Israël/Etats-Unis : Qui est le maître ?
Cet article a été rédigé et publié par l’association COMAGUER (Comprendre et Agir contre la Guerre) dans son bulletin n°151, 2006, semaine 36.
Dans le cadre du débat entre ceux qui considèrent Israël comme le bras armé de l’impérialisme américain au Moyen-Orient et ceux qui pensent que les Etats-Unis ne sont que les exécutants de la politique de l’Etat d’Israël, cet article vise à faire avancer la réflexion en apportant une analyse concrète des mécanismes par lesquels le lobby juif états-unien impose une politique extérieure conforme aux intérêts israéliens.
Le lobby juif – puissamment organisé dans des structures d’envergure nationale ou locale et regroupant deux millions d’individus très riches et politiquement hyperactifs – exerce son action dans deux directions principales : le contrôle des élus et le formatage de l’opinion publique.
Le contrôle des élus passe par la pression réalisée directement au niveau du Congrès (et de la commission européenne), par le soutien ou l’absence de soutien matériel aux candidats lors des campagnes électorales ou par le dénigrement médiatique de tout opposant à Israël. L’emprise du lobby juif sur la vie politique est si forte que les élus n’apparaissent plus que comme des agents serviles des intérêts sionistes.
Le conditionnement idéologique de la population est assuré par la mainmise du Lobby sur les deux grands journaux nationaux , le New York Times et le Washington Post, dont le contenu éditorial est repris par les grands réseaux de télévision et de radio ainsi que par la grande majorité des quotidiens locaux. Le formatage des consciences est complété par la surveillance des professeurs des universités et des étudiants et par un enseignement pro-sioniste dans le primaire et le secondaire.
L’étude de l’influence du lobby juif sur la politique extérieure des Etats-Unis aboutit à la conclusion que sionisme et impérialisme sont intrinsèquement liés et qu’il est impossible de les combattre séparément.
SOMMAIRE
I- Le « LOBBY JUIF »
II- Le contrôle des élus
A- Structure du lobby
B- Finances du lobby
III- L’action directe de formatage de l’opinion publique
IV- Le LOBBY commence à être critiqué
[Nous avons légèrement modifié les titres de l’article dans le but d’en faciliter la lecture]
Le récent déchaînement militaire d’Israël contre la Liban et Gaza et le soutien total du gouvernement et du Congrès des Etats-Unis à ces actions ont donné un surcroît d’actualité à un débat déjà ancien sur les rapports entre les deux pays.
Ce débat met face à face deux thèses :
La première qu’on peut qualifier de thèse « impérialiste classique » consiste à dire que l’impérialisme dominant (les USA) disposent avec Israël d’un bras armé régional pour l’exécution de leur politique de domination et de transformation du Proche et du Moyen-Orient à leur profit.
La seconde renverse la perspective et considère que le sionisme est politiquement déterminant et que, au moins au Proche et au Moyen-Orient voire dans l’ensemble du monde musulman, les Etats-Unis sont, malgré quelques hésitations tactiques ou divergences momentanées des exécutants de la politique expansionniste de l’Etat sioniste.
L’opposition entre les tenants de ces deux thèses parait irréductible mis il est de toute première importance de les confronter car, quel que soit le chef d’orchestre, la musique jouée par l’orchestre étasuno-sioniste est une marche funèbre déversée depuis un demi-siècle dans les oreilles des peuples du Moyen-Orient. Mettre un terme à cette sombre période historique exige une claire compréhension du complexe étasuno-sioniste.
A ce titre les travaux récents de plusieurs intellectuels étasuniens méritent d’être présentés car ils sont le signe que la crainte d’être accusé d’antisémitisme qui a longtemps servi d’interdiction de réfléchir et a condamné à être mis immédiatement à l’index s’estompe et qu’un travail raisonné, évitant imprécations et invectives, sur ce phénomène politique de grande ampleur et de grands effets devient progressivement possible.
