De Isdud à Ashdod ou comment rayer la Palestine de la carte
Bordeaux est jumelé avec la ville israélienne d’Ashdod depuis plus de 20 ans. Cette ville est l’exemple même de la politique sioniste de destruction de la Palestine et de mystification de son histoire. Cette ville a été construite sur les ruines du village palestinien d’Isdud détruit en 1948 par les forces militaires juives lors de la création d’Israël. Ces 4000 habitants palestiniens de l’époque sont tous devenus des réfugiés.
d’après les informations tirées d’un article paru sur IMEMC (International Middle East Media Center), le 13 avril 2006 « De Isdud à Ashdod, le rêve d’un colon, le cauchemar d’un réfugié ». Traduit et adapté par N. Ollat.
Isdud est l’un des villages auxquels l’ancien ministre de la Défense israélien Moshe Dayan faisait référence au cours d’une conférence donnée en 1969 devant des étudiants juifs à Haifa : « Les villages juifs ont été construits en lieu et place des villages arabes. Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages arabes, et je ne vous en tiens pas rigueur puisque les livres de géographie n’existent plus. Au delà des livres, ce sont les villages qui ont disparu. Nahlal a pris la place de Mahlul, Kibbutz Gvat la place de Jibta, Kibbutz Sarid celle de Huneifis, et Kefar Yehushua, celle de Tal al-Shuman. Il n’y a pas une seule localité dans ce pays qui n’ait pas eu une population arabe auparavant ».
En 1948, environ 750 000 Palestiniens ont été forcés d’abandonner leurs maisons dans ce qui est maintenant Israël, et de devenir des réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et dans les pays voisins lors de la formation de l’Etat juif.
L’histoire sioniste d’Ashdod
Jusqu’à la conquête du pays par les les Turcs et la fondation de l’Empire Ottoman, il n’y a aucune information. Les Turcs fondent Isdoud qui est une importante localité arabe et El-Soukrir qui fait fonction de station pour le passage des marchandises. Avec l’arrivée des Britanniques, Isdoud devient une ville importante sur la côte et, à proximité, est construite la gare desservant la ligne Lod-Gaza-Egypte. Lors des combats de la guerre d’Indépendance, l’armée égyptienne qui était postée aux abords sud de la ville, fut repoussée par nos forces qui firent exploser le pont Ad Halom, et la localité arabe d’Isdoud fut abandonnée et détruite » extrait du site internet de la ville d’Ashdod.
En 1956, la ville israélienne de Ashdod (transformation du nom arabe de Isdud) a été construite sur les ruines du village d’Isdud. La « création » de la ville d’Ashdod sur la ville fantôme de Isdud a commencé par une lettre du ministre israélien des finances, Levi Eshkol, envoyée le 15 mai 1956 à Mr Oved Ben Ami, Netanya, et à Mr Philip Klutznik, Park Forest, Illinois, USA, deux hommes d’affaires juifs qui étaient considérés comme des financeurs possibles de la nouvelle ville juive. Dans la partie intitulée « hypothèses », Eshkol a écrit : « selon le plan gouvernemental de judéisation du territoire (un plan établi par l’un des premiers gouvernements israéliens pour installer la population juive sur tout le territoire palestinien), un centre urbain doit être construit dans le sud du pays; la zone la plus appropriée pour cela est celle qui s’étend entre l’ancienne ville d’Ashdod et la côte (y compris l’emplacement appelé « Wadi Sukari ») et jusqu’aux dunes de Yavneh au nord »
« Quand nous sommes arrivés là, il n’y avait que du sable et la mer, quelques tentes et quelques bungalows » dit le premier maire de Ashdod. Cette ville comprend aujourd’hui 250 000 habitants.
Mais la ville d’Ashdod représente pour les Palestiniens qui vivaient là depuis des siècles, un lieu d’expulsion, de douleur, de sang et de larmes, de séparation des familles, couvre-feu, loi martiale, emprisonnement et départ forcé.
