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Concert_de_soutien_a_Redeker-2-f02f8[1]Article de Jacques RICHAUD du 13 octobre 2006.

L’auteur est praticien hospitalier au CHU de Toulouse, il s’attaque ici à un cancer très particulier : la propagande islamophobe qui s’est développée à travers l’ « affaire REDEKER ».

L’article reprend étape par étape cette manipulation et révèle comment les mensonges du monde politico-médiatique se sont accumulés pour faire de Redeker une victime et de l’islam l’ennemi qu’il faut réellement combattre.

L’objectif de cette campagne étant selon J. Richaud, de  » préparer l’opinion à la troisième guerre de Georges Bush  » : la guerre contre l’Iran.


La sur-médiatisation et la dramatisation de «l’affaire Robert Redeker » par nos services politico-médiatiques aurait pu inciter à la prudence tous ceux qui en toute bonne foi souvent ont cru devoir réagir après s’être indignés. Une simple investigation «journalistique » menée correctement aurait peut-être pu éveiller quelques soupçons concernant les intentions de ceux qui ont instrumentalisé ce fait en évoquant les noms de Rushdie et Calas, un peu trop vite peut-être.

C’est alerté par des amis arabophones étonnés de la teneur des affirmations exploitées par la presse que j’ai demandé à trois sources arabophones différentes, dont une universitaire, de vérifier la teneur des propos tenus sur la chaîne Al-jazeera, incriminés comme à l’origine de la «FATWA » dont serait victime Robert Redeker. Les trois «retours » reçus ce jour douze octobre sont similaires et surprenants !

Pour donner à cette modeste investigation la rigueur nécessaire et l’interprétation utile, il est important de reconsidérer la chronologie des faits établis, en se posant à chaque étape les questions que cette affaire non encore achevée, ne manque pas de soulever.

I – CHRONOLOGIE D’UNE AFFAIRE SINGULIERE

1- DECLENCHEMENT

C’est le 19 septembre 2006 que le Figaro publie une double tribune sur la même page, celle de Robert Redeker et celle d’Antoine Sfeir. Celle de Robert Redeker se nomme «Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? »

Le jour même de la parution de ce quotidien du matin, 19 septembre, sa diffusion est interdite en Tunisie (Elle sera le 24 septembre également interdite en Egypte par décret source : Reporters sans frontières le 25/9/2006)

C’est le même jour que Robert Redeker déclare «avoir reçu des menaces de mort » et prévient le responsable de son établissement de son incapacité à assurer la poursuite de ses cours ; il est aussitôt «exfiltré » et caché en lieu sûr, ainsi que sa famille mise également sous «protection » par la Défense et Surveillance du Territoire (DST). Le professeur lui même sur I-Télé précisera avoir reçu des «menaces directes par mail » et révèle que des forums jihadistes «qui ne sont pas accessibles à tout le monde » donnent «toutes les coordonnées pour pouvoir (l)’assassiner ».

Ce n’est que le 20 septembre sur la chaîne Al-jazeera, dans le bulletin d’information bref de Hassad Al Yaoun d’une minute, qu’est transmise l’information de la censure du Figaro en Tunisie, à cause «d’un article insultant le prophète Mohammed » écrit par un philosophe dont le nom n’est pas même cité, mais qui «accuse le Coran d’inciter à la violence » et qui «se moque des rites du pèlerinage chez les musulmans » (Tout ceci est effectivement contenu dans la tribune de RR). Dans une information complémentaire la parole est donnée au «Président de l’union islamiste des savants musulmans » le cheikh Youssef Al-Gardaoui qui dans son commentaire au sujet de l’article, appelle les musulmans «à protester d’une manière sage le vendredi 22 septembre…pour défendre l’islam et son prophète contre les propos du Pape Benoît XVI et l’auteur de l’article du Figaro », dont le nom ne sera pas cité ; en appelant à la modération et «à ne pas s’attaquer aux églises ou aux ambassades…pour ne pas donner l’image de musulmans violents dont les médias occidentaux sont friands »

A ce stade retenons que le nom de l’auteur n’a pas même été cité et que la protestation émise n’appelle nulle vengeance, mais une expression de réprobation calme pour le surlendemain. Il n’a jamais été question de «fatwa » qui possède un sens religieux et juridique particulier connu de tous !

