AccueilDossiersRévolution palestinienneInterview de Abdel Sattar Qassem, dissident palestinien Comité Action Palestine 4 février 2010 Révolution palestinienne 1 997 vues Interview de Abdel Sattar Qassen parue le 27 novembre 2009 dans The Electronic Intifada puis traduite par l’ISM . Abdel Sattar Qassem, professeur en science politique à l’Université National An-Najah à Naplouse en Palestine occupée, est un spécialiste de l’histoire palestinienne et de la pensée islamique. Cette interview d’Abdel Sattar Qassen est traversée par une idée-force : l’Autorité Palestinienne est une structure corrompue, collaborant avec Israël, de même que les Etats arabes sont inféodés à l’impérialisme états-unien. Abdel Sattar Qassem nous invite, par le détour d’anecdotes puisées dans son expérience militante, à une compréhension dialectique du rapport entre dominants impérialistes et sionistes et dirigeants du monde arabe en général et de la Palestine en particulier. Les occidentaux soutiennent financièrement, militairement et politiquement les pouvoirs arabes corrompus dans leur propre intérêt et ces derniers collaborent pour préserver cette domination coloniale et impérialiste qui les préserve. Ainsi en est-il de l’Autorité Palestinienne dont le pouvoir et la survie en Cisjordanie dépendent de la milice constituée et dirigée par le général us Dayton. L’unique chemin donc de la libération passe par le renversement des régimes de collaboration en Palestine et dans le reste du monde arabe. Abdel Sattar Qassem, professeur et auteur de nombreuses publications sur l’histoire palestinienne et la pensée islamique, est bien connu pour ses critiques décapantes contre d’Israël et l’Autorité palestinienne [AP]. Pour cette raison, il a été emprisonné par les Israéliens et l’Autorité palestinienne. Plus récemment, sa voiture a détruite par une exploosion, ce qui était un avertissement venu de l’Autorité palestinienne. Marcy Newman interroge ici le professeur Qassem, pour The Electronic Intifada, à son domicile dans la ville palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée. Marcy Newman est professeur associé en littérature à Al-Ahliyya à Amman (Jordanie). Marcy Newman : Quand êtes-vous devenu politiquement actif ? Abdel Sattar Qassem, devant sa maison à Naplouse – Photo : Marcy Newman Abdel Sattar Qassem : C’était à l’Université américaine au Caire, je voulais faire partie de la révolution. J’avais l’habitude d’appeler cela une révolution, j’ai découvert plus tard que ça ne l’était pas. Je suis allé à Beyrouth à trois reprises : en 1970, 1971 et 1972 afin de rejoindre une organisation palestinienne. Chaque fois j’ai été déçu et je suis reparti sans adhérer à aucune. J’ai constaté qu’ils n’étaient pas de vrais révolutionnaires. Ils conduisaient leurs voitures de façon arrogante dans les rues de Beyrouth, parlaient mal aux filles libanaises. Je pensais que ces mœurs n’étaient pas celles de révolutionnaires. J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux allaient dans les bars. A cette époque, j’ai toujours pensé qu’un révolutionnaire devait être un gars impeccable. Il devait être quelqu’un qui soit un exemple d’éthique pour les autres. J’ai eu l’impression que ces gens n’allaient pas à libérer la Palestine. Qu’ils allaient se rendre. J’ai donc passé quatre ans au Caire, déçu par la révolution. MN : Qui étaient les dirigeants que vous respectiez durant ces années ? ASQ : J’ai toujours pensé que Georges Habache était un bon dirigeant, contrairement aux autres qui voulaient juste à être des chefs. Mais il était marxiste. Je ne crois pas dans le marxisme, bien que je crois à une juste répartition des richesses. Je pensais qu’Habash aurait eu plus de succès s’il était resté pan-arabiste. Quand il a évolué vers le marxisme il a perdu de nombreux partisans. Il a adopté le marxisme dans une société qui n’accepte pas le marxisme et considère [cette idéologie] avec un sentiment d’animosité. L’éducation contre le marxisme a commencé bien avant la soi-disant indépendance des pays arabes. Les religieux et