Comment Isdud a été détruite et la population palestinienne progressivement déportée
Abdullah Zaqut, un habitant du village d’Isdud, expulsé en 1948, raconte :
« Je suis né à Isdud en 1923 ». Environ 4000 personnes vivaient là. Je suis né dans une famille de paysans. Nous avions des terres, des vignobles, des vergers. Isdud était l’un des plus grand village, près de 60 000 dunums (6000 ha). La population vivait de l’agriculture. Pendant la seconde guerre mondiale, ils ont travaillé dans les camps militaires britanniques. Une vie simple. Les gens n’avaient pas faim. Il y avait beaucoup de vignobles et de vergers ».
« A l’âge de 9 ans, j’ai commencé à aller à l’école. J’ai étudié à Isdud pendant 5 ans, puis à Majdal pendant 3 ans, et à Gaza 2 ans. Ensuite j’ai commencé une formation pour être instituteur. J’ai été instituteur à Isdud. Jusqu’en 1948, Isdud était incluse dans la partie palestinienne du plan de partition. L’armée égyptienne est arrivée, il y a eu des combats contre les forces britanniques. A la fin de 1948, l’armée égyptienne s’est retirée. Nous sommes restés dans le village et nous avons encouragé les gens à rester, nous pensions vivre avec les juifs. A Isdud, il y avait environ 4000 habitants et 500 sont restés.
« L’armée israélienne est arrivée et a instauré un couvre-feu. Puis des officiers sont venus voir des avions qui étaient tombés. Le jour suivant, ils nous ont dit de nous rassembler dans la rue. Nous ne pensions pas qu’ils allaient nous faire prisonniers. Les jeunes âgés de plus de 17 ans ont été faits prisonniers. Les plus âgés et les femmes ont été expulsés à Majdal ».
« Quelques jours plus tard, des officiers israéliens ont ouvert la route entre Majdal et Gaza. A la fin de 1948, il n’y avait plus de majorité arabe. Les Israéliens nous avaient expulsés. Mais personne ne disait que nous avions été expulsés. Ils disaient que les armées arabes avaient appelé la population à partir, ce qui n’est pas vrai. Ils nous ont expulsés. Ils m’ont expulsé à Majdal. J’ai été enseignant là-bas. Il y avait un gouverneur militaire à Gadera, Zuckerman, qui a essayé de nous aider. Les personnes ont commencé à partir. La nuit, il y avait un couvre-feu. Nous vivions dans un guetto. Nous allions travailler sous le contrôle des gardes et nous revenions sous le contrôle des gardes. Les gens travaillaient, essayaient de vivre. Mais après trois mois, ils ont décidé à nouveau d’expulser les résidents. L’armée venait la nuit pour faire peur aux gens. Ils distribuaient de l’argent, ils soudoyaient les personnes pour qu’elles vendent leurs biens et partent à Gaza. Ceux qui ne voulaient pas aller à Gaza ont été amenés à Lod. Une partie de ma famille est à Gaza.
Au début de 1950, Zuckerman n’a plus été gouverneur. D’autres sont venus. Ils ont décidé d’expulser les gens au début de 1950. Ils ne pouvaient pas officiellement chasser les gens. Israël était reconnu par les Nations Unies. J’étais parmi ceux qui étaient opposés à l’expulsion. Nous pensions qu’il y aurait la paix, que les gens pourraient rentrer et que nous pourrions vivre dans nos villages. Mais ils se sont aperçus que ça ne se passerait pas comme ça. Israël était un état récent. Ils étaient malins afin que le Monde pense que ce n’étaient pas eux qui forçaient les gens à partir. Ils n’ont pas agi directement.
« Ils ne m’ont pas laissé enseigner à l’école. Je voulais rester à Majdal. Je ne suis pas parti. Nous étions tout un groupe de jeunes gens instruits opposés à l’expulsion. Je n’ai pas collaboré. Ils m’ont déporté à Acre. Ils n’avaient encore commencé à expulser les gens. Ils ne le pouvaient pas, le monde aurait vu. Dans le guetto de Majdal, les gens travaillaient. Des entrepreneurs juifs sont venus pour embaucher les gens. Environ 3000 personnes vivaient dans le guetto. Les juifs ont commencé à arriver à Majdal au milieu de 1949. Les juifs vivaient à l’extérieur du guetto. J’ai travaillé dans les champs avec des juifs. Les gens de Amal venaient dans le guetto pour prendre le café. En avril 1950, j’ai été déporté à Acre ».
