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le 2/5/2010 14:50:00 (2610 lectures)

Dans cet article qui retrace l’histoire ancienne et récente d’al -Quds, Raghida Ousseiran montre combien cette ville est symbolique de la lutte du peuple palestinien contre le sionisme.

La judaïsation d’AlQuds, c’est-à-dire l’épuration ethnique, la falsification de l’histoire et l’effacement du caractère indéniablement arabe et musulman,  est aujourd’hui  à son paroxysme. L’objectif colonial sioniste est de priver le peuple palestinien de tout son environnement historique et culturel qui le rattache à cette terre et dans lequel il puisse l’énergie de sa résistance.

Défendre al-Quds, ses lieux saints et l’ensemble de son héritage civilisationnel, ce n’est pas mener une guerre de religion, c’est plutôt réaffirmer et sauvegarder le caractère universel de cette ville en la libérant de cette colonisation.


Introduction

Al-Qods (nom arabo-musulman de Jérusalem) est bel et bien menacé ! L’année 2009 a assisté à une recrudescence de sa judaïsation par les responsables sionistes. La mosquée al-Aqsa risque de s’écrouler à cause de l’intensification du creusement des tunnels, l’Eglise du St-Sépulcre est de plus en plus souvent fermée aux fidèles, et notamment lors des fêtes religieuses. Les autorités de l’occupation interdisent aux fidèles palestiniens de se rendre de la bande de Gaza et de la Cisjordanie vers la ville d’al-Qods, et notamment lors des célébrations religieuses. Depuis plusieurs années, l’occupant interdit fréquemment aux Palestiniens de moins de 50 ans, de Cisjordanie et même de la Palestine occupée en 48 (Galilée, villes côtières, Naqab et région du Triangle), de se rendre à la mosquée al-Aqsa. Pendant les cinq dernières années, il a érigé le mur de l’annexion qui devrait isoler la Cisjordanie et les villages densément peuplés qui entourent al-Qods, de la ville sainte, tout en annexant des terres de Cisjordanie pour les rattacher à la grande municipalité de Jérusalem, sous administration sioniste. Dans cette opération, les responsables sionistes ont repoussé les Palestiniens vers une Cisjordanie de plus en plus amputée de ses terres, réduisant le nombre de ceux qui peuvent circuler librement dans al-Qods, séparant les membres d’une même famille, les élèves de leurs écoles, les malades de leurs centres de soins, pour réduire le taux de la population palestinienne dans la ville. Et pour accélérer le processus de la judaïsation, ils s’attaquent à présent aux Palestiniens qui vivent dans les quartiers entourant la vieille ville : Sheikh Jarrah, Silwan, Jabal al-Mukabbir, entre autres. Avec ou sans l’aide de colons, ils s’emparent des maisons des Palestiniens, les remettent aux colons, démolissent d’autres et installent des colonies, tout en exerçant une terrible répression contre toute volonté de leur résister : les tentes de la solidarité sont démolies, les responsables religieux et civils palestiniens de la ville sont arrêtés ou interdits de se déplacer et les prêcheurs interdits d’entrer dans la mosquée al-Aqsa. Au cours de l’année 2008, 4.500 cartes de résidence ont été supprimées [1 ] et depuis 1967, ce sont 13.150 cartes de résidence qui l’ont été, ce qui signifie l’expulsion de toutes ces familles hors de la ville d’al-Qods. A cause du mur de l’annexion, les statistiques palestiniennes parlent de 125.000 cartes de résidence supprimées dans les prochaines années.

Ce sont donc toutes ces mesures récentes et accélérées qui visent à étouffer la ville occupée d’al-Qods, prélude à une épuration ethnico-religieuse implacable, comme le furent plusieurs villes de Palestine : Safad, Tabaraya, au nord, Beer al-Saba’ au sud, Lid et Ramleh au centre. Mais aujourd’hui, il s’agit de la ville sainte d’al-Qods, ville sacrée pour les religions monothéistes, ville promue pour être la ville de la paix comme l’ont nommée ses fondateurs, les Jabusites, « Ur-Salem », ville chargée tout au long de son histoire d’une signification sacrée, au point de devenir « la porte du ciel » ou « le lien entre la terre et le ciel ».

Al-Qods : ville indéniablement arabo-musulmane

Lieu sacré, lieu historique, la ville d’al-Qods est avant tout une ville arabo-musulmane. Ni son ancienneté pré-islamique ni la présence de lieux saints appartenant à d’autres religions ne peuvent lui dénier ce caractère de ville arabo-musulmane.