les colonialistes dans les années 1920, 1930 et 1940 se sont tous mobilisés pour lutter contre le marxisme. Ce n’était pas facile pour les communistes et marxistes. Ils ont été présentés comme des athées qui ne croyaient pas en Dieu. Toute l’image du marxisme a été si déformée que les Palestiniens et les Arabes ont développé une certaine forme de haine à l’égard du marxisme. Alors que les pays arabes obtenaient une certaine indépendance, les régimes arabes ont été mobilisés par les puissances coloniales pour combattre l’Union soviétique et fausser l’image du marxisme et du communisme. Je demande souvent à mes élèves ce qu’ils savent du marxisme. Tous disent que Marx a nié l’existence de Dieu. C’est tout ce qu’ils peuvent en dire. Je dois expliquer comment Marxs’est réellement intéressé à l’exploitation et à l’aliénation comme obstacles primordiaux à la liberté de l’homme. Marx n’a parlé de Dieu que dans quelques écrits, alors qu’il a parlé de l’exploitation dans des volumes entiers. Et je leur ai une fois dit que la seule façon de libérer la Palestine était de suivre certaines des idées de Georges Habache. MN : Quelles idées en particulier ? ASQ : Il a expliqué que, sans renversement du régime en Jordanie, les Palestiniens ne seraient jamais en mesure de libérer leur propre pays. Dans un rassemblement à l’Université de Jordanie, où le roi était venu tenir un discours devant les professeurs, celui-ci a déclaré : « L’un de vous dit que George Habache est le vrai dirigeant palestinien. » Les services de renseignement avait préparé sa déclaration. J’estimais que les régimes arabes étaient le premier ennemi de la nation arabe, suivi d’Israël et des États-Unis. Nous devons les renverser. Tant qu’ils seront là, la nation arabe ne progressera pas d’un centimètre. C’est pourquoi j’ai été dire aux gens que maintenant ce sont les chiites qui vont conduire les Musulmans. Je crois que [le secrétaire général du Hezbollah] Hassan Nasrallah est toujours la figure la plus populaire dans les pays arabes. Il y a tellement de gens qui comprennent que les régimes arabes ne sont pas des protecteurs de l’Islam. Mais ils veulent retourner l’argument pour inciter à la haine contre le Hezbollah et l’Iran. La plupart des gens qui en Palestine condamnent le Hezbollah sont ceux de l’Autorité palestinienne. Parce que ce n’est pas dans l’intérêt de l’Autorité palestinienne qu’Israël ait été vaincu. Ce n’est pas dans l’intérêt des régimes arabes, parce qu’Israël protège les régimes arabes. MN : Comment s’applique en Palestine ce genre de collusion avec le régime israélien ? ASQ : En 1990, j’étais interrogée dans [l’ancienne prison israélienne près de Naplouse] Al-Fara’a. Après [que l’interrogateur ait] terminé, j’ai dit : « Que voulez-vous encore ? Nous avons terminé l’interrogatoire. » Il a dit : « Oui, j’attends quelque chose de vous. » J’ai dit : « Quoi ? » Il a répondu : « Que diriez-vous que nous fassions de vous un leader palestinien ? Qu’est-ce qui est mieux pour vous ? Sortir de prison avec personne qui vous attend, sauf votre femme ? Ou avoir 20 caméras de télévision à la sortie ? » J’ai dit : « Eh bien, 20 caméras de télévision serait beaucoup mieux. » Il a alors dit : « Bon, on va arranger ça pour vous lorsque vous sortirez de prison ». J’ai demandé : « Et après ? » Il a répondu : « Après nous allons concentrer sur vous nos médias. Le professeur Qassim est venu ici… ce que le professeur Qassim a mangé… le professeur Qassim a rencontré certaines personnes… a prononcé un discours ici et là et ainsi de suite et dans quelques semaines, vous serez devenu un leader palestinien. » J’ai alors questionné : « Que voulez-vous en échange ? » Ce à quoi il a répondu : « Je ne veux rien. Nous avons déjà tellement d’espions aux alentours. Tout ce que je veux de vous est de donner des discours virulents. Parler de la libération de Haïfa et de Jaffa, puis rentrer à la maison et y dormir… Ne rien faire d’autre ». J’ai dit : « Ok, je vais y penser et je vais vous envoyer ma réponse. » Je n’y ai plus jamais pensé et