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gaza-juin2007[1]Article de Sukant Chandan , journaliste et analyste politique indépendant, publié par Palestine Chronicle , le 4 octobre 2007 .

L’auteur replace l’Islam politique dans une perspective historique et montre comment il a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme tout au long du 20ème siècle au Moyent Orient.

Ancré dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires, il est aujourd’hui en tête des mouvements d’indépendance dans le monde arabe, contrairement aux organisations laïques de gauche largement influencées par des idéologies extérieures à la région et maintenant sur le déclin.

Selon nous, seule la référence à Saladin comme source d’inspiration pour l’Islam politique moderne peut paraître regrettable, la configuration à l’époque étant bien différente de celle d’aujourd’hui dans ces pays qui luttent pour leur souveraineté nationale.

  

Photo : Comité Action Palestine


Replacée dans le contexte historique, la laïcité , dans le leadership politique au sein du Monde Arabe a eu une durée de vie très brève. C’était devenu un courant politique majeur pendant quelques dizaines d’années au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, et aujourd’hui il est en passe de s’écrouler complètement au sein des mouvements politiques qui luttent pour l’indépendance et le développement dans la région.

Plusieurs leaders islamiques ont représenté pour les Arabes la principale inspiration politique pour leurs mouvements de libération. Salahuddin al-Ayooub, plus connu sous le nom de Saladin, qui a libéré Jérusalem des Croisés au douzième siècle est probablement le leader islamique le plus connu à l’extérieur de la région. La légitimité de Saladin reste une profonde source d’inspiration pour les Arabes, spécialement pour les radicaux islamistes qui ne voient pas seulement un parallèle avec les invasions militaires et les occupations contemporaines, mais qui utilisent directement cette histoire lors de leur mobilisation politique au sein de leur lutte contre ceux qu’ils considèrent comme des Croisés modernes.

Plus récemment , l’islam politique a été au premier rang de la lutte contre le colonialisme au cours du 20ème siècle. Il y a de nombreux exemples de mouvements et de responsables dans chaque pays arabe, mais parmi les plus connus, on peut citer Sheikh Izz al-Din Qassam, qui a donné son nom à la branche armée du Hamas . Sheikh al-Qassam a été tué par les colons britanniques en Palestine au cours d’une confrontation armée ; sa mort a été l’étincelle de ce que certains désignent comme la première Intifada palestinienne de 1936 à 1939. En Iraq , les Islamistes chiites se sont unis avec leurs homologues sunnites contre le colonialisme britannique en 1920 dans un soulèvement populaire, qui donne son nom à l’un des plus importants groupes actuels d’insurgés islamiques en Iraq : « Les Brigades de la Révolution de 1920 ». L’islamisme chiite en Iraq peut être aussi relié à l’émergence du hezbollah libanais . Des érudits islamistes chiites, tels que Fadlallah, un maître très important du chiisme radical basé au Liban ayant des liens très étroits avec le Hezbollah, ont émigré au Liban à partir des centres religieux d’Iraq et d’Iran. Sur le plan théorique, ce sont les idées de Muhammad Abdu and Al-Afghani au cours du 19ème siècle, et plus anciennement celles d’Ibn-Tammiyah au 14ème siècle qui ont le plus contribué à l’idéologie islamiste.

Alors que c’est la propre histoire de la région qui a eu le plus d’influence sur l’Islamisme moderne, faisant de celui-ci une partie intégrante de l’identité politique des peuples et des luttes, ce sont, au contraire, les influences politiques et culturelles européennes, extérieures à la région, qui ont influencé le Nationalisme Arabe laïque moderne. Le père fondateur du Nationalisme Arabe laïque moderne était le Syrien Sati al-Husri, inspiré du républicanisme français et du nationalisme allemand du 19ème siècle. Le nationalisme arabe est devenu la force politique montante de la période post Seconde Guerre Mondiale.

Au cours de la période post Seconde Guerre Mondiale , comme dans le reste du tiers-monde, la région a connu une augmentation de la force des courants nationalistes laïques de gauche, inspirés par l’exemple de l’indépendance et du développement social du Bloc Socialiste face à l’hostilité néo-coloniale. Le soutien direct ou indirect de l’URSS, des pays socialistes de l’Europe de l’est et de la Chine, aux mouvements radicaux du Tiers Monde ont également joué un rôle majeur dans leur progression.

