port d’Haïfa. C’est un véritable camouflet pour le gouvernement français. En représailles, La France vend en janvier 1970 des mirages à la Libye, ce qui scandalise le pouvoir israélien, considérant que la France ne respecte pas l’embargo sur les armes qu’elle avait décrété. En novembre 1970, la France participe au vote de la résolution 2628 qui stipule que « le respect du droit des palestiniens est indispensable à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient ». La France agit aussi dans le cadre de l’Europe des Six pour le règlement des conflits au Proche-Orient.

Pompidou a suivi la voie tracée par de Gaulle et cette politique sera poursuivie par Giscard d’Estaing qui veut faire reconnaître le fait national palestinien sur la scène internationale. En 1975, l’OLP obtient le droit d’ouvrir à Paris un « bureau de liaison et d’information ». En janvier 1977, la France refuse d’extrader vers Israël Abou Daoud, responsable de l’assassinat de plusieurs athlètes israéliens aux jeux olympiques de Munich de 1972. Il sera finalement expulsé quelques jours plus tard vers l’Algérie. En 1980, Giscard d’Estaing affirme son soutien à l’autodétermination des Palestiniens.

De 1974 à 1981, la France s’est engagée plus fortement pour la cause palestinienne que jamais par le passé. Dans ce contexte, deux associations, Renouveau juif, fondé à la fin des années 1970 par Henri Hajdenberg et Socialisme et Judaïsme, crée en 1978 par Jacques Attali et Robert Badinter entre autres, appellent à voter pour le Parti Socialiste aux élections présidentielles de 1981.

Commentaire du CAP

Les faits essentiels sont là et présentés avec concision, la tendance à la dégradation des relations franco-israéliennes est très bien montrée avec le tournant de l’incident des vedettes de Cherbourg. Mais on peut reprocher à l’auteur de s’arrêter à la description des événements politiques sans voir ce qui les sous-tend au niveau de l’appareil d’État français, c’est-à-dire les luttes entre les factions politiques, entre les « amis d’Israël » et les tenants d’un nationalisme français rayonnant dans le monde arabe. Par exemple, l’affaire des vedettes de Cherbourg n’est pas questionnée. Or, il est évident que les embarcations n’auraient pas pu disparaître sans des complicités pro-israéliennes au sein de l’État français.

 

II-François Mitterrand et le Proche-Orient : les espoirs déçus des tenants d’Israël

L’accession de Mitterrand à l’Elysée suscite des espoirs chez les tenants d’Israël pour plusieurs raisons : des personnalités importantes du PS ont des affinités à l’égard d’Israël comme Albert Gazier, Jean Poperen, Robert Pontillon ou Gaston Deferre ; le souvenir de l’âge d’or de la 4ème République est encore présent ; enfin, la personnalité de Mitterrand plait aux défenseurs d’Israël.

Mitterrand a toujours montré une attention particulière pour Israël. Il a défendu la cause des passagers de l’Exodus au début de sa carrière et c’est lui qui a annoncé publiquement la reconnaissance de l’État d’Israël par la France. En 1971, il a envoyé son fils Jean-Christophe vivre trois mois dans un kibboutz. En 1981, il annule la « directive Barre » qui autorise les sociétés françaises à cesser leurs relations avec Israël si elles estiment leurs intérêts menacés. En 1982, Mitterrand effectue la première visite officielle d’un président français en Israël et à la Knesset il proclame « l’irréductible droit de vivre » de l’État israélien.

Au début du septennat de Mitterrand, deux éléments viennent cependant perturber les bonnes relations avec Israël : d’une part, la nomination du pro-palestinien Claude Cheysson au Quai d’Orsay qui fera contrepoids aux sympathies mitterrandiennes pour Israël et d’autre part l’engagement français au Liban en 1982, à l’initiative du nouveau ministre des Relations extérieures, qui permettra l’évacuation des combattants de l’OLP encerclés par l’armée israélienne.

Mais les relations franco-israéliennes, bien que parfois tumultueuses, vont continuer à se développer. En 1983 est signée une convention entre les deux États sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements. En 1984, Laurent Fabius crée l’Association franco-israélienne pour la recherche scientifique et technique. La même année, Mitterrand reçoit le prix Simon Wiesenthal en reconnaissance de son soutien à Israël. En 1987, le premier ministre Jacques Chirac, considéré comme un fervent gaulliste, se rend en Israël.

Cependant, la réception de Yasser Arafat à l’Elysée en 1989, perçue par beaucoup de Juifs comme une trahison, crée de nouvelles tensions. En 1990, lors de la crise du Golfe, la France tente dans un premier temps de jouer un rôle de conciliateur puis s’engage finalement dans le conflit en janvier 1991. Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey en tirent la conclusion suivante : « la politique arabe de la France n’existe plus » (Op.cit., tome 2, p 444). Mais les partisans d’Israël considèrent que la France a trop tergiversé. En fait, Mitterrand a été fidèle à sa « politique d’équilibre » sur les questions proche-orientales ainsi que l’affirme Dominique Strauss-Kahn alors président socialiste à la commission des finances à l’Assemblée nationale.

Mitterrand a incité les israéliens à négocier avec l’OLP et Arafat dans l’intérêt d’Israël car il pensait que c’était le seul moyen d’obtenir la sécurité pour l’État d’Israël. Mitterrand a été le président de la 5ème République le plus soucieux des intérêts d’Israël. La légitimation de l’OLP par Mitterrand a abouti à la Conférence de Madrid en 1991 qui est à l’origine des Accord d’Oslo de 1993.

Commentaire du CAP

Là encore, Marc Hecker prend soin d’exposer les faits saillants de l’époque et on peut lui reconnaître le mérite de ne pas éviter les problèmes. Mais le traitement des faits, leur analyse sont pour le moins très discutables. Tout d’abord la caractérisation de la période mitterrandienne. Celle-ci est présentée comme une période contradictoire de la politique proche-orientale qualifiée de « politique équilibrée », comme une avancée en demi-teinte des intérêts sionistes en France. Or la soi-disant « politique équilibrée » reflète davantage les agissements de la politique proche-orientale française sous les gouvernements de droite (1958-1981) lorsque la France cherchait à promouvoir ses intérêts dans le monde arabe tout en ménageant Israël. Avec Mitterrand, au contraire, la « politique équilibrée » vole en éclat et s’opère un changement de cap en faveur d’Israël qui ne sera jamais remis en cause par la suite. Au sommet de l’État, de nombreuses mesures sont prises pour développer la collaboration économique, militaire et scientifique avec le pouvoir israélien. Le sionisme devient une composante officielle de l’État français avec l’accession à des postes clef de partisans viscéraux d’Israël comme Fabius, Strauss-Kahn, Kouchner, Attali ou Gayssot. C’est aussi sous l’ère Mitterrand que les idéologues sionistes comme Bernard Henri-Levy, André Glucksmann, Alexandre Adler font leur entrée fracassante dans les medias.

Ensuite, la place qui est faite par l’auteur aux analyses critiques du sionisme et à celles des sionistes. Jusque là Marc Hecker semblait accorder une importance égale aux citations des deux bords : d’un côté, Théo Klein, Elie Barnavi et Raymond Aron et de l’autre Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey ou encore Alain Dieckoff. Cette pseudo-égalité dans les références ne peut pas faire office d’objectivité dans la mesure où l’égalité n’existe pas entre Israéliens et Palestiniens sur le terrain. On ne peut pas placer sur le même plan colonisateurs et colonisés de même qu’on ne peut pas considérer équivalentes l’idéologie de la domination et sa critique. L’auteur est certes victime d’une fausse conception épistémologique mais cette explication est insuffisante pour cerner la totalité du personnage. Car il s’appuie sur Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey pour dire que « la politique arabe de la France n’existe plus », pour aussitôt démentir cette thèse en s’appuyant sur le mensonge sans fard de la « politique équilibrée » de Strauss-Kahn. De l’égalité de parole entre les sionistes et leurs critiques, Marc Hecker glisse subrepticement vers la promotion des « tenants d’Israël » comme il aime à les appeler. Son neutralisme masque mal son adhésion silencieuse à des positions sionistes.

