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img4f63093f6e864[1]Dans le cadre de la préparation du cycle de conférences-débats « Résister au sionisme » organisé par le Comité Action Palestine du 23 au 29 mars 2012, Omar Mazri, qui sera l’un des intervenants sur la question « révolutions et contre-révolution dans le monde arabe », a accepté de répondre à l’interview que nous lui avons proposée. Vous pourrez y trouver une analyse approfondie des rapports de force politiques et géopolitiques qui agitent actuellement le monde arabe, des conditions socio-politiques des phénomènes révolutionnaires, des obstacles internes et externes de l’avancée des mouvements populaires et de la nature des axes étatiques qui s’affrontent au Moyen-Orient. Le Comité Action Palestine ne peut que recommander très fortement cette réflexion rigoureuse et stimulante sur les forces et les faiblesses des mouvements populaires arabes et sur les mutations de l’équilibre régional qui à terme peuvent faire basculer les rapports de domination Nord-Sud localement et sans doute globalement.

Omar Mazri est ingénieur polytechnicien  algérien en technologie de pointe. Il a été économiste spécialisé en planification industrielle et transfert de technologie. Il travailla également comme logisticien pour les états-majors de l’armée de terre. Il a consacré sa vie professionnelle au transfert technologique, à l’administration publique et à la gestion d’entreprises en Algérie. Il a travaillé ensuite près de 12 ans dans les quartiers Nord de Marseille comme formateur en mathématiques et en physique-chimie dans la filière électrotechnique. Penseur de l’Islam politique en Algérie, il a été conseiller stratégique et géopolitique de Abdelkader Hachani, leader du Front islamique du Salut.

Il anime actuellement une réflexion sur la globalité d’approche civilisationnelle de l’Islam dans ses aspects de théologie de libération, de mystique et de Praxis socio-politique.

Il est l’auteur de plus de 120 articles sur l’Islam, l’Algérie, la communauté musulmane de France, le sionisme et les révolutions arabes. Récemment, il a publié plusieurs ouvrages dont : « Le dilemme arabe et les 10 commandements US » (2012), « Islamophobia : Deus ex Machina » (2011), « Les « Révolutions arabes » : Mystique ou mystification?» (2011), « Gaza : La bataille du Forqane » (2010), « La République et le Voile : Symboles et inversions » (2010) tous aux éditions « Editions et Conseils ».

Interview  de Omar Mazri

1-Comment analysez-vous les transformations politiques récentes dans le monde arabe ? Font-elles avancer la cause des peuples arabes ?

Il faut d’abord insister sur le fait que tout changement est une rupture avec l’immobilisme morbide, mortel et mortifère, même si le changement ne va pas dans le sens espéré. Que le monde arabe bouge et se transforme ou tente de se transformer est donc une rupture bénéfique qui va générer à terme une culture du changement sans laquelle il n’y aurait ni progrès ni salut. Il faut aussi insister sur le fait que les changements imposés au peuple par les armes, la dictature ou la pression de l’Empire ne sont pas des changements et à terme ils seront remis en cause par le peuple.

Pour l’instant au-delà du discours émotionnel et infantile, des déceptions ou des euphories, il faut que nous sachions que la conscience collective va imprimer durablement l’idée de la possibilité du changement et l’idée sur le mode de changement. Cette conscience imprimée par le changement va finir fatalement par exprimer le cap du changement qui à son tour sera de nouveau imprimé dans la conscience sociale et politique. Cela prend du temps et consomme de l’énergie. Les élites de demain devront gérer l’efficacité, c’est-à-dire réduire les énergies dissipées et mettre en synergie les efforts socialement et politiquement utiles pour un meilleur rendement. Il y a des gisements de travail à explorer et à activer pour aller plus vite et plus loin et en harmonie. Dans mon livre Les Révolutions arabes : mystique ou mystification ?, j’ai développé quelques axes pour disposer d’une grille de lecture méthodologique sur la nature et le mode des mouvements, à la lumière des récits coraniques sur les Prophètes.

