La gauche palestinienne : une occasion manquée

1 976 vues
image_pdfimage_print
e 9/8/2007 9:50:00 (924 lectures)

 

Article de Ramzy Baroud paru le 03 juillet 2007 sur Khaleej Times et traduit en français par Info-Palestine .

L’auteur dénonce l’erreur historique de la gauche palestinienne : ne pas soutenir le gouvernement du Hamas, direction politique qui a été choisie, pour la première fois dans l’histoire palestinienne, parmi les opprimés, les pauvres et les démunis.

Pour R. Baroud, le Hamas est d’un point de vue pratique beaucoup plus proche des principes du socialisme que la gauche palestinienne.

Nous pourrions sans doute étendre cette analyse à une grande partie de la gauche mondiale.


070618-haniyeh-abbasPour la première fois dans notre histoire, une direction politique avait été choisie dans nos rangs, choisie par les opprimés, les pauvres et les démunis, pour aller de l’avant.

Quand les élections ont amené au Parlement palestinien une majorité formée de membres du Hamas, et alors qu’il devenait de plus en plus évident qu’un embargo international dirigé par l’Amérique serait l’un des prix à payer pour cette victoire, j’ai contacté beaucoup d’intellectuels et d’écrivains en Palestine, plus particulièrement ceux qui se revendiquaient de la gauche palestinienne, pour leur demander de se regrouper derrière le choix collectif fait par le peuple palestinien et de protéger la démocratie palestinienne à tout prix.

Mon appel contenait le paragraphe suivant : « pour la première fois dans notre histoire une direction politique est choisie dans nos rangs, choisie par les opprimés, les pauvres et les démunis pour aller de l’avant. Je ne me fais aucune illusion sur le fait que ce parlement n’est pas le fruit d’une expérience démocratique, car aucune démocratie réelle ne peut naître sous occupation, et je suis également conscient que la Chambre ne représente qu’une minorité de notre peuple, mais il est indéniable que, de voir des réfugiés, des membres de familles modestes, des instituteurs, et la classe des travailleurs revendiquer leur légitimité comme leaders de la communauté, est un grand facteur d’espoir. Nonobstant l’interprétation que l’Amérique veut donner de cet acte collectif, il est important que nous le défendions en expliquant la réalité de la situation palestinienne telle qu’elle est et non telle qu’elle ressort des déformations complaisantes des medias dominants ».

C’était là une réponse à ma lecture initiale d’une situation où le gouvernement du Hamas perdait la bataille sur le front des médias. La raison en était simple : il était dépourvu de toute expérience en la matière aussi bien que d’une audience équitable dans les médias internationaux qui lui aurait permis de présenter et d’expliquer sa position de façon convaincante.

Sachant cela, et de plus, conscient de la polarisation politique en Palestine, je craignais que la bataille de l’information ne se limite à la question des relations Hamas-Fatah ou à celle du gouvernement islamique-gouvernement laïque, ce qui s’est avéré le cas.

Comme tous ceux qui se définissent comme humanistes laïques, je ne réduis pas le débat en Palestine à cette grille simplifiée et je crois qu’il en va de même pour la majeure partie des intellectuels de la diaspora – ce dont je m’enorgueillis. Pour moi la question était celle d’une volonté démocratique sincère confrontée à un risque d’avortement rapide dû à la très sinistre union, encouragée par de nombreux gouvernements, d’Israël et des Palestiniens corrompus.

La réponse apportée à cette situation était compréhensible. Le vote palestinien, acte collectif aux proportions épiques, a éradiqué presque instantanément la mascarade du projet d’un grand Moyen Orient démocratique porté par une administration Bush et s’inscrivant dans le vieux projet des années 1990 du Nouveau Moyen Orient.

Le gouvernement américain avait élaboré un plan spécifique dans lequel une apparence de démocratie aurait servi ses intérêts à long terme dans la région et l’aurait érigé en protecteur des volonté populaires pour de nombreuses années à venir alors même qu’il reconnait l’échec total de sa politique en Irak.