 

III-Jacques Chirac, un « philosémite pro-arabe » à l’Elysée

La politique chiraquienne à l’égard du Proche-Orient est caractérisée par des contradictions : le président français, proche des juifs français, cherche à ménager l’État d’Israël tout en essayant de promouvoir les intérêts de la France dans le monde arabe. Le passé politique de Jacques Chirac, lorsqu’il était premier ministre Valérie Giscard d’Estaing, a déjà montré la nature de ses contradictions : d’un côté il multiplie les gestes envers la communauté juive de France et de l’autre il œuvre pour la coopération militaire avec l’Irak qui aboutit à la constitution du réacteur nucléaire d’Osirak détruit par l’aviation israélienne en 1981.

En 1995, Chirac est le premier président français à reconnaître, lors d’un discours qui a reçu un grand écho en Israël, la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale. En 1996, Chirac se rend en Israël mais son voyage tournera à l’incident diplomatique après avoir été bousculé par les gardes du corps. En 2000, c’est le premier ministre Jospin qui est en voyage en Israël, voyage au cours duquel il qualifiera à plusieurs reprises le Hezbollah d’organisation terroriste ce qui lui vaudra des jets de pierres à la sortie de l’université de Bir-Zeit.

Les années 2000 sont caractérisées par des tensions entre la France et Israël notamment à cause des accusations d’antisémitisme que les dirigeants israéliens portent contre la France. En janvier 2002, le vice-ministre des affaires étrangères, Michael Melchior, déclare que la France est le « pire pays occidental » du point de vue de l’antisémitisme. En 2004, Ariel Sharon demande aux juifs français de venir s’installer en Israël à cause de l’antisémitisme. A cette époque, la politique proche-orientale a connu des revirements permanents, « en dents de scie » selon l’expression d’Elie Barnavi et Luc Rosenzweig : Arafat est soigné à Paris en octobre 2004 mais Sharon est en visite à Paris en juillet 2005 et la France, à l’instar d’Israël, se montre ferme à l’égard de Damas et Téhéran.

Commentaire du CAP

Nous sommes d’accord avec l’auteur pour dire que la politique chiraquienne à l’égard du Moyen-Orient est traversée par des contradictions, des tensions, des revirements. Marc Hecker oublie cependant de dire que sous Chirac la politique étrangère n’est qu’une pale copie de la politique gaullienne. Car les débuts de la 5ème République ont voulu marquer une rupture avec la collaboration puissante qui unissait la 4ème République avec Israël alors que les présidences chiraquiennes semblent avoir pris acte de l’héritage sioniste de la politique mitterrandienne et avoir voulu l’aménager dans un sens qui ne nuise pas trop aux intérêts de la France au Moyen-Orient. En outre, la politique étrangère sous Chirac aurait très bien pu partir du fait qu’un mouvement social de résistance fort s’est constitué en Palestine, celui de la première intifada (1987) et de la seconde (2000), pour faire pression sur l’État sioniste, pour éviter de trop lui concéder. De ce point de vue, la situation était plus difficile, plus contraignante à l’époque de de Gaulle où les questions proche-orientales étaient essentiellement déterminées par les rapports entre les États de la région et les grandes puissances. On voit clairement à la lecture de ces situations différentes que la référence au gaullisme n’a qu’une valeur symbolique pour Chirac, que sa pratique s’inscrit plutôt dans la continuité du mitterrandisme et de sa politique pro-israélienne.

Si on se focalise maintenant sur les citations, les personnalités ou les auteurs mis en exergue, on se rend compte que de ce côté-là aussi Marc Hecker se fourvoie. L’expression « philosémite pro-arabe » pour désigner Jacques Chirac est due à Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, connu pour son sionisme éhonté et placé par l’auteur au rang de référence intellectuelle ultime dans ce chapitre. Mais analysons l’expression en elle-même. Que signifie être « philosémite pro-arabe » ? Que l’on aime les juifs mais qu’on défende les intérêts des arabes ! Cela n’a pas de sens ! Chirac aimerait les juifs et défendrait les intérêts des arabes. A la rigueur, il peut aimer les juifs et défendre les intérêts français en pays arabes. Et encore, car la réaction de la France lors de l’agression du Liban à l’été 2006 par l’armée israélienne a été bien molle, ne condamnant que l’ « usage disproportionné de la force ». Or le Liban est considéré historiquement par la France comme un pays stratégique pour elle dans la région et comme un « pays ami ». En revanche, l’État français s’est montré ferme à l’égard de la Syrie et de l’Iran lorsque ceux-ci étaient soupçonnés d’ingérence dans la situation politique libanaise, comme si la France, elle, était fondée en droit à y intervenir. Et Marc Hecker continuant de se référer à Elie Barnavi, reprenant à son compte l’expression « relations en dents de scie entre les deux pays » alors que les provocations israéliennes, les chantages à l’antisémitisme, n’étaient qu’un moyen de pression sur l’État français pour obtenir de lui un approfondissement de la collaboration. Processus qui sera parachevé par l’arrivée au pouvoir de Sarkozy et l’alignement de la politique étrangère française sur la politique extérieure des États-Unis.

Partie 2 : Les modalités de la défense des intérêts de l’État d’Israël en France

 Chapitre 1 : Les principaux acteurs de la défense d’Israël en France

Trois types d’institutions s’occupent de la défense des intérêts d’Israël en France: il s’agit de l’ambassade d’Israël, des associations juives et des associations laïques favorables à l’État d’Israël.

 I-L’ambassade d’Israël à Paris, défenseur essentiel de la cause israélienne en France

Le premier élément qui explique la forte activité de l’ambassade d’Israël en France, c’est sa taille : 42 diplomates. L’ambassade d’un pays d’envergure comparable comme le Liban n’en possède que 3 et celles du Brésil 19, de l’Inde 19 et des États-Unis 21. A cela il faut ajouter quatre consulats israéliens implantés à différents endroits du territoire français. L’explication de l’importance de l’ambassade d’un petit pays comme Israël réside en premier lieu dans la densité des relations franco-israéliennes. Le deuxième facteur selon Barnéa Hassid, porte-parole de l’ambassade d’Israël, tient au fait que les fonctionnaires détachés auprès de l’ambassade obtiennent l’immunité diplomatique, ce qui grossit les chiffres de cette institution. Enfin, l’importance de la communauté juive en France et les liens puissants qui l’unissent à l’État d’Israël constituent l’ultime élément qui conditionne l’importance et la spécificité de cette ambassade.

Généralement, l’ambassade d’Israël et les organisations juives entretiennent des relations apaisées et travaillent de concert, exceptée la période où Ovadia Soffer était à la tête de l’ambassade et Théo Klein à la tête de CRIF (période 1986-1989). Des divergences politiques opposaient les deux leaders, Théo Klein étant pour la négociation avec l’OLP et la création d’un État palestinien. Aujourd’hui les positions politiques du CRIF, et ce depuis le départ de Théo Klein, sont identiques à celles de l’ambassade. Une solidarité puissante, des rapports entre « frères » selon le mot de Barnéa Hassid, unissent donc l’ambassade d’Israël aux organisations juives et plus généralement à la communauté juive, qui a tendance à considérer les diplomates israéliens en France comme ses porte-parole.

