1

Face à l’Islamisme : l’autisme !

burgatH[1]

Interview de François BURGAT parue dans la revue Regards en septembre 2007.

L’auteur est politologue, directeur de recherche au CNRS à Aix-en-Provence. Il est spécialiste du monde arabo-musulman et a écrit en particulier L’islamisme à l’heure d’Al-Qaida aux Editions La Découverte en 2005.

Le CAP aura l’honneur de le recevoir le jeudi 4 octobre au cours d’une conférence-débat sur le thème « La Palestine et les Médias ou l’Islamophobie au Service de l’Occupation Israélienne ». Pour plus de renseignements, voir la présentation de la soirée .

 


1 – Spécialiste du monde arabe, vous êtes très critique à l’égard de la guerre qui se mène au Proche et Moyen-Orient, faisant part de votre « scepticisme devant cet autisme guerrier de l’Occident qui renforce, encore et toujours, la suspicion vis à vis de l’autre au lieu de se décider enfin à assumer le coût de sa reconnaissance ». Si l’on partage aisément cette analyse, peut-on pour autant dédouaner totalement les dirigeants arabes (et pas seulement les islamistes les plus violents qui, de l’Algérie au Pakistan en passant par la Somalie, prêchent la guerre contre les infidèles), de toute responsabilité dans la dégradation de la situation ?

Je ne dédouane pas particulièrement les régimes des pays musulmans, bien au contraire. J’associe seulement leur pérennité au soutien qu’ils reçoivent de leurs partenaires occidentaux. Lorsque je les évoque comme des « Pinochet arabes », c’est donc pour dénoncer à la fois leurs atteintes massives aux principes démocratiques et le soutien que leur apporte néanmoins cyniquement un « ordre » mondial dont ils sont les relais locaux. La liste des récipiendaires du prix « Louise Michel pour les droits de l’homme et de la démocratie » (dans l’ordre le tunisien Zine al Abidine Ben Ali, l’égyptien Hosni Moubarak et l’algérien Abdelaziz Bouteflika) illustre, mieux que de longues explications, cette flagrante contradiction.

2 – Le militant israélien Michel Warschawski indiquait il y a quelques mois dans ces colonnes qu’une grande partie de la population israélienne a « complètement intériorisé le choc des civilisations ». Six ans après le 11 septembre 2001, dans quel état sont les relations entre les peuples de l’Occident et du monde arabe ?

Elles se dégradent, je le crains. Le très courageux Michel Warschawski sait mieux que quiconque que la passivité des Etats-Unis et de l’Europe dans le vieux conflit palestinien envenime considérablement les relations avec le monde musulman. Le soutien aveugle au camp du plus fort – malgré ses manquements graves et répétés à la légalité internationale – contribue à discréditer la notion même de légalité internationale aux yeux de toute une partie du monde. Les politiques du « deux poids et deux mesures » font que le simple déplacement d’une dizaine de colons extrémistes par l’armée israélienne peut générer un titre barrant la première page d’un grand journal (par exemple « Le Monde » du 9 août 2007) alors qu’il faut un grand nombre de morts palestiniens pour mériter une telle attention. Le dénigrement de la culture de l’adversaire musulman sert de stratégie de communication à l’Etat hébreu et cela alimente dans les opinions publiques occidentales un dangereux processus. Notre « information » sur le conflit palestinien se réduit souvent ainsi à la criminalisation sectaire des membres de la résistance palestinienne, condamnés bien plus pour ce qu’ils sont accusés d’être (des « fondamentalistes musulmans ») que pour ce qu’ils font c’est à dire résister à une occupation militaire parfaitement illégale. Les motivations de la nouvelle génération de la résistance palestinienne (le Hamas) sont lues par un prisme seulement culturaliste ou religieux, histoire d’inciter le public occidental à croire que si les Palestiniens combattent la présence israélienne, ce n’est que parce que « ce sont des fondamentalistes musulmans qui ont une civilisation que tout oppose à la nôtre ».

Au sortir de l’épreuve de la décolonisation, confrontées à des problèmes d’immigration, déstabilisés par la perte de leur vieille hégémonie culturelle, les opinions européennes sont particulièrement disposées à prendre au pied de la lettre ce genre de raccourci rhétorique extrêmement pernicieux. La « théorie » du choc des civilisations n’est en fait qu’une caution scientifique imprudemment apportée à la vieille peur de l’autre. Elle consiste à culturaliser (ou à théologiser) la lecture d’une crise pour mieux la dépolitiser et en évacuer la part de responsabilité de l’un des camps. Bon nombre de ceux qui pensent ainsi qu’il faut avant tout, pour régler la question palestinienne, promouvoir le dialogue « entre les religions » ou « entre les cultures » tombent ainsi dans le panneau de cette propagande en trompe l’œil qui réussit à nous faire dire « vive le dialogue des cultures » alors qu’il vaudrait mieux avoir le courage de dire plus simplement « à bas l’occupation militaire ».

3 – Fatah à Ramallah, Hamas à Gaza : en mettant tout en œuvre pour que cette fracture ait lieu – un an et demi de punition collective infligée au peuple palestinien, sanctionné pour avoir « mal voté » -, Washington, Tel-Aviv et leurs alliés ont clairement signifié qu’aucune organisation se réclamant de l’Islam politique ne sera considérée comme un interlocuteur valable par les puissances occidentales. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?

Nous sommes là au cœur de la crise relationnelle présente et à venir entre le monde « occidental » et le monde « musulman ». Nos interlocuteurs y sont essentiellement des régimes que nous savons largement impopulaires. Nous pourrions atténuer les effets de cette carence de notre ancrage en ayant également d’autres interlocuteurs plus représentatifs. Mais notre conception des sociétés civiles aussi bien que des formations d’opposition se réduit malheureusement à ceux qui acceptent de communier avec nous dans la stigmatisation de l’entière génération « islamiste ».
Dans le cas de la Palestine, cela a débouché sur des contradictions particulièrement manifestes: lorsque Yasser Arafat était perçu comme trop nationaliste, les Israéliens lui ont imposé, avec le soutien de la communauté internationale, un premier ministre (Mahmoud Abbas) qu’ils considéraient (à juste titre) comme plus malléable et, pour affaiblir Arafat, ils lui ont fait transférer de larges pouvoirs. Mais lorsque des élections législatives cautionnées par toute la communauté internationale ont désigné un « mauvais » premier ministre « islamiste », cette même communauté internationale a cautionné un second coup d’Etat, contre le premier ministre cette fois, au bénéfice du « bon » président qui avait succédé à Arafat. Ce n’est pas seulement la légalité internationale mais tout autant la norme constitutionnelle palestinienne qui ont été ainsi explicitement bafouées. Où donc un tel cynisme peut il conduire ?
Le label « islamiste » est dangereux car il sous entend que les actions de celui a qui il s’applique ne peuvent avoir de motivations qu’idéologiques et donc illégitimes. Dans l’idéal, il faudrait ne juger les acteurs que sur leurs actes et non sur le vocabulaire et les références qu’ils emploient pour les exprimer et les légitimer. On y verrait alors beaucoup plus clair : bien des modernisateurs démocrates autoproclamés apparaîtraient comme les tyrans qu’ils sont et les islamistes, systématiquement désavoués, comme de possibles partenaires des processus de libéralisation politique et de modernisation.

4 – Vous ne cessez jamais de rappeler « l’extrême diversité des acteurs que [le concept de mouvement islamiste] désigne sous une même appellation ». Ces six ans de guerre contre « le terrorisme islamique » au Proche et Moyen-Orient ont-ils eu pour effet de resserrer les rangs entre les différents mouvements se réclamant de l’Islam politique ou, au contraire, chacun s’est-il conforté dans ses positions ?

Si l’on considère que les islamistes représentent une large partie de la population politique du monde arabe, même si cette population est très diversifiée, force est de constater qu’une certaine exaspération monte un peu partout à l’égard des méthodes de l’administration américaine et de ses alliés européens. La diplomatie américaine s’est efforcée, après le 11 septembre, de dresser tous les pays du Proche Orient contre l’Irak, avec les résultats catastrophiques que l’on sait. Elle tente maintenant de faire de même vis à vis de l’Iran, accusé quand à lui non pas de détenir mais seulement de vouloir acquérir des armes de la même catégorie que celles que …l’Irak n’a jamais eu mais que l’Etat hébreu a développé en toute impunité.

5 – Entre les islamistes, qui malgré la diversité dont vous faites état, restent au minimum conservateurs sinon franchement répressifs sur les question de libertés individuelles, et les dirigeants autoritaires que vous appelez les « Pinochets arabes », Ben Ali et consorts, quelles autres voies politiques existent aujourd’hui pour les peuples du monde arabe et musulman?

Il est difficile d’inscrire ma réponse dans une question dont je n’accepte pas pleinement les termes. Je me suis souvent employé à réfuter l’idée que la défense des libertés est un combat qui ne fait sens, dans le paysage arabe, que chez ceux que nous considérons comme nos alliés politiques [1] . Et qu’il serait strictement imperméable à l’esprit de ceux que nous qualifions d’ « islamistes », comme l’affirment tous ceux qui nous « expliquent » régulièrement que si nous sommes la cible des terroristes c’est « à cause de notre amour de la liberté et de la démocratie ». Je me suis employé à montrer, et d’autres avec moi, que la modernisation politique et le renforcement des libertés individuelles qu’elle implique, (des femmes aussi bien que des hommes) sont loin d’être simplement contradictoires avec cette dynamique d’affirmation identitaire islamique que j’évoque comme la dynamique de « réislamisation ». L’usage par les islamistes d’un lexique « religieux » est source de profonds malentendus. « Islamique » ne veut pas dire, ou en tout cas pas seulement « sacré ». Bien plus qu’il n’est sacré, le lexique islamique est en fait surtout « endogène », « home made », autre qu’occidental, « de chez nous »… « pas de chez eux ». En ce sens on peut considérer que sa réintroduction facilite le processus de modernisation plus qu’il ne l’entrave.

Pour qu’un processus de libéralisation politique ou de sécularisation ait quelque chance de s’ancrer dans le tissu des sociétés « musulmanes », il est essentiel en effet qu’il soit exprimé dans une terminologie et légitimé par des références qui ne soient pas perçues comme strictement « importées » de l’étranger, comme cela a été le cas lors du processus de sécularisation « à l’occidentale » au cours duquel l’idée laïque a été défendue avec des références et parfois même (au Maghreb) dans une langue, arrivés sur les selles des cavaliers de la conquête. Les notions de sécularisation, de libertés, de droits de l’homme ou de la femme, pour être intériorisées gagnent en fait à être exprimées avec le lexique de la culture locale c’est à dire, à bien des égards, avec le « parler musulman ». L’alchimie sémantique de ce qui apparaît aux observateurs les plus pressés comme « la réintroduction du religieux » ne préjuge donc absolument pas de la capacité des sociétés à opérer une certaine laïcisation. Cette laïcisation est en fait manifestement en marche à l’intérieur du monde musulman, y compris à l’intérieur de ces courants islamistes que nous percevons comme occuper seulement à « réintroduire le religieux ».

Il est donc plutôt contre productif d’agir dans notre relation avec le sud de la Méditerranée comme si la dynamique de progrès était toute entière aux mains de la seule frange sociale et politique héritière de la gauche laïque, qui serait notre seul interlocuteur possible. Nous devons au contraire être capables d’établir le contact avec tous ceux qui – quand bien même ils « parlent musulman » partagent les mêmes objectifs d’établissement d’un état de droit et de renforcement des libertés individuelles et collectives. Ils existent bien plus sûrement que le discours dominant des medias occidentaux ne nous permet de l’entrevoir.


Notes

[1] François Burgat, « Les courants islamistes face aux libertés », La pensée de Midi (Actes Sud), N° 19, Novembre 2006, « Face aux libertés…au sud de la Méditerranée » (entretien avec Thierry Fabre).
http://www.mmsh.univ-aix.fr/iremam/HTML/PUBLI/CHERCH/FB-LA%20PENSEE%20DE%20MIDI.pdf




A propos de « L’attentat », de Yasmina Khadra

images[7]Le CAP inaugure ses fiches de lecture avec L’attentat du romancier algérien Yasmina Khadra.


Voir quelqu’un qui ne voit pas, c’est la meilleure façon de voir ce qu’il ne voit pas . Il est possible, mais pas certain, que Yasmina Khadra connaisse cette phrase de Roland Barthes. C’est en tout cas celle qui vient à l’esprit à la lecture de son roman, L’attentat , consacré au problème palestinien. Curieux livre, en vérité, qui a le mérite de mettre en fiction un thème que beaucoup d’auteurs évitent comme la peste, mais qui étonne puis irrite très vite par ses choix, concernant notamment celui du point de vue adopté.

Amine Jaafour est un arabe israélien, chirurgien de son état, résidant parmi la bonne bourgeoisie locale dans un quartier huppé de Tel-Aviv. Ses collègues et amis israéliens, d’autres praticiens, le chef de la police (!), sont aux petits soins avec lui, et permettent de tempérer les quelques désagréments dus à son origine non juive. Sa vie bascule brutalement lorsqu’un attentat-suicide survient et qu’il découvre, sans vouloir y croire, que sa femme est l’auteur dudit attentat. Tout le roman consiste ensuite à suivre le parcours de cet humaniste, comme il se définit lui-même, pour tenter de retrouver les commanditaires de l’attentat, pour essayer de savoir qui a bien pu supplanter son influence dans l’esprit de sa femme. Apparemment, l’humanisme n’empêche pas les réflexes machistes. Avec beaucoup de difficultés – qui l’eût cru, on se méfie de lui – il parvient à contacter des militants du Jihad islamique, et ce faisant il (re)découvre ses origines, renouant avec des membres perdus de vue de sa famille.

Donner à penser que ce personnage arabe israélien serait représentatif des arabes israéliens, des Palestiniens vivant en Israël, est déjà en soi une escroquerie. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui jouissent d’une telle aisance financière et qui bénéficient d’autant de droits, pour ne pas dire de passe-droits. La maison du docteur n’est par exemple pas détruite après l’attentat, comme c’est le cas pour toutes ces familles dont un des membres est suspecté de terrorisme, selon la terminologie de l’occupant ; la demeure est tout au plus vandalisée par les voisins, trop heureux de trouver là une bonne occasion d’humilier quelqu’un qu’ils considèrent comme un étranger (sur sa propre terre, faut-il le rappeler).

