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Article de Youssef Boussoumah publié sur le site du Mouvement des Indigènes de la République le 15 mai 2008.

La France est le pays qui porte la responsabilité de la partition de la Palestine et in fine de la création de l’Etat coloniale d’Israël. C’est la thèse défendue par Youssef Boussoumah dans ce texte à la fois clair et concis. Car c’est la France – et les pays catholiques qui votent traditionnellement comme elle dans les Assemblées générales de l’ONU – qui a fait basculer le vote onusien en faveur du « plan de partage » de la Palestine ce 29 novembre 1947.

Ce soutien apporté à la création d’Israël par les socialistes français s’explique en partie par la peur politique que suscitent les juifs rescapés en France et en Europe. Mais le facteur décisif du choix français est à rechercher du côté de la question coloniale : la France se sent menacée dans son empire colonial et perçoit le futur Etat israélien comme un allié stratégique dans son combat contre la Ligue arabe et les mouvements nationalistes. L’ensemble des partis politiques ainsi que la grande majorité des intellectuels français se sont aussi fortement mobilisés pour défendre les intérêts de l’Etat sioniste en formation.


Le 29 novembre 1947, l’assemblée générale de l’Onu à New York, « recommande », le partage de la Palestine encore sous mandat britannique, en deux Etats indépendants et hétérogènes. La majorité des délégués a ignoré le refus du peuple palestinien. Cette décision fondamentale va ouvrir la voie à la proclamation unilatérale de l’Etat d’Israël par David Ben Gourion, le 15 mai suivant.

De nombreux Etats, (notamment la Belgique ou certains pays d’Amérique centrale) de tradition catholique votaient usuellement comme la France, protectrice des chrétiens d’Orient. Le vote de la « fille aînée de l’Eglise » était donc attendu avec impatience ; il s’avéra déterminant pour l’avenir de la Palestine.

Comment interpréter la décision française dans une France encore taraudée en 1945 par plus de 5 années d’un virulent antisémitisme d’Etat et où, y compris pour de nombreux patriotes, les juifs constituent, au mieux, un peuple à part devant « retourner chez lui » en Palestine, au pire, un corps étranger ? Cette décision est évidemment à chercher en dehors de tout sentiment de compassion à l’égard des victimes du génocide commis par le nazisme. Si le fait qu’en 1947 il reste dans les camps de personnes déplacées (D.P.) 250 000 juifs rescapés des camps de la mort inquiète au plus haut point les gouvernements européens, ce n’est pas en raison de leurs conditions de vie déplorables mais par peur des troubles sociaux et politiques qu’ils pourraient engendrer s’ils étaient libres de leurs mouvements. Aussi, la seule question qui vaille aux yeux des gouvernements européens est celle de trouver une terre d’accueil pour ces personnes déplacées. Cette préoccupation est d’autant plus obsédante que les Etats Unis leur ont fermé leurs portes.

C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le vote français en faveur de la création d’un Etat juif. C’est aussi dans celui d’un empire colonial en déclin.

A l’ONU, lors du 1er tour de scrutin, la France, par la voix de son représentant à New York, Alexandre Parodi, et sur instruction expresse du ministre des Affaires étrangères et ministre des colonies, Georges Bidault, s’est prononcée pour l’abstention. Le ministre est alors très inquiet des réactions que la décision française pourrait entraîner chez les musulmans d’Afrique du Nord. Il craint surtout la possible relance d’une agitation nationaliste endémique qui, malgré la répression, ne faiblit pas. Une position de la France, « puissance musulmane » « trop en flèche » sur le dossier palestinien, c’est-à-dire en faveur du projet sioniste, ne risquerait-elle pas de raviver les braises des « événements » de Sétif et Guelma en Algérie (1945) ou celles des troubles récurrents du Maroc interroge Bidault ? Face à lui, des personnalités comme le ministre de l’intérieur socialiste Edouard Depreux, Daniel Mayer président de la ligue des droits de l’Homme mais surtout Léon Blum, leader socialiste vénéré, ancien président du conseil et militant sioniste de longue date, sont partisans du partage. Afin de calmer l’agitation nationaliste au Maghreb, il faut, pensent-ils, que soit écrasée en Orient la toute nouvelle Ligue des Etats arabes. Celle-ci est devenue dans la vie politique française une obsession ; on la fantasme dotée d’une puissance qu’elle n’a pas ; on croit deviner son ombre derrière le moindre mouvement de protestation indigène.