Commentaire du CAP

Les descriptions de l’importance de l’ambassade, de ses rapports avec le CRIF et la communauté juive apportent des informations utiles pour comprendre l’ampleur de la mobilisation en France pour les intérêts d’Israël. On y voit clairement que l’ambassade jouit d’une légitimité forte auprès de la population juive mais une telle adhésion au sionisme, un tel soutien apporté au système colonial israélien ne sont pas questionnés. Un tel positionnement politique en faveur de l’État d’Israël bafoue pourtant les droits les plus élémentaires à l’existence des palestiniens, c’est l’acceptation du racisme institutionnalisé et la caution donnée aux massacres et à la purification ethnique. Marc Hecker se garde bien d’aborder les problèmes qui fâchent craignant sans doute de s’attirer les foudres de la nouvelle inquisition sioniste, prête à taxer d’antisémitisme tout ce qui ne s’agenouillera pas devant Israël. Mais cette prudence qui peut se comprendre n’est pas la seule raison de l’absence d’analyse critique des faits présentés. Marc Hecker est lui-même contaminé par les conceptions sionistes, celles qui vont dans le sens de la solution illusoire à deux États, et finit par prendre comme allant de soi des faits qui méritent interrogation. 

 

II-Le rôle des associations juives dans la défense des intérêts d’Israël en France

Il existe en France 3000 organisations juives qui ne mobilisent pas plus du tiers de la communauté juive estimée à 600000 personnes.

Le CRIF a été crée en 1944 avec pour vocation d’unifier les actions de sauvetage des juifs persécutés. Aujourd’hui, l’objectif central du CRIF est la promotion des intérêts d’Israël. L’article 1 des statuts de 2000 est significatif à cet égard : « le CRIF manifestera à tous moments et par les moyens appropriés les sentiments de solidarité et d’attachement de la communauté juive de France envers l’État d’Israël ». La vraie rupture a eu lieu en 1977 avec une nouvelle charte qui selon Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey fait du CRIF un « lobby d’Israël en France ».

Le CRIF regroupe aujourd’hui une soixantaine d’associations. En théorie, il a le monopole de la représentativité politique des juifs de France mais il arrive que d’autres organisations entrent en concurrence avec lui comme le Consistoire Central au moment de l’arrivée de Joseph Sitruk au poste de grand rabbin de France en 1987. D’autres organisations interviennent aussi sur des sujets d’ordre politique : le B’nai B’rith, l’UEJF, l’UPJF, Siona, la Wizo.

Le B’nai B’rith a été crée en 1845 sur le modèle de la franc-maçonnerie. Il regroupe aujourd’hui 500000 membres dans 57 pays dont 2500 en France. Il est considéré comme une organisation humanitaire (statut d’ONG auprès de l’ONU) mais parmi ses missions figure clairement le soutien à l’État d’Israël. L’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) compte 15000 membres et « se pose en soutien réfléchi et efficace de l’État d’Israël ». La Wizo est la première organisation féminine sioniste. Elle compte 250000 membres dont 7000 en France et prend clairement des positions en faveur d’Israël. L’UPJF (Union des Patrons Juifs de France) est une organisation qui se pose en véritable « lobby pro-israélien » selon l’expression d’Emmanuel Weintraub, ancien vice-président du CRIF. Elle entretient des liens étroits avec l’AIPAC aux États-Unis. Le deuxième objectif de l’organisation est de « développer une solidarité active et une aide à Israël et à son gouvernement élu démocratiquement ». Elle compte 1000 membres.

Toutes ces organisations ont une forte capacité de mobilisation lors des manifestations et travaillent de concert avec le CRIF.

Commentaire du CAP

Marc Hecker décrit avec clarté les grandes organisations juives en France et montre précisément à la fois leur caractère politique et leur sionisme-même si l’auteur n’aime pas utiliser ce terme-en explicitant les articles de leurs chartes respectives qui manifestent leur attachement et leur soutien à Israël. Cependant l’auteur élude la question de l’existence d’un lobby pro-israélien en France représenté par l’une de ces organisations ou par toutes ces organisations prises ensemble. Même un sioniste comme Weintraub ose affirmer par exemple que l’UPJF constitue un lobby mais Marc Hecker ne commente pas cette assertion, préfère passer outre, évitant ainsi de faire des vagues. Pourtant ses descriptions concrètes allaient dans le sens de la thèse de l’existence d’un lobby pro-israélien puisque l’on y apprend que les différentes organisations affichent les mêmes positions sionistes et qu’elles travaillent conjointement, sous la bannière du CRIF, lors de certaines mobilisations. Ce refus de poser la question du lobbying chez Marc Hecker traduit en fait la peur de considérer que la communauté juive en France a un poids politique considérable sur le système politique français. En niant cette réalité, l’auteur se trouve déchiré entre des études concrètes lucides dénonçant l’influence juive pro-israélienne et des conceptions politico-théoriques plutôt favorables au sionisme. Si les représentations théoriques constituent un obstacle à l’analyse au lieu de contribuer à la connaissance et à la compréhension du réel, alors il est clair qu’elles s’apparentent davantage à de l’idéologie qu’à une méthode de recherche.

 

III-L’implication d’associations et d’institutions laïques pour la défense d’Israël en France

L’Association France-Israël est l’organisation la plus active dans la défense des intérêts d’Israël. Elle est l’héritière de l’Association France-Palestine crée en 1926 et dont le but était la création d’un État juif au Proche-Orient. En 1948, l’association devient France-Israël et se donne pour objectif de renforcer les liens entre la France et Israël. Certains membres à la tête de l’association sont aussi impliqués dans des associations laïques pro-israéliennes comme Rudy Salles qui est vice-président de l’Association France-Israël, vice-président de l’assemblée nationale, président du groupe d’amitié parlementaire France-Israël, membre du bureau exécutif de l’Association des Elus Locaux et Maires Amis d’Israël (Adelmad).

Le Groupe d’amitié parlementaire France-Israël comprend 103 députés, toutes tendances politiques confondues. Selon Rudy Salles, ce groupe vise à « informer les députés français sur ce qui se passe en Israël, sur la réalité de la situation et pour qu’Israël soit toujours au cœur des préoccupations du Parlement français ». Ce groupe a son équivalent au Sénat : le Groupe d’amitié France-Israël au Sénat dirigé par Philippe Richert.

Les motivations qui expliquent l’engagement en faveur d’Israël dans le cadre de ces associations laïques ne relèvent pas d’un racisme anti-arabe comme l’ont montré les entretiens effectués. Deux types d’argument sont souvent invoqués pour justifier le soutien à Israël : cet État constitue la seule véritable démocratie dans la région (justification de Rudy Salles) ou les Juifs ont trop souffert pendant la seconde guerre mondiale (justification de Philippe Richert).

Commentaire du CAP

103 députés font partie du Groupe d’amitié France-Israël ! L’affaire est bien plus grave que la simple existence d’un lobby qui essaierait d’influencer la politique française de l’extérieur. Le sionisme est au cœur des institutions et de l’État français. Sans parler des députés qui ne sont pas dans ce groupe mais qui partagent des positions sionistes. Sans parler de l’Adelmad qui comprend plus de mille élus et dont le président n’est autre que le fameux député de Seine-Saint Denis et vice-président de l’Assemblée nationale Eric Raoult, connu pour son couvre-feu imposé aux mineurs pendant les émeutes de novembre 2005. Ou de l’Association France-Israël qui a pour président Gilles-William Goldnadel, pourprésident d’honneur Michel Darmon ( ingénieur général du Génie Maritime) et pour vice-présidents Georges Frèche (député-maire de Montpellier) , André R ossinot (ancien ministre, député-maire de Nancy) , Gilbert Gantier (député de Paris) , Claude Goasgen (ancien ministre, député de Paris) , Paul Schaffer (industriel), Rudy Salles (vice-président de l’Assemblée Nationale, président du Groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée Nationale, député des Alpes Maritimes) et qui comprend dans ces instances dirigeantes des dizaines d’autres élus, chefs d’entreprise, scientifiques, professeurs, médecins, journalistes, etc.