Nous nous sommes appuyés en particulier sur les récents articles du journaliste étasunien JEFFREY BLANKFORT (JB) qui ont l’avantage de faire une synthèse de nombreuses données existantes mais les écrits de JAMES PETRAS et de MANUEL FREYTAS sur ce sujet méritent aussi l’attention (textes en anglais ou en espagnol disponibles à la demande chez comaguer@nomade.fr )
Pourtant cette dépendance matérielle flagrante ne produit pas de dépendance politique c’est-à-dire que contrairement à toute logique capitaliste apparente, le flux massif et ininterrompu de dollars des Etats-Unis vers Israël n’est jamais assorti de conditions politiques. En langage managérial : la filiale Israël, constamment déficitaire, serait donc tenue à bout de bras par la maison mère qui s’interdirait en même temps de mettre le nez dans ses comptes. Etrange ! En changeant de langage : Israël serait-il la « danseuse » des Etats-Unis entretenue à grands frais par un amant éperdu qui lui passe tous ses caprices ?
Cette relation entre Etats est unique. Pour mieux la comprendre il est indispensable d’analyser comment elle s’est progressivement constituée comme un invariant de la politique des Etats-Unis. Ce à quoi s’est employé JB. Le pilier de cette relation spéciale est le « LOBBY JUIF » aux Etats-Unis.
I- Le « LOBBY JUIF »
Le mot « LOBBY » souvent traduit par « groupe de pression » est désormais d’un usage assez répandu en France mais son usage sans précaution ne contribue pas à la compréhension de la réalité de l’institution.
Car un LOBBY est bien aux Etats-Unis une institution et pas un groupement de fait tirant des ficelles dans les coulisses et exerçant une influence clandestine ou discrète. Ne confondre LOBBY ni avec MAFIA ni avec SOCIETE SECRETE.
La Mafia est un objet différent qui s’est développé historiquement aux Etats-Unis à partir des années 30 avec une Mafia italienne dont AL CAPONE est la figure emblématique mais dont le patron incontesté était LUCKY LUCIANO et une mafia juive très puissante qui firent alliance sous la conduite de MEYER SLANSKY, patron incontesté de la seconde, pour constituer ce qui a reçu le nom de SYNDICAT DU CRIME. Nulle prédestination, nul atavisme là dedans, pas plus juif qu’italien : les couches d’immigrants les plus récentes jouaient des coudes pour faire leur place dans la société étasunienne et tous les moyens étaient bons. La conquête de l’Ouest ne s’est pas faite non plus dans la légalité.
Quant aux sociétés secrètes il n’est que d’évoquer le Ku Klux Klan pour rappeler que cette forme sociale a toute sa place aux Etats-Unis.
Un LOBBY est donc un groupement reconnu officiellement avec des locaux, un organe de direction, un budget, des salariés et qui a, à égalité avec l’individu citoyen électeur, un droit à la liberté d’expression sur tout sujet et en particulier sur toute action du gouvernement et de l’administration, droit d’expression garanti par le premier amendement de la Constitution et reconnu régulièrement par des décisions de la Cour Suprême. Ainsi tout LOBBY peut intervenir ouvertement dans le champ politique et ses capacités d’intervention sont d’autant plus grandes qu’il est plus riche. Il y a eu le LOBBY du chemin de fer puissant au moment de la Conquête de l’Ouest comme il y le LOBBY des détenteurs d’armes à feu.