Le docteur Amine Jaafour est en colère, très en colère. Pas parce que son peuple est humilié, que ses droits sont niés, qu’il subit une occupation depuis des décennies, que sa terre lui a été volée dans l’indifférence quasi générale. Tout cela, le docteur Amine Jaafour n’en a que faire, on se demande même s’il le sait. Non, il est en colère parce qu’il n’a rien vu venir, parce que quelqu’un a instillé la haine dans l’esprit de sa femme. Il se sent trahi, trompé, presque cocufié par ces islamistes dont, on s’en doute, il ne comprend absolument pas les motivations, et dont il ne partage évidemment pas les convictions. De fait, Amine Jaafour ne comprend rien. En cherchant à comprendre les raisons de cette haine, il n’éprouve lui-même que de la haine envers ses frères palestiniens. Et le roman dérive donc dans ce paradoxe : l’humaniste qui aime tout le monde, pour qui tous les hommes sont frères, qui n’éprouve donc aucun grief envers l’occupant israélien, se met à haïr ses véritables frères, ceux qui souffrent profondément et dont il n’a cure. En somme, il s’agit de la lamentable épopée d’un traître.

Peu importent alors les discussions avec des militants et combattants palestiniens qui sont là pour apporter quelques points de vue contradictoires, peu importent les ébauches de prise de conscience, peu importe la fin prophético-mystique. Réduire le combat du peuple palestinien à une intrigue psychologique tient de la supercherie. Et l’on se dit, en refermant le livre, que Yasmina Khadra n’écrit pas pour les Palestiniens. Il écrit pour ce public occidental bien-pensant qui est prêt à prendre fait et cause pour les malheureuses victimes israéliennes, et qui continuera à ne rien comprendre à ces prétendus fanatiques barbus qui n’hésitent pas à manipuler des innocents.

En voyant tout ce que Yasmina Khadra n’évoque pas, la souffrance des Palestiniens, en voyant tout ce qu’il ne voit pas, on se dit que Yasmina Khadra ne peut pas voir grand-chose. Tout ce que le docteur Jaafour ne comprend pas, c’est tout ce qui est étranger à Yasmina Khadra. De là à penser que c’est dû à son statut d’écrivain anti-islamiste, ancien officier, proche des généraux algériens …

Comité Action Palestine




La subversion de la démocratie

manifestationpalestine2[1]Article de Joseph Massad publié par Al-Ahram Weekly dans la semaine du 28 juin au 4 juillet 2007 et repris dans The electronic Intifada le 4 juillet 2007.

L’auteur démontre que la subversion de la démocratie au Moyen Orient a été la ligne directrice de la politique américaine dans la région depuis 1949 et que la situation palestinienne ne fait pas exception.

Selon la grande tradition de la propagande américaine et dans le cas palestinien, le soutien US est présenté comme un soutien à la démocratie, alors que la lutte du gouvernement palestinien démocratiquement élu contre la subversion et la brutalité est présentée comme une attaque envers la démocratie.

De leur côté, les putschistes du Fatah ont repris la rhétorique américaine et ont désigné leurs ennemis élus démocratiquement comme « putschistes », suivis en cela par les intellectuels dits « laïques ».

L’auteur peut donc conclure sur l’effondrement général de l’exemple laïc de la résistance palestinienne face à l’occupation israélienne.

Photo : Comité Action Palestine


Alors que les ennemis du peuple palestinien ont attaqué sur tous les fronts – d’abord Israël avec son inquisition vis-à-vis de Azmi Bishara, et avec lui la remise en cause de la résistance palestinienne à l’intérieur de la ligne verte, en se fondant sur les bases racistes de l’Etat juif, puis la clique Hariri et ses alliés du 14 mars tentant de prouver la puissance de l’armée libanaise aux dépens des civils palestiniens vivant dans le camp de Nahr El Bared, et aussi le siège continuel des territoires palestiniens par l’armée d’occupation israélienne et par son soutien américain – la dernière attaque est venue des Palestiniens collaborant avec l’ennemi : la direction du Fatah subordonnée aux Etats-Unis.

La subversion de la démocratie au Moyen Orient a été la ligne directrice de la politique américaine dans la région depuis qu’en 1949 , la CIA a soutenu le coup d’état de Hosni al Zaim pour se débarrasser du régime démocratique en Syrie.

Ensuite la liste est longue : le soutien des US au coup d’état conduit par le Shah en Iran contre le gouvernement Mossadegh, la destruction de l’expérience parlementaire libérale jordanienne en organisant une révolution de palais en 1957, le soutien au coup d’état du parti Baath en Irak en 1963 contre le populaire Abdulkarim Qassim, et ainsi de suite.

La politique américaine ne s’est pas cantonnée à détruire tous les gouvernements démocratiques et libéraux dans la région. Elle a soutenu activement, quand elle ne l’a pas planifié et favorisé, leur remplacement par des régimes dictatoriaux. Elle a formé et aidé matériellement ces gouvernements qui ont institué des régimes extrêmement répressifs et tyranniques. Il n’y a donc rien de nouveau dans le rôle actuel qu’elle joue pour la subversion de la démocratie palestinienne et pour imposer au peuple palestinien une classe de collaborateurs corrompus.

Au milieu de tout cela, les grands pontes occidentaux et leurs partenaires arabes « laïcs» -lisez pro-américains- nous servent leur analyse orientaliste fantaisiste au sujet d’une prétendue exception de la situation palestinienne. Ces experts semblent avoir oublié l’histoire de la collaboration entre opprimés au cœur de la tragédie et oppresseurs. On peut citer par exemple le Judenrat et les Kapos, les Thieus vietnamiens, l’UNITA en Angola, les Buthelezi en Afrique du Sud, le RENAMO au Mozambique, les Contras au Nicaragua et l’Armée de libération du Sud Liban sous le commandement de Saad Haddad et Antoine Lahd.

La situation palestinienne ne fait donc pas exception .

La seule exception que le Moyen Orient offre à la politique mondiale est l’intérêt disproportionné que l’impérialisme porte à la richesse en pétrole de cette région et le soutien international sans précédent pour sa colonie juive, les deux étant étroitement liés. Ce n’est pas le monde arabe qui est exceptionnel, mais c’est la stratégie américaine et la nature anachronique de sa colonisation juive. Le refus des grands pontes occidentaux et de leurs serviteurs arabes de reconnaître ces faits constitue un rejet envers toute analyse visant à remettre en cause les règles impérialistes.

Selon la grande tradition de la propagande américaine et dans le cas de la Palestine, le soutien américain au Pinochet palestinien est présenté comme un soutien à la démocratie, alors que la lutte du gouvernement palestinien démocratiquement élu contre la subversion et la brutalité est présentée comme une attaque envers la démocratie. Sigmund Freud a introduit la notion de « projection » qui correspond au fait que l’inconscient attribue tous les sentiments (et les actions) d’un individu envers un autre à cet autre. Pour Freud, c’est un processus inconscient. Cependant, la projection de tous les crimes des putschistes palestiniens (ou Ladhistes, comme ils sont connus dans le monde arabe) et de leur soutien américain, sur le Hamas est une stratégie consciente, faisant partie de la stratégie globale pour détruire la démocratie palestinienne.

Commençons par quelques précédents historiques à la situation actuelle .

En septembre 1948 pour la première fois, un gouvernement palestinien légitime est installé à Gaza, mais il est empêché d’étendre son autorité sur les autres parties de la Palestine. C’est le roi Abdallah Ier de Jordanie qui, à cette époque, s’était opposé au gouvernement général de Palestine (APG, Hukumat ‘Umum Filastin), car cela interférait avec son plan d’annexion de la Palestine centrale à son royaume. En effet, l’APG était reconnue par la Ligue Arabe (qui à cette époque était moins honteusement esclave de l’agenda américain qu’aujourd’hui) comme le seul représentant légitime du peuple palestinien et l’héritier légitime du Haut Comité Arabe. Des mesures répressives furent prises par le roi de Jordanie pour purger la Cisjordanie de tous les militants de l’APG et de nombreuses faveurs furent offertes à ceux qui souhaitaient soutenir cette tentative d’annexion, dénommée « unification ».

Une fois que Abdallah eut annexé ce territoire « légalement et administrativement », la « communauté internationale », c’est à dire le Royaume Uni et Israël, ont reconnu ce royaume étendu (sauf Jérusalem Est) alors que la Ligue Arabe continuait à s’y opposer, encourager en cela par l’APG. Mais l’APG disparaîtra bientôt de la mémoire légale et populaire, quand Gaza passera sous contrôle complet et total de l’administration égyptienne. La Palestine centrale sera renommée Cisjordanie et déclarée partie intégrante de la Jordanie. Cette annexion sera présentée comme une étape sur le chemin de l’unité arabe et en solidarité avec les Palestiniens. Le roi décrivait alors toute opposition à l’annexion comme une opposition à l’unité arabe et à la libération de la Palestine. C’est exactement ce que les putschistes du Fatah et leur président espèrent réaliser aujourd’hui en Cisjordanie, à l’exception du fait que l’unité dont ils parlent est une unité idéologique entre les putschistes du Fatah et leurs soutiens américains, israéliens et arabes.

Le putsch récent du Fatah a été mis en œuvre progressivement .

Abbas, le Pinochet palestinien, a été désigné pour son nouveau rôle il y a au moins un an et demi. Cela fait encore plus longtemps si on prend en considération la période où les américains l’ont imposé comme premier ministre contre Arafat qui était considéré comme insuffisamment coopératif avec les plans américains et israéliens. La déclaration de l’état d’urgence était prévue depuis les élections démocratiques qui ont délogé les putschistes du Fatah du pouvoir et mis en place le Hamas par un vote populaire. Ce projet a été bâti sur recommandation insistante des Américains, dont l’opposition à la démocratie dans le monde arabe trace la ligne sanglante de leur présence historique et actuelle dans la région.

Le problème était que l’occasion ne s’est pas présentée pour que ce plan soit mis à exécution. Ce n’est pas qu’Abbas, ou ses lieutenants putschistes, n’aient pas essayé de créer cette occasion. C’est ce qu’ils ont fait en collaborant ouvertement avec l’occupant israélien et les USA. Cela comprenait le blocus économique et l’étranglement imposé par les USA et l’Europe au peuple palestinien ; la ré-invasion israélienne de la Cisjordanie et de Gaza et le kidnapping d’un nombre important de parlementaires et de ministres du Hamas, l’incendie des bureaux du Premier Ministre par les voyous du Fatah, qui ont aussi attaqué personnellement certains ministres et ont saboté leur travail ; ainsi que l’aide active des services secrets égyptiens et jordaniens qui sont les principaux conseillers de Abbas aux ordres des Américains, et parfois des Israéliens.

Sur le plan idéologique, ces efforts ont été soutenus par les déclarations des intellectuels collaborateurs palestiniens dits « laïques » grâce à leur soutien au processus d’Oslo ou aux revenus que le processus d’Oslo leur a permis de retirer des ONGs. Leurs efforts ont été également soutenus par des intellectuels de l’aide droite libanaise du camp pro-Hariri qui se sont désignés eux-mêmes comme des « militants pro-palestiniens de gauche » parce que, dans les années 70 et 80, ils avaient rejoints les rangs du Fatah financés par les pays du Golfe.

Au cours des derniers mois, la collaboration avec les putschistes du Fatah ne pouvait que s’étendre. En effet, des préparatifs du putsch avaient lieu au grand jour, ceci grâce à l’aide matérielle et à l’entraînement fournis par l’armée américaine, le soutien d’Israël qui a également contribué en facilitant ces efforts, et sous couverture diplomatique arabe (toujours prête à servir). Les plans, dont j’ai exposé les détails dans un article paru en novembre (voir Pinochet en Palestine ) ont été maintenant mis à exécution avec une pompe digne de Pinochet lui-même.

Les putschistes du Fatah, dans la tradition de tous les régimes arabes non élus qui depuis 60 ans ont organisé leurs propres coups contre les forces démocratiques dans leur société et ont désigné leurs ennemis élus démocratiquement comme « putschistes » et comme ceux qui conduisaient le peuple palestinien vers de « sombres » abysses.

Pinochet n’avait pas été plus tendre envers Allende et se considérait personnellement, et son coup fasciste orchestré par les USA, comme celui qui ramènerait la nation chilienne sur le droit chemin de la servitude et de la collaboration avec l’empire. Les putschistes palestiniens ont aussi compris que pour rester au pouvoir et pour continuer à accroître leurs avantages financiers, ils devaient absolument continuer à servir l’occupation israélienne et son sponsor américain.

En effet, les putschistes palestiniens ont surpassé Israël et les Etats-Unis dans les accusations qu’ils ont fabriquées envers le Hamas. Les qualificatifs de « forces obscures » et « émirat des ténèbres » ne sont pas destinés à l’Etat juif raciste qui a opprimé les Palestiniens en se référant à la théologie juive et à la suprématie raciale, qui a bombardé massivement des civils, qui a orchestré le vol de leurs biens depuis 60 ans. Ils sont destinés au Hamas démocratiquement élu et qui n’a fait que se défendre pendant la dernière étape du coup que Mohammed Dahlan, le putschiste en chef, a organisé à Gaza, au nom du Fatah et de ses sponsors israéliens et américains.

La rhétorique de Abbas, sans doute dictée par Condi Rice et Ehud Olmert, est parfaitement en phase avec celle des intellectuels palestiniens inscrits sur le registre d’Oslo et avec celle de leurs supporters libanais (qui sont à leur tour inscrits sur le registre du clan Hariri, et du journal Al-Nahar). Le seul péché que le Hamas ait commis fut sa victoire sur les putschistes après que ces derniers l’aient poussé dans ses retranchements en espérant abattre son leadership à Gaza. Le Hamas, qui a été plus que patient depuis des mois de provocations brutales (y compris l’assassinat de ses responsables, l’emprisonnement et la torture de ses membres, pour ne citer que les faits les plus importants) de la part des putschistes, ne pouvait rien faire d’autre que de se défendre au cours de l’assaut final.

Comme punition, le peuple palestinien qui a élu le Hamas, va continuer à subir les horreurs de la part des Américains, Israéliens et Européens.

Les Etats anti-démocratiques américains et européens envoient déjà des récompenses financières et diplomatiques aux responsables du putsch en Cisjordanie. Israël, aussi, mais de manière plus prudente. Au cours des derniers jours, la principale aide israélienne aux putschistes a consisté à bombarder Gaza et à organiser avec le responsable du coup d’état des discussions pour « la paix » à Sharm al-Sheikh.

En effet, afin de récompenser le putsch antidémocratique, Israël, les Etats-Unis et l’Europe ont renversé toutes les mesures qu’ils avaient prises pour punir la démocratie palestinienne depuis l’élection du Hamas. A cet effet, Israël a commencé à restituer l’argent des taxes qu’il avait volé au peuple palestinien depuis un an et demi (environ un milliard de dollars US). Comme dans le cas de son prédécesseur chilien, le gouvernement illégal mis en place par Abbas avec son premier ministre technocrate Salam Fayyad, va recevoir toute sorte d’aide économique, militaire, diplomatique et idéologique. N’oublions pas que les économistes technocrates « de l’école de Chicago », disciplines de Milton Friedman, ont été en charge de l’économie chilienne sous Pinochet et l’ont presque anéantie. C’est l’exemple chilien qui a popularisé le terme « technocrate » dans les gouvernements, appellation devenue banale après les années 1980. C’est maintenant eux qui promettent au peuple palestinien son salut.