On peut citer l’éminent nationaliste arabe Gamal Abdel Nasser, en Egypte , dont la nationalisation du Canal de Suez a constitué le point culminant de la renaissance arabe moderne. Cela a conduit, en retour, à une atmosphère de confiance sans précédent chez les Arabes, atmosphère qui a dynamisé plusieurs tendances du Nationalisme Arabe et engendré une période pendant laquelle, les branches du Nationalismes arabes et du Parti Socialiste Ba’ath sont arrivées au pouvoir en Syrie et en Iraq . Le Mouvement National Arabe, principalement basé à Beyrouth, a engendré plusieurs mouvements de gauche tels que le marxiste Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP). Ce dernier a placé la tragédie du peuple palestinien alors largement méconnue, sur l’agenda international, en étant le premier groupe arabe armé à détourner des avions. Et bien sûr, on peut citer le parti laïc de gauche Fatah deYasser Arafat, qui a conduit la révolution nationale palestinienne à la fin des années 60.

A la même période, les forces islamistes ont aussi retrouvé leur élan et ont été souvent présents dans les rangs des mouvements indépendantistes. Ceux qui à l’intérieur et à l’extérieur de la région avaient tout intérêt à s’opposer à la vague nationaliste anti-impérialiste de gauche ont soutenu des parties de l’Islam politique qui étaient en opposition avec les laïcs. A la lumière des interactions complexes entre les deux mouvements politiques, cette relation est trop souvent simplifiée à outrance. En Algérie, le FLN était autant un mouvement nationaliste islamiste qu’un mouvement inspiré par Fanon, Mao et Che Guevara, bien que le courant islamiste fût éliminé peu après l’indépendance. Plusieurs des premiers responsables du Fatah (y compris Arafat qui le revendiquait pour lui-même) appartenaient au mouvement dont le Hamas est la « branche palestinienne » : les Frères Musulmans ou « Ikhwan Muslimeen », une force majeure de l’anti-impérialisme radical de masse qui existait après la seconde guerre mondiale avec deux branches dans le Monde Arabe. Ikhwan était la plus forte en Egypte, le lieu de résidence de son fondateur Hassan al-Banna. Sayyid Qutb, un autre leader égyptien de Ikhwan, après la mort de Hassan al-Banna, a été certainement le plus grand penseur et stratège de l’Islam politique moderne. Il a été exécuté par le régime de Nasser en 1966 après avoir été accusé de préparer un coup d’Etat. Initialement, les Officiers Libres de Nasser et les membres de Ikhwan étaient alliés dans la lutte contre les Britanniques, avant que le régime de Nasser mène une répression massive contre ce mouvement, emprisonnant et torturant cruellement un grand nombre de ses militants. Un fait très peu connu en dehors de la région est que la branche palestinienne de Ikhwan a aussi joué un rôle majeur dans la résistance contre l’établissement de l’Etat d’Israël en Palestine à la fin des années 40.

La mise en déroute par Israël de Nasser et des armées arabes en 67 peut être aujourd’hui clairement vue comme le début du déclin de la prédominance des forces laïques . Dès que les nationalistes de gauche au Moyen Orient ont été au pouvoir, leur influence dans la bataille contre le Sionisme et le néo-colonialisme a commencé à décliner. Alors que pendant la plus grande partie des années 70, les luttes ont été conduites par les forces nationalistes de gauche, cette décennie a aussi été témoin d’un tournant qualitatif en faveur de l’Islam radical. Les peuples arabes étaient très en colère quand la République Arabe d’Egypte sous le président Sadat a signé la paix avec Israël, donnant ainsi une plus grande écoute aux mouvements tels que Ikhwan et autres groupes islamistes plus radicaux. L’évènement qui a contribué plus que tout au développement des Islamistes a été le renversement par les Islamistes du plus grand allié des Occidentaux après Israël dans la région – l’Iran sous le Shah – qui était jusque là considéré comme « un ilôt de stabilité » selon l’ancien président des USA, Jimmy Carter.

Les deux plus importantes manifestations du développement des mouvements islamistes radicaux dans les années 80 , ont été le Hezbollah libanais aidé directement pour son entraînement militaire et ses infrastructures par le Pasdaran, la force militaire iranienne, et le Jihad Islamique Palestinien (PIJ). Pour ces deux mouvements, l’Iran a été la source d’inspiration.