Dans la construction institutionnelle des Etats-Unis tout a été fait pour que l’Etat soit faible, pour que la vie du personnel politique soit précaire, pour que le pouvoir judiciaire soit fragile à force de renouvellement des juges par la voie électorale et pour que le gouvernement et sa politique soit l’expression des intérêts des LOBBIES qui disposent eux de la stabilité et de la richesse. Ainsi une campagne électorale aux Etats-Unis est avant tout une collecte d’argent auprès des particuliers riches et auprès des LOBBIES en échange d’engagements à défendre leurs intérêts au sein des instances de la République. La démocratie étasunienne est en réalité une PLOUTOCRATIE , gouvernement des riches et non un gouvernement du peuple et un système où la corruption est normale et légale car comment appeler autrement le fait qu’un LOBBY achète et entretienne très officiellement un sénateur, un représentant ou un gouverneur.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser le fonctionnement et la puissance du LOBBY JUIF aux Etats-Unis. Il est même souvent appelé « THE LOBBY » sans précision, c’est-à-dire qu’il est l’archétype du LOBBY, le plus actif, le mieux structuré. D’après les observateurs locaux il ne serait dépassé en puissance que par le LOBBY des retraités mais celui-ci a évidemment moins d’influence sur la politique étrangère des Etats-Unis.
LOBBY JUIF est une qualification inexacte puisque sur les 6 millions de juifs citoyens des Etats-Unis (autant qu’en Israël), 2 millions seulement sont impliqués dans son fonctionnement et qu’il existe même sur le terrain des petits groupes de juifs antisionistes. Une question vient immédiatement à l’esprit : est-il possible qu’un si petit LOBBY puisse exercer une influence déterminante sur la politique d’un pays de 300 millions d’habitants, première puissance économique de la planète ?
JB répond à cette question. Cette petite minorité est politiquement hyperactive dans un pays où le trait dominant est une passivité politique de masse, passivité encouragée par la classe dirigeante – qui est capable d’une extrême férocité et tue sans scrupules quand une révolte apparaît – et favorisée par un système médiatique particulièrement abêtissant. Cette hyperactivité a un résultat très tangible. Au Congrès des Etats-Unis (Sénat et Chambre des Représentants) tout texte accordant des faveurs militaires, financières à l’Etat d’Israël recueille, cela se vérifie en longue période, l’assentiment de 99 sénateurs (sur 100) et au minimum de 400 représentants (sur 435). JB n’hésite pas à dire que LE LOBBY a dressé les élus de la Nation comme des « animaux de cirque ». Ce contrôle est tel que la Présidence ne peut même pas proposer une mesure que LE LOBBY considérerait comme néfaste pour Israël mais au contraire que ses propositions favorables à Israël sont souvent améliorées par le Congrès.
Sur le montant du soutien financier et pour donner simplement un ordre de grandeur simple notons que depuis 1985 ce ne sont pas moins de 100 milliards de dollars d’aides publiques qui sont passés des caisses des Etats-Unis vers celles d’Israël. Cette aide ne s’interrompt jamais, ne diminue jamais même lorsque le budget des Etats-Unis est gravement déficitaire, ce qui est le cas aujourd’hui. LE LOBBY est en fait un véritable système.
II – Le contrôle des élus
A – Structure du lobby
1- AIPAC
Au centre du système l’AIPAC : AMERICAN ISREAL PUBLIC AFFAIRS COMMITTEE, qui intervient directement dans le Congrès à Washington et auprès des membres du Congrès. L’AIPAC a son siège à Washington et des bureaux dans de nombreux autres Etats de l’Union. Elle occupe 165 personnes. Etant enregistrée comme « LOBBY NATIONAL » elle n’est pas considérée comme un organisme de soutien à un pays étranger. Si elle l’était, et les LOBBIES non nationaux ont le droit d’exister, elle serait tenue beaucoup plus à l’écart du Congrès. En tant que LOBBY NATIONAL elle a le droit de participer aux travaux des commissions parlementaires, d’élaborer des propositions de résolutions ou de lois à soumettre ensuite au vote du Congrès, de nommer des membres dans les cabinets des élus. Ainsi tel sénateur ou tel représentant peut avoir très officiellement un salarié de l’AIPAC au nombre de ses collaborateurs directs les plus proches. Celui-ci lui distillera régulièrement le rapport bihebdomadaire sur le Proche-Orient établi par l’AIPAC à destination des parlementaires. Ce salarié s’occupera également en période électorale de réunir les soutiens nécessaires à la réélection de son « élu », soutien évidemment conditionné par la stricte orthodoxie prosioniste de l’élu en question.