Le 21 septembre, et sans attendre la manifestation prévue le lendemain, Pierre Rousselin directeur adjoint du Figaro exprime sur la chaîne Al-jazeera «ses regrets concernant la publication de l’article…(qui) est une erreur…(et) n’exprime pas l’avis du journal…(cette) tribune libre n’engageant que son auteur…(cette publication a été faite) sans vérification préalable, il s’en excuse ». Le même jour 21 septembre l’article est retiré du site du Figaro (j’ai pu le vérifier), l’intervention de Pierre Rousselin sera aussi retirée du site d’Al-jazeera…

A ce stade on peut s’étonner de la non-mention de ce fait dans les médias français ; et plus encore de la complaisance plus tardive de tous ceux qui partiront en campagne au nom de la «liberté d’expression » sans même évoquer le désaveu et la dérobade du Figaro, qui s’associera à la même campagne ! Personne n’a reproché au Figaro une quelconque «islamisation » des esprits comme le déclarait l’auteur de la tribune incriminée et qui l’aurait poussé à commettre cette autocensure !

Surtout aucun lien ne peut non plus être établi entre les menaces reçues la veille par RR et l’émission de la chaîne arabe ; ce fait est d’évidence ! Si des menaces ont été faites leur source est ailleurs.

Le même jour 21 septembre, le texte de Robert Redeker ainsi que celui d’Antoine Sfeir sont repris et diffusés sur le site français PROCHOIX (animé par Fiammetta Venner et Caroline Fourest), accompagnés d’un article de Fiammetta Venner intitulé « Quelques remarques à propos du Pape, de l’Islam et du Figaro ». Cette diffusion est explicitement destinée à «notre lectorat tunisien » pour contourner la «censure ». Cet article, il faut le souligner prend nettement ses distances avec celui de RR en stigmatisant aussi les violences des autres religions.

Le vendredi 22 septembre les médias français sont présents à la manifestation appelée par le cheikh Youssef Al-Gardaoui qui se passe dans le calme et ne sera donc pas relayée par les chaînes nationales. Le même jour Nasrallah se faisait ovationner à Beyrout par une foule immense au cours d’une manifestation pour «le jour de la victoire », cette manifestation a été intégrée aux journaux télévisés français et a fait le sujet principal des chaînes arabes, pour lesquelles Robert Redeker reste toujours un inconnu !

Le même jour 22 septembre, Tarik Ramadan publie sur son site un long article « le Pape et l’Islam : le vrai débat » sans mentionner la tribune de RR. Le forum de discussion qui suit mentionne l’article du Figaro pour s’en indigner ainsi que de sa reprise sur le site de Prochoix ; en réponse il est écrit que « sœur Caroline (Fourest)…prétendue antiraciste…cette femme est une Oriana Fallaci déguisée…voilée sous les appellations de …féministes, antiracistes, laïques…no comment ».

Le 25 septembre sur le site Prochoix c’est cette fois Caroline Fourest elle-même qui signe un éditorial mensonger au regard des faits rappelés ci-dessus : « Sur Al-jazeera, Youssef Al-Quradami désigne Robert Redeker à la vindicte » en écrivant mensongèrement « Le 20 septembre sur la chaîne Al-jazira le cheikh Youssef al-Qaradani a profité de son immense audience pour désigner le philosophe Robert Redeker comme islamophobe du moment. Ce n’est pas rien lorsqu’on connaît l’influence du cheikh…aucun texte ne mérite une FATWA MONDIALE ». Et Caroline Fourest « soutien le droit de Redeker à s’exprimer », elle assume d’avoir repris la publication, mais prend elle aussi ses distances avec le ton de RR en disant « toutes les religions sont instrumentalisables pour le pire »

LE MOT « FATWA « » A ETE LANCE ET LA SUITE EST CONNUE

Tous les bien-pensants qui se croient démocrates choisissent leur camp sur l’énoncé d’une imposture. Il n’y a jamais eu de Fatwa et le nom de Robert Redeker n’a pas même été prononcé !

A CE STADE QUE RESTE T-IL ?

Des menaces exprimées dés le 19 septembre dont la police serait dans l’incapacité de déterminer la provenance informatique, régionale ? nationale ? internationale ? Chacun sait que n’importe qui peut envoyer un mail à n’importe qui, même à soi-même ; mais la tracabilité de ces envois est tout à fait possible et même devenue légale depuis les lois Perben et les mesures «antiterroriste ».

Alors que fait la police ? Info-intox ou manipulation ? L’origine des menaces est elle identifiée ? Tenue encore secrète ? Cela accréditerait l’hypothèse d’une manipulation policière et politique désireuse de tirer aubaine de la publication de cette tribune islamophobe, en entretenant une pesanteur dont Robert Redeker est la première victime désormais, même s’il n’y a jamais eu de « fatwa » !