PIJ a été le premier groupe islamiste reconnu à conduire la lutte armée contre l’occupation israélienne au début des années 1980, et le premier mouvement dans la communauté sunnite, à utiliser la tactique controversée des attaques suicides. Au même moment, l’Ikhwan palestinien a été impliqué dans la construction d’un réseau d’organisations charitables et religieuses qui représentaient des institutions d’une immense valeur pour la vie de beaucoup de Palestiniens, surtout à Gaza. L’Ikhwan a établi l’Université Islamique de Gaza à la fin des années 70. La construction d’un tel centre d’apprentissage, de débat et d’activité a constitué pour eux un grand pas et a forgé une nouvelle génération de jeunes islamistes éduqués. Cependant PIJ représentait un challenge pour l’Ikhwan palestinien car il était le seul mouvement de résistance islamiste armée contre Israël à cette époque. Cela signifie que beaucoup de jeunes militants de l’Ikhwan ont soit rejoint PIJ, soit fait pression sur leurs responsables pour développer et mettre en œuvre une stratégie militaire pour la Révolution palestinienne. Le fait que Fathi Shiqaqi, l’un des idéologues les plus charismatiques et astucieux de l’Ikhwan palestinien, ait fait scission et formé une section de PIJ, a constitué un élément supplémentaire pour donner à cette époque à l’Ikhwan palestinien l’image d’un mouvement incapable et non-désireux de faire face aux challenges de la lutte de libération palestinienne. Cela a probablement accéléré les préparations à la lutte armée menées par Sheikh Yassin et plusieurs autres leaders de l’Ikhwan palestinien, préparations qui se sont concrétisées par la mise en place de Harakat Moqawama al-Islamiyya, le « Mouvement de la Résistance Islamique » ou Hamas , le second jour de l’Intifada palestinienne en 1987 . Le document initial que le Hamas a publié en 1988, « la Charte », est problématique car elle fait référence au Protocole fabriqué des Sages de Sion. Il faut se remettre à l’esprit que ce document anti-sémite a un large crédit à travers le spectre politique de la région en raison du soutien occidental au colonialisme israélien et du sentiment d’impuissance qu’ont les masses populaires, face à l’agression israélienne. Le Hamas a ensuite publié divers communiqués qui exposaient plus précisément leur idéologie, stratégie et tactiques.

L’OLP a revendiqué qu’il était le leader de l’Intifada de 1987 et qu’il était le « seul représentant du peuple palestinien ». Le Dr Azzam Tamimi écrit dans son nouveau livre sur le Hamas (Une histoire de l’intérieur) que la volonté de l’OLP de revendiquer jalousement les responsabilités avait été en partie due au rôle majeur joué par le Hamas dans l’Intifada et à la compétition menée contre l’OLP pour le leadership.

Lors d’un renversement ironique de l’Histoire, ce sont les Mujahideens afghans soutenus par les pays occidentaux et la Chine qui ont combattu l’armée soviétique et le gouvernement pro-soviétique en Afghanistan. Ceux-ci ont donné une nouvelle impulsion au développement de l’islamisme militant moderne qui allait devenir bientôt une force puissante contre le néo-colonialisme dans la région. Le jihad afghan a permis à des militants de dépasser les rivalités qui existaient entre groupes ethniques et nationaux. Dépasser ces divisions et forger l’unité pan-arabique et pan-islamique était l’une des principales stratégies de Ben-Laden et Zawahiri pour la création en 1998 de leur organisation qui est devenue le violent « Front Islamique Mondial pour la Guerre Sainte contre les Croisés et les Juifs », plus connue sous le nom de Al-Qaeda , qui signifie « la base ». Initialement pour Ben Laden, Zawahiri et les autres, l’Afghanistan était la base du jihad international, maintenant c’est l’Iraq.

A la fin des années 80, la popularité de l’Islamisme et des mouvements islamistes était telle que le leader du nationalisme arabe laïc, Saddam Hussein, et Muammar Qaddafi avant lui, a commencé formellement à faire la synthèse de l’Islamisme avec les idées nationalistes iraquiennes et arabes, pour la construction sociale et politique de l’Iraq. L’exemple le plus visible de l’extérieur de cette évolution a été l’ajout de « Allah u Ahkbar – Allah est le plus grand » sur le drapeau iraquien pendant la guerre contre l’Iraq en 1990. Saddam Hussein a initié un programme massif de construction de mosquées et a tenté de co-opter le renouveau islamique qui prenait place au sein de la stratégie Ba’ath de positionnement de l’Iraq à l’avant-garde des pays arabes résistant au néo-colonialisme. Saddam Hussein peut être considéré principalement comme responsable de la synthèse actuelle entre l’Arabisme radical et l’Islamisme, un point de vue avancé par Jerry Long dans son livre, « La guerre des mots de Saddam ». Lors de la guerre de 1990 contre l’Iraq, une unité entre les forces de gauche nationalistes et les forces islamistes a été observée pour la première fois dans la région et sans aucun doute, pour contrer l’agression occidentale.