Les pratiques de lobbying des organisations sionistes existent et consistent à influencer par différents moyens les décisions prises par l’État français. Mais elles ne constituent que la face émergée de l’iceberg. Car le travail en profondeur en faveur des intérêts d’Israël est organisé à l’intérieur même des cercles de pouvoir par les sionistes qui détiennent des positions-clé dans le système, au gouvernement, au parlement, dans les échelons locaux du pouvoir, au sein de l’armée, dans les partis et les associations, dans la magistrature, au sein des médias, dans les universités et les centres de recherche. L’État français est acquis au sionisme, c’est aussi l’idéologie dominante dans les classes dominantes contemporaines et même au sein de la population règne un sionisme ambiant relayé tambours battants par ces appareils idéologiques d’État qu’on appelle les medias. Car combien sont-ils ceux qui remettent en cause aujourd’hui l’existence-même de l’Etat colonial d’Israël ? L’Etat d’Israël est un État colonial et raciste, c’est sa nature profonde, l’histoire de son expansion, de ses guerres permanentes et de ses pratiques de purification ethnique le prouve abondamment. Accepter l’existence d’un État israélien à côté d’un Etat palestinien, c’est se situer encore et toujours sur les plates-bandes idéologiques du sionisme.

 Chapitre 2 : Les pratiques des défenseurs des intérêts d’Israël en France

 I-Rencontrer, discuter, informer

L’essentiel du travail des défenseurs de l’État d’Israël consiste à rencontrer les décideurs et à les informer sur le Proche-Orient car ils considèrent que les medias sont injustes dans le traitement réservé à Israël, voire antisémites. Certains groupes pro-israéliens veulent convaincre les journalistes d’être plus conciliants à l’égard d’Israël (grâce à des discussions, des voyages organisés en Israël). Cependant, on ne peut pas reprocher aux organisations pro-israéliennes de faire de la propagande car leur credo permanent est celui de l’objectivité.

Le travail d’information vise aussi de manière spécifique les cercles de pouvoir, de l’élu local au président de la République. L’Adelmad organise une fois par an au moins un voyage d’élus locaux en Israël. Le CRIF organise de son côté des voyages de députés. De même le diner annuel du CRIF rassemble chaque année de nombreuses personnalités politiques. Les contacts les plus nombreux du CRIF ont lieu avec les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de l’Education nationale, vient ensuite le ministère des Affaires étrangères. Les défenseurs d’Israël pensent que pour influencer la politique étrangère de la France, ils doivent agir sur le président. Le Quai d’Orsay tient un rôle important dans la définition de la politique étrangère mais les défenseurs d’Israël considèrent qu’il est anti-israélien et pro-arabe.

Pour éviter que l’image des juifs ne se dégrade à cause des résonnances du conflit israélo-palestinien, les défenseurs d’Israël s’attachent à persuader l’ensemble de la population de la légitimité d’Israël. Cela passe indirectement par les contacts avec les journalistes mais aussi par les interventions directes dans les medias.

Commentaire du CAP

Marc Hecker décrit des pratiques dignes d’un lobby qui par un travail « informationnel », selon le terme aseptisé de l’auteur et en réalité plutôt un travail de pression idéologique, cherche à influencer les modes de pensée des décideurs et de la population et permettre ainsi le soutien inconditionnel de l’État français à l’État d’Israël. Mais aucune fois le terme de lobby n’est utilisé car l’auteur veut échapper à toute accusation d’antisémitisme ou même à tout débat sur la question qui pourrait avoir de près ou de loin des implications fâcheuses. Si tel est le cas, pourquoi avoir choisi ce sujet à risque ? Pour avoir eu le mérite de traiter un sujet réputé dangereux mais par une approche qui lève toute suspicion sur les dispositions prévenantes de l’auteur vis-à vis des « défenseurs de l’État d’Israël ». Et ainsi gagner sur tous les plans. Comment comprendre sinon que l’auteur semble croire sur parole que les sionistes sont objectifs et ne font pas de propagande ? A moins d’être niais, on sait très bien que les menteurs professionnels soutiendront toujours l’idée qu’ils parlent vrai. Mais on préfère penser que l’auteur fait seulement preuve d’allégeance aux maîtres d’aujourd’hui. Surtout que notre spécialiste de la question juive est doctorant au moment où il écrit et que son instinct lui fait percevoir clairement que tripoter maladroitement cette question peut lui bloquer à tout jamais sa carrière.

II-Soutenir Israël par des manifestations de masse

La première grande manifestation (environ 30000 personnes) de masse a eu lieu le 31 mai 1967 devant l’ambassade d’Israël pour exprimer le soutien à l’État hébreu à l’approche de la guerre des Six Jours. La dernière en date (entre 50000 et 250000) a eu lieu début avril 2002 contre le développement de l’antisémitisme et pour la solidarité avec le peuple israélien. La venue en France de personnalités (pro)palestiniennes a aussi été l’occasion de manifestations (Arafat en mai 1989).

Un autre type de manifestation, plus régulier, est aussi organisé comme les « Douze heures pour Israël » inauguré en 1976. Ce type de mobilisation sous forme de meeting a pour objectif de resserrer les liens franco-israéliens. Dans le cadre de ces meetings, on retrouve les grandes organisations pro-israéliennes (CRIF, FSJU, Consistoire Central, Consistoire de Paris) et des personnalités importantes interviennent et s’engagent publiquement en faveur d’Israël comme F.Hollande ou D.Staruss-Kahn en 2003.

Commentaire du CAP

Quel est l’objectif de ces manifestations ? Contrairement à la plupart des manifestations, celles-ci n’ont pas de caractère contestataire, elles ne visent pas à combattre une injustice ou à remettre en cause une loi ou une mesure oppressive. Ces manifestations sont organisées en priorité pour maintenir une pression régulière sur les gouvernants et secondairement pour faire une publicité au sionisme au sein de la population française. Cette technique de défense des intérêts d’Israël ne peut pas être mise en vis-à-vis avec d’autres types de manifestation comme celle par exemple du mouvement pro-palestinien car elles n’ont pas la même nature. Les associations pro-israéliennes veulent faire en sorte que les décisions politiques aillent toujours dans le sens du primat des intérêts israéliens alors que le mouvement pro-palestinien dénonce une situation d’oppression coloniale. C’est pourquoi l’organisation des manifestations de masse par le CRIF et consort reste une pratique qui s’intègre dans le dispositif de pression tous azimut et de lobbying, ce dispositif étant lui-même un des éléments dans le dispositif d’ensemble de contrôle du pouvoir d’État. 

Conclusion 

Les défenseurs des intérêts israéliens considèrent que la France a pris un virage pro-arabe et qu’il est nécessaire d’agir pour rééquilibrer cette politique. Les modes d’action sont l’information et la discussion, publiques ou informelles, avec les décideurs et les faiseurs d’opinion et l’organisation des manifestations de masse.

Il n’est cependant pas possible de parler de lobby pro-israélien pour plusieurs raisons. D’une part, il y a un danger d’amalgame entre lobby israélien et lobby juif. D’autre part, il y a une absence de coordination entre les différentes organisations, tant au niveau des buts que des moyens d’action. Enfin, les défenseurs de l’ État d’Israël ne sont pas des professionnels, ils n’exercent pas ce travail à temps plein.