L’omniprésence de l’AIPAC à l’intérieur du Congrès permet à tout moment de mobiliser sénateurs et représentants et l’AIPAC est capable d’obtenir la signature quasi instantanée de 70 sénateurs sur 100 pour faire pression sur le Président au cas où celui-ci aurait l’intention de prendre une position ou de proposer des mesures qui ne serviraient pas strictement les intérêts d’Israël. La Maison Blanche le sait et le cas se présente rarement. Le plus connu, relaté par JB remonte à la Présidence de Gérald FORD. En 1976, le Président (Républicain) s’apprêtait à appeler publiquement au respect par Israël des frontières de 1967. Une lettre des sénateurs l’en dissuada et son discours ne fut jamais prononcé !
Le LOBBY n’a pas manqué d’intervenir au moment de la récente guerre du Liban .
Dés le début de l’attaque israélienne, La Chambre des représentants a voté par 410 voix contre 8 une résolution qui « condamne les ennemis de l’Etat juif »
Aussitôt – le 20 Juillet – l’AIPAC, qui a organisé l’opération et probablement rédigé le projet de résolution, clame « l’écrasant soutien du peuple américain à la guerre d’Israël contre le terrorisme et la compréhension du fait que nous devons nous tenir aux côtés de notre allié le plus proche en ce temps de crise. »
Le « peuple » n’a pas eu le temps de dire grand-chose mais l’AIPAC n’hésite pas à le faire parler !
L’AIPAC s’appuie sur la CONFERENCE DES PRESIDENTS DES PRINCIPALES ORGANISATIONS JUIVES AMERICAINES qui fédère 52 organisations ou groupements partageant toutes deux objectifs principaux :
1- promouvoir l’Etat d’ISRAEL
2- stigmatiser les opposants à ISRAEL et à sa politique et les intimider
Les deux membres les plus importants de cette CONFERENCE sont l’ANTI DEFAMATION LIGUE (ligue anti-diffamation) ADL, et l’AMERICAN JEWISH CONGRESS (Comité juif américain) AJC.
2 – ADL
Créée en 1949 celle ligue est à l’origine une association de lutte contre l’antisémitisme, émanation de la B’NAI B’RITH qui existe toujours. Aujourd’hui elle s’est transformée en défenseur vigilant du sionisme, surveille ceux qui critiquent Israël et lance des campagnes médiatiques pour les « démolir » dans l’opinion publique.
JB relate un cas de surveillance de l’opinion publique par l’ADL. En 1992 la police de San Francisco fait une perquisition dans les locaux du bureau local de l’ADL. Elle y trouve un fichier de 600 groupes et 12000 personnes opposés à des degrés divers à la politique d’Israël. L’ADL s’intéresse particulièrement aux associations et militants contre l’apartheid sud-africain à une époque où Israël et l’Afrique du Sud avaient des liens très étroits et où l’apartheid sud-africain constituait un modèle qui a inspiré largement l’apartheid anti-palestinien. Cette activité illégale de fichage de la population fit l’objet d’une plainte mais ne fut pas sanctionnée par la justice. Une promesse de l’ADL de « ne pas recommencer » suffit à arrêter les poursuites et la justice ne se donna pas les moyens de vérifier si elle avait été tenue. Pour effacer la mauvaise impression qu’aurait pu produire son activité illégale sur la police locale, l’ADL offrit aux policiers des séjours en Israël. Ils y firent connaissance avec les méthodes de lutte antiterroriste en vigueur dans ce pays qui leur furent ainsi données en modèle.