Depuis qu’il a conduit le putsch contre la démocratie, Abbas a suspendu plusieurs articles de la loi fondamentale qui requièrent l’approbation du parlement pour les décisions qu’il prend. Il a aussi ordonné la dissolution de toutes les ONGs qui doivent maintenant redemander des autorisations. Ces autorisations ne seront pas octroyées aux organisations affiliées au Hamas, les rendant ainsi illégales. Alors que le Hamas a réussi à contrôler rapidement les pillages et les désordres causés par certains de ces membres, les voyous du Fatah poursuivent en Cisjordanie les destructions massives des biens des organisations liées au Hamas, y compris des centres sociaux, des écoles et des bureaux. Au même moment, les membres du Hamas, y compris les élus, doivent se cacher pour sauver leur peau, des centaines ayant été raflés par Israël ou le Fatah. Les déclarations de disparition sont très nombreuses.

Et tout cela est complètement assumé par la « communauté internationale » au nom de son soutien à la « démocratie ». En effet, la rhétorique utilisée par Abbas et sa junte du Fatah est empruntée à la rhétorique des Etats-Unis dans sa guerre contre le terrorisme, spécialement le lien entre le Hamas et l’Iran.

Au même moment, les actions que les voyous du Fatah ont organisées, y compris la défenestration d’un militant du Fatah (confondu avec un militant du Hamas) du haut d’un bâtiment de plusieurs étages, et autres, ont été reprochées au Hamas par le chœur des intellectuels laïques (et les médias satellitaires saoudiens) qui soutiennent le putsch du Fatah. Le poème récent que Mahmoud Darwish a écrit en soutien au putsch et publié en couverture du journal saoudien Al-Hayat, peut peut-être être expliqué par les chèques mensuels que l’auteur reçoit de l’Autorité Palestinienne contrôlée par le Fatah, et il n’est pas le seul. Sa condamnation des intellectuels laïques qui soutiennent la démocratie palestinienne est une tentative supplémentaire pour polariser la société palestinienne, non pas entre ceux qui soutiennent la démocratie et ceux qui s’y opposent, mais entre les laïques et les Islamistes. Le fait que ce soit ces « laïques » qui collaborent avec l’état théocratique d’Israël pour détruire la démocratie dite « Islamiste » est présenté comme une force de la modernité et du progrès occidental.

Ce que n’ont pas compris Darwish et consorts c’est que ce sont les « forces obscures » de l’Islamisme en Palestine qui défendent la démocratie.

La position en faveur du putsch adoptée par beaucoup d’intellectuels laïques favorables à Oslo, vis-à-vis de la démocratie palestinienne transforme de fait les laïques palestiniens en « forces obscures » de l’Histoire palestinienne depuis des décennies. Ce dont nous sommes témoin aujourd’hui n’est rien moins que l’effondrement général de l’exemple laïc de la résistance palestinienne face à l’occupation israélienne. Le seul antidote à ces véritables forces de l’ombre est de continuer à soutenir et à mobiliser la démocratie palestinienne et de considérer les responsables du putsch antidémocratique et les intellectuels qui leur pardonnent pour ce qu’ils sont : des collaborateurs avec l’ennemi.

Joseph Massad

Joseph Massad est professeur associé, spécialiste de politique arabe et d’histoire intellectuelle à l’Université de Columbia. Son dernier livre s’intitule : The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians .

Traduction : N. Ollat pour le CAP

Voir l’article dans une traduction un peu différente sur info-palestine .




La repentance et les femmes de l’homme barbu

rennes-des-femmes-voilees-contre-lislamophobie[1]Article de François Burgat publié le 2 juillet 2007 sur Oumma.com dans lequel il analyse le discours très en vogue actuellement qui consiste à vouloir stopper la repentance des français concernant leur passé colonial, repentance qui aurait « envahi la conscience nationale« .

Cette propagande, dirigée par P. Bruckner puis par le Président Sarkozy lui-même, interdit l’analyse historique des situations présentes, dans les banlieues françaises par exemple, et montre du doigt les musulmans, coupables de tous temps, d' »habiller trop long leurs femmes » et plus grave peut-être, d' »égorger les moutons« .

Ces populations ont donc ce qu’elles méritent, que ce soit dans les banlieues françaises ou plus loin de nous, en Irak, en Afghanistan ou en Palestine.

Cette article est très important puisqu’il fait le point sur une des plus grandes manipulations idéologiques de ces dernières années : ceux-la même qui organisent la repentance infinie envers les juifs victimes du génocide commis par les nazis n’ont aucune honte à condamner avec la plus grande fermeté toute tentative de réflexion sur la colonisation.

Dans quel but ? Ils l’avouent eux-mêmes : faire cesser cette intolérable « concurrence des mémoires » ; les seuls à avoir souffert dans l’histoire ne peuvent être que les juifs bien sûr ! Corollaires : Israël est légitime, le massacre des arabes et des musulmans aussi.


« Je vais en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. » « Une grande nation comme les Etats-Unis a le devoir de ne pas faire obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique mais, au contraire, de prendre la tête de ce combat, parce que ce qui est en jeu c’est le sort de l’humanité toute entière. » « À toutes les femmes martyrisées dans le monde, je veux leur dire que la fierté et le devoir de la France sera d’être à leur côté. […] La France n’abandonnera pas les femmes qu’on condamne à la burqa, la France n’abandonnera pas les femmes qui n’ont pas la liberté ».

Nicolas Sarkozy, 6 mai 2007

Avant de rejoindre le camp de Nicolas Sarkozy et d’y gagner un portefeuille ministériel, le socialiste Éric Besson avait décrit son adversaire électoral d’alors comme « un “néocon” américain à passeport français ». De fait, dès le soir de son élection, notre « néocon » a développé une très sélective vision de l’altérité.

Le thème de la sécurité a eu beau envahir la campagne électorale, les perspectives tracées sur ce terrain, dans et hors de l’hexagone, constituent autant de trompe l’œil qui risquent de nourrir les pires malentendus. Si demain la France ne devait plus disposer, pour communiquer avec les rives musulmanes de la Méditerranée, d’autre langage que celui de la confrontation, il faudrait se souvenir que l’aiguillage, ou l’engrenage, du 6 mai 2007 y aura été pour beaucoup.

« Halte à la repentance ! »

« Halte à la repentance », nous a d’entrée de jeu signifié le chef de l’État. Qu’est-ce à dire ? Que, quand bien même n’aurait-on pas encore fini de l’écrire, il faut dès aujourd’hui tourner la page de la colonisation. La colonisation, avait expliqué le candidat Sarkozy, a moins été en effet l’expression d’un « rêve de conquête » que celle d’ « un rêve de civilisation » [1].

De cette « repentance », on chercherait en vain la moindre trace dans les programmes scolaires, ou dans la mémoire législative de la France. Elle a pourtant, nous a dit le président élu, envahi la conscience nationale au point de nourrir la haine des « bons Français ».

Evoquer les crimes coloniaux ou seulement tenter de savoir pourquoi et comment, ici et là, la vieille fracture coloniale continue à travailler notre société et ses relations avec le monde [2] ? Masochisme, dévoiement de la conscience et auto-flagellation ! Nicolas Sarkozy – qui « parle Bruckner » [3] couramment – entend nous épargner ces « sanglots de l’homme blanc » accusés d’alimenter une intolérable « concurrence des mémoires ».

Rideau, donc, sur toute inscription de la lecture des tensions régionales dans un cadre historique qui intégrerait le précédent fondateur de l’actuel « choc des cultures ». Rideau sur toute tentative d’explication profane des bruyantes mais banales (ré)affirmations identitaires d’une rive Sud du monde longtemps privée de sa voix et son lexique. Et honte sur ceux qui, sur les deux rives, pour mieux regarder leur avenir, entendent poser leur regard sur les ombres autant que sur les lumières de leur histoire partagée.

En ce début de XXIème siècle, les multiples malentendus n’auraient donc rien à voir avec une quelconque volonté de résurgence des anciens dominés ou de leurs descendants ; et les défis que nous devons surmonter, rien à voir non plus avec notre difficulté à envisager la sortie du confort de l’hégémonie politique, économique et culturelle ancrée dans la relation coloniale. L’ « Halte à la repentance » signifie simplement que nos difficultés quotidiennes ne sauraient nullement s’ expliquer par nos erreurs passées ou présentes mais bien par celles des « autres » et par celles-là seulement.

Tout devient dès lors …si simple. Ce sont les colonisés qui nous ont trahis et non l’inverse ! Ce sont ces ingrats (et leurs enfants devenus Français) qui ont l’insolence de bouder aujourd’hui la Marianne généreuse qui a condescendu à les civiliser. Ce sont eux qui refusent de reconnaître les « Lumières » dans les halos médiatiques artificiels que braquent sur eux-mêmes nos (nouveaux) « philosophes » ! Qu’ils le fassent dans leurs nouvelles frontières, dans ce monde où rôdent les « intégristes » de tout poil, passe encore.

Mais, que dans nos propres cités, d’impertinents « indigènes » osent de plus en plus ouvertement rappeler à Marianne les plus criantes de ses contradictions, c’en est trop ! Tout s’enchaîne ensuite logiquement. Comme dans La Tyrannie de la pénitence, le refus de toute reconnaissance de l’histoire réelle sert surtout à annoncer le refrain qui, de Charlie-Hebdo à Philippe de Villiers et d’Alain Finkielkraut à Robert Redecker en passant par « l’immortel » Max Gallo, fédère aujourd’hui comme jamais les rangs du discours médiatique qui s’est substitué en France à celui de la pensée.

Notre mal-vivre, les malentendus qui surgissent ici et là avec le Sud musulman, voire avec quelques-uns de ces trublions de nos banlieues, n’auraient donc rien à voir avec nos égoïsmes ou nos propres crispations identitaires et …communautaristes. Ils n’auraient rien à voir avec les raccourcis que persistent à emprunter les politiques, sociale ou étrangère, de la France, de l’Europe ou de ces grands alliés que nous sommes plus que jamais invités à admirer. Pas question en effet, autre point fort du discours fondateur, de nous opposer moindrement aux Américains si ce n’est sur… le réchauffement de la banquise.

Rien à redire aux bombes avec lesquelles eux mêmes, leurs alliés ou autres protégés « réchauffent » l’Irak, le Liban, la Palestine ou l’Afghanistan. Rien à reprocher aux manipulations sectaires – quoi de mieux qu’un chiite pour nous débarrasser d’un sunnite ou qu’un Arabe pour nous débarrasser d’un Perse – dont leurs officines « contre-terroristes » font plus que jamais leur miel. Rien à redire au soutien aveugle accordé aux pires dérives des occupants israéliens : silence devant ceux qui, eux aussi, au nom de leur « sécurité », (en fait pour coloniser plus, encore et toujours), asphyxient en dressant murs et check-points, confisquent les ressources financières, kidnappent élus et ministres, assassinent les uns, affament les autres, ligotent tout un peuple qui a mal voté pour oser ensuite dénoncer impunément son incapacité à faire régner l’ordre ! Rien à promettre, donc, à aucun réfugié Palestinien, Irakien ou Afghan à aucun veuf, orphelin ou veuve de ces guerres là. Ceux-là… menaceraient notre identité nationale.

A l’origine de tous nos maux : le machisme du mâle musulman…

Si l’on comprend bien Nicolas Sarkozy, la vraie violence qu’il soit à la fois politiquement correct et rentable de dénoncer et de combattre, la seule à faire des victimes suffisamment nobles pour nous faire oublier nos sacro-saints quotas migratoires, ce n’est surtout pas celle de Guantanamo ou d’Abou Ghraïb, ni celle d’Hébron ou de Gaza : c’est le machisme des mâles musulmans contre leurs filles et leurs épouses !

Nous y voilà ! Tout le mal-vivre du monde ne vient que de l’insupportable culture de ces « Autres » qui ont moins le tort – inavouable – de nous résister que celui – impardonnable – d’avoir des épouses portant des vêtements d’une insupportable longueur. Seules ces victimes-là méritent notre volontarisme diplomatique. Elles seules pourront franchir les barrières ouvrant la félicité républicaine de la France magnanime. Avec nos encouragements tacites, l’Amérique de Georges Bush peut donc pérenniser la militarisation suicidaire de sa diplomatie pétrolière.

A l’abri de tout risque d’ « ingérence humanitaire » de nos French Doctors, les geôliers maniaques du terrifiant ghetto de Gaza peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Au Sud ou à l’Est de la Méditerranée, du « modernisateur » tunisien Ben Ali au « libéral » palestinien Abbas, les « Pinochets arabes » peuvent se réjouir à l’unisson de la clairvoyance réaffirmée de leurs partenaires occidentaux. Les généraux algériens qui, pour garder le contrôle de leurs pétrodollars, ont plongé depuis 1992 leur pays dans une terrifiante guerre civile, étaient du bon côté de l’histoire (c’est-à-dire, bien sûr, le nôtre).

Moubarak et ses homologues peuvent continuer à « benladeniser » les plus légalistes de leurs opposants et à brandir une explication « théologique » – luttons ensemble contre les fous de Dieu– occultant tout autant les ravages de leur autoritarisme que l’écrasante complicité de leurs sponsors et partenaires occidentaux.

De l’Afghanistan au gouvernement « Fillon 2 », tout s’enchaîne ! La vieille boucle coloniale se referme : comment osez vous vous plaindre, vous dont nous sommes en train de libérer les femmes ! Les fils de ceux que la République a importés par milliers pour assurer la croissance de l’après-guerre peuvent demeurer dans le rang, aussi soigneusement écartés des bancs du gouvernement que de ceux de l’Assemblée nationale.

Ceux là, pour sûr, porteraient atteinte à notre « identité nationale ». Pères, maris et fils peuvent moisir dans leurs banlieues. En Afghanistan ou en Irak, ou dans leurs bantoustans palestiniens, leurs cousins peuvent continuer à se passer de notre sollicitude. Comment ceux dont les épouses portent des vêtements d’une telle longueur oseraient-ils se plaindre d’une domination qui leur apporte les Lumières de la modernité ?

Bienvenue en revanche aux … femmes des hommes potentiellement barbus, et à elles seulement. Sans même nous montrer trop exigeant sur leur talent, nous sommes même prêts à leur confier des responsabilités gouvernementales… faites spécialement à leur mesure : c’est à elles qu’il revient désormais de nous protéger contre cette menace partagée que représentent, pour elles comme pour nous, leurs pères, leurs maris et leurs frères !