Ces généralités n’occultent pas la réalité tangible : il y a eu des mouvements populaires dont les transformations politiques, sociales et économiques sont en attente de visibilité. La visibilité est caricaturée, rendant impossible une lecture objective. Ces mouvements, d’un pays à l’autre, sont hétérogènes en revendications, en mode d’expression et en indépendance par rapport à l’Empire et à ses vassaux. Au sein d’un même pays, comme en Egypte, le positionnement par rapport aux monarchies et à la Turquie ne s’est pas stabilisé et des revirements spectaculaires sont possibles. Certains de ces mouvements ont occupé le devant de la scène médiatique et d’autres ont été occultés, car l’agenda étranger intervient comme facteur d’amplification ou de réduction, de subversion ou de mobilisation de ces mouvements à son profit tactique, stratégique ou civilisationnel.

Indépendamment des acteurs endogènes et exogènes, on ne peut déboiter l’histoire des peuples arabes en relation avec la Palestine. À titre d’illustration, la Syrie a eu son indépendance en 46, l’Égypte sa révolution en 52 et l’Algérie en 54, autour du drame de 48. La révolution libyenne en 69 après 67. La révolution iranienne en 1979 après les Accords du Camp David de 78. 2011 et 2012 après la bataille du Forqane en décembre 2009. La Palestine subit et influence le monde arabe et musulman et elle sera l’un des critères d’analyse des mouvements arabes et musulmans en perdant cette fois la possibilité d’être instrumentalisée, comme par le passé, par les rentes du nationalisme arabe et de l’islamisme infantile.

En Égypte et en Tunisie, nous avons assisté à des soulèvements sociaux qui se sont transformés en désobéissance populaire menant à la chute des têtes du régime. Ces mouvements ont souffert de six lacunes.

La première lacune est l’absence de cadre idéologique qui fixe le cap et le rythme de la révolution ainsi que le clivage idéologique du moment historique, tant interne qu’externe.

La seconde est la confiscation du mouvement populaire par l’esprit partisan. Le mouvement populaire se trouve privé de l’exercice politique, économique et informationnel ainsi que de la force de proposition et d’initiative, pour être relégué à jouer le rôle de votant qui confie son destin aux élus instaurant la polyarchie au lieu de la démocratie.

La troisième est l’arrangement des appareils qui a permis de ralentir le rythme et le niveau des revendications, donnant ainsi le temps de coopération de l’ancien système et de l’impérialisme pour mener un mouvement contre-révolutionnaire.

La quatrième lacune est la médiocrité et la pensée unique cultivées par les gouvernants despotiques que les opposants ont héritées comme legs culturels et politiques qu’ils se transmettent et qu’ils cultivent.

La cinquième lacune est de s’inscrire dans l’économie mondiale et les règles du jeu géopolitique au lieu de fédérer le peuple sur la résistance et de se faire protéger par ce peuple. La méconnaissance de la géopolitique et l’absence de laboratoire de veille stratégique dans le monde arabe sont accentuées par une culture d’empire qui s’appuie sur la connaissance des idées, du terrain des idées, des hommes qui, s’appuyant sur les lacunes, a la compétence d’anticiper, de mettre plusieurs fers au feu et d’imaginer plusieurs scénarios avec la compétence et les moyens de les mettre en œuvre.

La sixième lacune est qu’en dehors de la revendication de faire tomber la tête du régime, il n’y a eu ni projet d’avenir énoncé ni travail pédagogique pour expliquer les mécanismes politiques et géopolitiques qui sont derrière les tyrans arabes qu’il faut détricoter. Je suis presque certain que les machines qui choisissent et nomment les commis de l’État sont toujours en place à ce jour, même s’il y a un ravalement de façade au sommet.