3 – AJC
Organisation créée en 1906 par des juifs venus d’Allemagne qui voulaient défendre les droits de leur communauté en expansion aux Etats-Unis. Antisioniste à l’origine elle se convertit au sionisme après 1945. Evolution sans surprise : à l’origine il s’agissait de soutenir les immigrés juifs s’installant aux Etats-Unis, une fois l’Etat d’Israël créé et les juifs bien installés aux Etats-Unis la priorité devint la défense du nouvel Etat. L’AJC s’occupe particulièrement des « affaires étrangères » du LOBBY et a dans ce cadre ouvert un bureau à Bruxelles en 2004 histoire de faire pression sur l’Union européenne, trop sensible, selon cette organisation, aux problèmes des Palestiniens. L’AJC rencontre chaque semaine un commissaire ou un chef d’Etat de l’UE , en particulier celui occupant la Présidence tournante.
4 – Comités locaux et laboratoires de pensée
A ces grosses structures nationales s’ajoutent 117 comités locaux qui poursuivent sur le terrain les mêmes objectifs généraux que ceux des structures nationales. Le militantisme prosioniste de terrain est nourri par le travail idéologique réalisé par une certain nombre de laboratoires de pensée (« think tanks ») parmi lesquels se détachent :
– WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY (Institut de Washington pour la politique proche-orientale)
– AMERICAN ENTERPRISE INSTITUTE
– FONDATION POUR LA DEFENSE DE LA DEMOCRATIE (créée par Bush après le 11 Septembre)
5 – Le soutien chrétien
Toutes ces organisation sont actives là où vivent les 2 millions de juifs qui en sont membres, c’est çà dire dans les grandes villes et surtout sur les côtes Est et Ouest. Pour autant le « pays profond » où les juifs sont très peu nombreux n’est pas insensible à leur influence et à leur discours car les positions du LOBBY sont de plus en plus relayées par la droite chrétienne protestante, évangélistes en tête, qui s’est organisée dans le CUFI : CHRISTIANS UNITED FOR ISREAL (www.cufi.org)
Cette convergence entre sionistes et chrétiens fondamentalistes ne doit pas surprendre. Ces chrétiens sont pénétrés de l’idée que l’arrivée et l’installation de leurs ancêtres sur la terre d’Amérique a été un don de Dieu au nom duquel le pays s’est agrandi et construit et que la vocation à la grandeur des Etats-Unis : la fameuse « destinée manifeste » est une vocation divine. Ils ne peuvent que soutenir les sionistes en train d’établir au nom de Yahvé et des annonces de l’Ancien Testament un nouvel Etat. Cette fraternité de destin les conduit à considérer les palestiniens d’aujourd’hui comme leurs ancêtres ont considéré les Apaches et les Cheyennes : des obstacles à l’expansion territoriale et à la volonté divine
Le CUFI tient un grand meeting annuel à San Antonio et favorise les rencontres des chrétiens avec des représentants de l’Etat d’Israël qui viennent explique l’état d’avancement de la prédiction biblique
Ce pathos idéologique peut faire sourire mais il a une conséquence pratique très concrète : grâce à ce relais chrétien, l’influence sioniste s’exerce sur la totalité du territoire des Etats-Unis.
6 – Les « Political Action Committee » (PAC)
Les PAC sont des organismes locaux qui font sur le terrain le même travail que les LOBBIES à Washington : campagnes d’opinion, pressions sur les élus, soutien électoral …. Les PAC pro israéliens sont au nombre d’une quarantaine mais se cachent sous des identités diverses et anodines, évitant ainsi d’apparaître comme des organes de soutien à un pays étranger. Exemple : le « Comité des californiens du Nord pour le bon gouvernement » est en fait un comité de soutien à Israël.