Méditerranée : quelle « union » ?

A bien y regarder, il existe deux bénéficiaires potentiels de cette « sécurité » dont on nous parle tant. Les premiers sont…les destinataires désignés et théoriques des politiques mises en œuvre en leur nom ; les seconds – titulaires de privilèges qu’ils sont peu enclins à céder – sont les auteurs et …les bénéficiaires réels de ces politiques « sécuritaires ». Lorsque ceux-là se proposent de veiller sur notre sécurité, c’est en fait… celle de leur élection ou de leur réélection qu’ils cultivent.

Pour la garantir, il leur suffit malheureusement de parler à nos tripes, de conforter nos peurs (face aux « égorgeurs de moutons » et autres amis de Ben Laden) de cultiver notre méconnaissance (de l’origine profane des violences qui déchirent le Proche-Orient et de la part de responsabilité essentielle qui nous en revient) bref…de creuser tous ces malentendus qui sont inexorablement en train de nous conduire vers la confrontation.

Protéger réellement notre sécurité couterait en fait bien trop cher …à leur carrière : Il est bien plus dur et donc plus couteux politiquement de parler au cerveau d’un électeur qu’à ses tripes, plus ingrat de raisonner ses peurs que de s’en servir comme tremplin oratoire.

C’est ainsi qu’en 2007, d’un bout à l’autre de l’Europe, les politiques du gyrophare et les raccourcis criminalisants du « Karcher » viennent de marquer des points. Un succès électoral s’est construit sur la gestion cynique de nos penchants xénophobes. Cette victoire sucrée pourrait bien vite prendre un gout amer : celui des fausses routes qui se terminent dans l’impasse de vrais conflits – ceux que nos « néocons » à la française se targuent bruyamment de vouloir prévenir.

François Burgat

Notes :

[1] « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. » Toulon 7 février 2007

[2] Pascal BLANCHARD, Nicolas BANCEL et Sandrine LEMAIRE (dir.), La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial , La Découverte, Paris, 2005.

[3] Pascal BRUCKNER, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme en Occident , Grasset, Paris, 2006.




Gaza : la mythomanie médiatique

_68209289_hamasvictoryrally[1]Saluons les prouesses d’une presse française qui, faisant de la calomnie, de la manipulation, de l’hypocrisie et de la dissimulation ses quatre vertus cardinales, incarne à merveille l’un des plus nobles idéaux des médias : fausser la conscience publique .

Concernant les derniers événements en Palestine, radios et journaux français ont atteint leur plus haut degré sur l’échelle du mensonge : la mythomanie

Cela se comprend. Une étape décisive dans une lutte de libération est d’un enjeu trop important pour que la propagande se risque à voir le contrôle de l’opinion lui glisser entre les doigts. Il y va de l’avenir du monde libre et civilisé. Il faut préserver celui-ci envers et contre tous ces Arabes qui se permettent de pratiquer la résistance, de rejeter l’impérialisme américano-sioniste, d’élire démocratiquement le gouvernement qui les représente le mieux, de refuser de reconnaître une entité nommée Israël qui les massacre, les vole et les affame depuis près de soixante ans, de s’insurger contre ses collaborateurs.

Pareille fin appelle, pour notre presse française, de grands moyens. Aussi la déformation médiatique de la réalité sera-t-elle intégrale, et l’inversion des rôles, complète .

Que devient, chez les mythomanes de la presse française, un gouvernement légalement élu et de surcroît plébiscité par un peuple ? Une bande de hors-la-loi, de rapaces et de pillards .

Que devient la lutte politique entre un Fatah embourgeoisé et minoritaire, prêt à se vendre à l’occupant, et les classes populaires favorables au Hamas ? Une lutte fratricide , voire, plus tribal, une guerre clanique .

Ce même choix du Hamas et de la résistance par ces mêmes classes populaires ? Une allégeance au nouveau pouvoir .

La victoire militaire des leaders Hamas de la résistance à Gaza ? Un coup d’Etat .

Le calme retrouvé dans Gaza libérée ? Une occupation qui sent l’univers concentrationnaire et la purge .

Les journaux français diabolisent le Hamas. Mais ils le diabolisent objectivement. Comme ils défendent tout aussi objectivement le parti des Abbas et autres Dahlan dont aucun résistant palestinien ne veut. Car ils pratiquent un manichéisme impartial.

Alors que le Hamas, qui n’a pas encore eu l’heureuse idée de prendre des leçons auprès du Monde ou de Libération , sépare arbitrairement les bons des méchants. Nous en avons pour preuve la proposition qu’il a faite au Fatah, son adversaire malheureux aux dernières élections législatives, de participer à un gouvernement d’union nationale. Offre d’ailleurs déclinée par l’intéressé – à tous les sens du terme. Lequel a depuis œuvré à l’élimination du gouvernement Haniyeh. Mais il y a œuvré en toute loyauté, c’est-à-dire avec l’aide des ennemis du peuple palestinien.

A en croire nos quotidiens préférés, en Palestine le monde tourne à l’envers. Les Palestiniens marchent sur la tête. Ils s’auto-occupent. Ils s’auto-détruisent. Ils s’entre-dévorent. Le monde libre, qui tourne à l’endroit, pleure sur ces malheureux qui s’aliènent dans leur lutte de libération. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient crier, crier en chœur avec les médias français l’absolue légitimité de leur usurpateur sioniste. Ils n’ont pas compris qu’ils devaient applaudir les collaborateurs, clamer leur solidarité avec ceux qui les trahissent, s’agenouiller devant leurs assassins.

A en croire nos quotidiens préférés, les Palestiniens n’ont pas compris que leur avenir n’est pas en Palestine. Que leur volonté d’autodétermination est un crime de lèse-sionisme qui ne peut que les conduire à leur perte.

Comité Action Palestine

 




Bienvenue en « Palestine »

hamas[1]Article de Robert Fisk paru dans The Independent le 16 juin 2007.

L’auteur montre qu’en Palestine comme ailleurs au Proche-Orient, les régimes occidentaux ne soutiennent pas les gouvernements ou les hommes politiques parce qu’ils sont démocratiquement élus mais parce qu’ils sont acquis à leurs intérêts, très souvent par la corruption.


Ah ! Les Musulmans au Proche-Orient ! Comme ils peuvent être pénibles ! Pour commencer, nous exigeons des Palestiniens qu’ils épousent la démocratie. Mais eux, ensuite, ils élisent le mauvais parti – le Hamas – et après celà celui-ci remporte une mini guerre civile et préside sur la Bande de Gaza. Et nous, les Occidentaux, voulons toujours négocier avec le président discrédité [de l’Autorité Palestinienne], Mahmoud Abbas. La « Palestine » d’aujourd’hui – et laissons ses guillemets à leur place ! – a deux Premiers ministres. Bienvenue au Proche-Orient !

Avec qui pouvons-nous négocier ? A qui nous adressons-nous ? Oui, bien sûr, nous aurions dû parler au Hamas depuis des mois. Mais nous n’aimions pas ce gouvernement démocratiquement élu par les Palestiniens. Ces Palestiniens qui étaient censés voter pour le Fatah et sa direction corrompue. Mais c’est pour le Hamas qu’ils ont voté. Le Hamas qui refuse de reconnaître Israël ou de respecter l’Accord d’Oslo totalement discrédité.

Personne n’a demandé – dans notre camp – quel Israël particulier le Hamas était supposé reconnaître. Israël de 1948 ? Israël des frontières d’après 1697 ? Israël qui construit – et continue de construire – de vastes colonies pour les Juifs et seulement les Juifs sur la terre arabe, avalant encore plus des 22% de la « Palestine » qui restent à négocier ?

Et c’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes censés discuter avec notre loyal policier, M. Abbas, le dirigeant palestinien « modéré ». (C’est ce qu’en disent la BBC, CNN et Fox News). Un homme qui a écrit un livre de 600 pages sur [le processus d’] Oslo sans mentionner une seule fois le mot « occupation ». Un homme qui a toujours parlé du « redéploiement » israélien plutôt que du « retrait ». Un « dirigeant » en qui nous pouvons avoir confiance parce qu’il porte une cravate, se rend à la Maison Blanche et dit toutes les choses qu’il faut dire. Ce n’est pas parce qu’ils voulaient une république islamique que les Palestiniens ont voté pour le Hamas , mais c’est ce qu’on dira après leur sanglante victoire. Ils ont voté pour le Hamas parce qu’ils en avaient marre de la corruption du Fatah , le parti de M. Abbas, et de la nature pourrie de l’ « Autorité Palestinienne ».

Je me souviens avoir été convoqué, il y a des années, chez un officiel de l’Autorité Palestinienne dont les murs venaient juste d’être crevés par l’obus d’un char israélien. Véridique. Mais ce qui me frappa, c’était les robinets plaqués-or dans sa salle de bain. Ce sont ces robinets — ou les choses de cet acabit — qui ont coûté au Fatah son élection. Les Palestiniens voulaient la fin de la corruption — le cancer du monde arabe – et c’est pourquoi ils ont voté pour le Hamas. Et alors, nous, l’Occident si sage et si bon, avons décidé de les sanctionner, de les affamer et de les maltraiter pour avoir voté librement. Peut-être devrions-nous offrir la qualité de membre de l’Union Européenne à la « Palestine » si elle avait la grâce de voter pour les bonnes personnes ?

Au Proche-Orient, c’est partout la même chose .

En Afghanistan , nous soutenons Hamid Karzai, même s’il garde des chefs de guerre et des barons de la drogue dans son gouvernement. (Et, soit dit en passant, nous sommes vraiment désolés pour tous ces civils afghans innocents que nous tuons dans notre « guerre contre la terreur » sur les terres abandonnées de la province du Helmand).

Nous aimons l’Egyptien Hosni Moubarak. Ses tortionnaires n’en ont pas encore fini avec les politiciens des Frères Musulmans, arrêtés récemment à l’extérieur du Caire. Sa présidence a reçu le soutien chaleureux de Mme – oui, Mme – George W. Bush – et dont la succession passera presque certainement à son fils, Gamal.

Nous adorons Muammar Kadhafi, le dictateur fou de la Libye . Ses loups-garous ont assassiné ses opposants à l’étranger. Son complot pour assassiner le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite a précédé la récente visite de Tony Blair à Tripoli. Le colonel Kadhafi, devrait-on se souvenir, a été appelé « homme d’Etat » par Jack Straw pour avoir abandonné ses ambitions nucléaires qui n’existaient pas. Et sa « démocratie » nous est parfaitement acceptable parce qu’il est de notre côté dans la « guerre contre la terreur ».

Oui, nous aimons la monarchie du Roi Abdallah en Jordanie et tous les princes et les émirs du Golfe , en particulier ceux qui reçoivent des pots-de-vin si gros de nos sociétés d’armement que même Scotland Yard doit clore ses investigations sur les ordres de notre Premier ministre — et oui, je peux très bien voir pourquoi il n’aime pas la manière dont The Independent couvre ce qu’il appelle de façon pittoresque le « Moyen-Orient ». Si seulement les Arabes — et les Iraniens — pouvaient soutenir nos rois, nos shahs et nos princes, dont les fils et les filles sont éduqués à Oxford et à Harvard, comme le « Moyen-Orient » serait plus facile à contrôler !

Il s’agit bien de cela – du contrôle – et c’est pourquoi nous tenons bon et que nous retirons nos faveurs à leurs dirigeants. Maintenant que Gaza appartient au Hamas, que vont faire nos propres dirigeants élus ? Tous nos dogmatiques de l’UE, de l’ONU, de Washington et de Moscou doivent-ils désormais parler à ces gens misérables et ingrats (je crains que non, puisqu’ils ne seront pas capables de leur serrer la main) ou devront-ils reconnaître la version cisjordanienne de la Palestine (Abbas, la paire de bras sans danger), tout en ignorant le Hamas élu et militairement victorieux à Gaza ?

C’est facile, bien sûr, d’appeler la malédiction sur chacune de leurs maisons. Mais c’est ce que nous disons de tout le Proche-Orient. Si seulement Bashar al-Assad n’était pas le Président de la Syrie (Dieu seul sait quelle serait l’alternative !) ou si le Président cinglé Mahmoud Ahmadinejad n’était pas aux manettes de l’Iran (même s’il ne sait qu’approximativement ce qu’est un missile nucléaire). Si seulement le Liban était une démocratie bien de chez nous comme nos petits pays de derrière les fagots — la Belgique, par exemple, ou le Luxembourg. Mais non ! Ces satanés Proche-Orientaux votent pour les mauvaises personnes, soutiennent les mauvaises personnes, ne se comportent pas comme nous, les Occidentaux civilisés.

Alors, qu’allons-nous faire ? Soutenir la réoccupation de Gaza, peut-être ? Nous ne critiquerons certainement pas Israël. Et nous continuerons de donner notre affection aux rois et aux princes — et aux présidents disgracieux — du Proche-Orient, jusqu’à ce que toute la région nous pète à la figure. Et, ensuite, nous dirons — comme nous le disons déjà aux Irakiens — qu’ils ne méritent pas notre sacrifice et notre amour.

Comment traitons-nous un coup d’Etat fait par un gouvernement élu ?

Robert Fisk

Traduit de l’anglais par [|JFG/QuestionsCritiques ]

 




Election présidentielle en France : Et la Palestine ?

crif-diner01[1]Tract et analyse du CAP de mai 2007 qui dénonce le positionnement des candidats à propos de la cause palestinienne. Tous ont entretenu un flou qui dissimule en fait leur soutien à l’Etat d’Israël.

Ainsi, pour tous les candidats : il y a des Apartheid plus légitimes que d’autres, des fascismes plus tolérables que d’autres puisqu’ils ne s’élèvent pas contre l’Etat israélien.

Le sacro-saint principe de laïcité ne semble pas, lui non plus, devoir s’appliquer à l’état juif.

Enfin, les élections démocratiques en Palestine ne semblent pas avoir la même valeur qu’ailleurs : certains peuples ont-ils le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres non ?

Il est temps de mettre ces questions en avant : les échéances électorales sont encore nombreuses et les candidats devront un jour ou l’autre répondre de leur soutien à Israël.


 

Saisissant l’occasion de l’élection présidentielle et considérant que le domaine des relations internationales en est un élément capital, le Comité Action Palestine a décidé d’intervenir dans cette campagne pour informer les électeurs au sujet du positionnement des candidats sur la cause du peuple palestinien.

Dans ce domaine, la majorité des candidats entretiennent un flou qui dissimule en fait un soutien objectif à l’Etat d’Israël .