je n’ai jamais envoyé de réponse. Mais c’est comme ça qu’ils fabriquent les dirigeants. Donc, beaucoup de nos dirigeants parlent énormément, font des discours brûlants et les gens s’imaginent que ce sont des nationalistes ! Ce sont en fait des collaborateurs. En 1991, un ami de Jérusalem m’a appelé. Il m’a dit : « Le consul américain veut te rendre visite. » Je lui ai dit : « Pourquoi ? Le consul américain … il y a des pays qui plient sous ses chaussures et il veut me rendre visite à moi ? » Et j’ai ajouté : « Non, je ne veux pas qu’il me rende visite. S’il vient à ma maison, ce sera pour moi une tache jusqu’à ma mort. S’il te plaît, empêche-le. » Eh bien, après un ou deux jours, il m’a de nouveau appelé. Il m’a dit : « Le consul américain veut venir te voir. Ne sois pas stupide. Il y a tellement de gens qui aimeraient tellement rencontrer le consul américain, et toi tu me dis non ? Je lui ai alors demandé : « Pourquoi exactement veut-il me rendre visite ? » La réponse a été : « Il veut te voir pour te convaincre d’être un membre de la délégation palestinienne à la conférence de Madrid. » J’ai alors dit : « Je ne veux pas aller à Madrid. Je ne crois pas à la négociation avec les Israéliens. Et si le consul américain vient chez moi toute la Méditerranée ne suffira pas à me nettoyer. » Deux jours après, le gouverneur militaire [israélien] de Tulkarem m’a convoqué. Il m’a dit : « Pourquoi vous ne voulez pas aller à Madrid ? J’ai répondu : « Qu’est-ce que vous avez à faire avec ça ? Ce n’est pas votre affaire. » Il a répondu : « Si, c’est mon affaire. ». « Pourquoi ? » ais-je demandé. Il m’a alors dit : « Si vous allez à Madrid, vous obtiendrez quelque chose de positif pour votre peuple. » Je lui ai dit : « Pourquoi ne pas me donner cette chose positive ici. Pourquoi devrais-je aller à Madrid si vous vous souciez de l’intérêt de mon peuple ? » Deux jours plus tard il m’a convoqué à nouveau. Quand je suis arrivé, il m’a dit : « Vous devez aller à Madrid avec la délégation palestinienne. » J’ai rétorqué : « Est-ce un ordre militaire ? » … « Oui » a-t-il dit. J’ai alors répliqué : « Bon, dans ce cas je n’y vais pas. » C’est là une indication de la façon dont notre délégation a été formée. Bien sûr, leur intérêt que j’aille à Madrid faisait partie d’une politique visant à me faire taire. Si j’étais allé à Madrid, je n’aurai ensuite plus été en mesure d’exprimer mon opinion. C’est pourquoi j’ai insisté pour rester indépendant. MN : Quelle est le rôle d’un intellectuel lorsqu’il est emprisonné ? ASQ : A l’intérieur de la prison, l’éducation est généralement divisé selon les factions. Chaque faction [politique] donne des cours à ses propres partisans. Dans chaque unité, dans la prison du désert du Néguev, il y avait environ huit tentes. C’était un genre d’enseignement sectaire – juste dire aux gens que leur faction est la meilleure, qu’ils sont les seuls à affronter les Israéliens, que les autres ne sont pas sur la bonne voie. Les gens du Fatah ne sont pas instruits. Ceux du Front Populaire [de Libération de la Palestine] le sont. Ils sont dans une meilleure situation – au moins en général. Les gens du Hamas limitent leurs études à certains enseignements islamiques. Si vous n’êtes pas instruits dans différents domaines, c’est une sorte d’acculturation. À l’époque où j’étais en prison, l’enseignement n’avait pas été divisé selon les factions car les factions palestiniennes n’avaient pas le temps. J’ai eu l’occasion pendant au moins quatre mois de donner des conférences à tous les prisonniers. Ils avaient l’habitude d’y participer. A l’intérieur de l’unité nous étions environ 220 personnes et j’en avais en général jusqu’à 150 à chaque conférence. J’avais l’habitude de leur enseigner l’histoire de la Palestine, l’histoire des Arabes et ce que doit être l’éthique d’un révolutionnaire. MN : Et comment cette division factionnelle vous afffecte-t-elle en dehors de la prison ? ASQ : Alors que je me rendais de l’Université à chez moi, dans l’après-midi, quelqu’un m’a tiré dessus et j’ai été touché