Fondée par les Jabusites (tribu canaanite) vers 3000 avant l’ère chrétienne [2 ], Ur-Salem ne connaîtra pas d’autres peuples avant 1600 av. l’ère chrétienne, les Araméens d’abord puis les Hébreux, vers l’an 1152 avant l’ère chrétienne. Ces derniers ne furent qu’une des tribus ayant vécu sur cette terre, fondant un royaume qui se maintint à peine quelques centaines d’années. Plusieurs prophètes y vécurent ou auraient vécu [3 ], d’abord Abraham, venant de Mésopotamie, puis Moïse et David, et enfin Jésus.

Bien avant la conquête musulmane, al-Qods fut sanctifiée par l’islam, puisqu’elle fut le lieu du Voyage Nocturne du Prophète (al-isrâ’ wal mi’râj). Al-Qods fut donc la première qibla des fidèles musulmans et est, depuis, considérée comme la « porte du ciel », « le lien entre la terre et le ciel », lieu de paix et lieu sacré de la religion monothéiste.

Les peuples et armées qui envahirent al-Qods, durant l’antiquité, furent nombreux, la Palestine étant située entre deux puissances régionales, la Mésopotamie et l’Egypte : Assyriens, Babyloniens, Perses, puis Grecs et Romains, avant d’être conquise par les musulmans, en 636 de l’ère chrétienne. Depuis cette date, la Palestine et la ville sainte demeurèrent sous la souveraineté musulmane jusqu’à l’occupation britannique, au début du XXème siècle, à l’exception de l’épisode croisé (qui s’acheva au XIIème siècle).

Il est communément admis que la période arabo-musulmane est la plus longue de l’histoire de la Palestine, al-Qods y compris, mais la propagande sioniste et coloniale, voulant semer le doute et falsifier l’histoire pour justifier l’installation juive en Palestine considérée comme un « retour » et prouver que la période hébraïque fut la plus longue, ont sectionné les périodes musulmanes en fonction de l’appartenance ethnique et raciale des gouverneurs, ignorant que la civilisation et la culture musulmanes s’élèvent au-dessus de tels critères et que la démographie et la civilisation témoignent d’une continuité arabo-islamique.

Tout au long de la période islamique, la ville d’al-Qods a assisté, comme les autres villes de la région, à des périodes fastes et glorieuses, comme à des périodes moins brillantes. Mais en tant que ville sainte et haut lieu du monothéisme, elle fut particulièrement choyée par les gouverneurs et les personnages pieux, musulmans et chrétiens. De multiples fondations religieuses, éducatives et sociales y furent bâties, et la ville participa, par ses savants et ulémas, à la grandeur de la civilisation islamique. C’est au cours de la période umayade que le dôme du Rocher et la mosquée al-Qibli (dans la mosquée al-Aqsa) furent édifiés, plusieurs années après l’arrivée des musulmans, avec le calife ‘Umar b. al-Khattâb, en l’an 16 de l’hégire, accompagné de nombreux compagnons du prophète Muhammad. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs décèdent en Palestine et sont enterrés dans le cimetière de Ma’manullah, cimetière situé dans la partie de la ville occupée en 1948, et profané par les sionistes qui, depuis quelques années, déterrent les morts et détruisent les tombes, pour construire un « musée de la tolérance » !, sous la bénédiction de l’UNESCO.

Des centaines de savants enseignèrent et/ou se formèrent dans la mosquée al-Aqsa qui était l’une des grandes écoles-universités dans le monde musulman [4 ]. Dr. Asali dénombre, dans son ouvrage « les instituts savants à Bayt al-maqdis » (en arabe) 69 écoles fondées dès la période ayyubide (après la libération de la ville de l’occupation croisée). Elles furent fondées par les sultans, gouverneurs, femmes de gouverneurs ou princesses, commerçants ou hommes de religion, soit pour s’attirer l’allégeance des sujets, soit pour la satisfaction de Dieu. Les fondateurs de ces instituts assuraient également leur fonctionnement en leur consacrant des awqâf (fondations pieuses) qui étaient souvent des terres agricoles, des échoppes ou des savonneries. Aujourd’hui, la plupart des terres appartenant aux awqâf musulmans, notamment dans la partie de la Palestine occupée en 1948, ont été confisquées par les sionistes.