Au-delà des bonnes intentions qui en appellent vaguement au droit international, aucun candidat ne dit ou n’ose dire la vérité sur la nature de cet Etat colonial. Ils se prononcent tous en France pour la défense de la laïcité, mais jamais ne remettent en cause la légitimité religieuse dont se drape l’Etat d’Israël . Ils savent pourtant que la « Déclaration d’Indépendance » de cet Etat fait explicitement référence à la Bible. L’exigence de laïcité est-elle à géométrie variable ?

Quand tous prétendent lutter contre toutes les formes de racisme, ils acceptent voire ils défendent un Etat qui, en son sein même, pratique ouvertement le racisme et la discrimination : l’accès différentiel à la citoyenneté pour les juifs (automatique) et pour les Arabes (conditionnel), la discrimination dans l’accès à l’emploi, dans le bénéfice des droits sociaux, etc. Un détour par l’Histoire montre que l’ONU a voté en 1975 une résolution condamnant le sionisme en tant qu’idéologie raciste et que la conférence de Durban en Afrique du Sud en 2001 a prononcé le même verdict. Cet Apartheid qui dure depuis soixante ans est-il plus légitime qu’un autre ?

Le mur du racisme, comme le nomment les Palestiniens, édifié pour les spolier davantage de leurs terres, ne fait pas partie des sujets d’indignation des postulants à l’élection présidentielle, certains le trouvent même justifié. Ils ne dénoncent pas fermement non plus la colonisation commencée à la fin du 19è siècle, qui s’est accélérée avec la création en 1948 de l’Etat d’Israël et qui continue encore en Cisjordanie, dans la vallée du Jourdain et au Naqab notamment. Pas un mot non plus sur la judaïsation de Jérusalem et d’autres villes palestiniennes. Pourtant certains historiens comme l’israélien Ilan Pappé désignent ce processus comme une forme d’épuration ethnique. Existe-t-il alors des indignations sélectives ?

Quand tous ces candidats n’ont que le mot de démocratie à la bouche, il n’y en a aucun pour qualifier de terrorisme d’Etat le kidnapping de plus de 60 ministres et députés palestiniens. Ils ne sont pas non plus mobilisés pour s’opposer au blocus politique et économique occidental contre le peuple palestinien, puni pour avoir donné la majorité au Hamas lors des dernières élections législatives. Faut-il croire alors que certains peuples ont le droit de choisir leurs dirigeants et d’autres pas ?

En bref, ils ne condamnent pas clairement et sans appel un Etat sioniste qui, dés le départ, réunit des caractéristiques pourtant propres au fascisme dans ses discours et ses pratiques. Dans ses discours : le sionisme mêle idéologies nationaliste et socialiste pour légitimer sa nature coloniale ; il accrédite l’idée religieuse de « peuple élu » mobilisable pour s’emparer de la « Terre promise », et qui aurait des droits supérieurs.

Dans ses pratiques : la surmilitarisation et le fait que la plupart des dirigeants sont issus des corps d’élite de l’armée ; la conquête permanente, la torture, le terrorisme d’Etat et l’épuration ethnique constituent son mode d’existence. Existe-t-il donc des formes de fascisme plus tolérables que d’autres ?

De plus ils soutiennent des gouvernements israéliens composés à la fois de ministres de gauche et de ministres issus de la droite et de l’extrême droite qui prônent des méthodes directes et radicales : le transfert de populations et à terme la disparition des Palestiniens en tant que peuple.

Que faut-il penser des candidats qui se précipitent au dîner annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (le CRIF) ? Il faut rappeler que cette organisation a pour leitmotiv la défense de l’Etat d’Israël et, qu’à ce titre, elle est la nouvelle Inquisition, créant un amalgame criminel entre antisémitisme et critique du sionisme, et définissant l’axe du bien et celui du mal.
Les citoyens doivent profiter de cette échéance électorale pour se demander quel rôle doit jouer la France au niveau international. Serait-il acceptable qu’un futur président ait d’ores et déjà démontré son soutien complice à un tel Etat ?

Quant à nous, membres du Comité Action Palestine, nous nous battons pour la justice , pour qu’enfin soit reconnu le droit au retour des réfugiés et que le peuple palestinien accède à son autodétermination sur l’ensemble de sa terre.




Diviser et conquérir : la force d’une alliance régionale Sunnite-Chiite mise à mort avec Saddam

shiasunni[1]Article de Kristen Ess publié le 2 janvier 2007 sur Palestinian News Network et traduit par N. Ollat pour le CAP.

L’auteur analyse la mise à mort de Saddam Hussein comme un élément de la stratégie américaine qui consiste à diviser Sunnites et Chiites pour mieux régner.


Pourquoi exécuter le Président iraquien Saddam Hussein, le jour de l’Eid Al Adha, le jour de la fête musulmane du sacrifice, le jour de l’égorgement du mouton pour le partager avec les pauvres, le jour des étrennes pour les parents et les démunis, le jour des cadeaux pour les enfants ? Pourquoi les Etats-Unis ont-ils choisi un gouvernement clientéliste chiite après l’arrestation de Saddam Hussein ?

La technique de la division et de la conquête semble si facilement utilisée au Moyen Orient. Sous occupation US, l’Irak a été disloquée par des luttes entre Sunnites et Chiites. Ce n’est pas que ces luttes n’aient jamais existé auparavant, mais jamais avec la même ampleur. Sous occupation israélienne, la Palestine est en train d’être disloquée par des luttes entre le Fatah et le Hamas. Mais la question de la programmation et de la partition politique en Irak semble avoir plus de lien avec le projet de Nouveau Moyen Orient publié cet été par les USA que ce qui était originellement prévisible.

L’Iran chiite n’a pas rabattu ses intentions face aux USA et la Syrie chiite gagne en pouvoir et en influence. Le Hezbollah chiite au Liban a vaincu l’armée israélienne dans l’esprit des populations locales. Et les Chiites sont les opprimés au sein du gouvernement libanais et de la société, les trouble-fête de la classe moyenne, des puissants sunnites et des encore plus puissants chrétiens. Mais avec la défaite ressentie comme telle d’Israël face au Hezbollah, car c’est bien d’un ressenti qu’il s’agit, peu importe le nombre de Libanais tués par les Israéliens cet été, le Hezbollah a été finalement considéré comme celui qui a vaincu la soit disante armée israélienne invaincue, quel que fût le soutien apporté par les USA. Le mythe de l’invincibilité des forces israéliennes a été brisé.

Et Saddam Hussein était aussi considéré comme celui qui avait combattu les Israéliens dans le passé et qui avait gagné. Pourquoi fallait-il qu’un gouvernement chiite l’exécute le premier jour de l’Eid Al Adha pendant que la presse américaine rapportait que finalement c’était les ennemis chiites qui avaient pratiqué l’exécution ? Maintenant en Palestine, l’Iran fait face à presque autant de condamnations pour cette exécution que les Américains.

Pour diviser et conquérir, il est nécessaire qu’il existe auparavant certains points de divergence. Mais le plus important est de favoriser ceux qui augmentent ces divergences. Et de quoi doivent avoir peur les USA ? D’un Moyen Orient unifié, d’un Iran fort travaillant en étroite collaboration avec la Syrie, les deux pays finançant le mouvement de résistance libanaise Hezbollah et son secrétaire général Hassan Nassrallah, et certains disent le Hamas. Et tout le monde sait ce qui est arrivé au Hamas après qu’il ait été élu démocratiquement. Le parti a été détruit, ainsi qu’une grande partie de la Palestine. L’unité a certainement été détruite en raison du blocus politique et économique conduit par les Etats-Unis. Le Hamas est devenu le nœud du problème, même si les gens ont voté pour eux, en faisant fi de qui était derrière tout cela. Et le Hamas était fortement soutenu par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah…et pourtant ils sont sunnites.

Nassrallah soutenait fortement la Palestine, en particulier la résistance armée à Gaza, résistance que les Israéliens comparent dans la presse à un Hezbollah en herbe. Et avec une population palestinienne sunnite, quoi de mieux que de mettre à mal cette alliance croissante qui prenait la forme d’une aide morale, économique et militaire apportée au Hamas et à d’autres factions de la résistance armée. Le soutien venait du Hezbollah, de la Syrie (où se trouve le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Meshaal) et de l’Iran, que les USA essayent de déstabiliser en l’accusant de développer un armement nucléaire et en le menaçant de sanctions et de guerre. Et en Palestine de nombreuses dénonciations des USA pour l’exécution de Saddam Hussein faisaient aussi référence à l’Iran.

Et pourquoi le jour de l’Eid Al Adha ? Pourquoi les journaux américains font une telle propagande des divisions entre Sunnites et Chiites ? Ce n’est pas seulement pour faire disparaître la culpabilité des USA, car après tout, la chute de Saddam était la raison initiale pour cette guerre en Irak. Mais après toutes ces années pendant lesquelles la presse américaine a exacerbé le « fanatisme »et le « fondamentalisme » des Chiites, ces derniers apparaissent comme ceux ayant l’autorité morale aux USA. Simplement parce que Saddam était sunnite ? J’en doute. Ou peut-être que les médias ne connaissent rien d’autre et fondent leur analyse limitée sur les divisions entre Chiites et Sunnites qui existent actuellement en Irak, mais qui ne sont pas insurmontables, même dans les conditions actuelles. Mais si ces divisions étaient finement exploitées, cela pourrait garantir un Moyen Orient non unifié. Et un Moyen Orient fort, uni ne serait certainement pas conforme à la vision américaine !!!!




De la barbarie coloniale à la politique nazie d’extermination

arton82[1]Communication de Rosa Amelia Plummelle-Uribe présentée le 15 juin 2006 à Berlin dans le cadre du Forum de Dialogue organisé par la section européenne de la Fondation AfricAvenir et publiée le 10/09/06 sur le site Afrikara.

L’auteur de «La Férocité blanche» [Albin Michel, 2001], remet en cause la spécificité de l’holocauste en le replaçant dans une continuité historique « jalonnée sans interruption par la barbarie coloniale« .


Nous sommes réunis ici pour analyser ensemble le lien historique qui, comme un fil conducteur conduit de la barbarie coloniale à la politique nazie d’extermination. Il s’agit d’un effort visant à détecter au moins la plupart des facteurs qui, de manière directe ou indirecte, auraient favorisé le développement politique et l’épanouissement idéologique d’une entreprise de déshumanisation comme la barbarie nazie en Allemagne et au-delà de ses frontières.

Cette contribution est utile à toute démarche qui voudrait mettre fin à toute sorte de discrimination d’où qu’elle vienne ; à commencer par cette discrimination qui consiste à trier parmi les crimes pour ensuite, suivant l’identité des victimes ou parfois l’identité des bourreaux, sélectionner le crime qu’il faut condamner. Cette hiérarchisation des crimes et donc de leur condamnation, demeure un handicap majeur dans la lutte pour la prévention des crimes contre l’humanité dont le crime de génocide.

 

Esclavage et trafic d’esclaves

Des historiens du 20ème siècle, travaillant sur la conquête de l’Amérique, sont parvenus à se mettre plus ou moins d’accord pour estimer le nombre d’habitants du continent américain à la veille de l’invasion. Il a donc été retenu qu’à la veille de 1500, environ 80 millions de personnes habitent dans le continent américain. Ces chiffres furent comparés à ceux obtenus cinquante ans plus tard à partir des recensements espagnols.

Il en ressort que vers 1550, des 80 millions d’Indigènes ne restent que 10 millions. C’est-à-dire, en termes relatifs une destruction de l’ordre de 90% de la population. Une véritable hécatombe car en termes absolus il s’agit d’une diminution de 70 millions d’êtres humains. Et encore, il importe de savoir que ces dernières années, des historiens sud-américains sont parvenus à la conclusion qu’en réalité, à la veille de la conquête il y avait en Amérique plus de 100 millions d’habitants. D’un point de vue européen, ces estimations sont inacceptables, et pour cause ! Si cela était vrai, nous serions devant une diminution de 90 millions d’êtres humains.

Mais, au-delà du nombre d’Indigènes exterminés, le comportement collectivement adopté par les conquérants chrétiens a eu des conséquences qui perdurent. Par exemple, la justification postérieure de ce génocide a conditionné l’évolution culturelle, idéologique et politique de la suprématie blanche à l’égard d’autres peuples non Européens, et finalement à l’intérieur même d’Europe.

La situation d’impunité dont bénéficiaient les conquistadores devait, fatalement, favoriser l’apparition très rapide de pratiques assez inquiétantes. Ainsi, la mauvaise habitude de nourrir les chiens avec des Indigènes et parfois avec des nourrissons arrachés à leur mère et jetés en pâture à des chiens affamés. Ou la tendance à s’amuser en faisant brûler vifs des Indigènes jetés dans des bûcher allumés pour les faire rôtir. Ce désastre fut la première conséquence directe de ce que les manuels d’histoire continuent à appeler ‘la découverte de l’Amérique’.

La solution africaine

Après avoir vidé le continent américain de sa population, les puissances occidentales naissantes ont fait de l’Afrique noire, une pourvoyeuse d’esclaves pour l’Amérique. Cette entreprise a désagrégé l’économie des pays africains et vidé le continent d’une partie de sa population dans ce qui demeure, la déportation d’êtres humains la plus gigantesque que l’histoire de l’humanité ait connue. Ici, il convient de rappeler la situation des pays africains au moment où ils sont abordés par les Européens.

C’est un fait que, même si le mode de production en Afrique n’était pas fondamentalement esclavagiste, les sociétés y connaissaient certaines formes de servitude. Comme nous l’avons dit, au Moyen âge, l’esclavage ainsi que la vente d’êtres humains, était une pratique très généralisée et l’Afrique n’a pas été une exception. Depuis le 7ème siècle, l’Afrique noire, tout comme l’Europe depuis le 8ème siècle, approvisionne en esclaves les pays de l’empire arabo-musulman. Il semblerait qu’à l’époque, la dimension et les modalités du trafic d’esclaves n’auraient pas été incompatibles avec la croissance de l’économie dans les pays concernés par ce commerce d’êtres humains. Il est d’ailleurs couramment admis que c’est sous le règne de l’islam en Espagne que l’Europe a commencé à sortir des ténèbres du Moyen âge. Concernant l’Afrique, on notera qu’au 15ème siècle, malgré la ponction faite par la traite négrière arabo-musulmane, les pays de ce continent jouissaient d’un bon niveau de bien être social.

Le dépeuplement du continent ainsi que la misère et l’indigence de ses habitants malades et affamés, décrits par les voyageurs qui abordèrent l’Afrique noire au 19ème siècle, contrastent avec les pays densément peuplés, l’économie fleurissante, l’agriculture abondante, l’artisanat diversifié, le commerce intense et surtout, avec le niveau de bien être social décrits par les voyageurs, géographes et navigateurs ayant abordé l’Afrique noire entre le 8ème et le 17ème siècle, et dont nous connaissons maintenant les témoignages grâce aux diverses recherches, entre autres celles de Diop Maes.

