Résumé-Commentaire de l’ouvrage de Marc Hecker
Ce travail se présente à la fois comme un résumé et un commentaire critique de l’ouvrage du politiste Marc Hecker, La défense des intérêts de l’État d’Israël en France publié chez L’Harmattan en 2005. L’auteur avait déjà publié en 2004 chez le même éditeur La presse française et la première guerre du Golfe.
Nous avons choisi de présenter ce livre car il aborde la question centrale des rapports de l’État français au sionisme, et rares sont les travaux en France sur cette question épineuse. D’autre part, le livre de Marc Hecker est riche en informations historiques et a le mérite d’être synthétique.
La première partie analyse les relations de l’État français à l’État d’Israël en montrant les différences de politique étrangère entre la droite et la gauche ou entre les périodes historiques. La deuxième partie plus sociologique veut mettre en lumière les mécanismes par lesquels les institutions et les organisations pro-israéliennes cherchent à influencer les dirigeants français.
Cependant le contenu idéologique de la recherche de Marc Hecker, ses accointances avec le sionisme malgré le ton objectiviste adopté, nous ont poussés à développer un commentaire critique. Ainsi nous avons essayé de montrer le caractère déficient d’une thèse selon laquelle la défense des intérêts d’Israël en France consisterait uniquement dans le travail des organisations pro-israéliennes qui agiraient sur l’État de manière extérieure par les seuls moyens de l’information et des manifestations. Nous avons voulu en revanche expliquer que le sionisme est partie intégrante de l’État français et que ce courant n’a pas cessé de croître – même s’il a été contenu sous l’ère gaulliste – au point de devenir dominant aujourd’hui.
SOMMAIRE
Partie 1 Les modalités de la défense des intérêts de l’État d’Israël en France
Chapitre 1 L’évolution de la politique française au Moyen-Orient de 1945 à 1969
I- Les relations franco-israéliennes sous la 4ème République : l’âge d’or
II- La période gaullienne ou la dégradation progressive des relations franco-israéliennes
III- La guerre des Six Jours, un tournant dans l’engagement en faveur d’Israël
Chapitre 2 La position de la France à l’égard d’Israël de Georges Pompidou à Jacques Chirac : le poids de l’héritage gaullien
I- 1969-1981 : Dans la droite ligne de la « politique arabe » de la France
II- François Mitterrand et le Proche-Orient : les espoirs déçus des tenants d’Israël
III- Jacques Chirac, un « philosémite pro-arabe » à l’Elysée
Partie 2 La « politique arabe » de la France ou la genèse de la défense des intérêts d’Israël
Chapitre 1 Les principaux acteurs de la défense d’Israël en France
I- L’ambassade d’Israël à Paris, défenseur essentiel de la cause israélienne en France
II- Le rôle des associations juives dans la défense des intérêts d’Israël en France
III- L’implication d’associations et d’institutions laïques pour la défense d’Israël en France
Chapitre 2 Les pratiques des défenseurs des intérêts d’Israël en France
I- Rencontrer, discuter, informer
II- Soutenir Israël par des manifestations de masse
Conclusion
Partie 1 : La « politique arabe » de la France ou la genèse de la défense des intérêts d’Israël
Chapitre 1 : L’évolution de la politique française au Moyen-Orient de 1945 à 1969
De 1945 à 1969, la politique française proche-orientale va se transformer profondément, la césure correspondant à l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958. La 4ème République va intensifier ses échanges avec Israël et choisir cet État comme allié dans la région tandis que la période gaullienne sera marquée par une détérioration croissante des relations franco-israéliennes.
I-Les relations franco-israéliennes sous la 4ème République : l’âge d’or
De 1945 à 1958, les relations franco-israéliennes vont connaître une période faste, tranchant avec les rapports du passé même si la France avait acceptée la Déclaration Balfour de novembre 1917 prévoyant la création d’un « foyer national juif en Palestine ». L’importance de la coopération se situe surtout au niveau militaire, la France fournissant matériel et savoir-faire technique.
Le 29 novembre 1947, la France vote le « plan de partage » de la Palestine pour marquer un tournant symbolique après le régime de Vichy. Dans les années 1950, les relations avec Israël vont en s’améliorant parallèlement à la dégradation des relations avec les colonies. En effet l’alliance avec Israël est un moyen d’affaiblir les États arabes solidaires des mouvements de résistance, en particulier l’Egypte de Nasser. En 1953 est signé un premier accord de coopération nucléaire. En 1956 la crise de Suez a pour conséquence de renforcer la solidarité entre les deux États parce qu’est née à cette occasion une coopération stratégique et parce que l’alliance face aux États arabes est apparue plus urgente encore. En 1957, un nouvel accord de coopération militaire est signé qui permettra la construction de la centrale nucléaire de Dimona et la livraison du mode de fabrication de la bombe A.
Durant toute la 4ème République, les échanges militaires échappent totalement au Quai d’Orsay considéré comme anti-israélien et sont pris en charge par le ministère de la Défense favorable aux échanges avec l’État d’Israël. A partir de la 5ème République, c’est le Quai d’Orsay qui prendra en charge toute la politique étrangère. Pour Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey dans Itinéraires de Paris à Jérusalem –La France et le conflit israélo-arabe (Les livres de la Revue d’études palestiniennes, 1992, tome 1, p 176), le renforcement des liens sous la 4ème République s’explique par le « puissant lobby pro-israélien » : le Comité français pour l’alliance France-Israël. S’y trouvent notamment Jacques Soustelle, Michel Debré, Pierre Koenig, François Mitterrand et Maurice Schumann.
Commentaire du CAP
Marc Hecker fait ici preuve d’un esprit de synthèse remarquable, il expose les faits importants de la coopération franco-israélienne sous la 4ème République en montrant que la complicité entre les deux États atteint un niveau inégalé. On y apprend notamment que la France est à l’origine de la fabrication de la bombe atomique israélienne. Mais la présentation des faits se veut « neutre », la mise au point de l’arme nucléaire par Israël allant de soi et l’implication de la France perçue comme un acte de « realpolitik ». Or la neutralité en sciences sociales n’est pas synonyme d’objectivité, elle occulte les contradictions fondamentales qui existent dans la vie sociale, les rapports de domination, les conflits et les responsabilités politiques. La neutralité épistémologique est au bas mot une erreur théorique et le plus souvent une ruse pour masquer la réalité du système, comme sous la façade démocratique règne l’oppression, l’injustice, le racisme ou le colonialisme. Les intellectuels bourgeois sont les adeptes de cette neutralité épistémologique qui permet de se voiler la face et de tromper tout le monde. Car dire la vérité sur une société reposant sur les rapports sociaux de domination c’est dénoncer. Le discours scientifique dans les sciences humaines est essentiellement critique et porte un savoir chargé politiquement. La neutralité, dans la bouche de ses défenseurs, signifie non prise de position politique mais une telle posture est un non-sens. Le chercheur est déterminé, socialement, politiquement et il pourra se débattre dans tous les sens il ne se défera jamais de son conditionnement. « L’homme est un animal politique » disait Aristote dans son ouvrage La Politique . Par ailleurs toute connaissance dans les sciences humaines contient en soi la finalité de l’action et l’action est par nature politique. Le savoir qui conduit à l’action est donc forcément politique ou alors, s’il prétend ne pas y mener, il n’est rien d’autre que « ruine de l’âme ».