La plupart des écoles étaient situées près ou dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa. Aujourd’hui, selon l’Institution Internationale d’al-Quds, douze bâtiments se trouvent à l’intérieur même de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, certaines récentes mais d’autres anciennes, certaines utilisées comme maisons et d’autres confisquées par les autorités sionistes. L’école Tankaziyya, par exemple, dont une partie est située hors de l’enceinte, fut fondée par l’émir Tankaz al-Nâsiri, en 729 h (1328). En 1969, les sionistes s’en emparent pour en faire un poste de police.

1948 : Occupation sioniste d’al-Qods

Lorsque les sionistes occupent la partie occidentale de la ville d’al-Qods, en 1948, violant le plan de partage de l’ONU, qui avait conçu que la ville serait internationale, et non sous domination israélienne, al-Qods était une grande ville, dont les limites s’étendaient bien au-delà de l’ancienne ville intra-muros []. En effet, au cours du XIXème siècle, comme la plupart des villes ottomanes, al-Qods assiste à une expansion de son territoire dans trois directions essentiellement : le nord, l’ouest et le sud. Jusqu’à une époque récente dans les milieux universitaires, et jusqu’à présent, dans d’autres milieux (politique, médiatique, populaire), parler d’al-Qods au XIXème siècle revenait à décrire une ville en déclin, abandonnée, appauvrie, qui n’attendait que l’arrivée des sionistes ou des occidentaux pour s’épanouir, dans la pure tradition coloniale et orientaliste. Les écrivains ou voyageurs qui l’avaient visitée ont préféré s’y regarder soi-même plutôt que de décrire ce qu’ils voyaient. Ils n’y voyaient que les lieux qu’ils recherchaient, en fait, c’est-à-dire les lieux mentionnés dans la Bible. Mais les recherches historiques, et avant tout, la mémoire préservée de sa population montrent que la réalité était tout autre, même si la ville d’al-Qods a gardé une place privilégiée en tant que lieu saint plutôt que tout autre (culturel ou économique).

Avant même l’occupation britannique (1920-1948) de la Palestine, plusieurs quartiers s’étaient développés extra-muros du fait de l’exiguité de l’ancienne ville, du développement économique, de l’état de sécurité instauré par les autorités ottomanes dans le pays, ainsi que du rôle grandissant des églises chrétiennes occidentales qui achetèrent des terres après l’introduction des réformes dans l’empire ottoman [6 ]. Comme dans toute la région, les réformes ottomanes du XIXème siècle et l’épisode du règne égyptien de Muhammad ‘Ali et de son fils Ibrâhim Ali avaient donné cours à une intervention de plus en plus marquée des puissances européennes par le biais notamment des églises, orthodoxe, catholique, copte, arménienne, syriaque, protestante, etc.. Interventions et concurrence seront évidemment plus vives et critiques dans la ville d’al-Qods, étant le lieu saint par excellence : des terrains seront achetés, des écoles et hôpitaux fondés pour promouvoir la situation des chrétiens dans le pays et notamment dans la ville sainte. Ces puissances interviennent et attisent les conflits entre les chrétiens eux-mêmes, répartis en plusieurs églises. Alors que les relations entre chrétiens et musulmans étaient relativement calmes, amicales et stables, les relations entre les diverses églises chrétiennes étaient souvent troublées par les querelles sur l’administration de certains lieux de culte et pour la plus importante, l’église orthodoxe plus particulièrement, par la lutte des orthodoxes nationaux contre ses dirigeants grecs [7 ].

C’est donc tout autour de l’ancienne ville que se développent progressivement de nouveaux quartiers, habités par des Palestiniens et les nouveaux venus, chrétiens ou juifs. Ce furent des quartiers modernes, cosmopolites, prévus pour un développement économique et culturel moderne, comme la plupart des capitales arabes du XXème siècle. Mais une grande partie de ces quartiers subissent une épuration ethnique implacable en 1948, lorsque les bandes terroristes sionistes (avant la fondation de leur Etat) les envahissent, suite au massacre de Deir Yassin et la capture du village d’al-Qastal (après le martyre de Abdel Qader al-Hussaynî). La chute d’al-Qastal est le prélude à l’invasion d’al-Qods, les dirigeants sionistes voulant s’accaparer le maximum de terres avant la date fatidique du 14 mai 1948, prévue pour proclamer l’Etat d’Israël. La partie d’al-Qods occupée en 48 (considérée comme la partie occidentale de la ville) est victime, d’après les nombreux témoignages palestiniens et étrangers, d’une campagne de terreur inégalée dans l’histoire contemporaine du monde : Les habitants des quartiers de Qatamon, de sheikh Badr (où se trouve le bâtiment du Knesset), Abu Thor, Nabi Dawud, Shinler, Buqaa Tahta et Buqaa Fawqa, sont expulsés et poussés vers l’Est (la Jordanie) [8 ].