Aujourd’hui, la France ne tient plus la place importante dans le monde qu’elle a eu par le passé, et l’enjeu s’est sans doute déplacé au niveau de l’Europe. Telle est la perspective de travail que doivent mener les organisations pro-israéliennes.

Commentaire du CAP

En conclusion, Marc Hecker pose enfin le problème de l’existence du lobby pro-israélien pour répondre par la négative. Il avoue à demi-mot sa crainte d’aborder le sujet lorsqu’il affirme qu’il faut rejeter cette notion de lobby israélien car il y a un risque d’amalgame avec celle de lobby juif. Alors il est légitime de demander à l’auteur si le chercheur peut renoncer à certaines catégories, certaines analyses, de peur que certains manipulateurs fassent des amalgames et s’adonnent à la calomnie contre ledit-chercheur. L’absence de coordination entre les associations pro-israéliennes est loin d’être une proposition certaine, car à plusieurs reprises elles ont travaillé de concert pour mobiliser. Ce qui est sûr, c’est qu’elles ont des intérêts convergents, un objectif commun, des lignes politiques identiques-la défense des intérêts d’Israël-et qu’en ce sens elles constituent un réseau puissant qui influence de manière décisive les gouvernants. Quant à l’absence de professionnalité, elle fait du lobby pro-israélien en France quelque chose de moins formel que le lobby juif aux États-Unis. Mais cela n’enlève rien à son caractère de lobby, de groupe de pression sur le pouvoir. Le diner annuel du CRIF est parlant à cet égard, au cours duquel le président de cette organisation dresse les grandes lignes à suivre de la politique étrangère française devant des dirigeants français qui semblent boire ces paroles. Marc Hecker a peur de prononcer le mot lobby mais la « sionisation » de l’État français est un problème bien plus grave et une question bien plus importante. Historiquement, c’est la gauche qui a rendu possible les réalisations les plus significatives du sionisme dans sa stratégie de contrôle du pouvoir politique : la SFIO sous la 4ème République et le PS sous la 5ème République. Mais la grande nouveauté de ces dernières années, c’est la conversion massive de la droite au sionisme. L’arrivée de Sarkozy et de ses acolytes au pouvoir est à la fois le symbole et le résultat de ce processus métastatique de « sionisation » de l’État français.

Marc Hecker dresse finalement la perspective que doivent suivre les associations pro-israéliennes, l’action au niveau européen. Marc Hecker avouerait-il qu’il travaille de concert avec les défenseurs de l’État d’Israël ?


Comité Action Palestine




L’affaire de l’arche de Zoé : la légitimation humanitaire du colonialisme

L’affaire des enfants tchadiens récemment dévoilée n’est pas la conséquence du comportement irresponsable mais pourtant bienveillant d’une équipe d’humanitaires dévouée à l’Afrique, soucieuse d’offrir à ces enfants un toit, une vie meilleure à l’abri des fléaux ravageants leur pays. La traite des enfants tchadiens n’est surtout pas le fruit empoisonné d’attitudes isolées et maladroites.

Le Comité Action Palestine a souhaité vous proposer sa propre analyse sur ce sujet car à ses yeux, elle représente le prolongement cruel et pervers des rapports opposant l’Occident colonialiste aux territoires périphériques qu’il maintient sous ses bottes.


L’ « Occident civilisé » n’en finit pas de démentir la bonne réputation qu’il tente d’imposer au monde entier. L’affaire des enfants tchadiens fait tomber le masque, l’usurpation d’identité. Et Cet Occident paré de mille vertus nous donne à voir son véritable visage. Cet Occident façonné et enrichi par plus de deux siècles de régime bourgeois et de colonialisme nous démontre une fois encore qu’il est l’antithèse de la vie. Car fidèle à ses nobles principes : « droits de l’homme », « démocratie », « justice », la rapacité de cette entité économique ne possède aucune limite.

L’affaire des enfants tchadiens récemment dévoilée n’est pas la conséquence du comportement irresponsable mais pourtant bienveillant d’une équipe d’humanitaires dévouée à l’Afrique, soucieuse d’offrir à ces enfants un toit, une vie meilleure à l’abri des fléaux ravageants leur pays. La traite des enfants tchadiens n’est surtout pas le fruit empoisonné d’attitudes isolées et maladroites. Elle représente le prolongement cruel et pervers des rapports opposant l’Occident colonialiste aux territoires périphériques qu’il maintient sous ses bottes. Elle n’est que le produit des intérêts matériels et géopolitiques que l’Occident entend par tous les moyens sauvegarder. En somme, il existe un lien organique entre le rapt des enfants tchadiens et les objectifs géopolitiques et économiques de l’Occident dans cette région.

L’intervention « humanitaire » au Darfour dont se gargarisent les Etats-Unis et l’Union Européenne constitue, sur ce plan, une opération de soutien aux ambitions géostratégiques occidentales dans cette zone. L’humanitaire, c’est le paravent que l’on plante afin de camoufler les véritables intentions des puissances prédatrices. Comme cela fut démontré pour le Rwanda lors de « l’opération turquoise » échafaudée par l’Etat français en 1994, il s’agit sous le prétexte de l’action humanitaire de fournir des armes, un appui logistique et militaire à des groupes armés autochtones employés et financés pour servir le projet impérialiste dans la corne africaine.

Ce secteur est en effet hautement stratégique. En plus des matières premières fortement convoitées tels que le pétrole et le gaz naturel qu’elle renferme, la maîtrise de cette zone permet à l’Occident de déployer un système de contrôle militaire sur l’ensemble du golf arabique. Qu’on ne s’y trompe pas, le « corridor-couloir humanitaire », « l’aide humanitaire » que les Etats français et américains souhaitent installer entre le Tchad et le Darfour a pour but principal d’affaiblir l’Etat soudanais en alimentant une guerre civile et en installant de fait une situation de partition que « la communauté internationale » officialisera d’abord en traçant une frontière défendue par des contingents militaires onusiens puis en décrétant l’autonomie du territoire pour finir par la reconnaissance de son « indépendance ». N’a-t-on pas appliqué la même traitement à la défunte Yougoslavie. L’hérésie de l’Etat soudanais allié de la Chine c’est le refus de se plier systématiquement aux exigences de Washington. La menace : un pays où s’est par ailleurs structuré une coalition des forces nationales dirigée par Hassan Tourabi, le leader du Congrès Populaire, un parti islamiste influent et mobilisateur. Prévenir toute remise en cause de la hiérarchie mondiale, émietter, diviser, tel est l’intérêt de la dictature globalisée.

Qu’a-t-on observé également en Somalie au cours de l’année 2007 ? Les mêmes enjeux et les mêmes ingérences dont les arguments humanitaires furent lancés dans l’unique but d’occulter la politique coloniale que les puissances occidentales entendaient poursuivre. N’a-t-on pas voulu détruire un mouvement populaire de libération nationale (l’Union des Tribunaux Islamiques) s’étant rendu maître du pays en utilisant l’armée supplétive éthiopienne ainsi que divers groupes armés mafieux locaux. Et le résultat : une guerre civile, une famine généralisée, le départ forcé de plus de 800 000 somaliens dans des camps de réfugiés, l’occupation du pays par l’armée éthiopienne. Au total, la bienveillance humanitaire de l’Occident a déclenché pas moins de 69 guerres dans la corne de l’Afrique durant les deux dernières décennies.