Si l’on considère maintenant la pensée en général, c’est-à-dire le savoir que produit une société ou des groupes sociaux, on observe qu’elle est déterminée par l’évolution historique, le stade particulier auquel est parvenue la société et l’état de développement des classes objectivement (degré de formation économique des classes) et subjectivement (niveau de maturation de la conscience de classe) . Ainsi la bourgeoisie révolutionnaire des 18ème et 19ème siècles a produit un savoir objectif dans les domaines de l’économie, de la pensée sociale et politique, de la recherche historique ou de la littérature. La connaissance accompagnait le développement d’un système économique, le capitalisme et l’essor de la bourgeoisie. Mais dès que le prolétariat a commencé à se constituer en classe sociale capable de menacer la domination des capitalistes, la pensée bourgeoise effrayée est rentrée dans l’ordre de la justification idéologique, de la légitimation et des recettes pour maintenir l’ordre social. Le stade impérialiste du capitalisme, défini comme étape ultime et pourrissement de ce mode de production, a accentué cette tendance à la réaction de la pensée, au conservatisme intellectuel et aux mensonges théoriques plus ou moins conscients. Car penser l’impérialisme c’est réfléchir sur la domination économique mondiale d’un nombre réduit de grands groupes, sur la violence et les dégâts de la colonisation, sur la déliquescence de tous les secteurs de la vie sociale et politique et in fine sur la mort prochaine du capitalisme. Evidemment, tout cela était inacceptable du point de vue de la cognition bourgeoise-impérialiste : les penseurs bourgeois ont vite fait de devenir des intellectuels-idéologues du système à l’image des néoclassiques ou des keynésiens en économie, des wébériens ou des durkheimiens en sociologie, des néokantiens ou des heideggériens en philosophie, des behaviouristes ou des freudiens dans les disciplines du psychisme. Les démocraties bourgeoises-impérialistes du début vingtième siècle ont donc généré les doctrines réactionnaires quand il s’agissait d’étouffer les contestations internes ou racistes quand il fallait écraser les colonies, en somme elles ont concocté des magmas idéologiques justifiant l’asservissement des peuples et dénués de toute portée euristique. Elles sont exactement le contraire de ce qu’elles prétendent être à savoir des « paradigmes scientifiques politiquement neutres » si jamais une telle expression ait eu un sens. Pour les désigner, il faudrait parler plutôt de paradigmes non scientifiques politiquement chargés. C’est pourquoi la gnoséologie doit replacer la pensée et le savoir humain dans leur dimension historique et politique et ne pas se laisser bercer par l’illusion ou le mensonge de la neutralité épistémologique.
Ainsi Marc Hecker, adepte de cette neutralité épistémologique, ne nous dit rien sur les courants politiques au sein de l’État français et les dirigeants qui ont permis à Israël de fabriquer sa bombe. Or, c’est la gauche de l’époque, la SFIO, ancêtre du Part Socialiste, qui a poussé au maximum la collaboration avec Israël et c’est Guy Mollet, président du conseil en 1956-1957, qui a pris la décision de fournir l’arme atomique à Israël. C’est ensuite le gouvernement du radical-socialiste Bourgès-Maunoury qui a signé l’accord de coopération nucléaire aboutissant à la fabrication de la centrale de Dimona et de la bombe A. Du coté israélien, c’est Shimon Peres, leader du Parti travailliste, qui a été l’architecte et le négociateur de la collaboration nucléaire franco-israélienne.
II-La période gaullienne ou la dégradation progressive des relations franco-israéliennes
De 1958 à 1962 la France maintient des relations satisfaisantes avec Israël en raison de l’opposition des pays arabes à la France pendant la guerre d’Algérie (seul le Liban n’avait pas rompu les relations diplomatiques avec la France) mais la coopération militaire et nucléaire est interrompue, le général de Gaulle n’acceptant plus les « abusives pratiques de collaborations établies, depuis l’expédition de Suez, entre Tel-Aviv et paris et qui introduisaient en permanence des israéliens à tous les échelons des états-majors et des services français » selon ses propres mots.
A partir de 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, la France renoue avec les États arabes qui avaient soutenu les mouvements de décolonisation. Le virage de la politique proche-orientale française est amorcé et c’est l’argument économique de l’importance des marchés arabes relativement au marché israélien qui est avancé. De 1962 à 1966, les relations avec Israël restent malgré tout cordiales. La rupture a lieu en 1967, lorsque débute la guerre israélo-égyptienne et que la France décrète un embargo sur les armes qui n’affecte en pratique qu’Israël parce que les cinquante mirages 5 qu’Israël avait déjà commandés et payés ne seront pas livrés. La France vote le 22 novembre 1967 la résolution 242 qui exige le retrait des forces israéliennes des territoires occupés. Cinq jours plus tard, le général de Gaulle qualifie les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». En 1969, après le bombardement de l’aéroport de Beyrouth par l’aviation israélienne, la France durcit ses sanctions à l’égard d’Israël. Alain Dieckhoff dans son article « La France, Israël et les Palestiniens, 1945-1990 » (Regards sur l’actualité, n°169, mars 1991) considère que c’est « l’ultime paraphe apposé sur l’acte de divorce entre de Gaulle et les dirigeants de l’État hébreu ».