Soixante mille Palestiniens sont ainsi expulsés de leurs maisons et leurs quartiers, pour devenir des réfugiés. Les maisons sont pillées, jusqu’à la nourriture qui s’y trouvait. Lors de cette épuration ethnico-religieuse, les bandes terroristes sionistes avaient utilisé des porte-voix et criaient : « fuyez, fuyez, sinon vous subirez le même sort que Deir Yassine ». Pour précipiter l’exode de la population, elles font exploser l’hôtel Semiramis. Les villages proches sont également « épurés » de leurs populations et rattachés à la municipalité de Jérusalem-ouest : Beit Safafa, Ayn Karem (où sera construit l’hôpital israélien Hadassa), Malha et Shirfat. En 1948, 2% seulement des terres de la ville d’al-Qods appartenaient aux Juifs, ce qui veut dire que la majeure partie des terres occupées dans la partie occidentale de la ville appartenaient soit aux Palestiniens (privés) soit aux fondations religieuses (waqf musulman ou chrétien) [9 ].

Une Jérusalémite, Hala Sakâkînî [10 ] témoigne sur ces jours terribles de la Nakba : « Finalement, après le massacre de Deir Yassine, nous pensons sérieusement quitter al-Qods. Les récits les plus épouvantables, nous les avons entendus par les témoins qui ont réussi à en échapper. Nous ne pouvions imaginer que les Juifs soient si cruels, barbares et sauvages. Des femmes enceintes et des enfants torturés jusqu’à la mort, des jeunes filles dévêtues, violées et mises sur des camions qui faisaient le tour des quartiers juifs où elles étaient accueillies par les crachats du public. Les Juifs « civilisés » n’ont pas eu honte de leurs crimes, et nous savons tous qu’ils sont capables de recommencer, s’ils le peuvent, en tout lieu et en tout temps. Aujourd’hui, et dans quelques jours, nous allons être obligés de quitter notre maison. Je n’aime pas penser à cela. » (Sakakini, Jerusalem and I).

Haget Shalonski, infirmière dans l’armée sioniste, témoigne sur le pillage du quartier palestinien d’al-Qatamon [11 ] : « Je me rappelle très bien le pillage du quartier d’al-Qatamon. J’étais infirmière… et un soir, je suis sortie avec un soldat me promener dans le quartier. J’ai été stupéfaite par la beauté des maisons, nous sommes entrés dans l’une d’elles, tout était beau, le piano, les tapis, les lustres étaient magnifiques.

De là où je vivais, je pouvais voir la route qui reliait al-Qatamon aux quartiers juifs. De ma fenêtre, je voyais les gens transporter les objets volés. Des dizaines de gens passaient, avec les objets volés. Cela avait un rapport avec ma visite à la maison, avec le soldat, car je reconnaissais certains objets. Je voyais les gens, jour après jour. Non seulement les soldats, mais les civils aussi. Ils pillaient comme des fous et transportaient même la nourriture, en plein jour, voulant montrer aux autres ce qu’ils avaient volé…. »

Confiscation des biens et invasion des quartiers palestiniens

Avant même la proclamation du cessez-le-feu, en juin 1948, les biens palestiniens des quartiers « épurés » furent confisqués : la loi des « absents » fut appliquée alors qu’elle n’était pas encore promulguée (elle le sera en 1950) : les biens de tout Palestinien « absent » entre le 29/11/ 1947 et le 1/9/48 furent confisqués par les autorités sionistes. L’installation des colons juifs commença avant septembre 48 : les nouveaux colons furent installés dans les quartiers « Colonie allemande », Al-Qatamon, al-Baqaa, al-Musrara, Abu Thor et Talbiya. Arnon Golan, auteur sioniste, écrit que l’installation des nouveaux « immigrants » dans les quartiers arabes de la partie occidentale d’al-Qods n’était pas due à l’absence de maisons dans d’autres quartiers, mais plutôt à une stratégie politique : « le peuplement des quartiers répondait à un fait politique important pour consolider le combat contre toute tentative de reprendre la ville ou certains de ses quartiers. Dès septembre, le gouvernement appliqua une politique d’annexion effective de la partie tombée sous sa domination, bien qu’il n’ait pas rejeté officiellement sa reconnaissance du plan de partage des Nations-Unies. Le peuplement des Juifs dans les quartiers arabes visait à créer une situation de fait accompli qu’il sera difficile de modifier par la suite dans le cadre d’un accord politique… » [12 ].