En Libye, nous avons vu la contre-révolution se mettre en place en réalisant la stratégie impérialiste. La stratégie avait quatre axes. Le premier axe est la mainmise du prédateur sur l’objet de sa convoitise : ressources naturelles, finances et exportation de ses crises internes. Le second axe est d’interdire toute possibilité d’émancipation hors du cadre idéologique et politique de l’Occident. Le troisième axe est de procéder à une dislocation de la grammaire des civilisations en disloquant ses constituants : les mentalités collectives, les espaces, les histoires communes, les économies sur le plan de la considération historique (continuer la fragmentation commencée par Sykes Picot), sur le plan du présent des révolutions qui ne doivent pas faire jonction, sur le plan de l’avenir pour interdire toute situation pacifique et harmonieuse favorable à une émergence d’une aire civilisationnelle autonome, alternative. Enfin, il s’agit de faire des islamistes, certains islamistes naïfs, cyniques, revanchards ou ignorants, les agents de la disharmonie, de l’entropie, pour bloquer l’émergence de l’Islam politique, social, libérateur et civilisateur et maintenir « l’Islam » rétrograde, réactionnaire, bigot, consumériste. Dans les faits : l’Égypte et la Tunisie sont coupées, l’Égypte a maintenant un front ouest qui s’ajoute au front sioniste. Dans les faits, l’Algérie et le Maroc sont poussés à faire des concessions : passer en base coloniale après avoir été comptoir commercial, les peuples arabes sont traumatisés par l’issue entropique et ils sont isolés du processus de résistance contre l’Empire et le sionisme. Pour la Libye, il faut garder en tête la conjugaison d’au moins trois agendas : la subversion interne pour faire tomber un régime et changer les donnes en Libye et en Afrique ; la diversion pour déplacer le centre d’intérêt des révolutions égyptiennes et tunisiennes ; la lutte idéologique pour diaboliser l’Islam. Dans mon livre Islamophobia : deus machina , j’ai montré quelques aspects de la lutte idéologique menée par l’Empire pour créer la méfiance envers l’Islam et créer la défiance entre les musulmans en jouant sur l’émotionnel et l’infantilisme d’un côté, et sur les techniques de guerre psychologique et de propagande médiatique. Il s’agit de détruire le capital de résistance, de libération et d’édification civilisationnel de l’Islam en profitant de la médiocrité politique et culturelle des Musulmans qui sont parvenus à se réveiller après un long cauchemar, sans pour autant voir la réalité dans sa globalité, sa complexité et sa dynamique. Il s’agit de détruire la confiance et les repères pour ne laisser que la défiance et la confusion qui ne favorisent pas la résistance quand elles s’ajoutent à la corruption et à la mal gouvernance.

Pour l’instant il n’y a donc pas de changement significatif ; mais les possibilités du changement réel deviennent plus impératives et seront davantage clarifiées une fois que l’expérience du vote et de la polyarchie sans programme de résistance et d’édification aura montré de nouveau ses limites en Egypte, en Tunisie, en Algérie, au Yémen et au Maroc.

2-Quels sont les enjeux politiques ou géopolitiques du conflit actuel en Syrie ?

En Syrie, nous sommes face au scénario libyen avec l’accent mis davantage sur la géopolitique. Il s’agit pour l’Occident de parachever Sykes Picot qui a donné la Syrie en démembrant le Cham, pour démembrer la Syrie sur des bases ethniques et confessionnelles et réaliser le nouveau Moyen-Orient. Étouffer la révolution égyptienne en l’encerclant avec deux guerres civiles, deux présences étrangères. Le troisième point est discréditer les islamistes pour liquider toute contestation islamique révolutionnaire dans les monarchies vassales. Le quatrième point est de briser l’axe Iran, Syrie, Palestine, Liban et Irak et de liquider la résistance contre l’entité sioniste poussant les Arabes et les Palestiniens à accepter la feuille de route américaine. Enfin, le dernier point est la guerre sunnite/chiite pour remettre en marge le monde musulman de cet ensemble Euro-Asie et faire face à la Chine dont l’Empire veut couper les sources et les voies d’approvisionnement avant de les agresser une fois que les Arabes ont montré leur vassalité à l’Empire dans l’agression contre l’Iran et le désarmement nucléaire du Pakistan appelé à poursuivre l’œuvre de fragmentation commencée par l’Empire britannique. Contrairement à la Libye, le régime syrien dispose d’une armée plus forte, d’une population moins ruraliste, de savants de stature internationale, de couches moyennes préférant le statu quo au changement incontrôlé. La Syrie dispose de l’appui de la Chine et de la Russie qui ont laissé les Occidentaux et les Arabes sortir déshonorés de l’agression par une stratégie cynique, mais payante.