Commentaire du CAP
Marc Hecker insiste à juste titre dans ce chapitre sur le relâchement des liens franco-israéliens, le recentrement de la politique proche-orientale sur la base des intérêts économiques nationaux et donc le rapprochement de la France avec les pays arabes. Un rapprochement tel qu’il conduit au moment de la guerre des Six Jours à l’exacerbation des tensions avec Israël. Mais il a tort de dire que, dès l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958, la coopération militaire et nucléaire a été interrompue. Bien au contraire, c’est sous le Général de Gaulle que l’Accord de coopération nucléaire de 1957 a été concrétisé et finalisé. Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey constatent l’ambiguité de la politique gaullienne : « Surtout, ce fut sous de Gaulle que la coopération nucléaire avec Israël alla jusqu’au bout de ses virtualités. Le trouble vient de là : le relâchement progressif des relations avec Israël, dont les signes sont partout tangibles, comme on le verra dans le chapitre suivant, n’affecte pas la coopération nucléaire ou, du moins, il ne l’affecte que tardivement et partiellement ». (Op.cit., tome 1, p 185) . Si au niveau du discours le général de Gaulle a déclaré la cessation de la coopération nucléaire avec Israël, il n’a en revanche donné aucun ordre écrit pour cela et les techniciens français ont travaillé à Dimona jusqu’en 1969.
III-La guerre des Six Jours, un tournant dans l’engagement en faveur d’Israël
L’année 1967 constitue un tournant pour la diaspora qui dans son ensemble va faire corps avec l’ État d’Israël. En France, au début de la guerre des Six Jours, a lieu une importante manifestation en faveur d’Israël (30000 personnes) et contre le gouvernement français et de Gaulle. Dans le même temps, un soutien financier est organisé en faveur de l’État d’Israël qui permettra de récolter en trois jours un milliard de centimes. Les Juifs avaient peur d’un nouvel holocauste en raison de l’isolement d’Israël en 1967 par opposition à la crise de Suez qui avait vu la participation de la France et de l’Angleterre aux côtés du gouvernement Ben Gourion.
La guerre des Six Jours a joué un rôle de révélateur pour les Juifs de France et les plus « modérés » ont déclaré leur attachement à Israël. C’est ainsi que s’exprime Raymond Aron, qui se définit comme non sioniste, dans son livre De Gaulle, Israël et les Juifs (Plon, 1968, p 35) : « Mais je sais plus clairement qu’hier, que l’éventualité même de la destruction de l’État d’Israël […] me blesse jusqu’au fond de l’âme. En ce sens, j’ai confessé qu’un juif n’atteindrait jamais à la parfaite objectivité quand il s’agit d’Israël ».
Concernant les sentiments de Gaulle vis-à-vis d’Israël, les avis au sein de la communauté juive divergent. Des personnalités comme Théo Klein considèrent que de Gaulle n’avait aucune hostilité envers les juifs mais seulement des doutes sur le sionisme; pour Elie Barnavi, c’est après le départ de de Gaulle que l’hostilité de principe à Israël apparaît.
Commentaire du CAP
Effectivement, la Guerre des Six Jours a servi de révélateur de l’attachement des Juifs à Israël et de catalyseur de la mobilisation pro-israélienne en France et ailleurs dans le monde. Marc Hecker dresse en outre le constat suivant que la période gaullienne a laissé des impressions partagées au sein de la communauté juive. Mais l’auteur ne dresse pas lui-même de bilan sur la politique proche-orientale sous de Gaulle à savoir son caractère pro-arabe ou pro-israélien et évite ainsi d’aborder le problème à la racine. Il cite les avis de certaines personnalités juives et ces avis sont censés faire office de constat objectif. C’est là une fausse objectivité qui confond les représentations c’est-à-dire la subjectivité avec le réel. Au mieux ces citations font argument d’autorité. Au contraire la méthode qui veut tendre à l’objectivité doit juger les représentations au diapason du réel analysé par le chercheur.
Etant donnés les changements apportés par la 5ème République sous de Gaulle par rapport à la 4ème République dans les relations avec Israël, beaucoup y ont vu une rupture et le passage d’une politique pro-israélienne à une politique pro-arabe. Le rapprochement de la France avec les États arabes et indirectement la dégradation des relations avec Israël peuvent s’expliquer ainsi que le signale Marc Hecker par le paradigme réaliste selon lequel l’État français ne suit que ses intérêts, mais cette explication ne vaut que dans une certaine mesure. Car la politique menée par un État n’est pas le produit pur et simple de la rationalité des décideurs mais en grande partie la résultante d’un champ de rapports de force au sein de cet État. Si la 4ème République se caractérise par l’avènement et la prépondérance d’un cercle sioniste au sein de l’État français que Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey appellent « lobby pro-israélien », la 5ème République à ses débuts voit l’essor d’une catégorie de dirigeants nationalistes emmenée par de Gaulle et qui va s’opposer à ce cercle sioniste dans la définition de la politique étrangère. Ainsi s’expliquent les changements opérés dans la politique proche-orientale depuis 1958 mais aussi le maintien de bonnes relations diplomatiques avec Israël jusqu’en 1966 et de la coopération nucléaire jusqu’en 1969. De Gaulle, sans doute opposé à cette collaboration militaire, devait la laisser se poursuivre car, ayant déjà imprimé un virage important aux relations franco-israéliennes, il était dans l’obligation de faire des concessions au cercle sioniste.
Chapitre 2 : La position de la France à l’égard d’Israël de Georges Pompidou à Jacques Chirac : le poids de l’héritage gaullien
De 1969 à 2005, on peut distinguer trois périodes dans les relations franco-israéliennes : une permanence de mauvaises relations sous Pompidou et Giscard d’Estaing, puis une embellie sous Mitterrand et enfin des relations en dents de scie sous Chirac.
I- 1969-1981 : Dans la droite ligne de la « politique arabe » de la France
Durant cette période, les deux chocs pétroliers prouvent la nécessité d’un dialogue privilégié avec les États arabes. De plus, certains États pétroliers sont parmi les meilleurs clients d’armement de la France. Les liens avec Israël aux yeux des dirigeants français paraissent dès lors secondaires et Pompidou va alors développer une politique pragmatique fondée sur les intérêts de l’État français au Moyen-Orient, ce qui implique un rapprochement avec les États arabes.
A la fin de l’année 1969, l’incident des vedettes de Cherbourg est l’élément qui va envenimer les relations franco-israéliennes. Les services secrets israéliens déjouent l’embargo sur les armes en vigueur depuis 1967 puisque les cinq vedettes qu’Israël avait acheté à la France et qui étaient restées au port de Cherbourg en vertu de cet embargo ont disparu pendant la période de Noel. L’explication avancée, c’est que les navires auraient été achetés par la Norvège et seraient en direction pour ce pays. Mais quelques jours plus tard, les vedettes font leur entrée au port d’Haïfa. C’est un véritable camouflet pour le gouvernement français. En représailles, La France vend en janvier 1970 des mirages à la Libye, ce qui scandalise le pouvoir israélien, considérant que la France ne respecte pas l’embargo sur les armes qu’elle avait décrété. En novembre 1970, la France participe au vote de la résolution 2628 qui stipule que « le respect du droit des palestiniens est indispensable à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient ». La France agit aussi dans le cadre de l’Europe des Six pour le règlement des conflits au Proche-Orient.