« Nous devions nous présenter tous les jours devant le gouverneur militaire de la Galilée occidentale. Chaque village en Galilée avait un gouverneur. Après quelques semaines, j’ai été déporté à Tarshicha. Le gouverneur militaire m’a conduit de Acre à Tarshicha. Son nom était Moshe Reiss. Il disait que nous faisions de la propagande contre le gouvernement. Ils m’ont déporté parce que j’étais contre l’expulsion ».
« Nous sommes arrivés à Tarshicha. Je devais me présenter deux fois par jour au poste de police. Pas de maison, pas de travail, rien et il était interdit de sortir du village. Aller à la police et signer. J’ai demandé où se trouvait la famille Bishara, je cherchais quelqu’un qui une fois avait été reçu dans ma famille. Quand Ramlé a été occupé, les habitants se sont pliés aux ordres militaires, malgré cela, ils ont expulsé tous les habitants après quelques jours. Il y avait un homme qui était resté pour réclamer ses terres, et ils l’ont déporté à Tarshicha. J’avais entendu dire qu’il restait avec la famille Bishara. J’ai vécu là. Je devais me présenter tous les jours au poste de police ».
« Un jour j’ai entendu dire qu’il y avait une réunion à Pki’in. Je voulais m’y rendre pour avoir des nouvelles de ma femme et de ma fille. Mais c’était interdit de sortir de Tarshicha. Ma femme et ma fille étaient restées à Majdal. J’ai réussi à aller à Pki’in. La police est venue à ma recherche, et certaines personnes m’ont caché chez des paysans. La police ne m’a pas trouvé. Le jour suivant je suis retourné à Tarshicha. Ils m’ont dit que la police était à ma recherche. Le capitaine m’a dit que j’étais allé à Pki’in et par punition, m’a ordonné de nettoyer les écuries. J’ai refusé, et il m’a battu. Je lui ai dit qu’il devrait payer pour ça. Il m’a ramené à Acre. De là ils m’ont ramené à Tarshicha. J’ai été emprisonné. Dans la soirée, un représentant de l’armée est venu, il s’est excusé pour les coups et m’a dit que je serai libre à condition de ne pas porter plainte devant le parlement ou auprès d’un avocat. Libre d’être à Tarshicha. Si je portais plainte, ils me jugeraient. J’ai accepté. Je suis retourné dans la famille Bishara. Je voulais sortir pour travailler, quitter cette prison. J’ai accepté de ne pas porter plainte. Des membres du parti communiste qui voulaient eux que je porte plainte ont alors posé une question à la Knesset à ce sujet. J’ai donc été jugé et condamné à 4 mois de prison à Jaffa. Je suis sorti en septembre 1950.
« Je suis rentré à Majdal. L’armée contrôlait la ville. J’ai vu des gens avec des meubles et des bagages. Il y avait des gens qui voulaient partir en Jordanie, d’autres qui voulaient rester. Le jour suivant, ils m’ont ramené à Acre et à Tarschida. Je ne m’étais pas présenté au poste de police, j’ai travaillé un peu. En novembre 1950, j’ai reçu une lettre m’apprenant que ma femme et ma fille étaient à Lod. Je suis retourné à Acre afin d’obtenir un permis pour aller les rejoindre. Reiss, le gouverneur, était en charge de toute la Galilée. Il m’a dit qu’il me donnerait une maison, et que je pouvais retourner travailler. Je lui ai répondu que tant qu’il porterait un uniforme militaire, je n’accepterais rien de lui. Il m’a remis une lettre. J’ai pu aller à Lod, puis de là à Ramlé où j’ai assuré la direction de la section locale du parti communiste. Je ne voulais pas aller à la prison de Tarshicha. A Tarshicha, j’étais en prison, je ne pouvais pas dépasser les limites du village. A Ramlé j’ai travaillé dans l’agriculture, puis dans une usine jusqu’à ma retraite. J’ai élevé 7 enfants. »
« Avant 1948, à Majdal, le tissage représentait une source importante de revenus pour la population. Chaque maison possédait un métier à tisser, et les gens pouvaient vivre de cette activité. Toute la famille travaillait. Le niveau de vie était bon. Pendant la seconde guerre mondiale, Majdal est devenue une ville riche, ils avaient permis l’installation d’une usine de tissage en provenance d’Inde. Toute la famille travaillait aux tissages. Il y avait aussi des fermes et des vergers. Une grande ville prospère. Les gens venaient de partout pour le marché et le moulin à farine. Pendant la période sous loi martiale, les gens ont continué à travailler du tissage et de l’agriculture en coopération avec Histadrut (le syndicat national des travailleurs israéliens). Mor, de Histadrut, ne les a pas laissé expulser les gens. Ils ne pouvaient pas expulser les gens sans leur accord ».