Au reste, les multiples agressions de l’Occident ne se cantonnent pas au registre militaire. Avec les armes, la guerre, les destructions de villages, de l’infrastructure sociale, viennent les trafics les plus morbides comme ceux révélés au Tchad dernièrement :

  • La prostitution organisée par des agences humanitaires occidentales au Congo-Zaïre.
  • Le trafic de drogue dont l’Afghanistan constitue l’exemple le plus patent. L’invasion US et l’arrivée massive dans ses bagages d’ ONG humanitaires occidentales s’est accompagnée d’une augmentation sans précédent de la production d’opium.
  • La traite des enfants africains par des associations dites humanitaires au Tchad-Darfour. Des enfants arrachés sournoisement à leurs familles pour être vendus comme des marchandises ou des bêtes à des familles françaises complices. Environ 150 enfants furent kidnappés et déportés avec les moyens de l’Etat français : mise à disposition d’un avion militaire, octroi de titres de séjours, une couverture médiatique assurée par le service public de l’audiovisuel et l’inévitable gesticulation opportuniste du président Sarkozy et de sa passionara humaniste ya bon banania.

Cette opération politico-médiatique devait mettre en scène un pouvoir politique oeuvrant pour la paix et l’aide humanitaire aux populations du Darfour. Le « rapatriement » des enfants orphelins du Darfour était censé inaugurer la « nouvelle » politique étrangère française : humanitaire et atlantiste. Or depuis le relatif « désaccord » irakien de 2003, la politique étrangère française se conçoit désormais dans le cadre d’un partenariat étroit avec le consortium américano-sioniste :

  • Soutien à l’agression israélienne au Liban en 2006 par le silence révélateur des autorités politiques françaises.
  • Politique de sanctions économiques et d’isolement diplomatique menée contre l’Iran.
  • Pressions exercées sur la Syrie.
  • Participation au blocus imposé à la population palestinienne à Gaza, etc.

Reste que la « nouvelle » politique étrangère de l’Etat français diffère sur un seul point de celle conduite par les prédécesseurs du gouvernement Sarkozy : la médiatisation décomplexée de ses affinités américaine et sioniste. Constatons que les responsables politiques en France ont échoué cette fois-ci sur ce terrain. L’entourloupe fut éventée et portée au grand jour malgré les vaines tentatives de diversions mises en oeuvre par le pouvoir.

Sarkozy nous l’avait annoncé le soir de son élection : la France lutterait contre le réchauffement climatique et se tiendrait aux côtés des opprimés, des faibles et des démunis … pour creuser leur tombe.

Comité Action Palestine




Victoire du CAP sur le fond dans l’affaire AL ROWWAD

Le Tribunal Administratif de Bordeaux, après avoir condamné une première fois, le 5 juillet 2006, la mairie de Cenon pour atteinte à la liberté d’expression et ordonné l’ouverture de la salle de spectacle aux enfants d’Al Rowwad, vient à nouveau de condamner cette municipalité mais cette fois sur le fond. Nous avions souhaité que l’affaire soit jugée sur le fond et demandé que la décision du maire de Cenon d’annuler le prêt de la salle soit annulée par la justice et ses motivations dénoncées. C’est chose faite après l’audience du 31 octobre 2007. Lecture vient d’en être donnée ce 29 novembre.

Voici quelques larges extraits du jugement rendu :

« …..Considérant qu’aux termes de l’article L.2144-3 du code général des collectivités territoriales : « des locaux communaux peuvent être utilisés par des associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, de fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public (…). »

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, pour retirer l’autorisation qu’il avait précédemment accordée à l’association requérante d’occuper la salle communale Simone Signoret, le maire de la commune de Cenon ne s’est fondé ni sur un motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services, ni sur un motif tiré des nécessités du maintien de l’ordre public, mais sur la nature militante et politique du spectacle « nous sommes les enfants du camp », joué par la troupe des enfants du centre culturel Al Rowwad ; que ce motif n’est pas au nombre de ceux de nature à justifier la décision attaquée ;

……….

Mais considérant qu’il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que le spectacle en cause constituait une menace pour l’ordre public ; qu’il n’est pas davantage établi que la salle Simone Signoret ne serait pas adaptée à la réception d’une telle manifestation culturelle, et qu’ainsi l’accueil de ce spectacle porterait atteinte à la bonne administration des propriétés communales ; que, par suite, les motifs invoqués par le maire de la commune de Cenon ne sont pas de nature à justifier légalement la décision attaquée ; qu’il n’y a, dès lors, pas lieu de procéder à la substitution de motif demandée ;

Considérant que les dispositions de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’association COMITE ACTION PALESTINE est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée ;

……..

DECIDE :

Article 1er : La décision du 28 juin 2006 du maire de Cenon est annulée

Article 2 : La commune de Cenon versera à l’association COMITE ACTION PALESTINE la somme de 1000 € au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association COMITE ACTION PALESTINE et à la commune de Cenon. Copie en sera délivrée au préfet de la Gironde. »

****************

Il était important pour le CAP de remporter cette victoire qui est une victoire contre le CRIF, contre la manipulation médiatique, contre la censure qui tente systématiquement d’interdire l’expression du peuple palestinien et de ceux qui défendent sa juste cause. Enfin c’est une victoire contre les politiques de tout bord, complices de l’Etat criminel sioniste.




La laïcité et l’Islamisme dans le Monde Arabe

gaza-juin2007[1]Article de Sukant Chandan , journaliste et analyste politique indépendant, publié par Palestine Chronicle , le 4 octobre 2007 .

L’auteur replace l’Islam politique dans une perspective historique et montre comment il a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme tout au long du 20ème siècle au Moyent Orient.

Ancré dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires, il est aujourd’hui en tête des mouvements d’indépendance dans le monde arabe, contrairement aux organisations laïques de gauche largement influencées par des idéologies extérieures à la région et maintenant sur le déclin.

Selon nous, seule la référence à Saladin comme source d’inspiration pour l’Islam politique moderne peut paraître regrettable, la configuration à l’époque étant bien différente de celle d’aujourd’hui dans ces pays qui luttent pour leur souveraineté nationale.

  

Photo : Comité Action Palestine


Replacée dans le contexte historique, la laïcité , dans le leadership politique au sein du Monde Arabe a eu une durée de vie très brève. C’était devenu un courant politique majeur pendant quelques dizaines d’années au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, et aujourd’hui il est en passe de s’écrouler complètement au sein des mouvements politiques qui luttent pour l’indépendance et le développement dans la région.

Plusieurs leaders islamiques ont représenté pour les Arabes la principale inspiration politique pour leurs mouvements de libération. Salahuddin al-Ayooub, plus connu sous le nom de Saladin, qui a libéré Jérusalem des Croisés au douzième siècle est probablement le leader islamique le plus connu à l’extérieur de la région. La légitimité de Saladin reste une profonde source d’inspiration pour les Arabes, spécialement pour les radicaux islamistes qui ne voient pas seulement un parallèle avec les invasions militaires et les occupations contemporaines, mais qui utilisent directement cette histoire lors de leur mobilisation politique au sein de leur lutte contre ceux qu’ils considèrent comme des Croisés modernes.

Plus récemment , l’islam politique a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme au cours du 20ème siècle. Il y a de nombreux exemples de mouvements et de responsables dans chaque pays arabe, mais parmi les plus connus, on peut citer Sheikh Izz al-Din Qassam, qui a donné son nom à la branche armée du Hamas . Sheikh al-Qassam a été tué par les colons britanniques en Palestine au cours d’une confrontation armée ; sa mort a été l’étincelle de ce que certains désignent comme la première Intifada palestinienne de 1936 à 1939. En Iraq , les Islamistes chiites se sont unis avec leurs homologues sunnites contre le colonialisme britannique en 1920 dans un soulèvement populaire, qui donne son nom à l’un des plus importants groupes actuels d’insurgés islamiques en Iraq : « Les Brigades de la Révolution de 1920 ». L’islamisme chiite en Iraq peut être aussi relié à l’émergence du hezbollah libanais . Des érudits islamistes chiites, tels que Fadlallah, un maître très important du chiisme radical basé au Liban ayant des liens très étroits avec le Hezbollah, ont émigré au Liban à partir des centres religieux d’Iraq et d’Iran. Sur le plan théorique, ce sont les idées de Muhammad Abdu and Al-Afghani au cours du 19ème siècle, et plus anciennement celles d’Ibn-Tammiyah au 14ème siècle qui ont le plus contribué à l’idéologie islamiste.