Les PAC pro-israéliens jouent un rôle clé au moment des élections. Très actifs, bien coordonnés au niveau national, ils sont capables au moment des inscriptions pour les primaires d’organiser le déplacement des votes entre républicains et démocrates pour barrer la route à tout candidat qui ne leur conviendrait pas et d’apporter en plus un soutien financier important à son adversaire.
La dernière victime du LOBBY est la représentante démocrate sortante de l’Etat de Virginie CYNTHIA MAC KINNEY qui, battue aux primaires de son parti par un inconnu soutenu par l’AIPAC, ne pourra pas retrouver son siège à l’assemblée en Novembre 2006. CYNTHIA MAC KINNEY est connue pour ses critiques de la politique israélienne et d’une façon plus large de la politique intérieure et extérieure de l’équipe BUSH.
Ce cas exemplaire et tout récent est venu à point pour rappeler la puissance du LOBBY et la quasi impossibilité d’être réélu si le candidat ne prend qu’une position « équilibrée » c’est-à-dire non entièrement prosioniste dans le conflit palestinien. La campagne de l’AIPAC contre l’élection de CYNTHIA MAC KINNEY a fait l’objet d’un documentaire « American Blackout » campagne qui lui avait déjà coûté son siège en 2002, siège qu’elle avait réussi à récupérer en 2004.
B – Finances du lobby
La fonctionnement du LOBBY et de toutes ses composantes est favorisé par un système de financement très puissant qui est partie intégrante de la législation fiscale des Etats-Unis [1], mais qui s’explique aussi par la position sociale élevée de ses 2 millions de membres actifs et par leur concentration dans les milieux financiers et médiatiques.
Une enquête réalisée en 2000 par le magazine MOTHER JONES sur les principaux donateurs individuels pour la campagne électorale (présidentielle et législatives) fait apparaître que sur les 10 plus gros donateurs, 7 sont juifs, sur les 20 plus gros 12 le sont et sur les 250 plus gros, 125 le sont.
Mais l’argent ne vient pas que des citoyens riches ou très riches. Les syndicats US ont des économies et ont investi 5 milliards de dollars dans les bons du trésor israélien.
III- L’action directe de formatage de l’opinion publique
Le contrôle des élus est d’autant plus facile et incontesté que parallèlement LE LOBBY poursuit une action de formatage de l’opinion publique à travers les grands journaux nationaux : NEW YORK TIMES, WASHINGTON POST en particulier. Leur influence est considérable alors que le nombre de leurs lecteurs est faible mais l’organisation du système médiatique est telle qu’un éditorial de l’un de ces deux quotidiens va être cité abondamment dans les grands réseaux de télévision et de radio, aux Etats-Unis comme ailleurs, et que le mécanisme de la « SYNDICATION » assure la reproduction massive de cet éditorial sur tout le territoire et dans le monde entier. La « SYNDICATION » est un système de mise en commun de la matière éditoriale qui permet à un obscur quotidien du Missouri ou de l’Arkansas de consacrer son travail de journalisme à l’actualité locale et de simplement reproduire sur les questions de politique générale ou internationale les éditoriaux qu’il achète aux « grands » journaux. Cet achat de matériau déjà tout prêt est souvent complété par l’achat de dossiers supposés permettre à tout journaliste jeté le matin sur un sujet un peu complexe de pouvoir avoir l’air savant deux heures plus tard et asséner avec tranquillité des certitudes pré-mâchées qui ne seront pas de son cru.
La « SYNDICATION » est un système mondial et les grands quotidiens français y adhèrent.
De plus, pour empêcher toute déviation, existent deux groupes de surveillance des médias CAMERA WATCH et HONEST REPORTING qui sont chargés de susciter des réactions nombreuses et indignées de téléspectateurs à tel ou tel programme ou émission n’ayant pas strictement repris le point de vue sioniste.