On laisse se dérouler la réaction à une « fatwa » qui n’a jamais existé. Une Presse complaisante à l’émotion générale ressentie fournit jour après jour les tribunes qui accréditent les thèses de Robert Redeker, sans prudence ni discernement. L’ensemble de la presse se positionne clairement dans le «choc des civilisations » annoncé du côté de Robert Redeker dont la tribune immonde trouve un succés inespéré de l’auteur lui-même !

Robert Redeker est-il à l’abris pour autant ? Même en l’absence de « fatwa » ? Sûrement pas, tant il est évident qu’une agression sur sa personne accréditerait à la fois sa thèse et celle de ceux qui le soutiennent, en même temps qu’elle démontrerait le bien fondé d’une accentuation des mesures «sécuritaires » déjà développées dans notre pays.

Redeker pourrait bien avoir à se méfier de certaines «protections ». Il pourrait devenir demain « l’idiot utile » ou la victime même d’une cause qui le dépasse désormais.

Ceux qui logiquement doivent le plus souhaiter sa protection efficace sont ceux qui trouvent ses thèses immondes justement ! Longue vie à Robert Redeker pour qu’il puisse demain rencontrer d’autres hommes et femmes, musulmans et sains d’esprit qui lui feront percevoir la profondeur de ses erreurs.

2. L’EMBALLEMENT

C’est le 27 septembre que le grand public par « la Dépêche du Midi » apprend « à la une » que « un professeur de philosophie est menacé par les islamistes »

Le 29 septembre la revue électronique « Respublica » éditorialise sous le pseudo habituel « Evariste » un article : « Robert Redeker : première victime de la FATWA en France » et stigmatise de façon très virulente tous ceux qui oseraient ne pas le soutenir. L’Union des Familles Laïques (UFAL) par la voix d’Evariste apporte « un soutien inconditionnel à Robert Redeker » et dénonce « la rhétorique insidieuse qui consiste à assortir la condamnation de la FATWA dont est victime Robert Redeker d’un même si ou d’un bien que ». Une pétition de « la Gauche Républicaine » est donc lancée immédiatement signée par des dizaines de personnalités.

Le 30 septembre 2006 le recteur de la grande mosquée de Lyon Kamel Kabtane, dans un communiqué, « Emet les plus grandes réserves quant à l’origine exacte de ces menaces… l’heure est aussi aux manipulations », il faut que « les auteurs soient identifiés et sanctionnés comme le permettent les lois de la République » (cité sur le site Prochoix).

Le même jour 30 septembre « Libération » fait sa une sur « Peut-on encore critiquer l’Islam ? » et Olivier Roy écrit « certains jouent à chatouiller la fatwa » et dans ce numéro Caroline Fourest précise « nous sommes passés d’une affaire Ruschdie tous les dix ans à une affaire Ruschdie tous les ans, voire maintenant quasiment tous les mois. A l’époque quand l’ayatollah Khomeiny lança sa FATWA contre l’écrivain, la gauche était soudée pour défendre la liberté d’expression et le droit d’offenser toutes les religions ». Le même joue « le Monde » évoque le « repérage » par la DST de « forums jihadistes anglais » qui confirmeraient la menace avec photos, adresse plan d’accès au domicile de RR….Mais quel crédit peut-on apporter à ces allégations ?

Il va de soi que ces menaces sont injustifiables et imposent la protection de Robert Redeker par la force publique. Mais la situation n’est pas véritablement la même entre une condamnation à mort par une autorité religieuse islamiste (qui n’a jamais eu lieu) et une menace par des propos haineux sur Internet comme il en circule quotidiennement sur des dizaines de forums accessibles à tous, particulièrement entre les communautés impliquées dans les drames du Moyen Orient.

Redisons le clairement, il n’y a jamais eu de « fatwa », ce qui n’exclue pas la matérialité de menaces d’autre nature et elles aussi préoccupantes, dénoncées par l’intéressé lui-même. Le web est devenu un terrain privilégié de la manipulation et les idées les plus abjectes circulent quotidiennement sur des forums plutôt mal pondérés, les interventions y sont le plus souvent signées de « pseudo » qui autorisent toutes les outrances, se faisant même parfois passer pour « la partie adverse » pour lui donner une image révoltante, personne ne peut empêcher cela.