Entre le 16ème et le 19ème siècle, les guerres et razzias en chaîne, provoquées par les négriers pour se procurer les captifs, ont conduit à la destruction quasiment irréversible de l’économie, du tissu social et de la démographie des peuples africains.

Le cumul des traites, arabe et européenne, au moyen d’armes à feu, le caractère massif, voire industriel, de la traite négrière transatlantique en accroissement constant, a causé en trois siècles, des ravages que le continent n’avait jamais connus jusque là. Ce nouveau désastre fut la deuxième conséquence de la colonisation d’Amérique.

Une entreprise de déshumanisation

Dans le cadre de la domination coloniale sur le continent américain, les survivants indigènes, dépouillés de leurs terres furent refoulés et parqués dans des réserves. Dans le même temps, des millions de femmes, d’enfants et d’hommes Africains arrachés de chez eux et déportés dans l’Amérique, furent systématiquement expulsés hors de l’espèce humaine et réduits à la catégorie de bien meuble ou de sous-homme. L’infériorité raciale des non-Blancs et sa soeur jumelle, la supériorité de la race blanche, furent inscrits dans la loi, consacrées par le christianisme et renforcées dans les faits.

Les puissances coloniales, Espagne, Portugal, France, Angleterre, Hollande, légiféraient pour se doter du cadre juridique à l’intérieur duquel la déshumanisation des Noirs devenait légale. En conséquence, chaque métropole avait un arsenal juridique pour réglementer sa politique génocidaire dans l’univers concentrationnaire d’Amérique. A cet égard, la codification la plus achevée aura été le code noir français. Promulgué en 1685, cette monstruosité juridique est restée en vigueur jusqu’à 1848 lors de la seconde abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Il est significatif que, au moins pendant les 16ème et 17ème siècles, pour autant que nous sachions, il n’y eut pas une seule voix autorisée pour dénoncer et condamner l’expulsion légale des Noirs hors de l’espèce humaine. Même au 18ème siècle qui était pourtant le siècle des Lumières, aucun de ces grands philosophes n’a, formellement, exigé des autorités compétentes la suppression immédiate, réelle, sans atermoiements, des lois qui réglaient ces crimes.

Une idéologie unanimement partagée

On a l’habitude d’ignorer que grâce à la racialisation de l’esclavage dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, la supériorité de la race blanche et l’infériorité des Noirs sont devenues un axiome profondément enraciné dans la culture occidentale. Il faut savoir que cet héritage pernicieux de la domination coloniale européenne, combiné aux effets néfastes de la manie des Lumières de tout ordonner, hiérarchiser, classifier, a stimulé l’émergence d’une culture plus ou moins favorable à l’extermination des groupes considérés inférieurs. Entre le 15ème et le 19ème siècle, toute la production littéraire et scientifique concernant les peuples indigènes d’Amérique, visait à justifier leur extermination passé et à venir. Après trois longs siècles de barbarie coloniale sous contrôle chrétien, un des principes validés par les catholiques espagnols, est la certitude que tuer des Indiens n’est pas un pêché.. Cette conscience fut renforcée par les protestants anglophones, convaincus qu’un bon Indien est un Indien mort. Aussi, toute la littérature concernant la bestialisation des Noir dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, était une véritable propagande en faveur de la traite négrière et de l’esclavage des Noirs présentés comme un progrès de la civilisation.

Lorsque finalement eut lieu le démantèlement de l’univers concentrationnaire d’Amérique, le changement provoqué par les abolitions de l’esclavage eut une portée assez limitée. D’abord parce que l’essentiel des structures et des rapports sociaux et économiques mis en place par la barbarie institutionnalisée, sont restés quasiment inchangés. Et aussi, parce que le triomphe de la pensée scientifique sur la foi religieuse a donné à la race des seigneurs et aux valeurs de la civilisation occidentale, une crédibilité dont la religion ne bénéficiait plus auprès des esprits éclairés. Désormais, la colonisation et les actes de barbarie qui lui sont consubstantiels, par exemple l’extermination de groupes considérés inférieurs, se feront ayant comme support un discours scientifique.

Une culture d’extermination

Il serait utile de réaliser une étude très serrée concernant le rôle des scientifiques occidentaux dans le développement de la culture d’extermination qui a prévalu au 19ème et au début du 20ème siècle dans les pays colonisateurs. Malgré son rapport étroit avec notre analyse, cela n’est pas le sujet central de cette communication. Mais, nous pouvons néanmoins dégager quelques pistes pour ceux qui voudraient reprendre le sujet et se renseigner davantage.

Au milieu du 19ème siècle, les Associations scientifiques les plus prestigieuses semblent avoir été la Geographical Society et l’Anthropological Society à Londres et aussi, la Société de Géologie à Paris. Le 19 janvier 1864, eut lieu une table ronde organisée par l’Anthropological Society sur « l’extinction des races inférieures ». Il y fut question du droit des races supérieures à coloniser les espaces territoriaux considérés vitaux pour leurs intérêts.

Dans le “journal of the Anthropological Society of London, vol. 165, 1864” fut publié un compte rendu des débats de la Conférence. Il s’agissait de savoir si dans tous les cas de colonisation l’extinction des races inférieures serait inévitable, ou si jamais il serait possible qu’elles puissent coexister avec la race supérieure sans être éliminées. A l’époque, l’Angleterre avait déjà commis, outre le génocide des Indigènes en Amérique du Nord, celui des Aborigènes d’Australie dont les Tasmaniens.

En France, Albert Sarraut, tenant discours aux élèves de l’Ecole coloniale affirmait : « il serait puéril d’opposer aux entreprises européennes de colonisation un prétendu droit d’occupation […] qui pérenniserait en des mains incapables la vaine possession de richesses sans emploi. ». De son côté, le sociologue français Georges Vacher de Lapouge, soutenait qu’il n’y avait rien de plus normal que la réduction en esclavage des races inférieures et plaidait pour une seule race supérieure, nivelée par la sélection.

Des scientifiques réticents

On remarquera que la plupart des anthropologues allemands, même convaincus de leur supériorité raciale, ne partagent pas avec leurs collègues britanniques, nordaméricains et français, la conviction que les races inférieures doivent nécessairement disparaître au contact de la civilisation. Le professeur Théodore Waitz par exemple, développe entre 1859-1862 un travail pour contester le bien fondé des théories propagées par ses collègues occidentaux, engagés dans la justification scientifique des exterminations commises par leurs pays.

Par la suite, son élève George Gerland fait en 1868 une étude sur l’extermination des races inférieures. Il dénonce la violence physique exercée par les colonisateurs comme étant le facteur d’extermination le plus tangible. Et affirme qu’il n’existe aucune loi naturelle qui dit que les peuples primitifs doivent disparaître pour que la civilisation avance. Le plaidoyer de ce scientifique allemand pour le droit à la vie des races dites inférieures est un fait rarissime dans cette période de l’histoire.

En 1891 le professeur allemand Friedrich Ratzel publie son livre «Anthropogeographie » et dans le dixième chapitre sous-titré « Le déclin des peuples de cultures inférieures au contact avec la culture », il exprime son hostilité concernant la destruction des peuples indigènes :

« C’est devenu une règle déplorable, que des peuples faiblement avancés meurent au contact avec des peuples hautement cultivés. Cela s’applique à la vaste majorité des Australiens, des Polynésiens, des Asiatiques du Nord, des Américains du Nord et des nombreux peuples d’Afrique du Sud et d’Amérique du Sud. (…) Les Indigènes sont tués, chassés, prolétarisés et l’on détruit leur organisation sociale. La caractéristique principale de la politique des Blancs est l’usage de la violence par les forts sur les faibles. Le but est de s’emparer de leurs terres. Ce phénomène a pris sa forme la plus intense en Amérique du Nord. Des Blancs assoiffés de terres s’entassent entre des peuplements indiens faibles et partiellement désintégrés ».

Ce serait le dernier discours dans lequel le professeur Ratzel exprimerait un point de vue aussi peu favorable à l’extinction des peuples inférieurs.

Une évolution malheureuse

Les anciennes puissances négrières réunies à Berlin en 1884-1885, officialisent le dépècement de l’Afrique. L’Allemagne s’assure le contrôle du Sud-Ouest africain (c’est-à-dire la Namibie), de l’Est africain (correspondant aux territoires actuels de la Tanzanie, du Burundi et du Rwanda) et aussi le contrôle sur le Togo et le Cameroun.

L’entrée de l’Allemagne dans l’entreprise coloniale marque un hiatus sensible entre le discours des scientifiques allemands avant les années 1890 et celui qu’ils auront après les années de 1890 sur le même sujet : l’extermination des races inférieures ou leur asservissement suivant les besoins des conquistadores et le progrès de la civilisation.

En effet, en 1897 le professeur Ratzel publie son ouvrage «Géographie politique» dans lequel, l’auteur prend fait et cause pour l’extermination des races inférieures. Il affirme qu’un peuple en développement qui a besoin de plus de terres doit donc en conquérir « lesquelles, par la mort et le déplacement de leurs habitants, sont transformées en terres inhabitées ».

La domination économique combinée à des méthodes racistes, a donné naissance à la suprématie blanche chrétienne. Son idéologie hégémonique règne sans partage sur la planète et connaît toute sa splendeur entre la seconde moitié du 19ème et la première moitié du 20ème siècle. Même dans les anciens pays colonisés, l’extermination des races inférieures tenait lieu de politique officielle.

Une idéologie triomphante

La plupart des pays d’Amérique sont devenus indépendants au 19ème siècle. Les classes dirigeantes de ces pays, se croient blanches parce qu’elles sont issues des aventuriers européens qui souvent violaient les femmes indigènes. Arrivées au pouvoir suite aux guerres d’indépendance, ces élites se sont toujours identifiées à leur ancêtre blanc. De fait, elles adoptèrent les méthodes d’extermination des Indigènes hérités de la colonisation.

En avril 1834, les autorités d’Argentine, pays indépendant depuis peu, déclenchent la «Campaña del Desierto » (Campagne du Désert), dont le but est l’extermination des survivants Indigènes qui occupent la pampa. Dirigée par Juan Manuel de Rosas, devenu Président d’Argentine à partir de 1835, cette campagne fut coordonnée avec le gouvernement du Chili. Le premier gouvernement constitutionnel d’Uruguay, dirigé par Fructuoso Rivera, s’est aussi joint à la Campagne qui devait transformer ces terres en espaces inhabités.

Malgré la violence extrême de la « Campagne », tous les Indigènes ne sont pas morts, au grand dam du président Rosas pour qui les Indiens se reproduisaient comme des insectes. Pour remédier à cet échec, en 1878, par initiative du Ministre de la Guerre Julio Argentino Roca, le Congrès National argentin vote et approuve la loi « de expansión de las fronteras hasta el Rio Negro » (expansion des frontières). C’est le point de départ de la seconde « Campagne du Désert » qui doit définitivement vider la Pampa de sa population indigène pour faire avancer la civilisation.

Un espace vital avant la lettre

La « Campagne » a lieu au moment où les survivants Indigènes sont traqués partout dans le continent. En Amérique du Nord ils sont massacrés et refoulés afin de libérer un espace devenu vital pour l’installation de familles civilisées, c’est-à-dire blanches.

En Argentine, l’objectif avoué de la « Campagne » était le même : Remplacement de la population locale par une population civilisée pouvant garantir l’incorporation effective de la Pampa et la Patagonie à la nation de l’Etat Argentin. Quelques décennies plus tard, Heinrich Himmler défendrait le même principe de remplacement des populations lorsqu’il affirmait : « Le seul moyen de résoudre le problème social, c’est pour un groupe, de tuer les autres et de s’emparer de leur pays ». Mais, pour le moment, cela se passait en Amérique et au détriment de populations non-Européennes. Le Ministre Roca, qui est à l’origine de la seconde «Campagne du Désert», a même gagné les élections en 1880 et est devenu Président de l’Argentine.

Bien sûr, quelques voix se levèrent pour critiquer la barbarie des atrocités commises pendant la Campagne. Mais, dans l’ensemble, l’infériorité des victimes n’était pas contestée et le gouvernement de Julio Roca appelé le conquistador du Désert, est perçu comme le fondateur de l’Argentine moderne. L’histoire de ce pays a retenu surtout, que c’est sous la Présidence de Roca que le pays a avancé vers la séparation de l’église et l’Etat, le mariage civil, le registre civil des naissances et l’éducation laïque. Une des plus grandes villes de la Patagonie porte le nom de Roca.

Il n’y a pas longtemps, l’historien Félix Luna affirmait sans rire :

« Roca a incarné le progrès, il a intégré l’Argentine dans le monde : je me suis mis à sa place pour comprendre ce qui impliquait d’exterminer quelques centaines d’indiens pour pouvoir gouverner. Il faut considérer le contexte de l’époque où l’on vivait une atmosphère darwiniste qui favorisait la survie du plus fort et la supériorité de la race blanche (…) Avec des erreurs, des abus, avec un coût Roca fit l’Argentine dont nous jouissons aujourd’hui : les parcs, les édifices, le palais des OEuvres Sanitaires, celui des Tribunaux, la Case du Gouvernement ».

Exterminables parce qu’inférieurs

On remarquera que depuis le premier génocide des temps modernes, commis par les chrétiens en Amérique à partir de 1492, la situation des peuples non Européens en général et des Noirs en particulier se trouve rythmée par les exigences de la suprématie blanche. Dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, le Noir expulsé hors de l’espèce humaine en tant que sous-homme ou bien meuble, ne fut jamais réintégré ou réinstallé dans son humanité. Et les survivants indigènes étaient massivement massacrés pour rendre inhabitées leurs terres. En Afrique le peuple congolais, sous l’administration de ce bourreau que fut le Roi Léopold, est soumis à des formes d’asservissement causant la destruction de la moitié de la population qui est passée de vingt millions à 10 millions d’habitants.

Dans ce même continent, l’Allemagne aussi, comme d’autres avant elle, appliquera les bons principes de la colonisation. Entre 1904 et 1906, soit en l’espace de deux ans, les Allemands exterminèrent les trois quarts du peuple Herero. Sans compter les morts des Nama, Baster, Hottentots, etc..

Dans le cadre de la domination coloniale allemande en Namibie, le professeur Eugen Fischer va étudier en 1908, chez les Baster installés à Rehoboth « le problème de la bâtardisation chez l’être humain ». Les recommandations du chercheur sont sans détour. On lit dans son traité à propos des métis : « Qu’on leur garantisse donc le degré précis de protection qui leur est nécessaire en tant que race inférieure à la nôtre, rien de plus, et uniquement tant qu’ils nous sont utiles –autrement, que joue la libre concurrence, c’est-à-dire, selon moi, qu’ils disparaissent. »

Ce travail dans lequel le professeur Fischer considérait avoir démontré scientifiquement l’infériorité des Noirs, fit la gloire de son auteur dont le prestige alla au-delà des frontières du pays. Des années plus tard, lorsqu’en 1933 Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, tout naturellement, le professeur Fischer mettra au service de la politique raciale du nouvel Etat le prestige et l’autorité que lui conférait sa condition de scientifique de renommée mondiale. En fait, ce fut le cas de l’establishment scientifique dans son ensemble.