L’Etat d’Israël pour casser la résistance arabe

Les timides remontrances de la Ligue arabe à l’encontre de la violence coloniale en Afrique du Nord lui valent de faire l’unanimité contre elle en France – du PCF à la droite la plus anti communiste – et d’être qualifiée par tous de « machine de guerre anti-française ». Contenir et mettre en échec la Ligue arabe en Palestine, afin de faire pièce à son action en Afrique du Nord, c’est là tout le sens de la stratégie que préconise Léon Blum. Dans la nuit du 28 au 29 novembre, réveillant Vincent Auriol ( président de la République) afin qu’il fasse pression sur A.Parodi à l’ONU, il lance un vibrant appel où il lie les deux situations, Maghreb et Machrek : « Rien ne serait plus dommageable pour notre domaine d’Afrique du Nord » dit-il, « qu’une marque de débilité de notre part en Palestine. Il faut briser la résistance arabe ». Il est entendu. La France s’exprime, au second tour, pour le partage entraînant dans son sillage plusieurs votes identiques. Compte tenu du rapport de force à peu prés égal avant cette décision, le vote français fit pencher la balance.

Le coup de fil de Léon Blum ne fut pas forcément décisif ; la décision de changer la position française et de contourner Bidault après le 1er tour avait déjà été prise. Mais cet appel au président n’en apporte pas moins un éclairage remarquable sur l’état d’esprit qui fait alors consensus et sur les motivations de la décision française : la question coloniale. Donnée fondamentale pour ce pays confronté à l’effondrement de sa puissance d’avant guerre et qui doit au même moment faire face à des révoltes indigènes de plus en plus fréquentes : Indochine, Madagascar, Afrique du Nord.

En fait, une coalition hétéroclite de partis, de mouvements et d’individus s’est mise en place, dés 1946, apportant son soutien à la création de l’Etat d’Israël. Un engouement d’autant plus suspect qu’il rassemble dans une même ferveur vrais résistants et authentiques collaborateurs. Tous réunis contre « les féodaux arabes ». (A l’exception notable de certains milieux chrétiens, dont le remarquable hebdo « Témoignage chrétien » : celui-ci sut exceller dans la défense du peuple palestinien de la même façon qu’il sut avec courage combattre l’antisémitisme de Vichy.) Les sionistes ont très tôt reçu une aide politique et matérielle considérable. Ils ont pu installer leur logistique au su et au vu de la police française. Station de radio émettant en direction de la Palestine, camps d’entraînement à l’émigration et aux armes. Bases d’embarquement vers la Palestine (le transport l’Exodus partira en 1947 de Port de Bouc), dépôts d’armes (dont beaucoup proviennent de stocks ayant appartenu à la résistance y compris la résistance communiste des FTP ) et convoyage de celles ci vers la Palestine (à partir d’Ajaccio, entre autres, grâce à Maurice Papon, préfet de Corse en 1947). Le sud de la France s’est trouvé rapidement transformé en base arrière de la guerre contre les Arabes de Palestine. En contrepartie, des accords furent conclus avec les sionistes qui s’engageaient à aider la France contre les menées « anti-françaises » des nationalistes du Maghreb et des… Anglais.

Les intellectuels aux côtés d’Israël

La très grande majorité des intellectuels français, Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir en tête (ils militent tous deux dans un groupe sioniste extrémiste « le comité hébreu de libération nationale ») mais aussi Albert Camus, (directeur de Combat), Jules Romain où Sacha Guitry (ayant quelques « faiblesses » Vichyssoises à se faire pardonner ) s’engagent aux côtés du mouvement sioniste. La fille du ministre socialiste de l’intérieur, E.Depreux, milite à l’Irgoun, un groupe terroriste dirigé par Menahem Begin. Des écrivains comme Arthur Koestler ou Joseph Kessel partent aux côtés de la Haganah de Ben Gourion. Le 18 mai 1945, quelques jours après la proclamation de l’Etat d’Israël, un meeting « émouvant » regroupe au Vel’ d’Hiv’ – terrible ironie de l’Histoire – les partis communiste et socialiste qui ont fait taire pour l’occasion tous leurs différends. « Deux mille ans après la perte de son indépendance nationale, l’Etat juif est né » titre sans rire la presse communiste, pour qui cet Etat sera assurément un allié de l’URSS dans la guerre froide. Dans le même temps, l’expulsion des deux tiers du peuple palestinien de ses villes et villages – dés le 9 avril 1947 avec le massacre du village de Deir Yassin – ne rencontre que mépris ou indifférence, hormis chez quelques rares intellectuels comme l’islamologue Louis Massignon N’est-il pas temps de revenir sur cette responsabilité française ?

Youssef Boussoumah

Source : http://indigenes-republique.org

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