Mais transformer un « fait grave » en un phénomène de société relève de l’irresponsabilité et de la démesure. Caroline Fourest elle-même et Philippe Val et bien d’autres ont été « menacés » après certains de leurs écrits et protégés de façon plus discrète !

La résonance donnée à la menace dénoncée par RR lui-même a pour premier effet d’amplifier, en la généralisant, la sensation d’une menace qui est à la base de la xénophobie et de tous les racismes. Plus personne ne perçoit que pour RR la critique de la religion musulmane dans son ensemble n’est pas une discussion philosophique mais une «opinion » qui s’inscrit dans la promotion du «choc des civilisations ». Qu’une large assemblée d’intellectuels se soit rangés derrière sa frange la plus extrémiste est un succès considérable pour les thèses de RR ! Tout cela ne fait le jeu que des néoconservateurs les plus extrémistes et de la partie adverse authentiquement jihadiste…

Mais que vont faire certains dans cette galère ? Le 30 septembre Caroline Fourest écrit « Affaire Redeker : A quoi joue la DST ? » pour s’étonner du fait que « davantage que le niveau des menaces, habituel, c’est bien le niveau de la réaction policière qui a changé » et questionne en référence aux menaces islamistes supposées : « Les services détiennent-ils des informations précises ou sont-ils dans le bleu ». elle questionne « s’agit-il de créer un effet de panique légèrement disproportionné qui punit Redeker au lieu de le protéger » ? Il faut dit-elle «s’interroger sur le choix policier et donc politique opéré »…

Une autre voie est étouffée : Le 30 septembre le groupe progressiste du « Manifeste des Libertés » édite une autre pétition « Pour la liberté de parole » dont le texte est le suivant : « Nous dénonçons avec la plus grande force les menaces de mort dont fait l’objet Robert Redeker, bien que nous soyons en désaccord avec ce qu’il a écrit, avec la médiocrité triviale de ses propos, avec ses outrances verbales en miroir avec les islamistes violents ». Cette pétition plus « voltairienne » que celles affirmant un soutien inconditionnel ou une approbation aura de nombreuses signatures de personnalités musulmanes, mais curieusement ne sera ni médiatisée ni reprise par la presse nationale.

Nos médias massivement se sont retranchés dans le camp du soutien à l’intolérance de Redeker, occultant aussi bien des vérités factuelles (l’absence de fatwa) que des voix plus pondérées que celles attisant objectivement le «choc des civilisations » replacé dans l’actualité par la tribune de Robert Redeker !
En effet l’emballement s’est poursuivi.

Le 1 octobre 2006 « le Monde » à son tour éditorialise «Pour Robert Redeker ».

On peut retenir, mais nous le savions déjà, que l’opinion publique « ça se fabrique » et des ouvrages ont déjà été consacrés à l’invention de cet « islam imaginaire » qui doit nous terroriser, non pas dans sa perversion islamiste mais bien dans son ensemble.

Le même jour un nouveau « Respublica » appelle à un « soutien sans réserve » et réaffirme que Robert Redeker est « victime d’une FATWA » qui le force à la clandestinité, réfutant toute « analyse indécente de ses propos ». Il réédite une tribune ancienne de Robert Redeker publiée dans La Dépêche du Midi le 21 octobre 2003 consacrée à « L’islamophobie, l’arme des islamistes contre la laïcité » faisant référence au livre de Caroline Fourest et Fiammetta Venner reprenant l’histoire du concept d’islamophobie décrit comme « une arme forgée par les islamistes » ! Il cite aussi la formule de Maïakovski «les mots sont des balles » (Qu’il ne pouvait donc ignorer en écrivant sa tribune du 19 septembre 2006 !). L’auteur tentait aussi péniblement de démontrer que l’islamophobie n’est pas un racisme et écrivait « Un islam à visage humain est-il possible ? ». Le même numéro contient un communiqué de presse de l’UFAL « la République doit protéger les victimes des FATWA » et un article d’Antoine Peillon (président de la France Radicale Gauche Démocratique et Républicaine) menaçant : « Nous mettons aussi en garde …ceux qui ne le soutiennent pas totalement et sans condition, car ils sont dés lors, plus que jamais nos adversaires ». Cela ressemble au discours de Bush en septembre 2001 « Ceux qui ne sont pas avec nous, sont contre nous ! ». On a envie de dire tu déconnes Antoine ?

Le 2 octobre « le Monde » rattache, d’après la DST la menace à AL-Qaida (qui possédait donc dés le 19 septembre un plan de la commune de Saint-Orens et l’adresse du professeur…brrrr, il y a de quoi trembler !) La menace ne relèverait plus d’une fatwa mais du terrorisme ? Le journal publie une autre « liste de soutien » que celle lancée par Respublica, intitulée celle-ci « En faveur de Robert Redeker ».