Le régime syrien avait la possibilité hier de livrer la Palestine (les cadres vivant en Palestine, la logistique et le droit au retour) et de servir l’Empire. Les données ont changé et la Syrie sait qu’elle sera, à la moindre concession, sur la trajectoire du reniement envers le Hezbollah, l’arabité et la résistance et être disloquée car géographiquement et historiquement elle constitue la ligne de démarcation Orient-Occident. Elle a livré une bataille de survie et elle vient de remporter une victoire éclatante. L’axe Syrie-Iran remporte des victoires stratégiques contre l’Empire et ses vassaux ainsi que contre les défaitistes. Les médias minimisent le retrait des forces d’occupation de l’Irak et la disponibilité de l’Irak à venir renforcer l’axe de la résistance contre le remodelage de la région. La logique impérialiste est normale : elle exige de mener de front une campagne subversive, une opération de diversion et une lutte idéologique dans un cadre plus vaste et plus complexe que le cas libyen. La plus grande hantise est la jonction Syrie-Egypte avec pour conséquence l’encerclement d’Israël et la coopération avec l’Iran.

Le régime syrien doit se réformer et faire passer des mesures radicales et rapides contre la corruption et la marginalisation du peuple pour apporter le coup de grâce au projet du nouveau Moyen-Orient et faire porter la véritable révolution dans les pays du Golfe, celle que refusent les dix commandements américains : la révolution iranienne avec une ouverture vers l’Égypte. Les Frères Musulmans égyptiens doivent en contrepartie se libérer de leur esprit partisan. Les élections présidentielles en Égypte vont sans doute relancer le débat idéologique et géopolitique en Égypte.

3-Quels sont, selon vous, les effets des transformations politiques dans le monde arabe sur la situation en Palestine ?

Pour l’instant, on va assister à des maquillages et des instrumentalisations, mais sur le plan concret, les Palestiniens vont être relégués au second plan et ils vont faire des concessions de survie. La bataille est dans le camp arabe, mais aussi sur d’autres terrains de confrontation comme en Afghanistan. Par ailleurs, les Turcs ont su s’imposer comme nouvelle pièce majeure dans le conflit, et la Turquie est dans une situation instable face à l’axe Syrie-Iran. La question palestinienne est passée de question d’occupation coloniale à une question humanitaire à Gaza et à l’indemnisation de quelques réfugiés. Pour l’instant, ces problèmes sont relégués à la réconciliation FATAH- HAMAS imposée par les conditions géopolitiques. Tous ces éléments dépendent de la conjoncture et de l’issue de la confrontation des axes arabes.

A terme les mouvements islamiques prendront de la consistance politique et géopolitique tout en favorisant l’émergence de nouvelles élites jeunes et intellectuellement compétentes qui vont fatalement reposer la question idéologique en interne pour la constitution d’un front national de résistance à l’impérialisme et d’édification nationale, ainsi que la constitution d’un front externe idéologique et diplomatique contre Israël, aboutissant inévitablement à une confrontation globale et au recentrage de la question palestinienne dans la conscience collective , avec ses effets tactiques et stratégiques sur des changements révolutionnaires plus soutenus, plus étendus et plus radicaux.