L’établissement de grandes bases militaires américaines en Arabie Saoudite lors de la campagne contre l’Iraq a fait fondamentalement évoluer la position de beaucoup d’islamistes jusque-là alliés aux Etats-Unis contre les nationalistes dans la région. Ces Islamistes, Osama Ben Laden étant le plus connu d’entre eux, ne pouvaient pas rester assis les bras croisés en regardant les terres d’Islam en Iraq et en Arabie saoudite occupées par les USA. Ceci a été aggravé par la prise de conscience de certains Islamistes que les USA et les Britanniques n’allaient pas leur permettre d’utiliser leurs propres ressources pétrolières pour le bénéfice de leur pays. L’exploitation pétrolière occidentale signifiait que la seule ressource naturelle du Golfe – le pétrole – allait être épuisée dans les prochaines 40 années ou environ, et qu’ils devaient se battre pour arracher le contrôle de leur propre pétrole aux Occidentaux avant qu’il n’en reste rien. Ces changements politiques ont culminé avec l’établissement d’Al-Qaeda et de plusieurs autres organisations qui partageaient ses perspectives militaires très violentes, et d’autres encore plus nombreuses qui partagent l’objectif politique d’un Monde Arabe débarrassé de la domination occidentale.

Aujourd’hui, on observe les phases finales de l’évolution du nationalisme laïque vers l’Islamisme. Ghaith Abdul-Ahad écrivant pour le Guardian le 12 juin à partir des camps de réfugiés palestiniens au Liban, décrivait d’une manière saisissante cette transition, en opposant les « combattants malades, mal équipés, mal nourris des vieilles factions laïques », avec les « jihadistes musclés, portant la barbe et bien équipés » financés par un réseau des organisations islamistes qui couvre le Moyen Orient, et observant la migration des radicaux palestiniens, à la fois les jeunes et ceux d’âge moyen, du vieux camp marxiste vers les Islamistes. Ainsi qu’un marxiste d’une cinquantaine d’année l’a dit à Abdul-Ahad, « Je n’ai jamais perdu mes repères idéologiques. Partout où se trouvent les Américains et les Israéliens, je suis de l’autre côté. Ainsi si le Hezbollah, les Iraniens et les Islamistes sont contre les Américains maintenant, et bien je suis islamiste ». Soulignant la continuité entre les groupes armés laïques de l’époque antérieure et les groupes armés islamistes actuels, un leader du FPLP a expliqué à Abdul-Ahad que « la plupart des jihadistes combattaient auparavant avec eux et d’autres groupes….si vous venez à moi et si vous me donnez 100 000$, je vais faire scission du FPLP et créer l’Armée des croyants du FPLP. C’est si simple ». Un autre leader laïque explique que le manque d’espoir et la colère ont conduit les jeunes misérables du Monde Arabe vers le militantisme « nous avons des jeunes hommes qui n’ont rien, pas d’espoir pour une nation, pas d’espoir pour le droit au retour des réfugiés, rien d’autre que les deux rues du camp. Dans cette situation, je ne serais pas surpris que la moitié du camp devienne jihadiste ».

Les Islamistes ont toujours été au premier rang de la lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme au Moyen-Orient depuis l’époque des Croisades. La plupart des universitaires, des hommes politiques et de ceux qui ont soutenu l’indépendance et le développement du Monde Arabe savent qu’après la seconde guerre mondiale, les mouvements islamistes ont été soutenus par ceux qui les voyaient comme des contrepoids aux mouvements anti-impérialistes laïques des tendances nationaliste arabe et marxiste. Des études et des analyses plus poussées de l’histoire contemporaine du Monde Arabe, peuvent aussi conduire à une compréhension plus nuancée de cette relation, plutôt que de coller une étiquette de « réactionnaires » aux uns et de « progressistes » aux autres. Peut-être, est-il grand temps d’abandonner cette terminologie d’un autre âge et qui pose problème. Les Islamistes eux-mêmes se voient au moins à égalité avec les laïcs radicaux, si ce n’est comme les propriétaires de droit du leadership de la lutte nationale et sociale de libération. La fin des déchirements entre les Islamistes et ce qui reste des laïcs dans la lutte anti-impérialiste est un signe de la force de ces mouvements d’indépendance dans le monde arabe, pas seulement attribuable à la faiblesse des laïcs. En outre, le leadership islamiste dans ce combat, comme au sein de la résistance iraquienne, sans le soutien des laïcs appréciés du Bloc Socialiste, est un indicateur de la force des racines de leur idéologie dans l’histoire, la culture et l’identité des masses populaires dans la région.

Sukant Chandan

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