Pompidou a suivi la voie tracée par de Gaulle et cette politique sera poursuivie par Giscard d’Estaing qui veut faire reconnaître le fait national palestinien sur la scène internationale. En 1975, l’OLP obtient le droit d’ouvrir à Paris un « bureau de liaison et d’information ». En janvier 1977, la France refuse d’extrader vers Israël Abou Daoud, responsable de l’assassinat de plusieurs athlètes israéliens aux jeux olympiques de Munich de 1972. Il sera finalement expulsé quelques jours plus tard vers l’Algérie. En 1980, Giscard d’Estaing affirme son soutien à l’autodétermination des Palestiniens.
De 1974 à 1981, la France s’est engagée plus fortement pour la cause palestinienne que jamais par le passé. Dans ce contexte, deux associations, Renouveau juif, fondé à la fin des années 1970 par Henri Hajdenberg et Socialisme et Judaïsme, crée en 1978 par Jacques Attali et Robert Badinter entre autres, appellent à voter pour le Parti Socialiste aux élections présidentielles de 1981.
Commentaire du CAP
Les faits essentiels sont là et présentés avec concision, la tendance à la dégradation des relations franco-israéliennes est très bien montrée avec le tournant de l’incident des vedettes de Cherbourg. Mais on peut reprocher à l’auteur de s’arrêter à la description des événements politiques sans voir ce qui les sous-tend au niveau de l’appareil d’État français, c’est-à-dire les luttes entre les factions politiques, entre les « amis d’Israël » et les tenants d’un nationalisme français rayonnant dans le monde arabe. Par exemple, l’affaire des vedettes de Cherbourg n’est pas questionnée. Or, il est évident que les embarcations n’auraient pas pu disparaître sans des complicités pro-israéliennes au sein de l’État français.
II-François Mitterrand et le Proche-Orient : les espoirs déçus des tenants d’Israël
L’accession de Mitterrand à l’Elysée suscite des espoirs chez les tenants d’Israël pour plusieurs raisons : des personnalités importantes du PS ont des affinités à l’égard d’Israël comme Albert Gazier, Jean Poperen, Robert Pontillon ou Gaston Deferre ; le souvenir de l’âge d’or de la 4ème République est encore présent ; enfin, la personnalité de Mitterrand plait aux défenseurs d’Israël.
Mitterrand a toujours montré une attention particulière pour Israël. Il a défendu la cause des passagers de l’Exodus au début de sa carrière et c’est lui qui a annoncé publiquement la reconnaissance de l’État d’Israël par la France. En 1971, il a envoyé son fils Jean-Christophe vivre trois mois dans un kibboutz. En 1981, il annule la « directive Barre » qui autorise les sociétés françaises à cesser leurs relations avec Israël si elles estiment leurs intérêts menacés. En 1982, Mitterrand effectue la première visite officielle d’un président français en Israël et à la Knesset il proclame « l’irréductible droit de vivre » de l’État israélien.
Au début du septennat de Mitterrand, deux éléments viennent cependant perturber les bonnes relations avec Israël : d’une part, la nomination du pro-palestinien Claude Cheysson au Quai d’Orsay qui fera contrepoids aux sympathies mitterrandiennes pour Israël et d’autre part l’engagement français au Liban en 1982, à l’initiative du nouveau ministre des Relations extérieures, qui permettra l’évacuation des combattants de l’OLP encerclés par l’armée israélienne.
Mais les relations franco-israéliennes, bien que parfois tumultueuses, vont continuer à se développer. En 1983 est signée une convention entre les deux États sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements. En 1984, Laurent Fabius crée l’Association franco-israélienne pour la recherche scientifique et technique. La même année, Mitterrand reçoit le prix Simon Wiesenthal en reconnaissance de son soutien à Israël. En 1987, le premier ministre Jacques Chirac, considéré comme un fervent gaulliste, se rend en Israël.
Cependant, la réception de Yasser Arafat à l’Elysée en 1989, perçue par beaucoup de Juifs comme une trahison, crée de nouvelles tensions. En 1990, lors de la crise du Golfe, la France tente dans un premier temps de jouer un rôle de conciliateur puis s’engage finalement dans le conflit en janvier 1991. Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey en tirent la conclusion suivante : « la politique arabe de la France n’existe plus » (Op.cit., tome 2, p 444). Mais les partisans d’Israël considèrent que la France a trop tergiversé. En fait, Mitterrand a été fidèle à sa « politique d’équilibre » sur les questions proche-orientales ainsi que l’affirme Dominique Strauss-Kahn alors président socialiste à la commission des finances à l’Assemblée nationale.
Mitterrand a incité les israéliens à négocier avec l’OLP et Arafat dans l’intérêt d’Israël car il pensait que c’était le seul moyen d’obtenir la sécurité pour l’État d’Israël. Mitterrand a été le président de la 5ème République le plus soucieux des intérêts d’Israël. La légitimation de l’OLP par Mitterrand a abouti à la Conférence de Madrid en 1991 qui est à l’origine des Accord d’Oslo de 1993.
Commentaire du CAP
Là encore, Marc Hecker prend soin d’exposer les faits saillants de l’époque et on peut lui reconnaître le mérite de ne pas éviter les problèmes. Mais le traitement des faits, leur analyse sont pour le moins très discutables. Tout d’abord la caractérisation de la période mitterrandienne. Celle-ci est présentée comme une période contradictoire de la politique proche-orientale qualifiée de « politique équilibrée », comme une avancée en demi-teinte des intérêts sionistes en France. Or la soi-disant « politique équilibrée » reflète davantage les agissements de la politique proche-orientale française sous les gouvernements de droite (1958-1981) lorsque la France cherchait à promouvoir ses intérêts dans le monde arabe tout en ménageant Israël. Avec Mitterrand, au contraire, la « politique équilibrée » vole en éclat et s’opère un changement de cap en faveur d’Israël qui ne sera jamais remis en cause par la suite. Au sommet de l’État, de nombreuses mesures sont prises pour développer la collaboration économique, militaire et scientifique avec le pouvoir israélien. Le sionisme devient une composante officielle de l’État français avec l’accession à des postes clef de partisans viscéraux d’Israël comme Fabius, Strauss-Kahn, Kouchner, Attali ou Gayssot. C’est aussi sous l’ère Mitterrand que les idéologues sionistes comme Bernard Henri-Levy, André Glucksmann, Alexandre Adler font leur entrée fracassante dans les medias.