Alors que c’est la propre histoire de la région qui a eu le plus d’influence sur l’Islamisme moderne, faisant de celui-ci une partie intégrante de l’identité politique des peuples et des luttes, ce sont, au contraire, les influences politiques et culturelles européennes, extérieures à la région, qui ont influencé le Nationalisme Arabe laïque moderne. Le père fondateur du Nationalisme Arabe laïque moderne était le Syrien Sati al-Husri, inspiré du républicanisme français et du nationalisme allemand du 19ème siècle. Le nationalisme arabe est devenu la force politique montante de la période post Seconde Guerre Mondiale.

Au cours de la période post Seconde Guerre Mondiale , comme dans le reste du tiers-monde, la région a connu une augmentation de la force des courants nationalistes laïques de gauche, inspirés par l’exemple de l’indépendance et du développement social du Bloc Socialiste face à l’hostilité néo-coloniale. Le soutien direct ou indirect de l’URSS, des pays socialistes de l’Europe de l’est et de la Chine, aux mouvements radicaux du Tiers Monde ont également joué un rôle majeur dans leur progression.

On peut citer l’éminent nationaliste arabe Gamal Abdel Nasser, en Egypte , dont la nationalisation du Canal de Suez a constitué le point culminant de la renaissance arabe moderne. Cela a conduit, en retour, à une atmosphère de confiance sans précédent chez les Arabes, atmosphère qui a dynamisé plusieurs tendances du Nationalisme Arabe et engendré une période pendant laquelle, les branches du Nationalismes arabes et du Parti Socialiste Ba’ath sont arrivées au pouvoir en Syrie et en Iraq . Le Mouvement National Arabe, principalement basé à Beyrouth, a engendré plusieurs mouvements de gauche tels que le marxiste Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP). Ce dernier a placé la tragédie du peuple palestinien alors largement méconnue, sur l’agenda international, en étant le premier groupe arabe armé à détourner des avions. Et bien sûr, on peut citer le parti laïc de gauche Fatah deYasser Arafat, qui a conduit la révolution nationale palestinienne à la fin des années 60.

A la même période, les forces islamistes ont aussi retrouvé leur élan et ont été souvent présents dans les rangs des mouvements indépendantistes. Ceux qui à l’intérieur et à l’extérieur de la région avaient tout intérêt à s’opposer à la vague nationaliste anti-impérialiste de gauche ont soutenu des parties de l’Islam politique qui étaient en opposition avec les laïcs. A la lumière des interactions complexes entre les deux mouvements politiques, cette relation est trop souvent simplifiée à outrance. En Algérie, le FLN était autant un mouvement nationaliste islamiste qu’un mouvement inspiré par Fanon, Mao et Che Guevara, bien que le courant islamiste fût éliminé peu après l’indépendance. Plusieurs des premiers responsables du Fatah (y compris Arafat qui le revendiquait pour lui-même) appartenaient au mouvement dont le Hamas est la « branche palestinienne » : les Frères Musulmans ou « Ikhwan Muslimeen », une force majeure de l’anti-impérialisme radical de masse qui existait après la seconde guerre mondiale avec deux branches dans le Monde Arabe. Ikhwan était la plus forte en Egypte, le lieu de résidence de son fondateur Hassan al-Banna. Sayyid Qutb, un autre leader égyptien de Ikhwan, après la mort de Hassan al-Banna, a été certainement le plus grand penseur et stratège de l’Islam politique moderne. Il a été exécuté par le régime de Nasser en 1966 après avoir été accusé de préparer un coup d’Etat. Initialement, les Officiers Libres de Nasser et les membres de Ikhwan étaient alliés dans la lutte contre les Britanniques, avant que le régime de Nasser mène une répression massive contre ce mouvement, emprisonnant et torturant cruellement un grand nombre de ses militants. Un fait très peu connu en dehors de la région est que la branche palestinienne de Ikhwan a aussi joué un rôle majeur dans la résistance contre l’établissement de l’Etat d’Israël en Palestine à la fin des années 40.

La mise en déroute par Israël de Nasser et des armées arabes en 67 peut être aujourd’hui clairement vue comme le début du déclin de la prédominance des forces laïques . Dès que les nationalistes de gauche au Moyen Orient ont été au pouvoir, leur influence dans la bataille contre le Sionisme et le néo-colonialisme a commencé à décliner. Alors que pendant la plus grande partie des années 70, les luttes ont été conduites par les forces nationalistes de gauche, cette décennie a aussi été témoin d’un tournant qualitatif en faveur de l’Islam radical. Les peuples arabes étaient très en colère quand la République Arabe d’Egypte sous le président Sadat a signé la paix avec Israël, donnant ainsi une plus grande écoute aux mouvements tels que Ikhwan et autres groupes islamistes plus radicaux. L’évènement qui a contribué plus que tout au développement des Islamistes a été le renversement par les Islamistes du plus grand allié des Occidentaux après Israël dans la région – l’Iran sous le Shah – qui était jusque là considéré comme « un ilôt de stabilité » selon l’ancien président des USA, Jimmy Carter.

Les deux plus importantes manifestations du développement des mouvements islamistes radicaux dans les années 80 , ont été le Hezbollah libanais aidé directement pour son entraînement militaire et ses infrastructures par le Pasdaran, la force militaire iranienne, et le Jihad Islamique Palestinien (PIJ). Pour ces deux mouvements, l’Iran a été la source d’inspiration.

PIJ a été le premier groupe islamiste reconnu à conduire la lutte armée contre l’occupation israélienne au début des années 1980, et le premier mouvement dans la communauté sunnite, à utiliser la tactique controversée des attaques suicides. Au même moment, l’Ikhwan palestinien a été impliqué dans la construction d’un réseau d’organisations charitables et religieuses qui représentaient des institutions d’une immense valeur pour la vie de beaucoup de Palestiniens, surtout à Gaza. L’Ikhwan a établi l’Université Islamique de Gaza à la fin des années 70. La construction d’un tel centre d’apprentissage, de débat et d’activité a constitué pour eux un grand pas et a forgé une nouvelle génération de jeunes islamistes éduqués. Cependant PIJ représentait un challenge pour l’Ikhwan palestinien car il était le seul mouvement de résistance islamiste armée contre Israël à cette époque. Cela signifie que beaucoup de jeunes militants de l’Ikhwan ont soit rejoint PIJ, soit fait pression sur leurs responsables pour développer et mettre en œuvre une stratégie militaire pour la Révolution palestinienne. Le fait que Fathi Shiqaqi, l’un des idéologues les plus charismatiques et astucieux de l’Ikhwan palestinien, ait fait scission et formé une section de PIJ, a constitué un élément supplémentaire pour donner à cette époque à l’Ikhwan palestinien l’image d’un mouvement incapable et non-désireux de faire face aux challenges de la lutte de libération palestinienne. Cela a probablement accéléré les préparations à la lutte armée menées par Sheikh Yassin et plusieurs autres leaders de l’Ikhwan palestinien, préparations qui se sont concrétisées par la mise en place de Harakat Moqawama al-Islamiyya, le « Mouvement de la Résistance Islamique » ou Hamas , le second jour de l’Intifada palestinienne en 1987 . Le document initial que le Hamas a publié en 1988, « la Charte », est problématique car elle fait référence au Protocole fabriqué des Sages de Sion. Il faut se remettre à l’esprit que ce document anti-sémite a un large crédit à travers le spectre politique de la région en raison du soutien occidental au colonialisme israélien et du sentiment d’impuissance qu’ont les masses populaires, face à l’agression israélienne. Le Hamas a ensuite publié divers communiqués qui exposaient plus précisément leur idéologie, stratégie et tactiques.