Le danger d’être classé inférieur

C’est un fait vérifiable, à la fin du 19ème et pendant les premières décennies du 20ème siècle, l’extermination d’êtres inférieurs ou la programmation de leur disparition, était une réalité qui ne soulevait pas de grandes vagues de solidarité à l’égard des victimes. C’est pourquoi les dirigeants nazis s’appliquèrent à convaincre les Allemands que les Juifs, ainsi que les Slaves et autres groupes, étaient différents et en conséquence étaient inférieurs.

C’est dans ce contexte si favorable à l’extermination des inférieurs, que les conseillers scientifiques du plan quadriennal chargé de planifier l’économie de l’Allemagne nazie, poussant la logique de l’anéantissement plus loin que leurs prédécesseurs, et dans une combinaison aussi terrible que sinistre entre les facteurs idéologiques et les motivations utilitaires, ont programmé l’extermination à l’Est, de 30 millions d’êtres humains.

Dans leur essai « Les architectes de l’extermination », Susanne Heim et Götz Aly soulignent que les planificateurs de l’économie, choisis non pas en fonction de leur militance politique mais de leur compétence professionnelle, fondaient leur dossier sur des considérations purement économiques et géopolitiques, sans la moindre référence à l’idéologie raciale. Ils rapportent le procès-verbal d’une réunion pendant laquelle, les conseillers économiques ont expliqué en présence de Goebbels leur plan d’approvisionnement alimentaire.

Ce dernier nota dans son journal le 2 mai 1941 : « La guerre ne peut se poursuivre que si la Russie fournit des vivres à toutes les forces armées allemandes durant la troisième année de la guerre. Des millions de personnes mourront certainement de faim si les vivres qui nous sont nécessaires sont enlevés au pays. » En effet, ce plan devait faire mourir environ 30 millions de Slaves dans un premier temps. Mais cela devait assurer l’approvisionnement des vivres pendant une année et en plus, rendre inhabitées des terres où des familles allemandes seraient installées.

Une tradition sinistre

Ainsi, Hermann Göring, dont le père fut le premier gouverneur allemand en Namibie, pouvait dire en 1941 à son compère le ministre italien des Affaires étrangères, le comte Ciano : « Cette année, 20 à 30 millions de personnes mourront de faim en Russie. Peut-être est-ce pour le mieux, puisque certaines nations doivent être décimées. » Ceux qui, dans une association extrême de l’idéologie raciste et la motivation utilitaire, programmaient l’extermination de 30 millions de Slaves, pouvaient programmer sans état d’âme, l’extermination d’un autre groupe considéré aussi inférieur, en l’occurrence les Juifs.

Ce n’est pas par hasard que le Professeur Wolfang Abel : « Chargé par le haut commandement des forces armées de réaliser des études anthropologiques sur les prisonniers de guerre soviétiques, proposa entre autres options la liquidation du peuple russe ». Le professeur Abel fut l’élève du Professeur Fischer avant de devenir son assistant. Ensemble, ils formèrent les premiers experts scientifiques chargés de sélectionner ceux qui, coupables de ne pas être Aryens devaient être exterminés à Auschwitz ou ailleurs.

Quant aux Soviétiques : « Au 1er février 1942, sur les 3,3 millions de soldats de l’Armée rouge fait prisonniers, 2 millions étaient déjà morts dans les camps allemands et au cours des transports, soit 60%. Si l’on enlève les trois premières semaines de guerre, au cours desquelles les premiers prisonniers purent puiser dans leurs réserves corporelles, ce chiffre correspondait à un taux de mortalité de 10 000 hommes par jour ».

La tragédie des uns et le profit des autres

La très grande majorité des Allemands, heureuse de se trouver du bon côté, accepta le fait accompli, c’est-à-dire l’exclusion des non-Aryens, et en retira tout le bénéfice possible. Il va sans dire qu’à l’époque, la solidarité à l’égard des groupes considérés inférieurs ne faisait pas vraiment recette dans la culture dominante. Plusieurs siècles de matraquage idéologique pour justifier l’écrasement des peuples colonisés et asservis, n’avaient pas certainement favorisé l’humanité de ceux qui en profitaient. Comme le dit si bien Aly :

« Le gouvernement nazi suscita le rêve d’une voiture populaire, introduisit le concept de vacances pratiquement inconnu jusqu’alors, doubla le nombre des jours fériés et se mit à développer le tourisme de masse dont nous sommes aujourd’hui familiers. (…) Ainsi, l’exonération fiscale des primes pour le travail de nuit, les dimanches et les jours fériés accordés après la victoire sur la France, et considérée, jusqu’à sa remise en cause récente comme un acquis social. (…)Hitler a épargné les Aryens moyens aux dépens du minimum vital d’autres catégories.»

L’argent spolié aux Juifs d’Europe et aux pays sous occupation allemande a bien servi au gouvernement nazi pour financer sa politique sociale visant à favoriser le niveau de vie de la population aryenne. On comprend qu’après la guerre, tant d’Allemands pouvaient admettre en privé, avoir vécu la période la plus prospère de leur vie sous le gouvernement nazi y compris pendant la guerre…

Conclusion

La domination coloniale sur d’autres peuples a toujours fourni les conditions indispensables pour la mise en place de systèmes d’asservissement et déshumanisation froidement réglés.

Ce fut le cas dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, où les puissances coloniales ont inventé un système juridique à l’intérieur duquel, la bestialisation des Noirs parce que Noirs, se faisait en toute légalité.

Au 19ème siècle, la colonisation britannique en Australie a renoué avec le génocide commis en Amérique du Nord.

En Afrique, les peuples congolais ont souffert leur Adolf Hitler incarné par le Roi des Belges qui non satisfait de faire mourir la moitié des populations, faisait couper la main à ceux qui chercheraient à fuir les travaux forcés.

En Namibie, l’Allemagne coloniale a commis son premier génocide et, je peux continuer mais je peux aussi m’arrêter.

Il y a assez pour comprendre que l’entreprise nazie de déshumanisation, s’inscrit dans une continuité, jalonnée sans interruption par la barbarie coloniale. A la fin de la guerre, les puissances coloniales, victorieuses, ont décrété que le nazisme était incompréhensible et effroyable parce que derrière ses atrocités il n’y avait aucune rationalité économique. La motivation utilitaire ayant toujours servi à cautionner les entreprises de déshumanisation menées contre d’autres peuples non-Européens, il fallait absolument que l’entreprise nazie de déshumanisation soit dépourvue de toute motivation utilitaire. De là, cette approche réductionniste qui a historiquement isolé le nazisme, et focalisé l’attention sur les atrocités commises par les nazis, en faisant abstraction des facteurs sans lesquels, chacun devrait le savoir, ce désastre effrayant n’aurait jamais atteint la disproportion que nous savons.

Rosa Amelia Plummelle-Uribe

 




Du discours dominant dans la mouvance « pro-palestinienne » et de l’hégémonie sioniste

solidar-pal[1]Texte d’une conférence que fit Gilad Atzmon à Edinbourg, à l’invitation de la Campagne Ecossaise de Solidarité avec la Palestine, en préliminaire à un concert qu’il a donné au profit de cette organisation, le 22 novembre 2006.

Pour G. Atzmon, « c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre », « c’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre ».

Toutes les mouvances du mouvement pro-palestinien devraient considérer cela comme un point de départ et lutter contre la stratégie sioniste qui vise à les diviser et à leur imposer des combats qui ne touchent pas aux intérêts fondamentaux d’Israël.


Regardons les choses en face : au moment même où la résistance palestinienne et la résistance arabe, de manière générale, sont en passe de devenir l’exemple absolu de l’héroïsme suprême et du patriotisme collectif, le mouvement de solidarité avec la Palestine, au Royaume-Uni, mais aussi partout dans le monde, n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une éclatante « success story ». De fait, il serait erroné et injuste d’affirmer que ce serait entièrement la faute des militants qui lui consacrent et leur temps et leur énergie. Soutenir les Palestiniens, en effet, ce n’est pas de la petite bière. Bien que les crimes perpétrés contre les Palestiniens se produisent en plein jour et ne soient nullement des secrets, les priorités que se donne le mouvement de solidarité avec eux sont loin d’être claires.

Quand nous pensons à la société palestinienne, ce qui nous vient habituellement à l’esprit, ce sont des querelles idéologiques et culturelles particulièrement aiguës, mais peu claires à nos yeux, entre le Hamas et l’OLP. Il n’est bien entendu nullement dans mon intention de dénier qu’un tel contentieux existe bel et bien, mais je suis venu ici vous proposer un angle de vue alternatif, susceptible, je l’espère, de nous conduire à une compréhension autre de la notion de militantisme pro-palestinien et de solidarité avec les Palestiniens, tant du point de vue idéologique que du point de vue pratique.

J’affirme que le peuple palestinien est en gros divisé entre trois principaux groupes et que c’est cette précisément cette division qui dicte, de fait, trois narratifs politiques spécifiques, et donc trois discours politiques et trois agendas politiques différents, dont nous devons tenir compte. Ces trois groupes peuvent être ainsi décrits :

1 – Les Palestiniens qui se trouvent vivre à l’intérieur de l’Etat israélien , et qui possèdent la citoyenneté israélienne. Les Israéliens ont un nom, pour les désigner ; ils les appellent les « Arabes israéliens ». Ces Palestiniens sont très gravement discriminés par la loi israélienne, dans tous les aspects de leur existence ; leur lutte vise essentiellement l’obtention de leurs droits civiques et l’égalité civique avec l’ensemble des citoyens israéliens ;

2 – Les Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés . La plupart d’entre eux sont coincés entre des murs de béton et des fils de fer barbelés, dans des bantoustans et des camps de concentration, dans l’ainsi dite « zone contrôlée par l’Autorité palestinienne [AP] ». Pour parler franchement, ces gens vivent sous une occupation militaire israélienne criminelle. Depuis trente ans, ces gens sont terrorisés quotidiennement par des militaires israéliens, aux barrages militaires et durant d’incessantes incursions armées ; ils sont exposés aux raids aériens et aux bombardements de l’artillerie israélienne. Leur société est explosée, leur système éducatif est en train de s’écrouler, leur système sanitaire n’existe pratiquement plus. Ces Palestiniens n’aspirent qu’à une seule chose : connaître – enfin – ne serait-ce qu’une seule journée sans tués ni blessés ;

3 – Les Palestiniens de la Diaspora . Ce sont les Palestiniens victimes d’épuration ethnique au fil des années, qui se voient dénier leur droit à retourner chez eux par le système juridique intrinsèquement raciste d’Israël (Loi du Retour et Loi sur les Absents). Les Israéliens n’ont pas de nom, pour désigner ces Palestiniens-là ; pour eux, tout simplement, ils n’existent pas ! Les Palestiniens de la Diaspora vivent dans le monde entier. D’après les statistiques de l’ONU, sur l’ensemble des réfugiés du monde entier, un tiers sont des Palestiniens. Des millions de réfugiés palestiniens vivent au Moyen-Orient, dans des camps de réfugiés ; les autres vivent dans pratiquement tous les pays du monde, ils sont d’ailleurs nombreux parmi nous, ici, ce soir. Les Palestiniens de la Diaspora connaissent leurs droits, et ils veulent pouvoir retourner chez eux s’ils décident de le faire : ils exigent leur droit au retour.

Confrontés chacun à des réalités très différentes entre elles, ces trois groupes ont fini par se doter de trois discours politiques concurrents : le premier groupe, celui des ainsi dits « Arabes israéliens », lutte pour l’égalité. Les moyens dont ils disposent pour atteindre leurs objectifs sont très largement des moyens politiques. Ils sont en quête d’une expression, au sein d’une société israélienne ontologiquement raciste.

Le deuxième groupe, celui des « habitants de l’AP », se battent face à l’occupation. Ils luttent en vue de leur libération. Leurs moyens sont des moyens politiques, la résistance civile et la lutte armée (de fait, c’est au sein de ce deuxième groupe que se déroule la lutte la plus acharnée pour l’hégémonie, entre l’OLP et le Hamas).

Se trouvant en-dehors d’Israël, et étant dépourvu de soutien international ainsi que d’une représentation politique adéquate, le troisième groupe de Palestiniens continue à être ignoré par la totalité du système politique israélien, et même par les principaux acteurs de la scène internationale. Les Palestiniens exilés sont dans une très large mesure négligés, et leur exigence de droit au retour n’est toujours pas prise en considération comme elle devrait l’être.

Manifestement, le discours palestinien est fragmenté. Il est divisé en au minimum trois discours différents, et parfois opposés entre eux. Reconnaissons leur intelligence perverse, sans oublier leur impitoyable cruauté, aux Israéliens, lesquels déploient des prouesses afin de perpétuer cet état de fragmentation. Ce sont les Israéliens qui réussissent à empêcher le discours politique et culturel palestinien fragmenté de se fédérer et de fusionner en un narratif unique, grandiose et indestructible. Comment font-ils ? Quel est leur secret ? Ils recourent à différentes tactiques, qui, toutes, perpétuent l’isolement et la conflictualité entre les trois groupes distincts de Palestiniens. A l’intérieur de l’Etat d’Israël, les Israéliens entretiennent un système juridique raciste, qui fait des Palestiniens citoyens d’Israël des citoyens de dixième catégorie. Quant aux habitants de l’AP, les Israéliens les maintiennent sous une pression militaire impitoyable et constante. La bande de Gaza est maintenue au bord de la famine, elle est bombardée quotidiennement. Une partie de ce territoire est réduit à l’état de gravats. De plus en plus nombreux, les observateurs considèrent que la situation actuelle dans les territoires « de l’AP » n’est rien d’autre qu’une extermination et un génocide à bas bruit.

Afin d’humilier le troisième groupe de Palestiniens, les Israéliens mettent en œuvre une législation raciste, qui accueille n’importe quel juif à bras ouverts dans le pays, mais rejette tous les autres [c’est la Loi du Retour]. Dans la pratique, c’est un système juridico-politique ontologiquement raciste qui empêche les Palestiniens exilés de revenir chez eux, dans leur pays.

De manière tout à fait paradoxale, plus les Israéliens infligent de souffrances à l’un quelconque de ces trois groupes, plus les Palestiniens s’éloignent de l’écriture d’un grandiose narratif de résistance héroïque. De même, plus les Israéliens sont pervers, plus le mouvement de solidarité avec les Palestiniens tourne le dos à la mise au point d’un programme d’action unifié.