Ensuite, la place qui est faite par l’auteur aux analyses critiques du sionisme et à celles des sionistes. Jusque là Marc Hecker semblait accorder une importance égale aux citations des deux bords : d’un côté, Théo Klein, Elie Barnavi et Raymond Aron et de l’autre Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey ou encore Alain Dieckoff. Cette pseudo-égalité dans les références ne peut pas faire office d’objectivité dans la mesure où l’égalité n’existe pas entre Israéliens et Palestiniens sur le terrain. On ne peut pas placer sur le même plan colonisateurs et colonisés de même qu’on ne peut pas considérer équivalentes l’idéologie de la domination et sa critique. L’auteur est certes victime d’une fausse conception épistémologique mais cette explication est insuffisante pour cerner la totalité du personnage. Car il s’appuie sur Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey pour dire que « la politique arabe de la France n’existe plus », pour aussitôt démentir cette thèse en s’appuyant sur le mensonge sans fard de la « politique équilibrée » de Strauss-Kahn. De l’égalité de parole entre les sionistes et leurs critiques, Marc Hecker glisse subrepticement vers la promotion des « tenants d’Israël » comme il aime à les appeler. Son neutralisme masque mal son adhésion silencieuse à des positions sionistes.
III-Jacques Chirac, un « philosémite pro-arabe » à l’Elysée
La politique chiraquienne à l’égard du Proche-Orient est caractérisée par des contradictions : le président français, proche des juifs français, cherche à ménager l’État d’Israël tout en essayant de promouvoir les intérêts de la France dans le monde arabe. Le passé politique de Jacques Chirac, lorsqu’il était premier ministre Valérie Giscard d’Estaing, a déjà montré la nature de ses contradictions : d’un côté il multiplie les gestes envers la communauté juive de France et de l’autre il œuvre pour la coopération militaire avec l’Irak qui aboutit à la constitution du réacteur nucléaire d’Osirak détruit par l’aviation israélienne en 1981.
En 1995, Chirac est le premier président français à reconnaître, lors d’un discours qui a reçu un grand écho en Israël, la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale. En 1996, Chirac se rend en Israël mais son voyage tournera à l’incident diplomatique après avoir été bousculé par les gardes du corps. En 2000, c’est le premier ministre Jospin qui est en voyage en Israël, voyage au cours duquel il qualifiera à plusieurs reprises le Hezbollah d’organisation terroriste ce qui lui vaudra des jets de pierres à la sortie de l’université de Bir-Zeit.
Les années 2000 sont caractérisées par des tensions entre la France et Israël notamment à cause des accusations d’antisémitisme que les dirigeants israéliens portent contre la France. En janvier 2002, le vice-ministre des affaires étrangères, Michael Melchior, déclare que la France est le « pire pays occidental » du point de vue de l’antisémitisme. En 2004, Ariel Sharon demande aux juifs français de venir s’installer en Israël à cause de l’antisémitisme. A cette époque, la politique proche-orientale a connu des revirements permanents, « en dents de scie » selon l’expression d’Elie Barnavi et Luc Rosenzweig : Arafat est soigné à Paris en octobre 2004 mais Sharon est en visite à Paris en juillet 2005 et la France, à l’instar d’Israël, se montre ferme à l’égard de Damas et Téhéran.
Commentaire du CAP
Nous sommes d’accord avec l’auteur pour dire que la politique chiraquienne à l’égard du Moyen-Orient est traversée par des contradictions, des tensions, des revirements. Marc Hecker oublie cependant de dire que sous Chirac la politique étrangère n’est qu’une pale copie de la politique gaullienne. Car les débuts de la 5ème République ont voulu marquer une rupture avec la collaboration puissante qui unissait la 4ème République avec Israël alors que les présidences chiraquiennes semblent avoir pris acte de l’héritage sioniste de la politique mitterrandienne et avoir voulu l’aménager dans un sens qui ne nuise pas trop aux intérêts de la France au Moyen-Orient. En outre, la politique étrangère sous Chirac aurait très bien pu partir du fait qu’un mouvement social de résistance fort s’est constitué en Palestine, celui de la première intifada (1987) et de la seconde (2000), pour faire pression sur l’État sioniste, pour éviter de trop lui concéder. De ce point de vue, la situation était plus difficile, plus contraignante à l’époque de de Gaulle où les questions proche-orientales étaient essentiellement déterminées par les rapports entre les États de la région et les grandes puissances. On voit clairement à la lecture de ces situations différentes que la référence au gaullisme n’a qu’une valeur symbolique pour Chirac, que sa pratique s’inscrit plutôt dans la continuité du mitterrandisme et de sa politique pro-israélienne.
Si on se focalise maintenant sur les citations, les personnalités ou les auteurs mis en exergue, on se rend compte que de ce côté-là aussi Marc Hecker se fourvoie. L’expression « philosémite pro-arabe » pour désigner Jacques Chirac est due à Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, connu pour son sionisme éhonté et placé par l’auteur au rang de référence intellectuelle ultime dans ce chapitre. Mais analysons l’expression en elle-même. Que signifie être « philosémite pro-arabe » ? Que l’on aime les juifs mais qu’on défende les intérêts des arabes ! Cela n’a pas de sens ! Chirac aimerait les juifs et défendrait les intérêts des arabes. A la rigueur, il peut aimer les juifs et défendre les intérêts français en pays arabes. Et encore, car la réaction de la France lors de l’agression du Liban à l’été 2006 par l’armée israélienne a été bien molle, ne condamnant que l’ « usage disproportionné de la force ». Or le Liban est considéré historiquement par la France comme un pays stratégique pour elle dans la région et comme un « pays ami ». En revanche, l’État français s’est montré ferme à l’égard de la Syrie et de l’Iran lorsque ceux-ci étaient soupçonnés d’ingérence dans la situation politique libanaise, comme si la France, elle, était fondée en droit à y intervenir. Et Marc Hecker continuant de se référer à Elie Barnavi, reprenant à son compte l’expression « relations en dents de scie entre les deux pays » alors que les provocations israéliennes, les chantages à l’antisémitisme, n’étaient qu’un moyen de pression sur l’État français pour obtenir de lui un approfondissement de la collaboration. Processus qui sera parachevé par l’arrivée au pouvoir de Sarkozy et l’alignement de la politique étrangère française sur la politique extérieure des États-Unis.
Partie 2 : Les modalités de la défense des intérêts de l’État d’Israël en France
Chapitre 1 : Les principaux acteurs de la défense d’Israël en France
Trois types d’institutions s’occupent de la défense des intérêts d’Israël en France: il s’agit de l’ambassade d’Israël, des associations juives et des associations laïques favorables à l’État d’Israël.
