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écrit pour le journal libanais Al Akhbar, 15 septembre 2017

Tayeb El Mestari

La première ministre britannique Theresa May a  invité son homologue israélien Benyamin Nétanyahou  à célébrer, le 2 novembre 2017, le centenaire de la déclaration de Balfour et a rejeté la demande d’excuses formulée par les dirigeants palestiniens pour cette déclaration, qui est à l’origine de la création de l’Etat d’Israël. En effet quelques semaines avant la fin de la  première guerre mondiale, le ministre des Affaires Etrangères de la Grande Bretagne, Arthur Balfour, se déclara officiellement en faveur de l’établissement d’un foyer juif en Palestine :

  « …Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif, et il emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui porte atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives de Palestine ainsi qu’aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs jouissent dans les autres pays.»

 La colonisation de la Palestine a été un enjeu central du partage du Moyen-Orient entre la Grande Bretagne et la France. Cette promesse a été faite aux juifs, dans le cadre du « dépeçage » du moyen Orient, négocié entre la grande Bretagne et la France, lors des accords secrets dits Sykes-Picot (1916), projet rendu définitif à la conférence de San Rémo (1920) et entérinés par la Société des Nations en 1922. La première guerre mondiale fut une « guerre de rapine » entre les grandes puissances d’alors : Au Moyen Orient la France obtient un mandat sur le Liban et la Syrie alors que la Grande Bretagne met la main sur l’Irak et la Palestine. La promesse faite aux juifs a été tenue, celle faite aux Arabes (un Etat en échange de leur ralliement contre l’empire ottoman), ne s’est pas concrétisée. 

Dans l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine observe que la première guerre mondiale a été l’apogée de la lutte entre pays capitalistes pour la conquête des territoires. Aucun pays n’échappe à leur domination et le seul changement possible, selon lui, est que les « possessions » pourraient changer de « maître ». Le processus historique lui a donné raison sur ce point. Les Etats-Unis sont devenus depuis la seconde guerre mondiale le « maître » du monde. Mais le mépris de Theresa May envers les Palestiniens est-il le reflet d’une domination totale et inchangée de l’Occident dans cette région depuis 100 ans ?

De nombreux observateurs s’accordent sur le constat que l’impérialisme a connu une profonde mutation. Il est affaibli en raison de plusieurs facteurs, notamment l’émergence de puissances tel que l’Iran ou la Turquie et de la résistance populaire comme en Palestine. Analysant les ressorts de l’affaiblissement du sionisme, comme prolongement de l’impérialisme dans la région, l’intellectuel Mounir Chafik considère que « le leadership israélien actuel n’a pas de vision, il est décrédibilisé, faible et incomparable avec le leadership à l’origine de la création d’Israël…L’armée israélienne est une armée qui ne se bat plus, elle a été vaincue au cours de quatre guerres, et s’est progressivement transformée en forces de police ». Pour illustrer cette évolution en profondeur de la société coloniale, Mounir Chafik donne cet exemple éclairant : « Un jeune palestinien de 48 a tué deux israéliens lors d’une opération à Tel Aviv.  Il a fui et s’est caché pendant une semaine, moment durant lequel  la vie s’est arrêtée à Tel Aviv. Les israéliens n’osaient plus sortir, jusqu’à ce que des forces de l’occupation le retrouvent et le tuent dans son village ». 

  Au-delà de cette évolution marquante, la tendance à l’affaiblissement de l’impérialisme s’explique par les mécanismes internes du capitalisme. Dans l’ouvrage précité, Lénine montre que la stratégie de conquête territoriale, dès la fin du XIXème siècle, a reposé sur cette idée formulée par un richissime banquier Anglais : « L’empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous voulez éviter la guerre civile, il vous faut devenir impérialistes ». En d’autres termes, les impérialistes ont ingénieusement crée un consensus interclassiste, en distribuant une petite partie du pillage des colonies aux classes sociales exploitées et paupérisées. Le propos du banquier anglais est amputé du deuxième aspect de la dialectique impérialiste : pour consolider l’empire, il fallait neutraliser les contradictions internes en fabricant une solidarité de classes contre-nature. Or, ce consensus se fissure aujourd’hui en raison du retour de la question sociale en Europe et aux Etats-Unis. Les élections présidentielles et législatives d’avril et juin 2017 en France ont révélé des tensions sociales et politiques qui se sont exprimées à travers un abstentionnisme massif et un vote de classe « anti-système ». L’Angleterre, sous l’effet du vote populaire et d’une partie de la bourgeoisie, a été contrainte de quitter l’Union européenne. Aux Etats-Unis, la paupérisation du « petit blanc » et les contradictions au sein même des classes dominantes constituent les facteurs déterminants de l’arrivée de D. Trump au pouvoir. Les tensions au sommet de l’Etat américain montrent que les classes dirigeantes parviennent difficilement à établir un consensus et à suivre une stratégie claire.

 Partout, le Capital profite de la conjoncture défavorable aux salariés pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. La « politique du ventre » et le consensus historique entre les classes ont atteint leurs limites depuis les années 1970. Cette situation interne aux pays occidentaux a des effets politiques, qui pourraient déboucher, à terme, sur une crise de légitimité de ces Etats. La crise financière de 2008 rappelle que les bases infrastructurelles du modèle occidental sont fragiles. L’effondrement global devient aujourd’hui une hypothèse réaliste. L’homme occidental repu et engourdi, sans vitalité subversive, que le philosophe Herbert Marcuse dénonce dans les années 1960, n’est plus une réalité tangible. De nouvelles forces de fracture remettent en question la tranquillité bourgeoise des démocraties occidentales. De fait, les pays capitalistes dominants sont aujourd’hui confrontés à un double défi : la dégradation politique interne et l’impératif de conquérir chaque jour de nouveaux marchés, alimentant une guerre économique intense entre eux. Cette nouvelle phase du capitalisme explique l’ingérence occidentale brutale, tous azimuts, malgré les risques d’entropie.

C’est pour cette raison que l‘intellectuel engagé Noam Chomsky analyse la sauvagerie impérialiste, c’est-à-dire l’emploi de la force à outrance, comme une stratégie contre-productive et irrationnelle, parfaitement illustrée par le comportement israélien contre la flottille turque pro-Gaza en 2012 : « Les États ne se conduisent pas nécessairement de façon rationnelle, et Israël devient très irrationnel, paranoïaque, et ultranationaliste. Prenez le cas de l’attaque contre la flottille. C’est un acte complètement irrationnel. Ils pouvaient neutraliser les bateaux s’ils l’avaient voulu. Attaquer un bateau à pavillon turc et tuer des Turcs c’est à peu près la chose la plus folle qu’ils puissent faire d’un point de vue stratégique. La Turquie est depuis 1958 leur allié de prédilection dans la région. Attaquer votre meilleur allié dans la région sans aucune raison est complètement fou. » Cela signifie-il que l’impérialisme est sur son lit de mort ?

Il est encore trop tôt pour le dire, mais la résistance populaire et le processus d’autonomisation en cours des sociétés du Moyen Orient exercent une pression sur les contradictions internes de l’impérialisme dont l’affaiblissement structurel n’est certes pas la fin de l’Histoire mais la fin d’une histoire, celle d’un Occident omnipotent. L’arrogance de Theresa May est en trompe l’œil.

http://al-akhbar.com/node/283289

source photographique : (AFP/THE NATIONAL ARCHIVES UK)

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