Alors que l’ONU propose en 1948 et que son assemblée générale vote une résolution en décembre 1949 (résolution 303 – 4) réclamant la démilitarisation et l’internationalisation de la ville, les troupes sionistes profitent de la trêve proclamée en mai 48 pour grignoter du terrain et s’avancer vers la vieille ville. Peu de quartiers extra-muros demeurent entre les mains des Palestiniens, comme sheikh Jarrah, Bab Sahira et Wadi al-Joz.

Il faut signaler ici le statut particulier fait au site qu’occupe l’Université hébraïque dès 1924, sur les terres du village ‘Isawiya. De 1948 à 1967, date de l’occupation de toute la ville, l’université faisait partie de la zone démilitarisée et contrôlée par les Nations-Unies. En 1967, de larges superficies de terrains sont confisqués des villages de Lifta et de ‘Isawiya pour pouvoir relier l’université à la partie ouest de la ville.

Destruction du patrimoine arabo-islamique

Dès les premiers jours de l’occupation sioniste de la partie orientale d’al-Qods, placée en 1949 sous administration jordanienne, l’armée sioniste détruit et rase le quartier al-Sharaf dans la vieille ville pour élargir et construire le nouveau quartier juif. Sur les 116 dunums confisqués, il y avait 595 bâtiments, 1058 échoppes et magasins, 5 mosquées, 4 écoles, un marché historique (souk al-Bashura), une rue commerciale tout au long de laquelle étaient bâties des maisons datant de l’époque mamelouke. 6000 Palestiniens vivaient dans des quartiers entièrement ou semi-détruits (al-Maghariba, syriaque, sharaf). La superficie détruite et confisquée représente 20% de celle de la vieille ville [13 ].

Depuis cette date, le massacre civilisationnel s’est poursuivi, en Palestine et dans la ville sainte d’al-Qods : contre la population et contre l’histoire. Contre la population, en tentant par tous les moyens, y compris les massacres, de l’expulser ou du moins réduire son nombre, et contre l’histoire en la falsifiant et inventant une nouvelle histoire « juive » qui aurait son origine dans le pays. Entre les mains du sionisme chrétien et juif, la Bible devient un livre de guerre : au présent, lorsque les rabbins s’en servent pour encourager les soldats sionistes à tuer le maximum de « non-juifs » et au passé, lorsque les archéologues occidentaux, munis de ce livre, effacent et détruisent tous les lieux historiques palestiniens (pré ou musulmans) pour inventer sur le terrain ce qu’ils ne trouvent pas concrètement [14 ]. Ainsi est né, entre autres, le mensonge du troisième temple, avec des histoires et des lieux mythiques couvrant tous les lieux convoités, c’est-à-dire toute la Palestine et même au-delà.

Nature du conflit : religieuse ou politique ?

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a récemment demandé aux responsables sionistes de stopper leurs agissements provocateurs dans al-Qods, de crainte de susciter « une guerre religieuse », voulant signifier que les agissements sionistes visant les lieux saints musulmans pourraient provoquer des réactions « à caractère musulman ». Cette mise en garde abbassienne exprime toute la mystification du conflit en cours.