Le 3 octobre la revue Prochoix de Caroline Fourest relaie cet appel avec invitation à le signer sur l’adresse de la revue « les Temps Modernes » dont RR était éditorialiste.

Le 4 octobre « Evariste » dans un nouveau « Respublica » stigmatise le MRAP et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou « Quelques islamo-gauchistes pèsent bien peu, de même que le sectarisme congénital d’une organisation laïque qui trouve encore le moyen de lancer une polémique au lieu de se rassembler derrière la défense de Redeker ». Il stigmatise aussi « Nicolas Sarkozy, qui encourage les fous d’Allah à réclamer toujours plus de dérogations communautaristes » et Evariste prétend s’exprimer au nom des « citoyens » qui « en ont assez », rappelant que Redeker est « victime » et « condamné à mort ».

Dans le même numéro Sonja Rivière écrit « Redeker a finalement raison », rajoutant même aux propos de RR que «Le mois sacré de ramadan doit apporter son quota de sacrifices humains » et il est temps de «dénoncer l’effroyable imposture »…(Cela ne vous rappelle rien ?) et une «islamisation des esprits devenue insupportable ».

Le même jour dans Charlie-Hebdo, Caroline Fourest collaboratrice régulière de cet hebdomadaire s’étonnait des excuses de Rousselin : « Les éditorialistes du Figaro ne nous avaient pas habitués à tant de prudence sur l’Islam », tout en confirmant encore une fois que «le théologien vedette d’Al-jazeera et des frères musulmans…a désigné Robert Redeker à la vindicte le 20 septembre ». Elle ironise sur « le courage économique » du Figaro ayant présenté ses excuses. Elle surenchérit à propos d’une « fatwa contre Mozart » après le retrait préventif d’Idoménée du Deutsche Oper à Berlin, même si elle relève que pour Angela Merkel « l’autocensure par la peur n’est pas tolérable »…

Ainsi donc, peu importe qu’il y ait eu ou non « fatwa » ; il nous faut penser seulement « qu’il aurait pu y avoir, qu’il y aurait certainement même eu fatwa, inspirant une peur qui explique le retrait de la pièce ! ». Dans le même numéro Philippe Val stigmatise « Sa sainteté Mouloud Aounit » qui avait eu le tort de rappeler au nom du MRAP que « toute forme de violence en appelle hélas d’autres en retour, parfois plus extrêmes encore ».

Le « Canard Enchaîné » du 4 octobre à raison de décrire « Une affaire islamentable » et de conclure « pour …passer de l’invective au dialogue, du simplisme à la complexité, il faudrait des gens qui savent penser en profondeur…comment dit-on, déjà ? Des philosophes ». Hélas les philosophes ont signé en masse leur soutien «inconditionnel » à Robert Redeker.

Le 5 octobre « le Point » titre « Nous sommes tous des Redeker » mais donne aussi la parole à Tarik Ramadan : « Robert Redeker est libre de dire ce qu’il veut, je l’ai affirmé et répété, mais j’ai moi aussi le droit de dire que son texte est haineux ». Le « Nouvel Observateur » du même jour réaffirme encore « le 20 septembre, Redeker est dénoncé sur Al-Jazeera ».

Le 6 octobre « Valeurs Actuelles » titre « la fatwa Redeker ».

Le 7 octobre dans « Marianne » Guy Konopnichi s’égare : « Je tiens le principe de respect pour une saloperie…entre Mahomet et Robert Redeker, je choisis Redeker. N’en déplaise à Mouloud Aounit ! ».

Le 9 octobre 2006 c’est dans le journal « la Croix » que sera précisé à propos de la chaîne Al-Jazeera : « Le nom du philosophe (n’a) pas été prononcé » dans un sujet traité en « à peine une minute ». Toutes les démarches rapportées montrent que l’économie de la vérité devient la base d’un appel à dénonciation universelle d’une menace, exactement celle qui est au cœur de la chronique de Robert Redeker !