Dans mon livre Le dilemme arabe et les dix commandements américains, j’ai montré les axiomes de la géopolitique que les révolutions ont occultés et qui se retournent contre eux et contre la cause palestinienne. Ces commandements sont la nature idéologique de l’Empire et ils sont dévastateurs pour le reste du monde. Ce n’est pas le vote d’un parlement ici ou ailleurs qui va changer l’équation des rapports de force, de domination et d’intelligence, mais la remise du curseur sur les véritables défis, sur les véritables clivages et sur les véritables ingénieries politiques, économiques et informationnelles. Les Musulmans non seulement ne donneront pas des solutions à la libération de la Palestine, mais ne se libéreront pas du formaliste, des slogans et de la vassalisation s’ils ne parviennent pas à hiérarchiser et à harmoniser la notion de souveraineté divine avec la souveraineté du peuple. Il en est de même de la notion (fi sabil Allah) qui doit être libérée du confinement au seul qualificatif islamique pour s’ouvrir à l’universel de sa vocation. Le premier pas de libération de la Palestine sera celui de la libération des concepts, des mots, des comportements hérités de la décadence musulmane qui a fait du musulman un minus habens errant sur son propre sol et gaspillant son temps et son énergie faute de stratégie autonome, de veille sur le monde…

Pour l’instant le chaos qui s’est emparé du monde arabe annonce des clarifications à venir. A titre d’illustration nous avons les fossoyeurs de la question palestinienne, qui sont la Ligue arabe, la conférence internationale islamique et les monarchies du Golfe, qui viennent d’être discrédités aux yeux de l’opinion arabe dans leur rôle de vassal au Soudan, en Libye et en Syrie. La seconde illustration est le comportement erratique d’Ennahda et de Moncef Marzouki qui acceptent de faire de la Tunisie le pion avancé de l’Empire et de ses vassaux, moyennant quelques petro dollars, prouvant ainsi la confiscation de la révolution tunisienne non par des traitres comme le disent certains, mais par l’absence de cadre d’orientation idéologique qui permet tous les retournements et toutes les compromissions faute de cap, de veille, de boussole et de carte de navigation. La partie gagnée par le régime syrien va imposer de nouveau la ligne palestinienne radicale et fermer la porte aux compromis de Doha, d’Istanbul et de Tunis.

En Egypte, une fois la devanture institutionnelle parachevée, deux questions vont émerger et imposer de nouveaux défis à la classe politique : les luttes sociales et la question palestinienne (notamment l’ouverture des frontières et le soutien plus consistant à Gaza)

4-Comment expliquez-vous la relative stabilité de l’Algérie dans le contexte de déstabilisation du monde arabe :

L’absence de clivage idéologique des révolutions arabes, les scénarios violents en Libye et en Syrie, la mémoire des stigmates de 20 ans, la gestion de la pénurie, du terrorisme résiduel et la distribution de la rente sociale avec l’absence de culture d’État et l’absence de culture d’opposition politique, le caractère non mécaniste de contagion des révolutions laissent le peuple livré à l’attente messianique. Cette attente est mise à profit par les Eradicateurs pour faire du matraquage idéologique rappelant les événements depuis juin 90 à ce jour. Cette attente est mise à profit par les « Réformateurs » pour imputer au FIS la responsabilité des événements et prendre les résultats en Egypte, Libye, Maroc et Tunisie comme la réalisation de l’axe de Washington et demander de ne pas voter pour les islamistes lors des prochaines législatives. Les partis islamistes sont divisés, certains trop impliqués dans l’appui au CNT Libyen et au CNS syrien sans prise de distance, laissant l’émotionnel prendre le pas dans un pays en catastrophe politique, sociale et économique, qui a davantage besoin de clarification et d’assurances que de confusion ou d’aventurisme. Ils font peur à la classe moyenne et à la grande masse des fonctionnaires qui ne sont pas prêts de prendre le risque libyen. En Algérie Il y a eu 500 000 victimes, 20 000 disparus et 3 millions de personnes déplacées et il n’y a toujours pas de réponses ni de justice ni de clarification ni de vérité. Le peuple vit sa révolution passive laissant la porte ouverte à l’inconnu. Pour l’instant il ne cible pas Bouteflika comme a été ciblé Moubarak ou Ben Ali. Le peuple algérien ne voit pas les occasions ratées et les ambitions de l’Algérie piétinées mais la « concorde civile », la rente sociale. Il ne voit pas l’Algérie comme cible dans le projet de dislocation des territoires musulmans, il ne voit pas l’esprit de revanche instrumentalisé par les Etats-Unis, il ne voit pas la lutte des appareils et des clans partisans des Etats-Unis, de la France ou de la monarchie saoudienne se livrer bataille comme il ne voit pas les luttes de clans pour la possession de la rente du pétrole. Il ne décode pas la signification de l’aveu des jeunes loups et des seconds couteaux de s’émanciper de la génération de novembre 54.