Récemment s’est développée une action plus ciblée en direction des universités soupçonnée d’abriter de trop nombreux pro-palestiniens tant chez les étudiants que chez les professeurs. Il a donc été créé un ISRAEL CAMPUS WATCH (ICW), organe de surveillance des universités. Cet organisme établit la liste des professeurs et des activistes pro-palestiniens, la tient constamment à jour et la distribue aux médias pour qu’ils ne les invitent pas. Ce travail est effectué sur place par des étudiants membres de l’ICW qui assure leur formation au moyen des productions des « think tanks » cités plus haut.
Dans le droit fil de cette activité a été déposé récemment au Sénat un projet de loi visant au contrôle des départements d’études moyen-orientales, de leurs étudiants, enseignants et chercheurs, soupçonnés a priori « d’intelligence avec l’ennemi »
Les enseignements primaire et secondaires ne sont pas oubliés non plus. Le JOURNAL d’ANNE FRANK et les livres d’ELIE WIESEL sont étudiés presque partout. De la même façon l’Holocauste des juifs occupe beaucoup plus de place dans les programmes d’histoire que l’élimination des Indiens d’Amérique du Nord comme du Sud.
IV – Le LOBBY commence à être critiqué
Ce fonctionnement du LOBBY tel qu’il vient d’être décrit est connu des militants mais il a fallu attendre l’année 2005 pour que deux universitaires étasuniens publient un rapport dans lequel ils soulignent sa puissance et qu’il concluent par un appel à ne pas définir la politique des Etats-Unis en fonction des seuls intérêts d’Israël. Les Etats-Unis devraient selon eux défendre d’abord leurs propres intérêts et pas ceux d’un autre Etat et ils estiment que la soutien permanent et total à Israël commence à avoir des conséquences négatives pour les Etats-Unis eux-mêmes qui, pour cette raison, sont de plus en plus haïs dans le monde. Rien de révolutionnaire donc mais un appel aux dirigeants des Etats-Unis pour qu’ils ne soient plus à la remorque de la politique d’un autre Etat.
L’un de ces deux universitaires, JOHN J. MEARSHEIMER est enseignant à Chicago, l’autre STEPHEN M. WALT à Harvard. Leur rapport, une cinquantaine de pages, annexes comprises – dont COMAGUER peut adresser à la demande la version française – a été boycotté par les éditeurs, passé sous silence même par un intellectuel critique comme CHOMSKY et n’a pas été publié aux Etats-Unis mais dans une respectable revue britannique la LONDON REVEW OF BOOKS au printemps 2005.
Ce problème de bon sens a bien été évoqué dans le passé dans certains cercles du pouvoir US mais sans suite concrète.
JB cite ROGER HILSMAN, chargé du renseignement dans l’administration KENNEDY qui a pu écrire :
« Il est évident même pour l’observateur le moins attentif que la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen Orient a été plus la réponse aux pressions de la communauté juive US et à son désir naturel de soutien à ISRAEL qu’aux intérêts pétroliers US ; »
Il est bien connu que KENNEDY ne voyait pas non plus d’un bon œil la bombe atomique israélienne, en préparation à l’époque grâce aux contributions françaises d’abord puis britannique, mais il n’eut ni le pouvoir ni le temps d’empêcher sa fabrication. Ainsi STEPHEN GREEN auteur du livre « Les relations secrètes des USA avec l’ISRAEL militant » a-t-il pu écrire :
« Depuis 1953, ISRAEL et les amis d’ISRAEL aux USA ont fixé les grandes lignes de la politique US dans la région. Aux présidents de la mettre en œuvre avec des degrés divers d’enthousiasme et de gérer les problèmes tactiques. »
Observation qui fut confirmée par le grand intellectuel palestinien EDWARD SAID. Il écrit dans « Le dernier tabou américain » (2001) :
« Qu’est-ce qui explique le présent état des choses ? La réponse tient dans le pouvoir des organisations sionistes sur la politique américaine, dont le rôle dans le processus de paix n’a jamais été suffisamment pris en compte , négligence absolument étonnante vu que la politique de l’OLP a été de remettre le destin de notre peuple entre les mains des USA, sans avoir aucune conscience stratégique du fait que la politique US est dominée par une petite minorité dont les positions sur le Moyen-Orient sont d’une certaine façon plus extrêmes que celles du Likoud lui-même. »
Mais EDWARD SAID, bien qu’installé aux Etats-Unis, ne pouvait pas troubler l’establishment étasunien comme l’ont fait MEARSHEIMER et WALT, purs produits de l’élite nationale.