D’un côté, les sionistes qui colonisent la Palestine détruisent ou profanent les lieux sacrés musulmans et chrétiens, au nom du judaïsme. Dans la Palestine occupée en 48, de nombreuses mosquées furent transformées non seulement en synagogues, mais en enclos pour les bêtes, en discothèques, musées ou restaurants [15 ]. Plusieurs cimetières musulmans et chrétiens ont été profanés par les colons ou les autorités. Pour les dirigeants sionistes, l’Etat d’Israël est un Etat juif qui pourrait à la rigueur tolérer les non-juifs, s’ils acceptent de vivre (dans leur propre pays !) comme une catégorie exogène, avec des droits réduits. La récente décision du gouvernement israélien de transformer des lieux palestiniens, sacrés ou non, en itinéraires touristiques juifs, relève tout simplement de l’extermination du passé et de l’histoire palestiniennes, musulmane, chrétienne ou même pré-chrétienne. Non seulement les mosquées al-Ibrahimi à al-Khalil et Bilal bin Rabah à Bethléhem sont menacées, mais tous les sites israéliens ne sont en fait que des sites palestiniens, judaïsés ou en voie de l’être. Dr Hassan Khatir, de la coalition islamo-chrétienne pour la défense d’al-Qods, a notamment expliqué que cette liste de 150 sites juifs comprend toute l’histoire et les sites palestiniens, notamment dans les territoires occupés en 48 (déclaration télévisée sur al-quds TV début mars 2010). Ce qui signifie que le sionisme combat toute présence musulmane et chrétienne, soit non-juive, en Palestine, puisqu’il s’appuie sur une certaine lecture réductrice et déviée du judaïsme.

De l’autre côté, les Palestiniens, les Arabes ou les musulmans n’ont jamais considéré ni les juifs ni le judaïsme comme un ennemi à abattre. Dès le début de la colonisation sioniste en Palestine, la distinction a été clairement établie, pour la majeure partie des populations musulmanes, entre d’une part les juifs qui colonisent la Palestine, et d’autre part la religion juive et les juifs dans le monde.

Il faut noter cependant, que depuis le début du sionisme, très peu de voix juives dans le monde ont contesté le fait colonial sioniste et essayé de démontrer que le judaïsme n’autorise pas les agissements criminels israéliens. Un seul mouvement, à notre connaissance, a « osé » contesté religieusement la conception religieuse du sionisme, Neture Karta. Quant aux mouvements qui se considèrent non-sionistes, ils se taisent sur tout ce qui touche aux lieux saints profanés, la mosquée al-Aqsa, les églises, le cimetière Ma’manullah, etc.. comme si le fait d’aborder ces questions, essentielles pour les musulmans et les chrétiens de Palestine, signifie implicitement participer à une « guerre de religion ». Pourquoi ce refus d’aborder la question de la défense des lieux saints musulmans et chrétiens en Palestine, aux côtés des Palestiniens ? Deux explications peuvent être avancées, jusqu’à présent : l’une, le refus, en France notamment, à cause d’une laïcité érigée en loi divine, d’accorder une considération aux revendications jugées « religieuses » en Palestine, alors qu’est dénoncée toute profanation de lieux saints, mosquées, synagogues, cimetières juifs ou musulmans en France.

L’autre explication est celle du refus délibéré de dénoncer le sionisme en tant que tel, et de ce fait, ignorer d’une part les pratiques sionistes à caractère religieux, n’ayant pas remis en question les prétentions de l’Etat d’Israël quant aux soi-disant lieux juifs dans la ville d’al-Qods et en Palestine, et d’autre part, les pratiques sionistes coloniales dans la Palestine occupée en 1948.

Défendre le patrimoine menacé c’est défendre aussi l’avenir

Quoiqu’il en soit, le refus de dénoncer les pratiques à caractère religieux de l’Etat sioniste, qui détruisent la présence non-juive en Palestine (ce qui signifie en fait la quasi-totalité de l’histoire et du patrimoine palestiniens) et de soutenir la lutte « à caractère religieux » des Palestiniens, soit la défense de leurs mosquées et de leurs églises, leur lutte contre les profanations et les destructions, alors que toute leur littérature n’exprime aucune animosité envers le judaïsme en tant que tel, un tel comportement contribue, dans les faits, à déraciner le peuple palestinien de sa terre.

Ne pas admettre son histoire, sa culture et sa civilisation et considérer qu’il n’existe qu’à partir de l’occupation britannique du pays, soit, à partir de la déclaration Balfour et à quelques décennies près, au début de la colonisation sioniste en Palestine, prive le peuple palestinien de tout l’environnement arabe et musulman qui doit participer à sa lutte et lui assurer la libération de sa terre. C’est considérer qu’un peuple n’existe que lorsqu’un Etat l’enferme dans des frontières reconnues ou à reconnaître. C’est aussi lui proposer la « solution » consistant à partager sa terre avec les colons qui eux, de leur côté, n’ont aucune racine dans le pays. Soit, un pays pour deux « peuples » déracinés, la Palestine devenant un pays neuf qui serait à partager.

