2 062 vues
image_pdfimage_print

Article de Santiago Alba Rico publié le 15 novembre 2007 sur Diagonal.L’auteur est diplômé de philosophie, essayiste et traducteur. Nous publions la traduction de Fausto Giudice parue sur Tlaxcala .

Dans un texte concis, Santiago Alba Rico s’attache à montrer la création artificielle de l’Etat d’Israël en Palestine par la convergence de facteurs extérieurs à cette région du Moyen-Orient. Il insiste à juste titre sur le rôle des grandes puissances impérialistes dans la partition de la Palestine mais aussi dans le soutien à l’occupation sioniste.

Les dirigeants israéliens n’ont de leur côté jamais cessé leur entreprise de colonisation et de purification ethnique au point qu’aujourd’hui se pose la question de l’existence du peuple palestinien.


Le véritable vainqueur de la IIème Guerre Mondiale n’a pas été l’alliance des nations qui ont combattu l’Allemagne nazie, pas plus que ces USA renforcés par l’affaiblissement de l’Europe et encore moins, évidemment, les millions de victimes juives du nazisme : le véritable vainqueur de la IIème Guerre Mondiale a été le mouvement sioniste fondé par Theodor Herzl en 1897. Pour ces mêmes raisons, le véritable perdant du conflit n’a été ni l’Allemagne ni le Japon ni l’Italie ni non plus cette URSS condamnée à disparaître 40 années plus tard : le véritable perdant – avec les millions de victimes de l’holocauste nazi – a été le peuple palestinien, radicalement innocent et complètement étranger en même temps à l’antisémitisme de l’Europe et à ses luttes entre impérialismes. Ignominieuse combinaison d’intérêts fallacieux et de mauvaise conscience, la très injuste résolution n°181 de l’ONU qui en 1947 a décidé la partition de la Palestine conserve aujourd’hui toute son actualité destructrice. Marek Edelman, défenseur héroïque du ghetto de Varsovie en 1943, a su très bien en voir les motifs : “Si on a pu créer l’Israël, cela a été grâce à un accord entre Grande-Bretagne, USA et URSS. Non pour expier l’assassinat de six millions par l’Europe, mais pour se partager les affaires du Moyen-Orient”. Nous pouvons tous en voir les résultats aujourd’hui : à travers cette petite blessure, le monde perd irrémédiablement son sang.

Le Congrès de Bâle, acte fondateur du sionisme, a été précocement dénoncé par Karl Kraus, juif universel de Vienne, comme une forme d’antisémitisme : “Ces deux forces aspireraient secrètement à une alliance” car “elles ont en effet un objectif commun : expulser les juifs d’Europe”. L’esentialismo ethnico-religieux de Theodor Herzl, n’avait en tout cas convaincu qu’une faible minorité diminuta, comme le démontre le fait qu’à peine quelques milliers de sionistes ont émigré en Palestine avant 1933. Seule la convergence de trois facteurs extérieurs à l’histoire de la région explique la présence de 600.000 juifs (en Palestine) au moment de la partition. Le premier a été la persécution nazie, qui a obligé à la fuite des millions de juifs tant de l’Allemagne que des zones occupées par elle. Deuxièmement, l’exploitation dénuée de scrupules de ce génocide par l’organisation sioniste, plus préoccupée de coloniser la Palestine que de sauver des êtres humains : “Si on me donnait le choix”, déclarait Ben Gourion en 1938 “entre sauver tous les enfants juifs d’Allemagne en les transportant en Angleterre et en sauver seulement la moitié en les transportant en Eretz-Israël, j’opterais pour la seconde alternative”. Troisièmement, l’avidité impérialiste de l’Angleterre, qui à partir de la déclaration Balfour (1917) et par une politique migratrice machiavélique a su interpréter en sa faveur tous les avantages de la proposition raciste de Herzl : “ Nous construirons là (en Palestine) pour l’Europe un pan de muraille contre l’Asie, nous serons la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie”.

Partition et expansion

Contrairement à ce que nous croyons savoir, non seulement la justice palestinienne s’est opposée au principe de la partition mais aussi l’injustice sioniste. En 1948, Menahem Begin, dirigeant du groupe terroriste Irgoun et futur Prix Nobel de La Paix, déclarait que “la partition ne privera pas Israël du reste des territoires” ;. Le 19 mars de cette même année Ben Gourion, chef de la Haganah et père fondateur d’Israël, insistait sur le fait que “l’ État juif ne dépendra pas de la politique de l’ONU mais de notre force militaire”. Cette force militaire, articulée dans le plan Dalet, a expulsé de ses terres, par la terreur et la violence, 800.000 Palestiniens, dans une opération de nettoyage ethnique à grande échelle dont l’envergure et les objectifs ont été clairement mis en lumière par l’historien israélien Benny Morris (un ultrasioniste qui regrette seulement, d’ailleurs, que Ben Gourion n’ait pas été plus radical). De cette manière, le 14 mai 1948 a été créé, sur 77% du territoire palestinien, le “seul État démocratique” du Moyen-Orient, un État “juif” ; dont la “constitution” est la fameuse Loi du Retour de 1950. C’est celle-ci, et non la décence ni la raison ni l’histoire, qui permet à tout “juif” du monde de “retourner” en Palestine, à partir d’une définition racialo- religieuse ambiguë qui inclut les descendants de parents ou de grands-parents juifs et à les convertis à la religion de Moisés (mais il exclut qui changent de croyance et ceux qui remettent en question le caractère “juif” de l’État d’Israël).

Chaque fois qu’Israël bombarde des villes, élève des murs, arrache des oliviers ou impose la faim et la maladie à millions d’êtres humains, les USA et l’UE, regrettent certes parfois “l’usage disproportionné de la force” mais rappellent à chaque son droit à la défense. Que personne ne se scandalise si je dis qu’il est absurde d’invoquer son droit à la défense quand ce qui est en question c’est son droit à l’existence. Chaque fois que les USA et l’UE promeuvent une quelconque ‘initiative de paix, on discute sur quoi faire des Palestiniens et quoi leur concéder, comme si c’étaient eux les intrus et les occupants. Que personne ne se scandalise si je dis que la véritable question est de savoir quoi faire des Israéliens et quoi leur concéder. Il ne peut pas y avoir de justice si on ne part pas de principes justes et il est nécessaire, par conséquent, d’inverser ces principes qui nous paraissent absurdement naturels pour atteindre, non pas tant la justice, mais une solution le moins injuste possible. Je suis sûr que le pragmatisme et la piété amèneraient les Palestiniens à se montrer généreux avec les Israéliens si le monde déclarait publiquement de quel côté est la raison et agissait en conséquence. Mais tant que les USA et l’UE, seules clés du conflit, soutiendront politiquement, économiquement et militairement les droits du racisme, le fanatisme, du nationalisme messianique et de la violence coloniale, l’humanité continuera à saigner sans remède à travers cette blessure ouverte en Palestine.

Santiago Alba Rico

Traduction : Fausto Giudice, membre de Tlaxcala , le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.

Photo : le 11 juillet 1948, l’armée israélienne expulse 19.000 habitants de Lydda et 20.000 Palestiniens qui s’y étaient réfugiés. Aujourd’hui Lydda s’appelle Lod et seulement 20% de sa population est arabe. 418 villages ont été vidés.

print