Ceux-ci se plaignent encore maintenant que, sous la pression du LOBBY, le débat sur leur rapport n’ait pas pu avoir lieu sereinement mais qu’ils aient surtout été la cible d’attaques personnelles et de la classique accusation d’antisémitisme. La récente agression du Liban par Israël les a conduits à confirmer leur analyse : pour eux, le soutien inconditionnel à Israël est néfaste aux intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient et une attaque de la Syrie et/ou de l’Iran ne ferait que dégrader encore la position internationale des Etats-Unis.
Pour conclure, provisoirement
Cette présentation faite, la question initiale de savoir qui, dans ce couple très lié, influence l’autre, prend une autre profondeur.
L’influence du LOBBY est considérable mais elle l’est car il a su et n’a rien fait d’autre qu’utiliser à son avantage et avec une remarquable efficacité tous les mécanismes officiels du système politique étasunien et du rôle déterminant qu’y joue l’argent.
Le LOBBY sioniste aux Etats-Unis n’est pas un acteur de l’ombre, un comploteur, un manipulateur, il est un cas d’hyperintégration et d’hyperadaptation au dispositif capitaliste impérial dont le centre est à Washington. Nulle illusion à entretenir : l’imbrication d’ISRAEL et des ETAT-UNIS a atteint un tel degré que seul un blocage mondial de leur politique impériale commune peut rendre possible un arrêt du programme conquérant et dévastateur qu’ils portent en commun, tous partis politiques dominants confondus [2] : démocrates et républicains d’un côté, travaillistes, Likoud et Kadima de l’autre.
Ce blocage mondial suppose : un regain d’activisme politique aux Etats-Unis d’abord et dans tous les pays impérialistes – même secondaires comme la France, une meilleure coordination de « l’autre monde » celui qui, à travers le Venezuela, Cuba, la Chine, l’Iran, la Russie – que Richard LUGAR, Président de la commission des affaires étrangères du Sénat US vient de demander de classer dans l’axe du mal – et quelques autres tente de s’émanciper de la dictature capitaliste et militaire des Etats-Unis dont Israël constitue un concentré.
Le sionisme, fabrication et élément constitutif de l’impérialisme, en est indissociable. On ne combat pas l’un sans combattre l’autre.
Notes
[1] Les contributions déductibles peuvent atteindre 50% du revenu individuel et 10% du revenu imposable des entreprises. Pas étonnant que plus de 2 millions d’associations à but non lucratif soient en permanence en chasse de cette manne d’autant plus que les finances publiques à tous les niveaux sont de plus en plus avares – application rigoureuse et systématique des politiques néolibérales depuis 25 ans – en subventions pour la culture, le sport, la science, la littérature …
[2] Ce qui conduit à penser que l’émergence du débat public sur le LOBBY aux Etats-Unis, bien que lente et difficile, n’est rien de plus que la préparation de la campagne présidentielle démocrate de 2008, destinée à faire croire à un rééquilibrage de la politique internationale des Etats-Unis mais qui se conclura comme en 2004 par un affrontement entre deux candidats qui seront dépendants l’un et l’autre, même si c’est par des par des canaux divers, de l’influence du LOBBY. Ne pas oublier que parmi les candidats à la candidature démocrate pour 2004, les deux seuls : HOWARD DEAN et DENIS KUCINIH qui avaient manifesté quelque sympathie pour la cause palestinienne ont été recalés.