Il est confirmé que dénoncer la surenchère des extrêmes n’est pas dans l’air du temps pour les pétitionnaires. Pour Philippe Val « La situation a de quoi inquiéter », la menace contre RR est assimilable à l’attitude de Ahmadinedjab en Iran qui veut « mettre du plutonium dans les centrifugeuses » ! La boucle est enfin bouclée qui nous désigne en filigrane la logique et l’objectif de toute la campagne menée : il s’agit d’instrumentaliser « l’affaire Redeker » pour préparer l’opinion à la troisième guerre de Georges Bush, après l’Afghanistan et l’Irak, ce sera demain l’Iran

Le 5 octobre 2006 Pascal Boniface directeur de l’Institut de Recherche Internationale et Stratégique (IRIS) publie une note dans Témoignage Chrétien qui rappelle que « Robert Redeker est favorable au choc des civilisations », tout autant que « ceux qui l’ont menacé ». Il précise « ses idées sont nauséabondes, mais c’est bien sur le domaine des idées qu’il faut les combattre. Ses propos auraient pu même avoir une suite sur le plan juridique, car il contredit très réellement les lois françaises sur l’interdiction de propager la haine raciale. Mais tout est fait pour que le débat soit piégé. Les menaces ont transformé Robert Redeker de coupable en victime. Plus personne ne parle du caractère raciste de ses propos, mais des menaces qu’il a subies. Or les deux sont condamnables ». Il conclue « Soit on admet le droit de tout dire y compris les injures raciales au nom de la liberté…soit l’on considère que le climat est tellement lourd et explosif qu’il faut apporter certaines limites à la liberté d’expression. En tous les cas on ne peut pas plaider pour la première thèse dans certains cas et pour la seconde dans d’autres ».

II – DE NOMBREUX QUESTIONNEMENTS PERSISTENT AUTOUR DE CET EVENEMENT ET SURTOUT DE SON NSTRUMENTALISATION

1. LES FAITS

Il n’y a pas eu de Fatwa, mais tout le monde feint de l’ignorer ; ce mensonge était nécessaire pour une dramatisation de la menace.

Il y aurait bien eu des menaces dont les services de renseignement affirment qu’elles seraient « de mort » et en relation avec « Al-Quaïda » sans étayer cette affirmation de preuves depuis plusieurs semaines. Ceci est surprenant de la part d’un ministre de l’intérieur qui nous avait habitué à une communication plus agressive sur des faits divers de gravité moindre.

Il est avéré que les premières menaces, le jour même de la publication, sont antérieures à une émission sur la chaîne Al-Jazeera présentée, de façon mensongère, comme le relais d’une « fatwa » qui relève du fantasme ; sachant bien que très peu d’arabophones auront eu la capacité de vérifier ce fait. La vraie question est de savoir si ces menaces relèvent d’une piste locale (expliquant la précision de la menace), d’une piste nationale ou internationale ; l’incertitude entretenue plaide pour que l’hypothèse d’une gigantesque intoxication ou manipulation doive être considérée.

2. LA MANIPULATION

C’est une constante du discours extrémiste d’englober dans sa stratégie l’existence reconnue d’une « liberté d’expression » qui crée de fait une « obligation d’en débattre » et de reconnaître le caractère « licite » de quelque opinion que ce soit, en restant libre de la désavouer… « les chambres à gaz n’ont pas existé ? Bon, débattons-en, à ma droite X, à ma gauche Y qui représente la thèse inverse… »

Mais avec l’affaire Robert Redeker le débat a changé de nature, car une étape a été franchie qui consiste à court-circuiter même l’obligation d’apprécier la thèse en présence, pour consacrer ses efforts seulement à la défense de la liberté d’expression de son auteur ! Il est vrai que la thèse aurait du mal a trouver des défenseurs crédibles aux yeux de l’opinion comme des érudits sur le sujet de l’Islam ! « Ne parlons donc pas de ses thèses islamophobes délirantes, unissons seulement nos efforts pour la défense de leur auteur menacé, même sans trop bien savoir par qui…Et si ce texte a suscité la colère de fanatiques, c’est donc qu’il était juste de les dénoncer ! CQFD », Redeker : un ; Raison : zéro !

3. LES CONSEQUENCES PREVISIBLES

Pour comprendre l’importance de ce « glissement » il nous faut nous rappeler que lorsque les intellectuels se sont mobilisés pour contrer, dans le passé des thèses révisionnistes ou négationnistes, il s’agissait de ne pas étouffer ou déformer une vérité historique passée. L’article de Redeker, lui, même s’il se réfère à une fausse connaissance du Coran, s’exprime en fait dans et pour le temps présent et le temps à venir ; il pose une affirmation qui est un acte de guerre dans un choc des civilisations dont nous ne vivons que les premiers soubresauts. Ce choc se prépare, par les armes et par les mots.