L’OLP a revendiqué qu’il était le leader de l’Intifada de 1987 et qu’il était le « seul représentant du peuple palestinien ». Le Dr Azzam Tamimi écrit dans son nouveau livre sur le Hamas (Une histoire de l’intérieur) que la volonté de l’OLP de revendiquer jalousement les responsabilités avait été en partie due au rôle majeur joué par le Hamas dans l’Intifada et à la compétition menée contre l’OLP pour le leadership.

Lors d’un renversement ironique de l’Histoire, ce sont les Mujahideens afghans soutenus par les pays occidentaux et la Chine qui ont combattu l’armée soviétique et le gouvernement pro-soviétique en Afghanistan. Ceux-ci ont donné une nouvelle impulsion au développement de l’islamisme militant moderne qui allait devenir bientôt une force puissante contre le néo-colonialisme dans la région. Le jihad afghan a permis à des militants de dépasser les rivalités qui existaient entre groupes ethniques et nationaux. Dépasser ces divisions et forger l’unité pan-arabique et pan-islamique était l’une des principales stratégies de Ben-Laden et Zawahiri pour la création en 1998 de leur organisation qui est devenue le violent « Front Islamique Mondial pour la Guerre Sainte contre les Croisés et les Juifs », plus connue sous le nom de Al-Qaeda , qui signifie « la base ». Initialement pour Ben Laden, Zawahiri et les autres, l’Afghanistan était la base du jihad international, maintenant c’est l’Iraq.

A la fin des années 80, la popularité de l’Islamisme et des mouvements islamistes était telle que le leader du nationalisme arabe laïc, Saddam Hussein, et Muammar Qaddafi avant lui, a commencé formellement à faire la synthèse de l’Islamisme avec les idées nationalistes iraquiennes et arabes, pour la construction sociale et politique de l’Iraq. L’exemple le plus visible de l’extérieur de cette évolution a été l’ajout de « Allah u Ahkbar – Allah est le plus grand » sur le drapeau iraquien pendant la guerre contre l’Iraq en 1990. Saddam Hussein a initié un programme massif de construction de mosquées et a tenté de co-opter le renouveau islamique qui prenait place au sein de la stratégie Ba’ath de positionnement de l’Iraq à l’avant-garde des pays arabes résistant au néo-colonialisme. Saddam Hussein peut être considéré principalement comme responsable de la synthèse actuelle entre l’Arabisme radical et l’Islamisme, un point de vue avancé par Jerry Long dans son livre, « La guerre des mots de Saddam ». Lors de la guerre de 1990 contre l’Iraq, une unité entre les forces de gauche nationalistes et les forces islamistes a été observée pour la première fois dans la région et sans aucun doute, pour contrer l’agression occidentale.

L’établissement de grandes bases militaires américaines en Arabie Saoudite lors de la campagne contre l’Iraq a fait fondamentalement évoluer la position de beaucoup d’islamistes jusque-là alliés aux Etats-Unis contre les nationalistes dans la région. Ces Islamistes, Osama Ben Laden étant le plus connu d’entre eux, ne pouvaient pas rester assis les bras croisés en regardant les terres d’Islam en Iraq et en Arabie saoudite occupées par les USA. Ceci a été aggravé par la prise de conscience de certains Islamistes que les USA et les Britanniques n’allaient pas leur permettre d’utiliser leurs propres ressources pétrolières pour le bénéfice de leur pays. L’exploitation pétrolière occidentale signifiait que la seule ressource naturelle du Golfe – le pétrole – allait être épuisée dans les prochaines 40 années ou environ, et qu’ils devaient se battre pour arracher le contrôle de leur propre pétrole aux Occidentaux avant qu’il n’en reste rien. Ces changements politiques ont culminé avec l’établissement d’Al-Qaeda et de plusieurs autres organisations qui partageaient ses perspectives militaires très violentes, et d’autres encore plus nombreuses qui partagent l’objectif politique d’un Monde Arabe débarrassé de la domination occidentale.

Aujourd’hui, on observe les phases finales de l’évolution du nationalisme laïque vers l’Islamisme. Ghaith Abdul-Ahad écrivant pour le Guardian le 12 juin à partir des camps de réfugiés palestiniens au Liban, décrivait d’une manière saisissante cette transition, en opposant les « combattants malades, mal équipés, mal nourris des vieilles factions laïques », avec les « jihadistes musclés, portant la barbe et bien équipés » financés par un réseau des organisations islamistes qui couvre le Moyen Orient, et observant la migration des radicaux palestiniens, à la fois les jeunes et ceux d’âge moyen, du vieux camp marxiste vers les Islamistes. Ainsi qu’un marxiste d’une cinquantaine d’année l’a dit à Abdul-Ahad, « Je n’ai jamais perdu mes repères idéologiques. Partout où se trouvent les Américains et les Israéliens, je suis de l’autre côté. Ainsi si le Hezbollah, les Iraniens et les Islamistes sont contre les Américains maintenant, et bien je suis islamiste ». Soulignant la continuité entre les groupes armés laïques de l’époque antérieure et les groupes armés islamistes actuels, un leader du FPLP a expliqué à Abdul-Ahad que « la plupart des jihadistes combattaient auparavant avec eux et d’autres groupes….si vous venez à moi et si vous me donnez 100 000$, je vais faire scission du FPLP et créer l’Armée des croyants du FPLP. C’est si simple ». Un autre leader laïque explique que le manque d’espoir et la colère ont conduit les jeunes misérables du Monde Arabe vers le militantisme « nous avons des jeunes hommes qui n’ont rien, pas d’espoir pour une nation, pas d’espoir pour le droit au retour des réfugiés, rien d’autre que les deux rues du camp. Dans cette situation, je ne serais pas surpris que la moitié du camp devienne jihadiste ».

Les Islamistes ont toujours été au premier rang de la lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme au Moyen-Orient depuis l’époque des Croisades. La plupart des universitaires, des hommes politiques et de ceux qui ont soutenu l’indépendance et le développement du Monde Arabe savent qu’après la seconde guerre mondiale, les mouvements islamistes ont été soutenus par ceux qui les voyaient comme des contrepoids aux mouvements anti-impérialistes laïques des tendances nationaliste arabe et marxiste. Des études et des analyses plus poussées de l’histoire contemporaine du Monde Arabe, peuvent aussi conduire à une compréhension plus nuancée de cette relation, plutôt que de coller une étiquette de « réactionnaires » aux uns et de « progressistes » aux autres. Peut-être, est-il grand temps d’abandonner cette terminologie d’un autre âge et qui pose problème. Les Islamistes eux-mêmes se voient au moins à égalité avec les laïcs radicaux, si ce n’est comme les propriétaires de droit du leadership de la lutte nationale et sociale de libération. La fin des déchirements entre les Islamistes et ce qui reste des laïcs dans la lutte anti-impérialiste est un signe de la force de ces mouvements d’indépendance dans le monde arabe, pas seulement attribuable à la faiblesse des laïcs. En outre, le leadership islamiste dans ce combat, comme au sein de la résistance iraquienne, sans le soutien des laïcs appréciés du Bloc Socialiste, est un indicateur de la force des racines de leur idéologie dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires dans la région.

Sukant Chandan