En interne, les élections traduisaient le fait que les Palestiniens – terrorisés durant six décades par l’armée israelienne, et plus récemment, par ses relais constitués des services palestiniens de sécurité et de leur patrons quasi seigneurs de guerre – conservaient encore la force de se défendre et d’affirmer leur droit de défier le statu quo.

C’est l’une des plus fortes victoires non violentes menées par le peuple palestinien, comparable seulement avec le premier soulèvement de 1987.

Après les élections, les dirigeant du mouvement ont affirmé leur volonté de gouverner selon les normes d’une société démocratique et civile, et ont rapidement appelé tous les groupes palestiniens à se rassembler pour former un gouvernement unitaire.

Le Fatah a refusé. C’est sans surprise. Mais pourquoi la soi disant gauche palestinienne a-t-elle refusé de participer au gouvernement alors – et en dépit de son peu de popularité parmi les palestiniens- que cette participation aurait pu servir la démocratie palestinienne à plus d’un titre ?

Dans les semaines et les mois récents, dans un mouvement parallèle à la courbe ascendante du seul Hamas vers le pouvoir en mars 2006, nous avons commencé à voir des intellectuels palestiniens respectés livrer des analyses troublantes aux médias, attaquant le Hamas comme s’il était un corps étranger, véhiculé par Téhéran, et ainsi légitimant l’embargo international.

J’avais eu l’occasion – et l’honneur- de partager la tribune avec quelque unes de ces personnalités lors de forums internationaux. Certains se présentaient comme socialistes et parlaient avec ferveur de la lutte collective contre l’impérialisme international et du besoin de mobiliser la société civile dans la lutte contre l’injustice et ainsi de suite.

La victoire du Hamas a fait éclater le hiatus entre les mots et les actes, entre les priorités nationales et la rigidité de positions idéologiques ou de limites personnelles.

Quand le Hamas a entrepris de discuter avec des groupes palestiniens « socialistes » j’étais pratiquement sûr qu’ils prendraient la mesure du défi et voudraient participer à un gouvernement d’union nationale même si cela les amenait à siéger aux côtés d’un regroupement à caractère religieux dont les positions allaient à l’encontre de leurs principes.

Je pensais que la situation était trop grave pour la mise en avant d’obstacles tels que des dissensions secondaires ou des programmes de parti.

Je me trompais.

Après la résistance armée des années 1970 à Gaza, menée en partie par différents groupes socialistes, il n’y eut pas de groupe de gauche réellement populaire qui ait su faire largement appel à l’imagination de la population palestinienne. Bien que certains de ces groupes aient avancé de réels principes d’opposition à Oslo, ils étaient restés largement confinés dans les campus, ou concentrés dans des centres urbains, comme les artistes, les professeurs et les intellectuels des classes moyennes et – quelquefois – supérieures.

Le tournant bizarre de l’histoire est que le Hamas est d’un point de vue pratique plus près des principes du socialisme que les intellectuels « socialistes » des villes.

En défendant le Hamas et la volonté démocratique des Palestiniens, j’ai rarement eu le sentiment que je déviais de mes propres principes. Ma lettre aux palestiniens de gauche n’a que rarement reçu de réponse – mes échanges avec les progressistes occidentaux ont été beaucoup plus chaleureux.

A l’heure où la fracture entre le Hamas et le Fatah a pris une dimension géographique et qu’ont sombré les objectifs nationaux palestiniens, nombreux sont les membres de la gauche qui, tels d’anciens récitants de mantras, intriguent pour d’intempestives apparitions à la BBC, adressent des requêtes au Hamas et parlent de «coup porté à la démocratie palestinienne ».

La gauche palestinienne était quasi inexistante ; elle a perdu la seule occasion qui lui aurait permis de se reconstituer, et elle continue de prôner le statu quo, de poser au savant perdu dans une multitude de faibles d’esprits : c’est la définition même de l’élitisme intellectuel.

Ramzy Baroud

Site Internet de l’auteur : www.ramzybaroud.net

Traduction : info-palestine

print