Nous savons l’existence authentique de forces en présence que personne ne songe à nier ; celles d’un islam perverti extrémiste mais encore ultra-minoritaire et celles de l’axe du bien autoproclamé porteur de valeurs de la civilisation judéo-chrétienne. Les deux sont prêts à incendier la planète, certains, dont Redeker croient ce choc inéluctable et contribuent à la « diabolisation » de l’Islam tout entier pour faire accepter le pire au plus grand nombre.

Lorsque nos intellectuels les plus médiatiques se sont solidarisés avec la frange la plus intolérante de la pensée occidentale, c’est bien cette image globale (et non celle d’un paradis de la liberté d’expression !) qu’ils ont donné au reste du monde, comme un immense « quitus » à tous ceux qui militent pour le choc des civilisations.

Mais les premières victimes des écrits de Robert Redeker et du soutien inconditionnel qui lui est apporté par beaucoup ne seront pas les islamistes ; ce seront les très nombreux musulmans ou intellectuels éclairés qui n’épousent pas leurs thèses et luttent dans ce monde complexe pour faire sortir des peuples entiers de la théocratie et de l’obscurantisme par certains entretenu.

Ceux qui en Islam ont compris que les «lumières » d’occident ne sont ni éloignées ni incompatibles avec les « lumières » d’Islam, ignorées chez nous par le plus grand nombre, auront à répondre sur leur vie de la haine répandue par Robert Redeker et ses soutiens. Le pire, qui doit être admis, est que l’élimination programmée de ces « modérés » est au centre de la stratégie des uns comme des autres. Le choc des civilisations annoncé par tous les néoconservateurs militaristes de la planète n’est pas une option de progrés espéré mais une option de confrontation armée considérée comme inévitable.

Robert Redeker, par ses écrits antérieurs et actuels, est un soldat de ce combat. La question qui est posée à tous d’un soutien voulu inconditionnel n’est pas une question philosophique, c’est une question politique.

Notre choix « pour Redeker » peut paraître peu signifiant et allant de soi dans nos salons mondains. Mais pour ceux qui luttent contre l’intolérance dans des lieux ou la connivence n’est pas de mise entre penseurs aux opinions divergentes, mais ou les minoritaires et démocrates sont en danger de mort permanent, ce choix peut être une sentence fatale au motif même des liens établis avec une forme de la pensée occidentale qui a porté au cours des siècles le germe de la plupart des mouvements d’émancipation.

Nous sommes tous comptables, au nom même des idées que nous prétendons défendre, de la vie de tous ceux qui sur d’autres rives ne nous haïssent pas et ne peuvent comprendre notre venin ou notre lâcheté. Soutenir RR c’est clairement consentir au sort fait à ceux là dont le sort, déjà et pour longtemps, semble nous être étranger.

La démocratie d’opinion n’a t’elle pas généré une philosophie de la protection ? Une philosophie qui pour affirmer sa liberté dénonce ce qui serait susceptible de l’entraver ? Cette évolution peut même contribuer à cautionner, paradoxalement, des lois liberticides.

Ce que nous observons n’est-il pas l’extinction de tout débat sur la responsabilité des intellectuels ? Ces débats qui en un autre temps ont séparé et parfois réunis Jean Paul Sartre et Raymond Aron, seraient-ils encore possibles aujourd’hui ? Lequel de ces deux penseurs aurait osé stigmatiser l’autre en le menaçant de complaisance envers une « islamisation des esprits », simplement pour avoir tenté de poser la raison en avant de la passion ?

Au stade ou nous en sommes arrivés, en sortant ce n’est pas la peine d’éteindre la lumière ; l’ampoule a déjà rendu l’âme…

Comme tant d’autres philosophes qui se voulaient médiatiques, Robert Redeker souhaitait obtenir par sa tribune « son quart d’heure de célébrité » comme disait Andy Warhol ; sans imaginer qu’en s’auto-désignant expert en islam, il allait se prendre les pieds dans le tapis et être placé devant la responsabilité d’un acte qu’il croyait de pure forme. Le marketing des idées a aussi ses revers, comme une mauvaise pub qui fait un « flop ».

La réalité de la détresse de Redeker ne semble pas faire de doute, qui n’était pas préparé par son statut d’intellectuel, à devoir vivre en clandestin selon les conseils que lui prodigue la DST. Mais les victimes de son attitude sont aussi son épouse et ses enfants que nul ne songe à soutenir et qui le méritent pourtant, totalement victimes, eux, de cette surenchère sécuritaire qui devrait cesser dans l’intérêt de tous.