I-L’ambassade d’Israël à Paris, défenseur essentiel de la cause israélienne en France
Le premier élément qui explique la forte activité de l’ambassade d’Israël en France, c’est sa taille : 42 diplomates. L’ambassade d’un pays d’envergure comparable comme le Liban n’en possède que 3 et celles du Brésil 19, de l’Inde 19 et des États-Unis 21. A cela il faut ajouter quatre consulats israéliens implantés à différents endroits du territoire français. L’explication de l’importance de l’ambassade d’un petit pays comme Israël réside en premier lieu dans la densité des relations franco-israéliennes. Le deuxième facteur selon Barnéa Hassid, porte-parole de l’ambassade d’Israël, tient au fait que les fonctionnaires détachés auprès de l’ambassade obtiennent l’immunité diplomatique, ce qui grossit les chiffres de cette institution. Enfin, l’importance de la communauté juive en France et les liens puissants qui l’unissent à l’État d’Israël constituent l’ultime élément qui conditionne l’importance et la spécificité de cette ambassade.
Généralement, l’ambassade d’Israël et les organisations juives entretiennent des relations apaisées et travaillent de concert, exceptée la période où Ovadia Soffer était à la tête de l’ambassade et Théo Klein à la tête de CRIF (période 1986-1989). Des divergences politiques opposaient les deux leaders, Théo Klein étant pour la négociation avec l’OLP et la création d’un État palestinien. Aujourd’hui les positions politiques du CRIF, et ce depuis le départ de Théo Klein, sont identiques à celles de l’ambassade. Une solidarité puissante, des rapports entre « frères » selon le mot de Barnéa Hassid, unissent donc l’ambassade d’Israël aux organisations juives et plus généralement à la communauté juive, qui a tendance à considérer les diplomates israéliens en France comme ses porte-parole.
Commentaire du CAP
Les descriptions de l’importance de l’ambassade, de ses rapports avec le CRIF et la communauté juive apportent des informations utiles pour comprendre l’ampleur de la mobilisation en France pour les intérêts d’Israël. On y voit clairement que l’ambassade jouit d’une légitimité forte auprès de la population juive mais une telle adhésion au sionisme, un tel soutien apporté au système colonial israélien ne sont pas questionnés. Un tel positionnement politique en faveur de l’État d’Israël bafoue pourtant les droits les plus élémentaires à l’existence des palestiniens, c’est l’acceptation du racisme institutionnalisé et la caution donnée aux massacres et à la purification ethnique. Marc Hecker se garde bien d’aborder les problèmes qui fâchent craignant sans doute de s’attirer les foudres de la nouvelle inquisition sioniste, prête à taxer d’antisémitisme tout ce qui ne s’agenouillera pas devant Israël. Mais cette prudence qui peut se comprendre n’est pas la seule raison de l’absence d’analyse critique des faits présentés. Marc Hecker est lui-même contaminé par les conceptions sionistes, celles qui vont dans le sens de la solution illusoire à deux États, et finit par prendre comme allant de soi des faits qui méritent interrogation.
II-Le rôle des associations juives dans la défense des intérêts d’Israël en France
Il existe en France 3000 organisations juives qui ne mobilisent pas plus du tiers de la communauté juive estimée à 600000 personnes.
Le CRIF a été crée en 1944 avec pour vocation d’unifier les actions de sauvetage des juifs persécutés. Aujourd’hui, l’objectif central du CRIF est la promotion des intérêts d’Israël. L’article 1 des statuts de 2000 est significatif à cet égard : « le CRIF manifestera à tous moments et par les moyens appropriés les sentiments de solidarité et d’attachement de la communauté juive de France envers l’État d’Israël ». La vraie rupture a eu lieu en 1977 avec une nouvelle charte qui selon Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey fait du CRIF un « lobby d’Israël en France ».
Le CRIF regroupe aujourd’hui une soixantaine d’associations. En théorie, il a le monopole de la représentativité politique des juifs de France mais il arrive que d’autres organisations entrent en concurrence avec lui comme le Consistoire Central au moment de l’arrivée de Joseph Sitruk au poste de grand rabbin de France en 1987. D’autres organisations interviennent aussi sur des sujets d’ordre politique : le B’nai B’rith, l’UEJF, l’UPJF, Siona, la Wizo.
Le B’nai B’rith a été crée en 1845 sur le modèle de la franc-maçonnerie. Il regroupe aujourd’hui 500000 membres dans 57 pays dont 2500 en France. Il est considéré comme une organisation humanitaire (statut d’ONG auprès de l’ONU) mais parmi ses missions figure clairement le soutien à l’État d’Israël. L’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) compte 15000 membres et « se pose en soutien réfléchi et efficace de l’État d’Israël ». La Wizo est la première organisation féminine sioniste. Elle compte 250000 membres dont 7000 en France et prend clairement des positions en faveur d’Israël. L’UPJF (Union des Patrons Juifs de France) est une organisation qui se pose en véritable « lobby pro-israélien » selon l’expression d’Emmanuel Weintraub, ancien vice-président du CRIF. Elle entretient des liens étroits avec l’AIPAC aux États-Unis. Le deuxième objectif de l’organisation est de « développer une solidarité active et une aide à Israël et à son gouvernement élu démocratiquement ». Elle compte 1000 membres.
Toutes ces organisations ont une forte capacité de mobilisation lors des manifestations et travaillent de concert avec le CRIF.
Commentaire du CAP
Marc Hecker décrit avec clarté les grandes organisations juives en France et montre précisément à la fois leur caractère politique et leur sionisme-même si l’auteur n’aime pas utiliser ce terme-en explicitant les articles de leurs chartes respectives qui manifestent leur attachement et leur soutien à Israël. Cependant l’auteur élude la question de l’existence d’un lobby pro-israélien en France représenté par l’une de ces organisations ou par toutes ces organisations prises ensemble. Même un sioniste comme Weintraub ose affirmer par exemple que l’UPJF constitue un lobby mais Marc Hecker ne commente pas cette assertion, préfère passer outre, évitant ainsi de faire des vagues. Pourtant ses descriptions concrètes allaient dans le sens de la thèse de l’existence d’un lobby pro-israélien puisque l’on y apprend que les différentes organisations affichent les mêmes positions sionistes et qu’elles travaillent conjointement, sous la bannière du CRIF, lors de certaines mobilisations. Ce refus de poser la question du lobbying chez Marc Hecker traduit en fait la peur de considérer que la communauté juive en France a un poids politique considérable sur le système politique français. En niant cette réalité, l’auteur se trouve déchiré entre des études concrètes lucides dénonçant l’influence juive pro-israélienne et des conceptions politico-théoriques plutôt favorables au sionisme. Si les représentations théoriques constituent un obstacle à l’analyse au lieu de contribuer à la connaissance et à la compréhension du réel, alors il est clair qu’elles s’apparentent davantage à de l’idéologie qu’à une méthode de recherche.