par quatre balles. Ce fut le premier incident. [L’ancien dirigeant palestinien Yasser Arafat] avait coutume de faire cela au Liban. Il avait l’habitude de le faire aussi en Jordanie. Il voulait me faire taire. J’avais écrit un article intitulé « La démocratie est placée sous le Président. » J’y expliquai que nous n’avions pas la démocratie. Arafat la garde sous lui, la réchauffant comme une poule assise sur des œufs. Il a envoyé quelqu’un pour me tirer dessus, mais cela ne m’a pas fait taire. En 1996, l4AP me faire arrêter pour une durée de deux nuits, puis ils m’ont relâché. En 1999 j’ai rédigé la « Déclaration des Vingt. » Nous avons eu 20 personnes de premier plan en Cisjordanie et dans Gaza pour signer une pétition dans laquelle nous avons accusé Arafat de corruption. J’ai insisté sur l’accusation d’Arafat dans cette déclaration, car si nous ne le faisions pas, aucun d’entre nous n’irait en prison. Et si on ne va pas en prison, personne n’entendra parler de notre déclaration. Ce fut le prix à payer. Deux d’entre sont restés 40 jours en prison à Jéricho, les autres y ont passé 15 jours. En 2005, ils ont brûlé ma voiture. En 2007, ils ont tiré environ 60 [balles] sur ma voiture. Ils m’ont arrêté en 2008 pour une nuit. Ils ont brûlé ma voiture en Janvier 2009. La dernière fois j’ai passé trois jours en prison. J’ai encore tant de difficultés avec l’AP. Mais je ne peux pas simplement rester silencieux alors que l’Autorité palestinienne vole ma terre, mon pays et mon peuple. Ils collaborent avec les Israéliens. Ils coordonnent avec eux sur les questions de sécurité. Ils ont arrêter des Palestiniens pour la défense de la sécurité israélienne. MN : Qu’en est-il de l’impérialisme américain ? Comment la dynamique de la résistance a-t-elle changé avec le général américain Keith Dayton qui entraîne les forces de l’AP ? ASQ : Aujourd’hui nous avons la république américaine de Dayton. Dayton est le haut-commissaire de la Palestine. Il est en situation de tout contrôler. Les États-Unis dépensent tant d’argent pour recruter l’ensemble de ces Palestiniens et les mettre au service de la sécurité israéliennes et des intérêts américains… Ils recrutent des personnes qui ont un horizon très étroit. Ils peuvent juste recevoir et exécuter des ordres. Ils dépendent de ce genre d’individus. Certains d’entre eux comprennent la situation, mais ils sont sous la pression économique. Mais beaucoup d’entre eux ne raisonnent pas. Quelle alternative ais-je afin d’appuyer ces gens financièrement ? Je ne peux pas demander aux gens d’avoir leurs familles qui meurent de faim pour le principe de la libération de la Palestine. Ils vous diront : « Regarde, ma famille est beaucoup plus importante que la Palestine. » Les gens veulent-ils mourir de faim ou être libres ? Les gens veulent se remplir l’estomac en premier. Ensuite, ils peuvent penser à la liberté. C’est la raison pour laquelle les Américains et les Européens ont joué ce jeu : maintenir les Palestiniens toujours au bord de la famine. Maintenant, ils sont dans une situation différente où ils pensent qu’ils vont mourir de faim si les Américains et les Européens ne nous donnent pas d’argent. Quelqu’un comme moi leur dira qu’ils ne nous laisseront pas mourir de faim parce que cela mettra en danger la sécurité israélienne. Ils autoriseront quelques points de vente pour nous apporter de l’argent, de la nourriture. Ce n’est pas convaincant parce qu’ils ne peuvent pas réaliser les relations dialectiques. Les Israéliens pendant la première Intifada avaient décidé de couper l’énergie et le gaz pour une paire de semaines. La communauté internationale a commencé à protester contre la situation : « Qu’est-ce que vous faites avec ces Palestiniens ? » Il y a plusieurs facteurs avec lesquels nous pourrions jouer. Mais pour en rester là et dire : « Si les Américains ne nous donne pas d’argent, nous mourrons de faim, » la conclusion est la suivante : nous devons faire ce que veulent les Américains. 27 novembre 2009 – The Electronic Intifada Traduction : MR pour l’ISM print