CONCLUSION PROVISOIRE

Cet événement d’une importance factuelle dérisoire représente en réalité un événement majeur, révélateur d’un glissement de nos perceptions qui nous fait banaliser l’intolérance. On peut y voir l’effet de « la peur » qui a saisi nos sociétés depuis le 11 septembre 2001. On peut aussi y voir l’impact d’une sournoise propagande au quotidien qui travaille pour banaliser aussi bien le découpage du monde en un axe du bien et un axe du mal, légitimant toutes les lois sécuritaires et les guerres préventives. Il est dans ce contexte attendu que les intellectuels ne soient au service que d’une seule cause qui sert les intérêts de l’occident ; ceux d’entre eux qui tenteraient de garder une pensée « universaliste » sont suspects et discrédités, assimilés au camp déjà désigné ennemi !

Robert Redeker, dans sa sincérité délirante et sa phobie voyait partout une « islamisation des esprits » ; en réalité ce que cet événement a révélé c’est tout le contraire, c’est une ISLAMOPHOBISATION massive des esprits !

Parce que les mots « tuent » il ne faut banaliser aucun discours excessif. Le tribunal de Nuremberg n’a pas jugé des combattants de terrain qui auraient survécu à leurs crimes, il a jugé les penseurs et les instigateurs de ces crimes qui avaient élaboré une idéologie faisant de l’intolérance un dogme.

Il est fait appel à Voltaire en omettant de dire qu’il n’a jamais préconisé de taire la critique, mais seulement de la fonder sur la raison et non sur la force. Qui peut imaginer qu’un Voltaire aurait signé un soutien inconditionnel à une thèse dont il aurait détesté le contenu, sans engager toute son énergie d’abord pour la combattre. C’est ce que semblent avoir collectivement oublié nombre de ceux qui croient devoir donner leur bénédiction laïque à des propos islamophobes détestables. Tous ceux la sont déjà formatés à une pensée de l’intolérance qui pourrait bien mener le XXI ème siècle vers la tragédie.

Rares sont ceux qui s’interrogent, comme Mohammed Arkoun dans « Histoire de l’Islam en France » (Albin Michel 2006) sur l’émergence de l’islamisme mais aussi sur la construction médiatique de l’islamophobie. Assurément un ouvrage tel que celui là doit paraître insupportable à tous les annonciateurs du « Choc des civilisations ». Il se pourrait que la survie même de notre société dépende de notre capacité à reconquérir une pensée obscurcie, non par l’islam, mais notre peur de voir s’ébranler nos dogmes hégémoniques et nos certitudes intellectuelles.

EPILOGUE

Pendant que nos pseudo-intellectuels médiatiques font de la surenchère pour soutenir l’un des leurs engagé dans un combat douteux, le 7 octobre 2006 à Moscou tombait sous les balles la journaliste et écrivaine Anna Politkovskaïa dont une part de la vie a été consacrée à témoigner du sort fait au peuple tchétchène.

La Tchétchènie, cette ex-république musulmane de l’ex-empire soviétique est soumise à la folie d’une Russie gangrenée par la xénophobie, le racisme et particulièrement l’islamophobie. Anna Politkovskaïa défendait admirablement cette cause, non en soutien de la forme de ses combats, sachant refuser toutes les complaisances dans les deux camps, mais en soutien et par essence même d’une exigence de justice. Le racisme était totalement étranger à sa pensée et elle était libre de toute aliénation, philosophique, politique, matérielle ou religieuse ; pour cela elle était intolérable pour le pouvoir en place. Les tueurs ne lisaient certainement pas le Figaro ; mais pour exécuter un meurtre politique il faut à la fois mettre une arme au poing d’un homme et aussi lui vider le cerveau en l’abrutissant de discours haineux.

Nos frères tchétchènes seront demain plus seuls qu’hier, non seulement du fait de la volonté de Moscou, mais aussi parce que rendus plus vulnérables par le meurtre d’une femme libre dont la vie était consacrée à délégitimer tous les discours haineux «rédékériens » qui ne sont rien d’autre que des cautions avant meurtre.

Puisse cet événement contribuer à clore chez nous un débat ouvert après une sinistre tribune du Figaro dont le journal lui-même s’est désolidarisé.

Le seul débat qui doive être poursuivi, on peut même dire réouvert, c’est celui de la responsabilité des intellectuels face au monde réel, celui des enjeux de domination ou de résistance, d’aliénation ou d’émancipation humaine.

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