III-L’implication d’associations et d’institutions laïques pour la défense d’Israël en France
L’Association France-Israël est l’organisation la plus active dans la défense des intérêts d’Israël. Elle est l’héritière de l’Association France-Palestine crée en 1926 et dont le but était la création d’un État juif au Proche-Orient. En 1948, l’association devient France-Israël et se donne pour objectif de renforcer les liens entre la France et Israël. Certains membres à la tête de l’association sont aussi impliqués dans des associations laïques pro-israéliennes comme Rudy Salles qui est vice-président de l’Association France-Israël, vice-président de l’assemblée nationale, président du groupe d’amitié parlementaire France-Israël, membre du bureau exécutif de l’Association des Elus Locaux et Maires Amis d’Israël (Adelmad).
Le Groupe d’amitié parlementaire France-Israël comprend 103 députés, toutes tendances politiques confondues. Selon Rudy Salles, ce groupe vise à « informer les députés français sur ce qui se passe en Israël, sur la réalité de la situation et pour qu’Israël soit toujours au cœur des préoccupations du Parlement français ». Ce groupe a son équivalent au Sénat : le Groupe d’amitié France-Israël au Sénat dirigé par Philippe Richert.
Les motivations qui expliquent l’engagement en faveur d’Israël dans le cadre de ces associations laïques ne relèvent pas d’un racisme anti-arabe comme l’ont montré les entretiens effectués. Deux types d’argument sont souvent invoqués pour justifier le soutien à Israël : cet État constitue la seule véritable démocratie dans la région (justification de Rudy Salles) ou les Juifs ont trop souffert pendant la seconde guerre mondiale (justification de Philippe Richert).
Commentaire du CAP
103 députés font partie du Groupe d’amitié France-Israël ! L’affaire est bien plus grave que la simple existence d’un lobby qui essaierait d’influencer la politique française de l’extérieur. Le sionisme est au cœur des institutions et de l’État français. Sans parler des députés qui ne sont pas dans ce groupe mais qui partagent des positions sionistes. Sans parler de l’Adelmad qui comprend plus de mille élus et dont le président n’est autre que le fameux député de Seine-Saint Denis et vice-président de l’Assemblée nationale Eric Raoult, connu pour son couvre-feu imposé aux mineurs pendant les émeutes de novembre 2005. Ou de l’Association France-Israël qui a pour président Gilles-William Goldnadel, pourprésident d’honneur Michel Darmon ( ingénieur général du Génie Maritime) et pour vice-présidents Georges Frèche (député-maire de Montpellier) , André R ossinot (ancien ministre, député-maire de Nancy) , Gilbert Gantier (député de Paris) , Claude Goasgen (ancien ministre, député de Paris) , Paul Schaffer (industriel), Rudy Salles (vice-président de l’Assemblée Nationale, président du Groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée Nationale, député des Alpes Maritimes) et qui comprend dans ces instances dirigeantes des dizaines d’autres élus, chefs d’entreprise, scientifiques, professeurs, médecins, journalistes, etc.
Les pratiques de lobbying des organisations sionistes existent et consistent à influencer par différents moyens les décisions prises par l’État français. Mais elles ne constituent que la face émergée de l’iceberg. Car le travail en profondeur en faveur des intérêts d’Israël est organisé à l’intérieur même des cercles de pouvoir par les sionistes qui détiennent des positions-clé dans le système, au gouvernement, au parlement, dans les échelons locaux du pouvoir, au sein de l’armée, dans les partis et les associations, dans la magistrature, au sein des médias, dans les universités et les centres de recherche. L’État français est acquis au sionisme, c’est aussi l’idéologie dominante dans les classes dominantes contemporaines et même au sein de la population règne un sionisme ambiant relayé tambours battants par ces appareils idéologiques d’État qu’on appelle les medias. Car combien sont-ils ceux qui remettent en cause aujourd’hui l’existence-même de l’Etat colonial d’Israël ? L’Etat d’Israël est un État colonial et raciste, c’est sa nature profonde, l’histoire de son expansion, de ses guerres permanentes et de ses pratiques de purification ethnique le prouve abondamment. Accepter l’existence d’un État israélien à côté d’un Etat palestinien, c’est se situer encore et toujours sur les plates-bandes idéologiques du sionisme.
Chapitre 2 : Les pratiques des défenseurs des intérêts d’Israël en France
I-Rencontrer, discuter, informer
L’essentiel du travail des défenseurs de l’État d’Israël consiste à rencontrer les décideurs et à les informer sur le Proche-Orient car ils considèrent que les medias sont injustes dans le traitement réservé à Israël, voire antisémites. Certains groupes pro-israéliens veulent convaincre les journalistes d’être plus conciliants à l’égard d’Israël (grâce à des discussions, des voyages organisés en Israël). Cependant, on ne peut pas reprocher aux organisations pro-israéliennes de faire de la propagande car leur credo permanent est celui de l’objectivité.
Le travail d’information vise aussi de manière spécifique les cercles de pouvoir, de l’élu local au président de la République. L’Adelmad organise une fois par an au moins un voyage d’élus locaux en Israël. Le CRIF organise de son côté des voyages de députés. De même le diner annuel du CRIF rassemble chaque année de nombreuses personnalités politiques. Les contacts les plus nombreux du CRIF ont lieu avec les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de l’Education nationale, vient ensuite le ministère des Affaires étrangères. Les défenseurs d’Israël pensent que pour influencer la politique étrangère de la France, ils doivent agir sur le président. Le Quai d’Orsay tient un rôle important dans la définition de la politique étrangère mais les défenseurs d’Israël considèrent qu’il est anti-israélien et pro-arabe.
Pour éviter que l’image des juifs ne se dégrade à cause des résonnances du conflit israélo-palestinien, les défenseurs d’Israël s’attachent à persuader l’ensemble de la population de la légitimité d’Israël. Cela passe indirectement par les contacts avec les journalistes mais aussi par les interventions directes dans les medias.