Une telle attitude a des implications importantes sur le comportement international vis-à-vis des lieux saints, et non seulement sur celui des musulmans ou des chrétiens d’Europe ou vivant en Europe, vis-à-vis des églises et cimetières chrétiens transformés en enclos pour les animaux ou des mosquées détruites, en Galilée et ailleurs. L’Etat sioniste fonde son existence sur le mensonge, la confiscation et la falsification de l’histoire de cette terre, il invente un passé pour se forger une légimité et délégitimer la présence palestinienne. Refuser de dénoncer ce viol de l’histoire et ne pas inscrire la présence du peuple arabe de Palestine dans son patrimoine millénaire, qui fut essentiellement religieux, signifient l’amputer de cette formidable assise qui lui permet de combattre le sionisme à sa base.

Cette terre n’est pas née à partir de la déclaration Balfour et du mandat britannique. Son peuple n’a pas émergé lorsque les sionistes et les occidentaux l’ont vu et ont décidé de lui voler sa terre et son histoire. Au-delà des frontières qui l’ont enfermé dès le mandat britannique dans une tragédie unique dans l’histoire, son passé s’inscrit dans celui de la région arabo-musulmane, pétrie de religion et de foi.

Il ne s’agit ni de guerre religieuse ni de fanatisme quand les Palestiniens, les Arabes et les musulmans s’insurgent chaque fois que les lieux saints sont profanés ou atteints par le bras exterminateur des sionistes. Il s’agit de défendre une histoire, un patrimoine, un enracinement dans cette terre et dans cette ville, qui ne peut demeurer symbole de la rencontre des religions célestes que si elle est libérée des colons et libérée de toute idéologie négationniste et raciste, le sionisme et le colonialisme.


anchor Notes :

[1] Les cartes de résidence sont accordées aux Palestiniens de la partie d’al-Quds occupée en 1967. Depuis son annexion par les autorités sionistes, les résidents maqdisis ont une carte de résidence qui leur permet de continuer à vivre dans la ville et de bénéficier des « avantages » sociaux et économiques auxquels ont droit les Israéliens.

[2] http://www.alquds-online.org/index.php?s=11&ss=7&id=42: étude de Abdel Tawwab Mustafa, 2004

[3] Les recherches archéologiques et historiques n’ont pas encore définitivement établi quels prophètes ou personnages vécurent réellement en Palestine, l’idéologie sioniste des archéologues ayant faussé, pendant des décennies, toute recherche objective.

[4] Dr. Asali, Ma’ahid al-‘ilm fi bayt al maqdis, Amman, 1981.

[5] Les murs de l’ancienne ville furent construites, pour la protéger, par le calife Soliman (appelé le Magnifique) en 1542, avec 7 portes et d’une longueur de 4km (Ahmad Abu Hassan, « écoles et bibliothèques d’al-Quds », site internet …

[6] La ville ottomane d’al-Quds extra-muros (en arabe), Rochel Davis, dans al-Quds al-‘Arabiyya, Institute for Palestine Studies et Badil, 2002

[7] Cf. Dr. Ahmad Hamid Ibrahim al-Qudat, « Nasara al-Quds.. » (chrétiens de la ville d’l-Quds: étude à partir des archives ottomanes) Markaz Dirasat al-Wihda al-‘Arabiya, 2007, Beirut.

[8] Dr. Ghazi Hussain, ‘Urubat al-Quds (l’arabité d’al-Quds),http://www.bahethcenter.net/A.W/beladona/alquds/3orobat-alquds.htm

[9] Dr. Ghazi Hussayn, ibid.

[10] al-Quds al-‘Arabiyya, Institute for Palestine Studies et Badil, 2002.

[11] al-Quds al-‘Arabiyya, ibid.

[12] Al-Quds al-‘Arabiyya, ibid.

[13] Khalil Tafaqji, al-Istitân al-sahyouni (la colonisation sioniste) Fondation al-Quds, Beirut, 2002.

[14] Voir à ce propos l’excellent livre de Nur Masalha, The Bible and Zionism, invented traditions, archaeology ans post-colonialism in Israel-Palestine, Zed Books, 2007. Le rôle du sionisme chrétien et notamment britannique est souligné dans cette entreprise de falsification de l’histoire.

[15] Voir le rapport de Arab Human Rights Association, association située à Nazareth, site arabhra.org, intitulé « sanctity denied : the destruction and abuse of muslim and christian holy places in Israël» décembre 2004.

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