Le peuple algérien conserve encore intacte sa mémoire de peuple agressé par l’extérieur et par l’intérieur pour avoir choisi une solution islamique dans une conjoncture de réformes politiques et économiques qui ne siéent pas à l’impérialisme ni aux monarchies. Il a connu la tragédie et la solitude alors qu’il était agressé par des hordes ayant la garantie de l’impunité car elles entrent dans le plan de diaboliser l’Islam et de bloquer le potentiel de développement et de l’indépendance de l’Algérie. Le peuple algérien n’a trouvé ni l’ONU ni la communauté internationale « démocratique » ni la ligue arabe ni les monarchies du Golfe pour l’aider en tant que victime et faire face à l’agression ou pour l’armer juridiquement, médiatiquement et militairement contre ses agresseurs. Le peuple algérien attaché à l’Islam sait par l’expérience et par la doctrine que la révolution est légitime sur le plan religieux si et seulement si elle ne se fait pas sous l’étendard de la confusion, si elle ne se réalise par une alliance stratégique avec les profanateurs et les prédateurs et si le mal qu’elle occasionne n’est pas supérieur au mal qu’elle est censée guérir. Le peuple algérien n’a jamais revendiqué l’internationalisation du conflit ni l’ingérence étrangère par intuition politique, par expérience du colonialisme qu’il a vécu comme la forme la plus cynique et la plus humiliante de deshumanisation.

5-Le mot de la fin :

La culture d’empire nous a vendu son modèle politique, économique et médiatique. Maintenant, alors que l’Empire est en plein déclin, sa culture parvient à nous vendre la fin de l’Histoire et la fin de l’idéologie, alors que jamais l’équation idéologique n’a été au cœur de notre existence et de notre devenir. L’idéologie ou l’art de production et de discours des idées est la seule démarche à répondre aux questions de sens de la grammaire des civilisations : comment conjuguer l’homme, le sol et le temps une fois que la finalité ultime a été définie et que le sens d’orientation a été tracé. Le monde arabe non seulement a fait de l’idéologie un discours creux et vague sans logique pragmatique, mais il est déchiré entre des idéologies antagonistes y compris au sein des mouvances islamiques. Sans idéologie commune, nous ne pouvons ni définir notre identité, ni notre appartenance, ni notre implication dans une cause en toute indépendance ou en résistance contre les autres idéologies. Pour l’instant, la voie pacifique ou la voie armée n’ont pas de réponse à apporter sur le projet de société, sur le projet de civilisation, sur le projet d’édification de l’homme nouveau, faute de débat idéologique fédérateur pour faire émerger l’idée primordiale sur laquelle il y a consensus pour vivre ensemble, regarder l’avenir dans la même direction et résister pour défendre les mêmes valeurs. L’Empire, spécialiste de la lutte idéologique, mène une œuvre de fragmentation idéologique pour empêcher toute continuité des mentalités collectives, des territoires géographiques, des idées, des économies et de l’histoire des peuples en opérant dans le Moi arabe des disharmonies, des intrusions, des incisions, des déchirures, des déchirements. L’impérialisme à l’avantage de connaitre notre état de décadence avant la colonisation, les fléaux qu’il nous a inoculé durant la colonisation, et les syndromes post indépendance qu’il a géré grâce à sa cinquième colonne et à notre ignorance de la lutte idéologique, politique et économique pour nous maintenir dans la posture de proie et se maintenir dans celle du prédateur. Les Arabes n’ont pas d’autres voies que de se fédérer autour d’un axe de résistance et de libération pour décoloniser leur esprit et produire leurs idées en autonomie de pensée et de décision.

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