Commentaire du CAP
Marc Hecker décrit des pratiques dignes d’un lobby qui par un travail « informationnel », selon le terme aseptisé de l’auteur et en réalité plutôt un travail de pression idéologique, cherche à influencer les modes de pensée des décideurs et de la population et permettre ainsi le soutien inconditionnel de l’État français à l’État d’Israël. Mais aucune fois le terme de lobby n’est utilisé car l’auteur veut échapper à toute accusation d’antisémitisme ou même à tout débat sur la question qui pourrait avoir de près ou de loin des implications fâcheuses. Si tel est le cas, pourquoi avoir choisi ce sujet à risque ? Pour avoir eu le mérite de traiter un sujet réputé dangereux mais par une approche qui lève toute suspicion sur les dispositions prévenantes de l’auteur vis-à vis des « défenseurs de l’État d’Israël ». Et ainsi gagner sur tous les plans. Comment comprendre sinon que l’auteur semble croire sur parole que les sionistes sont objectifs et ne font pas de propagande ? A moins d’être niais, on sait très bien que les menteurs professionnels soutiendront toujours l’idée qu’ils parlent vrai. Mais on préfère penser que l’auteur fait seulement preuve d’allégeance aux maîtres d’aujourd’hui. Surtout que notre spécialiste de la question juive est doctorant au moment où il écrit et que son instinct lui fait percevoir clairement que tripoter maladroitement cette question peut lui bloquer à tout jamais sa carrière.
II-Soutenir Israël par des manifestations de masse
La première grande manifestation (environ 30000 personnes) de masse a eu lieu le 31 mai 1967 devant l’ambassade d’Israël pour exprimer le soutien à l’État hébreu à l’approche de la guerre des Six Jours. La dernière en date (entre 50000 et 250000) a eu lieu début avril 2002 contre le développement de l’antisémitisme et pour la solidarité avec le peuple israélien. La venue en France de personnalités (pro)palestiniennes a aussi été l’occasion de manifestations (Arafat en mai 1989).
Un autre type de manifestation, plus régulier, est aussi organisé comme les « Douze heures pour Israël » inauguré en 1976. Ce type de mobilisation sous forme de meeting a pour objectif de resserrer les liens franco-israéliens. Dans le cadre de ces meetings, on retrouve les grandes organisations pro-israéliennes (CRIF, FSJU, Consistoire Central, Consistoire de Paris) et des personnalités importantes interviennent et s’engagent publiquement en faveur d’Israël comme F.Hollande ou D.Staruss-Kahn en 2003.
Commentaire du CAP
Quel est l’objectif de ces manifestations ? Contrairement à la plupart des manifestations, celles-ci n’ont pas de caractère contestataire, elles ne visent pas à combattre une injustice ou à remettre en cause une loi ou une mesure oppressive. Ces manifestations sont organisées en priorité pour maintenir une pression régulière sur les gouvernants et secondairement pour faire une publicité au sionisme au sein de la population française. Cette technique de défense des intérêts d’Israël ne peut pas être mise en vis-à-vis avec d’autres types de manifestation comme celle par exemple du mouvement pro-palestinien car elles n’ont pas la même nature. Les associations pro-israéliennes veulent faire en sorte que les décisions politiques aillent toujours dans le sens du primat des intérêts israéliens alors que le mouvement pro-palestinien dénonce une situation d’oppression coloniale. C’est pourquoi l’organisation des manifestations de masse par le CRIF et consort reste une pratique qui s’intègre dans le dispositif de pression tous azimut et de lobbying, ce dispositif étant lui-même un des éléments dans le dispositif d’ensemble de contrôle du pouvoir d’État.
Conclusion
Les défenseurs des intérêts israéliens considèrent que la France a pris un virage pro-arabe et qu’il est nécessaire d’agir pour rééquilibrer cette politique. Les modes d’action sont l’information et la discussion, publiques ou informelles, avec les décideurs et les faiseurs d’opinion et l’organisation des manifestations de masse.
Il n’est cependant pas possible de parler de lobby pro-israélien pour plusieurs raisons. D’une part, il y a un danger d’amalgame entre lobby israélien et lobby juif. D’autre part, il y a une absence de coordination entre les différentes organisations, tant au niveau des buts que des moyens d’action. Enfin, les défenseurs de l’ État d’Israël ne sont pas des professionnels, ils n’exercent pas ce travail à temps plein.
Aujourd’hui, la France ne tient plus la place importante dans le monde qu’elle a eu par le passé, et l’enjeu s’est sans doute déplacé au niveau de l’Europe. Telle est la perspective de travail que doivent mener les organisations pro-israéliennes.
Commentaire du CAP
En conclusion, Marc Hecker pose enfin le problème de l’existence du lobby pro-israélien pour répondre par la négative. Il avoue à demi-mot sa crainte d’aborder le sujet lorsqu’il affirme qu’il faut rejeter cette notion de lobby israélien car il y a un risque d’amalgame avec celle de lobby juif. Alors il est légitime de demander à l’auteur si le chercheur peut renoncer à certaines catégories, certaines analyses, de peur que certains manipulateurs fassent des amalgames et s’adonnent à la calomnie contre ledit-chercheur. L’absence de coordination entre les associations pro-israéliennes est loin d’être une proposition certaine, car à plusieurs reprises elles ont travaillé de concert pour mobiliser. Ce qui est sûr, c’est qu’elles ont des intérêts convergents, un objectif commun, des lignes politiques identiques-la défense des intérêts d’Israël-et qu’en ce sens elles constituent un réseau puissant qui influence de manière décisive les gouvernants. Quant à l’absence de professionnalité, elle fait du lobby pro-israélien en France quelque chose de moins formel que le lobby juif aux États-Unis. Mais cela n’enlève rien à son caractère de lobby, de groupe de pression sur le pouvoir. Le diner annuel du CRIF est parlant à cet égard, au cours duquel le président de cette organisation dresse les grandes lignes à suivre de la politique étrangère française devant des dirigeants français qui semblent boire ces paroles. Marc Hecker a peur de prononcer le mot lobby mais la « sionisation » de l’État français est un problème bien plus grave et une question bien plus importante. Historiquement, c’est la gauche qui a rendu possible les réalisations les plus significatives du sionisme dans sa stratégie de contrôle du pouvoir politique : la SFIO sous la 4ème République et le PS sous la 5ème République. Mais la grande nouveauté de ces dernières années, c’est la conversion massive de la droite au sionisme. L’arrivée de Sarkozy et de ses acolytes au pouvoir est à la fois le symbole et le résultat de ce processus métastatique de « sionisation » de l’État français.
Marc Hecker dresse finalement la perspective que doivent suivre les associations pro-israéliennes, l’action au niveau européen. Marc Hecker avouerait-il qu’il travaille de concert avec les défenseurs de l’État d’Israël ?
Comité Action Palestine