Le sionisme ou la réécriture de l’Histoire
Les Palestiniens, citoyens arabes d’Israël sont ceux qui ont réussi à rester en Israël en 1948. Ils représentent maintenant 20% de la population israélienne. Ils sont soumis à de nombreuses lois et politiques discriminatoires. L’enseignement de l’Histoire dans les écoles israéliennes révèle parfaitement le négationisme sur lequel est construit cet état.
Ce négationnisme concerne toutes les générations d’Israéliens depuis 1948, mais la pression du ministre de l’Education, Limor Livnat, est grandissante afin que les écoles insistent sur l’héritage juif et sioniste au cours de la formation des élèves. En rejoignant le gouvernement en 2001, l’une des premières initiatives de ce ministre a été de menacer les écoles arabes de pénalités financières si elles omettaient d’arborer le drapeau israélien ou de jouer l’hymne national chaque matin, faisant fi des arguments disant que les paroles de l’hymne et que le symbole de l’Etoile de David excluaient complètement les citoyens arabes.
En septembre 2003, ce ministre a pris de nouvelles mesures, demandant à toutes les écoles de participer à un projet pédagogique « 100 mots pour décrire l’héritage juif, le sionisme et la démocratie ». Tous les élèves devaient apprendre la vie des personnages juifs importants, y compris Menachem Begin, Yitzhak Rabin et le Baron Edmond de Rothshild, et ils devaient mémoriser 33 mots de base de l’histoire sioniste, comme « Etat démocratique juif », « la Guerre d’Indépendance », « la loi du Retour [des juifs, ndlt] » et « Fonds national juif ». Ce programme n’avait non seulement aucune réalité pour les élèves arabes, mais il était établi pour exclure leur histoire ».
Depuis 1948 et la création de l’Israël, le Shin Bet, le service de sécurité intérieur, réalise des enquêtes très poussées sur les enseignants arabes; ce qui a eu des conséquences très négatives sur l’éducation des populations palestiniennes.
Des enseignants du département des sciences politiques à l’Université de Haifa, ont édité un nouveau manuel scolaire à destination des élèves arabes afin qu’ils puissent apprendre la véritable histoire de leurs villages comme Isdud. Mais ce nouveau manuel a du être envoyé directement au domicile des élèves, le Ministère de l’Education empêchant son envoi dans les écoles.
En apprenant la publication de ce manuel, le ministre de l’Education a déclaré : « Le Ministère de l’Education est seul autorisé à déterminer le contenu des manuels scolaires, et aucune autre institution, y compris le comité de contrôle, a autorité pour distribuer du matériel scolaire dans les écoles arabes. Elle a jouté qu’elle déposerait une requête auprès du tribunal pour déterminer si la publication de ce livre était légale ou non.
Au même moment, le Ministère de l’Education a publié une circulaire destinée à toutes les écoles, y compris arabes, demandant de commencer à enseigner l’histoire de Rehavam Ze’evi, le chef du parti d’extrême droite Modelet, assassiné par des Palestiniens en octobre 2001. Ze’evi avait de son vivant continuellement appelé au transfert ou à l’expulsion des palestiniens des territoires occupés et à des « incitations » pour favoriser le départ des citoyens arabes.
Une loi israélienne a été votée en 2005, pour la création d’un Centre pour l’Héritage de Ze’evi. Cette loi demande aux écoles de mettre en place un programme en l’honneur de la mémoire de Zeev. Les législateurs ont précisé qu’ils n’ ‘étaient pas intéressés par le point de vue politique de l’homme mais qu’ils voulaient enseigner aux enfants, son « amour de la patrie ».
Voilà comment le sionisme a d’abord contribué à rayer concrètement la Palestine de la carte, puis tente, génération après génération, de réécrire l’Histoire de la Palestine. Les villes françaises se jumelant avec des villes israéliennes collaborent à cette politique négationiste.