De fait, le militant de la solidarité avec la Palestine est perdu ; il se demande quelle campagne de solidarité choisir ? Qui doit-il soutenir ? Le tronçonnement du discours palestinien en trois narratifs concurrents et conflictuels entre eux rend la solidarité avec les Palestiniens singulièrement complexe. De même, différentes associations de solidarité avec les Palestiniens ont des missions politiques différentes, et embrassent des causes palestiniennes différentes. Certains en appellent à la fin de l’occupation israélienne, d’autres prennent fait et cause pour le droit au retour des exilés palestiniens. Certains défendent l’égalité. La plupart des militants pro-palestiniens sont divisés entre eux. Ceux qui prônent le droit au retour et la formation d’un Etat unique sont totalement insatisfaits de la simple exigence d’une « fin de l’occupation », qu’ils considèrent comme extrêmement limitée et comme une solution où tellement d’eau a été mise dans le vin qu’on ne sent plus du tout le goût du vin. Manifestement, le mouvement de solidarité avec la Palestine est dans l’impasse.

Opter pour une revendication et ignorer les autres, cela revient, en réalité, à capituler devant un discours imposé par les Israéliens, par la violence et par le crime. C’est très précisément grâce à cela que le sionisme réussit à maintenir son hégémonie au sein même du discours de la solidarité avec les Palestiniens. C’est la brutalité israélienne qui impose au discours de la solidarité pro-palestinienne un état de fragmentation idéologique. Quelque décision que puisse bien vouloir prendre un activiste palestinien, on s’arrange pour en faire un a priori permettant d’ostraciser telle ou telle dimension de la cause palestinienne. Bien sûr, c’est très douloureux, de reconnaître que ce sont les Israéliens qui nous ont fait tomber dans ce piège. Notre travail, notre discours et notre terminologie de militants solidaires des Palestiniens sont déterminés de A jusqu’à Z par l’agression israélienne ; nous devons en prendre conscience.

Mais la bataille n’est pas perdue

Il est toutefois possible de contourner cette complexité et de la surmonter. Au lieu de capituler devant la stratégie sioniste consistant à diviser le discours de la solidarité avec les Palestiniens, nous pouvons tout simplement redéfinir ce qui fait le cœur de la tragédie palestinienne, qui est en train de se transformer sous nos yeux en crise mondiale.

Dès lors que nous aurons compris et assimilé que le discours de la solidarité avec les Palestiniens est dominé par les pratiques brutales et malignes d’Israël, nous serons plus ou moins prêts à prendre conscience de la réalité. A savoir que c’est l’État juif, cette incarnation d’une idéologie nationaliste raciste, que nous devons combattre , avant toute chose. C’est l’État juif et ses partisans, dans le monde entier, que nous devons harceler. C’est le sionisme, en tant qu’idéologie, et le sionisme mondial, contre lequel nous devons nous battre. Dès aujourd’hui !

Et pourtant, c’est exactement là où le brave militant pro-palestinien lâche prise. Être capable d’identifier le désastre palestinien avec l’« État réservé aux seuls juifs », c’est un pas que peu de militants sont capables de franchir, actuellement. Reconnaître que l’État juif est le nœud du problème, cela implique qu’il y a sans doute quelque chose d’un peu plus fondamental encore, dans le conflit, que des intérêts coloniaux classiques ou une banale querelle ethnique sur un territoire. Comprendre que c’est l’« État réservé aux seuls juifs » qui est le noyau du problème, c’est reconnaître que la paix n’est pas nécessairement une option possible. La raison est simple : l’« État réservé aux seuls juifs » obéit à une philosophie expansionniste et raciste, qu’il met en œuvre. Cet Etat raciste ne laisse aucune place à qui que ce soit d’autre ; c’est là un simple constat, mais pour l’État raciste d’Israël, c’est même une question de principe.

Pourtant, quand nous finissons par saisir cette réalité, une fois que nous sommes éclairés, et que nous avons pris conscience du fait qu’il y a quelque chose d’un peu plus fondamental qu’une simple bataille entre un envahisseur et un envahi, l’envahisseur étant confronté à une forme ou une autre de lutte de résistance indigène en vue de la liberté, nous sommes sans doute plus ou moins disposés à nous lancer dans une enquête critique sur ce qu’est le sionisme. Nous sommes prêts à examiner la notion moderne de la judéité (plutôt que du judaïsme). Dès lors que nous avons le courage de reconnaître que le sionisme n’est que la continuation de la judéité (plutôt que du judaïsme), dès lors que nous avons compris que le sionisme, qui fut jadis une idéologie juive marginale, est devenu l’expression de la juiverie [organisée] mondiale, une fois que nous savons et admettons tout cela, alors nous sommes sans doute prêts à vaincre le cancer sioniste. Si nous luttons, c’est pour les Palestiniens, mais c’est aussi pour sauvegarder la paix mondiale.

Les tuteurs, maîtres du discours

Essayons d’imaginer une situation dans laquelle une dizaine d’intellectuels dissidents allemands se démèneraient afin de contrôler et de dicter les discours de Churchill au peuple britannique, en plein Blitz. A chaque fois que Churchill laisserait parler son cœur pour appeler les Britanniques à tenir bon face à l’Allemagne et à sa puissance militaire, les dissidents allemands exilés donneraient de la voix : « Ce n’est pas l’Allemagne, Monsieur le Premier Ministre, c’est le parti nazi… Le peuple allemand et l’esprit allemand, eux, sont innocents. » Là, bien entendu, Churchill présenterait immédiatement ses excuses…

J’imagine que vous avez tous conscience qu’une telle scène est totalement surréaliste. L’Angleterre n’aurait jamais permis à une escouade d’Allemands exilés de contrôler son discours en pleine guerre avec l’Allemagne… De plus, des intellectuels allemands dissidents n’auraient pas la Chutzpah [culot cachère, NdT] ne serait-ce que d’imaginer dicter aux Britanniques ce que devrait être ou ne devrait pas être la rhétorique appropriée à utiliser en temps de guerre avec l’Allemagne !

Pourtant, quand c’est du discours de la solidarité avec les Palestiniens dont il est question, nous sommes d’une certaine manière bien plus tolérants. En dépit du fait que c’est bien en réalité contre l’« État réservé aux seuls juifs » que nous nous battons, nous laissons une petite bande de dirigeants et de militants juifs autoproclamés devenir nos tuteurs. Aussitôt que n’importe lequel d’entre nous identifie les symptômes du sionisme avec quelque précepte juif fondamental ou essentiel, une campagne de diffamation et de dénigrement est lancée contre cette personne.

Cela fait maintenant pas mal d’années que je suis de près le discours de la gauche juive . Je dois d’ailleurs reconnaître que je vois au moins une bonne raison au militantisme juif antisioniste. Je comprends bien, en effet, le besoin que ressentent certains juifs humanistes de se lever et de dire : « Je suis juif, et je trouve le sionisme répugnant ». À un certain stade de mon existence, je disais exactement la même chose. Comme le savent certains parmi vous, j’admire totalement les juifs de la Torah, qui ont exactement cette position. Toutefois, quand il s’agit d’associations juives socialistes et de groupes laïcs de gauche, je suis perplexe.

Moshe Machover, dissident israélien entré dans la légende, et juif marxiste qui se trouve être le mentor intellectuel des militants juifs progressistes britanniques, a dit, voici quelques jours, à propos d’une pétition contre laquelle il protestait :

« L’antisémitisme est un problème des Palestiniens, car il ne fait que pousser les juifs dans les bras du sionisme. Cela, tous les progressistes palestiniens l’ont compris depuis fort longtemps. L’antisémitisme est un allié objectif du sionisme ; c’est l’ennemi commun des Palestiniens, des juifs, et de toute l’humanité. »

Certes, l’antisémitisme est sans doute un problème. Cependant, est-ce vraiment un problème des Palestiniens ? La campagne de solidarité avec les Palestiniens doit-elle, de surcroît, s’engager dans la lutte contre l’antisémitisme ? Ne devrions-nous pas plutôt laisser ça à l’Anti-Defamation League [à la LICRA… NdT] et à Abe Foxman ? Je pense que nous ferions mieux de faire tout ce que nous pouvons afin de sauver les habitants de Beit Hanoun. C’est là-bas, qu’on a besoin de nous. Je suis persuadé que l’immense majorité des militants solidaires des Palestiniens savent que j’ai raison.

Tous les militants avec lesquels j’ai conversé ont reconnu qu’il y avait très peu de Palestiniens qui accordent le moindre intérêt à la Campagne de Solidarité avec la Palestine. De fait, la déclaration de Marchover fournit l’explication de ce phénomène réel. D’après Marchover, ceux des Palestiniens qui ne comprendraient pas que l’antisémitisme est le véritable problème seraient tout simplement des réactionnaires, étant donné que seuls les Palestiniens « progressistes » reconnaissent que l’antisémitisme « est » vraiment un problème. Permettez-moi de vous dire que les palestiniens que je connais n’aiment pas vraiment que Marchover ou qui que ce soit d’autre, d’ailleurs, les traite de réactionnaires, au simple motif qu’ils n’en ont rien à cirer, de l’antisémitisme. À lire Machover, il est parfaitement évident que de telles opinions servent de bouclier humain au collectivisme laïc juif et au narratif historique siono-centriste. Pour être franc, il n’y a pas vraiment de raison, pour un Palestinien, de rejoindre le mouvement de solidarité, obnubilé comme l’est actuellement ce mouvement par l’antisémitisme.

Permettez-moi de préciser que je ne suis pas historien. J’ai une formation universitaire en philosophie, et en particulier en philosophie européenne. Je suis particulièrement passionné par la notion d’essence. Pour moi, attaquer efficacement le sionisme, cela passe par une réelle et complète prise de conscience de ce qu’en est l’essence. Dans une certaine mesure, je suis, de fait, essentialiste. Je sais : c’est là quelque chose de plutôt dérangeant pour ceux qui essaient de réduire le discours à un échange positiviste sur des chiffres et des faits historiques. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’essence du sionisme . Ce qui m’importe, c’est ce qui transforme inéluctablement les Israéliens et ceux qui les soutiennent en machines à tuer atteintes de cécité morale.

Au-delà du culot

Vous avez peut-être entendu parler du livre que je tiens à la main. C’est sans doute le pire en matière de pourriture sioniste : il s’agit du bouquin d’Alan Dershowitz : « Plaidoyer pour Israël » [en anglais : « The Case For Israel »]. Je ne sais pas si quelqu’un parmi vous a jamais eu l’idée de lire ce texte d’une platitude infinie, pour ne pas dire totalement idiot. C’est mon cas ; ce bouquin m’est tombé sous la main, il y a quelques jours de cela.

D’une manière très frappante, ce livre est structuré comme un manuel destiné au sioniste fanatique débutant ; c’est une sorte d’ « Israël pour les imbéciles ». Il enseigne au juif nationaliste la manière de devenir un avocat plaidant la « cause d’Israël ». Nous savons que Norman Finkelstein a démontré au-delà de tout doute que ce texte est littéralement une farce, du point de vue universitaire. Mais il y a quelque chose de très révélateur, dans cet ouvrage…

Ce livre est une énumération de déconstructions de « l’argumentation antisioniste ». Il commence par les accusations idéologiques et morales les plus graves formulées contre Israël, puis il devient de plus en plus léger, de plus en plus historique et roman de détective, au fur et à mesure que vous avancez dans sa lecture.

Dershowitz lance le jeu avec la question « à un million de shekels » : « Israël est-il un pays colonialiste, impérialiste ? » Dans une certaine mesure, Dershowitz réussit à donner le change ; il demande : « Si Israël est bien un État colonial, au service de quel drapeau est-il ? » Bon, me dis-je. Il a peut-être raison ?… Personnellement, je ne vois pas dans le sionisme une quelconque aventure coloniale. Mais, attendez une minute, Mister Dershowitz ; manifestement, vous vous en tirez à trop bon compte, là… Notre problème avec Israël n’a rien à voir avec ses caractéristiques coloniales ou non-coloniales… Notre problème avec l’ « État réservé aux seuls juifs » porte sur ses caractéristiques racistes, expansionnistes et nationalistes. Notre problème avec Israël a tout à voir, en revanche, avec le fait qu’il s’agit d’un État fasciste soutenu par l’immense majorité du peuple juif, dans le monde entier !

Maintenant, je vous propose, à vous, les militants d’Ecosse, de prendre une seconde pour réfléchir et vous demander pourquoi Dershowitz commence-t-il son bouquin en s’attaquant (pour le réfuter) à l’aspect colonialiste d’Israël, plutôt que de regarder en face ses caractéristiques fascistes ? Ma réponse est toute simple : nous avons peur de reconnaître qu’Israël est bel et bien un pays fasciste. C’est principalement les associations politiquement correctes qui servent à Dershowitz de feuille de vigne sioniste. De fait, ce sont les guetteurs, à gauche, qui ont réussi à réduire le sionisme à une simple aventure coloniale . Pourquoi l’ont-ils fait ? A cela, je vois deux raisons :

1 – Si Israël, l’ « État réservé aux seuls juifs » doit être condamné en tant qu’aventure raciste, alors « Les Juifs pour la Paix, « Les Juifs contre le sionisme », les « Juifs socialistes », les « Juifs Sans Frontières » [NDR : ce n’est pas une invention de Gilad Atzmon : Jews sans frontières existe réellement !], les « Juifs pour ceci » et les « Juifs contre cela » sont tous à jeter, exactement pour la même raison (leur engagement étant une aventure marquée au coin du racisme) ;

2 – Voir dans le conflit israélo-palestinien une querelle coloniale leur permet de s’assurer qu’il rentrera à merveille dans leur notion de politique des classes laborieuses. Me permettrez-vous de suggérer qu’une vision universaliste, de classe, d’Israël implique que l’État juif n’est autre chose qu’une expérimentation fasciste ?…

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte ce soir pour en appeler à tous nos amis juifs socialistes ou militants dans d’autres mouvements juifs de solidarité.

Je voudrais leur demander de quitter la scène de bon gré, et de rejoindre l’humanité ordinaire. Le mouvement de solidarité avec la Palestine a un besoin vital de changement. Il a besoin d’ouvrir des portes, et non de videurs. Il aspire à un discours ouvert et dynamique. Les Palestiniens, sur le terrain, en ont déjà pris conscience. Ils ont élu démocratiquement une vision alternative de leur avenir. Le temps n’est-il pas venu, pour nous, de soutenir les Palestiniens pour ce qu’ils sont, au lieu d’attendre d’eux qu’ils se conforment à notre [propre] vision du monde ?

Gilad Atzmon

Traduction française originale de M. Charbonnier, révisée par F. Giudice, membres de Tlaxcala (www.tlaxcala.es) réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.